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Il y a un an, la révolte de la jeunesse prolétarienne en France

Eric Smith, Sunday, October 29, 2006 - 18:29

T.A.

Il y a un an, suite à une nouvelle bavure policière qui a conduit à la mort atroce de deux adolescents, s'amorçait une puissante révolte qui a mobilisé des milliers de jeunes prolétaires dans les banlieues françaises et ébranlé la vieille société bourgeoise. Pour commémorer cet événement, nous publions les conclusions d'un article paru dans le dernier numéro de la revue maoïste A World to Win, rédigé à partir du rapport d'un militant du PCR(co) qui, avec quelques autres camarades, a accompli un travail politique dans la région parisienne en novembre 2005. La version française intégrale de cet article très complet est disponible sur http://www.pcr-rcpcanada.org/fr/?awtw/32f.

Arsenal-express

En une vingtaine de nuits de combats qui ont débuté le 27 octobre et se sont poursuivis jusqu'au 15 novembre 2005, des milliers de jeunes prolétaires ont lancé ce qui s'est avéré le plus important défi au statu quo que la France ait connu depuis la révolte de Mai 1968. [...]

Ce que la crise a révélé

L'unité de la classe dominante française face à cette rébellion fut remarquable, particulièrement quand on pense aux chamailleries et aux conflits électoraux qui, d'ordinaire, éclatent sans arrêt en son sein. Le Parti socialiste (qui forme l'opposition officielle) s'est porté à la défense du ministre de l'Intérieur Sarkozy, et le Parti communiste révisionniste (le PCF) a refusé d'exiger son renvoi, même si Sarkozy s'avère le politicien le plus haï en France, en particulier parmi la base électorale de ces deux partis. [...] La position de la totalité de la "classe politique" pendant la rébellion était que la restauration du "calme" constituait la priorité absolue; entre-temps, il fallait observer une trêve sur les affaires politiques habituelles. Le Parti socialiste n'a même pas hésité à voter en faveur de l'état d'urgence quand la proposition fut présentée à l'Assemblée nationale la première fois; éventuellement, le PS vota contre son prolongement, mais seulement une fois les combats terminés.

Le PCF, quant à lui, considérait que les jeunes faisaient le jeu de Sarkozy, et il appela même à ce que davantage de policiers soient recrutés et déployés dans les banlieues. Quand on lui demanda si les émeutiers étaient "des victimes ou des criminels", la réponse de la secrétaire nationale du PCF, Marie-George Buffet, fut sans équivoque: des criminels. Selon une déclaration publiée par l'organisation des jeunes du PCF, "les incivilités, la violence sont le fait d'une minorité de personnes et gâchent la vie des quartiers populaires". Et d'ajouter: "Des réponses de police et de justice sont nécessaires. Mais le gouvernement depuis 2002 [quand la droite a repris le pouvoir] a démantelé la police de proximité, réduit les effectifs dans les quartiers. Sarkozy provoque parce que la violence est utile pour ses projets." Puisque plusieurs cités sont situées dans des municipalités elles-mêmes dirigées par des maires PCF, le parti révisionniste s'est senti menacé par la rébellion. [...]

Les partis "d'extrême gauche" trotskistes, qui demeurent relativement influents en France, n'ont pas fait mieux. Ils considéraient eux aussi la rébellion comme un désastre. Arlette Laguiller, l'éternelle candidate à la présidence du groupe Lutte ouvrière, a osé écrire: "Les travailleurs n'ont pas à se réjouir de la forme que prend cette explosion, et pas seulement parce qu'ils sont les premiers à en souffrir. La jeunesse, c'est l'avenir. Mais de quel avenir une jeunesse déboussolée peut-elle être l'artisan?"

Certains militants "de gauche" ont plaidé qu'il ne fallait pas appuyer la rébellion, parce que les jeunes attaquaient de "mauvaises cibles", notamment en incendiant des écoles. Ce n'est pourtant pas surprenant que des jeunes mettent le feu aux écoles quand on entend des histoires comme celle-ci, que nous a racontée une jeune Algérienne: "Actuellement, je suis à la recherche d'une formation. Je suis allée voir une conseillère en orientation. Elle m'a suggéré de devenir femme de ménage. J'ai 17 ans et on me dit de devenir femme de ménage, ça n'a pas de sens!" [...]

D'autres militantEs plus progressistes, qui auraient dû mieux réagir, furent néanmoins réticentEs à appuyer le mouvement, à cause de sa spontanéité et de son manque d'organisation. Mais il y avait une question fondamentale qui était en jeu: d'un côté, on avait affaire à un camp qui exprimait la vérité et un point de vue juste, principalement; et de l'autre, à un camp qui avait tout faux. Comme l'a écrit le Comité d'organisation provisoire (Europe) du Mouvement de résistance des peuples du monde (World People's Resistance Movement, WPRM) dans une déclaration publiée pendant les événements: "Il ne sert à rien de s'attarder aux 'imperfections' de cette rébellion -- cela n'a rien à voir. Il s'agit d'une révolte spontanée de la part de ceux et celles qui se trouvent tout en bas et qui ont choisi d'entrer sur la scène de l'histoire -- même s'ils n'ont pas encore eu la chance de développer entièrement leur conscience politique, d'établir leur direction politique et de définir une voie stratégique. Bien sûr qu'ils et elles font quelques erreurs, et bien sûr que les voitures parquées dans les rues des cités ne sont pas le véritable ennemi. Mais... c'est leur façon à eux -- pour le moment -- de montrer à ce système, et à ceux qui le dirigent, qu'ils n'ont ni l'intention de se soumettre aux règles ni d'accepter que l'on étouffe leurs voix."

[...] Même si ce sont des événements bien précis qui ont servi de déclencheur, la rébellion était beaucoup plus qu'une simple réponse à ces événements. Il fallut seulement une semaine pour que le mouvement s'étende de Clichy jusque dans chaque coin de la France; cela s'est produit ainsi parce que le mouvement était basé sur des mécontentements partagés à travers le pays entier par les couches inférieures du prolétariat. [...] Même les Renseignements généraux ont dû reconnaître que "les jeunes des cités étaient habités d'un fort sentiment identitaire ne reposant pas uniquement sur leur origine ethnique ou géographique, mais sur leur condition sociale d'exclus de la société française". En outre, le mouvement avait une cible bien précise: le ministre de l'Intérieur Sarkozy, la police, l'État, de même que toute la vie et l'avenir offerts aux jeunes par le capitalisme. La révolte n'était pas dirigée contre les Français d'origine, mais contre les symboles du système et de l'État.

En fait, le soulèvement de la jeunesse a créé une situation très difficile pour la classe dominante française. Contrairement à ce qui se produit habituellement quand les mouvements ouvrier ou sociaux lui causent des ennuis, cette fois-ci, les dirigeants de ces mouvements n'étaient pas en position de jouer le "jeu de la négociation". Il n'y avait ni partis de gauche, ni partis révisionnistes, ni syndicats soumis et ni professionnels des services sociaux, que l'État aurait pu utiliser pour contrôler les rebelles, précisément en raison de leur exclusion de la société bourgeoise.

On a raison de se révolter!

Quand arrivent des événements de ce genre, le point de départ et le point de vue élémentaire des maoïstes, c'est "qu'on a raison de se révolter".

L'idée, ce n'est pas que les communistes devraient être à la remorque de ces jeunes et soutenir tout ce qu'ils pensent, mais qu'ils et elles doivent apprendre d'eux et combiner ce qui est juste dans leurs réflexions avec la méthode scientifique du marxisme-léninisme-maoïsme et la conception de la société et du monde qu'il sous-tend.

La perspective de construire une nouvelle société dans laquelle les oppriméEs ne seront plus écraséEs mais vont avoir la possibilité de maîtriser leur propre avenir requière un changement profond, sur toute la ligne -- une vraie révolution impliquant tous ceux et celles qui n'ont à rien à perdre dans la société actuelle et qui ont la capacité de mener une si audacieuse transformation. [...]

Les révisionnistes et les trotskistes se basent sur la classe ouvrière française traditionnelle, et particulièrement sur les travailleurs et travailleuses plus avantagéEs (même si tout cela demeure relatif), qui ont obtenu, ou du moins qui pensent pouvoir aspirer à un mode de vie plus confortable. Mais leur plus grande loyauté se situe à l'endroit du système lui-même. Ils gardent toujours un certain espoir d'en arriver à une version améliorée du statu quo -- cela, peu importe si cet espoir s'avère de plus en plus irréaliste à notre époque. Fondamentalement, les révisionnistes et les trotskistes ne visent rien qui soit radicalement différent de l'organisation sociale actuelle, dans laquelle une élite bien pensante dirige la société en fonction de ses propres intérêts et où la vaste majorité est condamnée à travailler aveuglément et à subir la domination de la minorité.

La vérité, c'est que les jeunes qui se sont révoltés ne font pas moins partie du prolétariat que les travailleurs et travailleuses syndiquéEs de la fonction publique et des industries françaises. Comme les événements de novembre l'ont puissamment démontré à quiconque garde les yeux ouverts, aucune révolution véritable n'est concevable en France (et dans les pays du même type) si elle ne repose pas centralement sur ces prolétaires et sur les autres couches du prolétariat qui s'y apparentent, et si elle ne mobilise toute la puissance, potentiellement énorme, de leur rage contre l'état actuel des choses. En même temps, une telle révolution restera impossible si ces couches et catégories qui en forment l'ossature ne réussissent pas à unir derrière elles de larges sections du prolétariat et des classes moyennes, autour d'un projet révolutionnaire visant à établir une société nouvelle. [...] Les idées et les sentiments actuels des jeunes prolétaires des cités sont contradictoires, certes, mais plusieurs d'entre eux sont justes. Leur intérêt réside dans la destruction radicale de l'ordre social actuel et son remplacement par un système qui s'affairerait à démanteler non seulement l'État actuel et la classe dirigeante qui se trouve derrière, mais également tout l'ordre social qui sévit à l'échelle mondiale. Cela exige de combiner ce que Lénine appelait leur force destructive spontanée avec une perspective scientifique.

Manifestement, cela pose un certain nombre de questions quant à savoir comment la révolution peut accumuler des forces et triompher militairement contre un ennemi dont la puissance armée reste bien plus grande que celle déployée en novembre, et dont la force sociale et idéologique est basée sur des divisions réellement existantes dans la société et sur des générations de tradition et d'habitude. Derrière ce dilemme se trouvent des questions encore plus stratégiques: Quels sont les objectifs de la révolution? Sur qui doit s'appuyer le mouvement révolutionnaire pour réussir? Qui sont ses amis et ses alliés potentiels? Comment ébranler un système bourgeois qui dispose d'un appareil d'État aussi puissant que celui de la France? Comment conquérir le pouvoir politique et organiser le nouveau pouvoir prolétarien sans qu'il soit détruit par une nouvelle bourgeoisie? [...]

Un parti communiste maoïste -- armé de la conception du monde à laquelle nous faisons référence, qui possède un certain lien avec les masses et dispose d'une force organisationnelle conséquente -- s'avère une criante nécessité. Il faut espérer que la saine frustration née de cette rébellion, avec l'aide et la conception générale apportées par le mouvement communiste international, puisse faire la différence la prochaine fois qu'un événement similaire se produira. Un tel événement ne risque pas de se reproduire de façon identique, mais il n'y a aucun doute que les facteurs sous-jacents qui ont produit cette explosion continueront à faire monter la pression. De fait, à peine quelques mois après la rébellion de novembre, un mouvement massif des étudiantEs et de la jeunesse a éclaté de nouveau en France contre une nouvelle loi du travail, perçue comme intensifiant l'exclusion sociale.

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Article paru dans Arsenal-express, nº 117, le 29 octobre 2006.

Arsenal-express est une liste de nouvelles du Parti communiste révolutionnaire (comités d'organisation).

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