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Lettre à Mme Marie Isler Beguin, eurodéputée, au sujet de Cuba

Anonyme, Wednesday, August 30, 2006 - 11:51

Jacques--François BONALDI

Réponse à: Pour que Cuba change, l’Union européenne et les Etas-unis doivent changer de stratégie à son égard

LETTRE OUVERTE de JACQUES-FRANÇOIS BONALDI

La Havane, le 20 août 2006
( Envoyé sur le CMAQ par Stéphane Chénier )

Madame la Verte Députée

J’ignore de quelle zone d’Europe vous êtes et qui vous y a élu et sur quelle plate-forme, mais je ne sache pas que les frontières du Vieux Monde débordent maintenant outre-Atlantique au point que vous et les vôtres y puissent légiférer. En tout cas, aucune partie ni aucun parti de Cuba ne vous a élue pour que vous en soyez le porte-parole au sein d’un parlement dont nous n’avons que faire ici. Je m’étonne donc de votre propos de proposer « une résolution d’urgence... pour la rentrée de septembre du Parlement européen ».

Voyez-vous, Madame la Verte Députée, l’Assemblée nationale du pouvoir populaire existe ici depuis 1976, depuis plus longtemps donc que le Parlement européen. Or, en trente ans de fonctionnement, aucun député n’y a jamais présenté un seul texte, une seule résolution, une seule motion en vertu duquel l’Assemblée nationale cubaine demanderait que la France « change » parce que son système politique et économique capitaliste néolibéral et sa démocratie bourgeoise n’ont pas l’heur de plaire ici. Jamais l’Assemblée nationale du pouvoir populaire de Cuba n’a pensé qu’elle était en droit de s’ingérer dans les affaires intérieures d’un autre Etat et de décider comment devait se comporter son gouvernement. Jamais aucun de ses députés ne s’est mis en tête de rédiger un texte où il ferait une présentation aussi biaisée que la vôtre de la situation intérieure française. En tout cas, il aurait au moins eu l’honnêteté de se renseigner un peu mieux et de ne pas reprendre à son compte les poncifs éculés que colporte votre presse transnationale prétendument libre.

Dis-moi un peu, Madame la Verte Députée, que penseriez-vous de l’Assemblée nationale cubaine si l’un de ses députés rédigeait afin de le proposer à ses confrères un texte dans le genre de celui qui suit :

« Les ouvertures tant attendues pourraient-elles venir de Nicolas Sarkozy dont on connaît l’application à respecter l’orthodoxie néo-libérale ? Il cumule déjà depuis longtemps les pouvoirs forts tel que le ministère de l’Intérieur et, en violation de la déontologie politique la plus élémentaire, la présidence d’un parti de gouvernement. »

« Faut-il attendre, comme le souhaite la plupart des Français de France, une désadaptation au monde déshumanisé d’aujourd’hui de la part de la direction française... ? Nul ne saurait répondre à cette interrogation ; toutefois il est à espérer que les « nouveaux » dirigeants sous la houlette de X, tout attachés au régime en place, sachent apporter des réponses urgentes à la crise économique et sociale que subit de plein fouet et depuis un certain temps déjà la population française. »

« Jacques Chirac, plésiosaure politique, champion toute catégorie du maintien au pouvoir et fin stratège, aura sans doute préparé judicieusement ce dernier casting. Dominique de Villepin, actuel Premier ministre, Nicolas Sarkozy, actuel ministre de l’Intérieur, et d’autres du sérail, parfaitement conscients de la stabilité précaire de la France, sont-ils dans la confidence chiraquienne. »

« Le peuple français a soutenu le gaullisme il y a 50 ans et cette période fait maintenant partie de l’histoire. Aujourd’hui la réalité française est tout autre. C’est moins l’invasion politique et idéologique des Etats-Unis qui inquiète les Français de France que le cruel manque du minimum vital pour toujours plus d’habitants, et notamment survivre avec des RMI mensuels moyens largement insuffisants, un chômage que le gouvernement ne parvient pas à résorber et qu’il prétend régler par des mesures telles qu’un CPE largement répudié par la majorité de la population concernée, de graves problèmes dans les quartiers populaires qui sont traduits par des émeutes réprimées férocement par le pouvoir, les énormes problèmes d’intégration des descendants des anciennes colonies, la situation des émigrés renvoyés chez eux manu militari et tant d’autres problèmes sociaux et économiques, tels que l’aggravation de la pauvreté dans des couches données de la population, des sans-logis, sans parler d’une dégradation de la trame sociale et du sens de la solidarité telle qu’une canicule de quinze jours a suffi à faire mourir 15 000 personnes. Bref, malgré l’énorme richesse du pays et les sommes faramineuses d’argent qui y circulent, le régime en place s’avère parfaitement incapable d’assurer une vie décente à l’ensemble de la population, ce qui serait chose aisée si cette masse d’argent était distribuée en fonction de la justice sociale que réclament les Français et ne s’envolait pas dans des activités sans la moindre importance sociale, telles, parmi bien d’autres, la publicité et l’armement. »

« Ainsi donc, la France doit changer. Un premier geste fort pour amorcer le changement serait de renoncer à entériner des lois portant expulsion des immigrés venus de terres que la France a mises à sac, dont elle a exploité les populations et les richesse et qu’elle a exterminées par dizaines de milliers quand l’occasion s’en présentait, comme à Sétif ou à Madagascar. Ce signal ferait écho aux réclamations des populations anciennement colonisées et de leurs gouvernements qui demandent que les gouvernements de pays coloniaux fassent au moins amende honorable au sujet de leur histoire. »

« Oui, la France doit changer, parce que tous les faits prouvent (depuis le vote Non à la Constitution jusqu’aux émeutes des quartiers pauvres et les manifestations de rue contre le CPE, en passant par d’autres exemples de dégradation) que les Français ou du moins une bonne part en ont assez. »

Que penseriez-vous, Madame la Verte Députée, si un texte de ce genre arrivait sur votre bureau vernissé de je ne sais quelle partie d’Europe ? Vous diriez bien entendu tout haut : « De quoi je me mêle ! » et tout bas : « Qu’ils aillent se faire foutre ! » Eh bien, c’est exactement ce que nous disons ici, tout haut et encore plus tout bas.

Nous en avons assez des donneurs de leçon, des prêchi-prêcha à mentalité coloniale. Occupez-vous donc d’arranger votre Europe qui en a bien besoin. Et surtout préparez-la à des lendemains qui, quand on voit la politique qu’y suivent les gouvernements, vont être, je vous l’assure, passablement bouchés. Arrangez donc vos problèmes sociaux. Efforcez-vous d’intégrer des portions de plus en plus importantes de votre population qui se sentent en marge d’un pays où elles ne se reconnaissent plus, et tâchez de le faire d’autant plus vite que les vagues d’émigrés vont continuer de déferler de plus en plus vers l’Europe (comme ces derniers temps le prouvent), pour la bonne raison que l’ordre politique et économique mondial que vous défendez (et si vous ne le défendez pas, alors, votre position au sujet de la Révolution cubaine frôle la schizophrénie) fabrique et fabriquera toujours plus, si vous ne le « changez » pas, des émigrés, aussi naturellement que les abeilles leur miel. Le jour où vous vous déciderez à vous occuper de ces questions qui vous concernent au premier chef, je vous prie de croire que vous n’aurez plus assez de temps pour vous occuper de mettre de l’ordre à Cuba !

Avec mes salutation distinguées, Madame la Verte Députée.

Jacques-François Bonaldi (La Havane)’ jado...@ifrance.com

P.S. J’oubliais. J’espère que vous potassez les dossiers auxquels vous devez sans doute vous consacrer directement en tant que parlementaire un peu mieux que votre « dossier Cuba ». Je pensais qu’une auguste députée du vénérable Parlement de la noble Europe étudiait un peu les faits avant de procéder à la rédaction d’une proposition. Je ne sais trop quelle est la procédure exacte dans ce mécanisme si compliqué du Parlement européen au terme de laquelle on finit par soumettre un texte. Je souhaite en tout cas qu’il y ait, je ne dirais pas un « filtre », parce que vous me rétorqueriez sans doute d’un ton pincé : « Chez nous, Môsieur, la pensée est libre et s’exprime sans entraves », mais du moins une « relecture » par quelqu’un de compétent. Parce que vous étalez à la vue du public votre parfaite incompétence, Madame, sur la question cubaine. Une députée devait s’efforcer de gagner un peu plus de hauteur et de ne pas reprendre à son compte les ragots et les commérages issus de gens comme ceux auxquels votre Parlement, comme vous nous le rappelez sans indiscrétion, décerne des prix dont la simple appellation dit bien la tendance. Votre description de la situation, à vous lire, « dantesque » du peuple cubain n’existe que dans les imaginations enfiévrées des « supplétifs » de service que Bush paie d’ailleurs - et grassement - pour répandre cette vision des choses à tous vents et auxquels vos gouvernements - en vertu de la Position commune - prête une oreille complaisante. Voyez-vous, Madame, si le peuple cubain ne défendait pas SA Révolution, aujourd’hui encore - et non voilà cinquante ans - celle-ci n’existerait plus depuis longtemps, et monsieur le président des Etats-Unis ne serait pas alors obligé de préparer tant de plans pour la liquider. Elle s’effondrerait toute seule. Est-il si difficile, même pour une mentalité coloniale sur un continent arrogant qui se croit à la tête de la modernité mais sent affreusement le rance, de comprendre qu’un peuple puisse défendre une Révolution qui est la sienne et qui lui a apporté, entre autres choses, la dignité et l’indépendance et bien des avantages sociaux que les miséreux d’Europe - et l’on s’étonne qu’il en existe encore et de plus en plus au milieu de tant de richesses - leur envieraient assurément, sans parler de leurs homologues encore plus mal lotis et encore plus nombreux du tiers monde dépendant ?

C’est d’ailleurs parce que la Révolution a donné une indépendance absolue à Cuba et que celle-ci n’est plus la colonie qu’elle fut si longtemps que vos résolutions - d’urgence ou pas - n’ont pas la moindre portée sur elle. Les complications diplomatiques dans lesquelles s’est fourrée votre Union européenne à cause de la Position commune et des sanctions concomitantes devraient vous en convaincre. De grâce, fichez donc la paix à Cuba, c’est à peu près tout ce qu’elle vous demande !

Quant au « dinosaure », il vous en remontrerait sur bien des points, à commencer par la maîtrise des dossiers et en finissant par la décence politique.



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