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Le Venezuela aujourd'hui est à toutes les multinationalesAnonyme, Sunday, July 16, 2006 - 15:53
Simon bolivar
Limites et contradictions du processus chaviste au Venezuela LE VENEZUELA AUJOURD’HUI EST A TOUTES LES MULTINATIONALES* Je n’attendais rien de la Révolution Bolivarienne au Venezuela. Je ne suis pas venu ici les yeux brillants d’une espérance d’un autre monde possible au Venezuela. Je suis venu car mon métier d’enseignant-chercheur en France me donnait l’opportunité de passer un an à l’étranger, car après de courts séjours en Amérique du Sud, c’était pour moi l’occasion de vraiment découvrir ce continent, car d’un précédent passage au Venezuela, j’avais gardé des amiEs dans le milieu libertaire que je voulais revoir. Je porte sur la Révolution Bolivarienne, sur le chavisme un regard critique, enrichi au fil de rencontres, de lectures, d’un quotidien d’une vie passée à la fac, dans des rencontres libertaires ou des concerts punks. Quand je parcoure les articles ou les textes sur le Venezuela publiés sur internet ou dans la presse, je ne retrouve pas grand-chose de ce regard. Je ne me sens pas l’âme d’un censeur politique, d’un tribun ferraillant contre le pouvoir en place. Je ne suis pas le porte-voix officiel d’une quelconque critique organisée du chavisme. Je suis ici pour témoigner, dissèquer une réalité qui par bien des côtés me heurte dans mes pensées et désirs d’autonomie, autonomie dont l’asymptote tirée adroitement serait la liberté. Chavez, militaire et caudillo Le chavisme n’est pas un fait isolé dans l’histoire du Venezuela. Il reprend dans la personne de Chavez les deux mythes fondateurs du Venezuela moderne, l’armée et le métissage. Le Venezuela comme partie de l’empire colonial espagnol s’est développé par les plantations de cacao, de café, de tabac, de canne à sucre. De même qu’au Brésil, la lutte pour l’indépendance du Venezuela a été avant tout l’affrontement de la bourgeoisie locale des plantations contre le pouvoir et l’administration espagnole. C’était aussi un affrontement entre la bourgeoisie créole (« blanche ») et une armée pro-monarchiste de zambos (métis de noir et d’indien), de mulatos (métis de noir et de blanc), de noirs anciens esclaves, au service du pouvoir espagnol. C’est de cette armée que Chavez sortira un beau jour de 1992 par un coup d’Etat qui marquera les débuts du processus bolivarien. Son origine militaire fait aussi de Chavez un héritier de la longue tradition des caudillos latino-américains [1] - [2] - [3]. Il en a les attributs, mêlant populisme et charisme messianique. C’est ainsi que Chavez se revendique aussi bien de Bolivar, de Fidel Castro, de Jésus-Christ que de la longue lignée des chefs militaires métis du dix-neuvième siècle. C’est José Tomas Boves, à la tête de son armée, qui lutte contre les propriétaires fonciers créoles, c’est José Antonio Paez, qui s'autoproclame président du Venezuela en 1829 après avoir lutté pour l’indépendance, c’est José Tadeo Monagas qui va s’appuyer sur les classes populaires pour lutter contre la bourgeoisie et garder le pouvoir avant que sa dictature ne tombre en 1864, c’est Antonio Guzman Blanco qui va développer le culte de la personnalité, c’est le dictateur Juan Vicente Gomez qui au vingtième siècle va faire du Venezuela une grande puissance pétrolière, c’est Chavez qui va fonder son mouvement bolivarien révolutionnaire en 1982 pour ne pas cesser de dénoncer la corruption des gouvernements successifs et tenter par tous les moyens d’accéder au pouvoir. Car le chavisme est aussi le résultat de la grave crise politique, sociale et économique qui secoue la démocratie vénézuélienne dans les années 80. A la chute de la dictature en 1958, les trois grands partis vénézueliens (dont l’Action Démocratique, sociale-démocrate, et la COPEI, démocrate-chrétien) scellent un pacte d’entente par peur du retour des militaires au pouvoir et de la propagation des guérillas communistes. Les revenus pétroliers, tombés dans l’escarcelle étatique suite aux diverses nationalisations, permettent aux gouvernements sucessifs de subventionner les différents secteurs économiques. Les années 60 et 70 sont d’une rare stabilité pour un pays d’Amérique du Sud. Mais le début des années 80 est synonyme de baisse des exportations pétrolières et des cours (jusqu’à moins 50%). Comme partout dans le monde, à une politique d’inspiration keynesienne succède un libéralisme forcené entretenu par les injonctions du FMI. Les prix s’envolent. En février 1989 éclate le Caracazo, émeutes des quartiers pauvres qui descendent à Caracas pour piller les magasins [4]. La répression est terrible avec l’intervention de l’armée et 3000 morts (de nombreux militaires impliqués dans ce massacre sont maintenant proches de Chavez). La situation ne fait pourtant qu’empirer et la pauvreté touche 40% de la population au début des années 90. Suite au coup d’état de 1992, Chavez est emprisonné pour un an et devient de plus en plus populaire parmi la population des barrios. En 1993, il créé le Movimiento V República (MVR). En 1998, c’est le deuxième grand parti après l’Action Démocratique. Chavez est élu président en décembre 1998. Le processus révolutionnaire bolivarien devient processus de pouvoir. En 1999, une nouvelle constitution est adoptée fondant la 5ème République du Venezuela. Diverses lois sont prises qui cristallisent l’opposition. En avril 2002, aux manifestations succède un coup d’état mené par la fédération des patrons. Encore une fois, l’armée va jouer un rôle de premier plan car ce sont des généraux dissidents, pro-chavistes qui, reprenant le pouvoir des garnisons, vont renverser en deux jours la junte nouvellement créée. En 2003, une grève générale est menée par l’opposition. Elle conduit à la tenue d’un référendum (pour ou contre la poursuite du mandat présidentiel de Chavez). Chavez le gagne à l’été 2004 [5]. Ces évènements sont la marque du Chavisme. Fortement teinté de populisme, le mouvement s’adresse d’abord aux classes populaires. Il leur parle de dignité, de reprise en main de leur quartier, de travail, de fin de la corruption et du clientélisme, de patrie et de toit pour tous. Jusqu’en 1998, ce discours est aussi entendu par une partie de la classe moyenne. L’effervescence sociale qui règne depuis la fin des années 80 (et dont le Caracazo est l’explosion momentanée), la lassitude du punto fijismo (l’alternance institutionalisée au gouvernement de l’AD et de la COPEI) se satisfont de la guerre menée par Chavez contre la vieille classe politique [1] - [6]. Après la défaite du coup d’état de 1992, cette guerre est menée sur le front électoral. Les mécanismes de récupération et d’intégration des mouvements sociaux sont multiples. Cela passe par leur massification, c’est-à-dire par la suppression de la hiérarchie politique existante au profit d’une relation directe entre Chavez et la masse populaire. Cette relation est d’ailleurs travaillée par Chavez chaque dimanche dans l’émission « Alo Presidente ». Chavez y prend son temps (5 à 6 heures) pour exposer sa politique, développer ses critiques du processus et déclamer contre ses ennemis (les USA et leurs alliés comme le Mexique). Mais, cela passe aussi par une polarisation de la société vénézuelienne autour de Chavez. On est pour, contre ou anarchiste. Les « pour » y perdent leur autonomie. Les « contre » y passent leur énergie à hurler contre l’abominable Chavez. Les anarchistes sont dix dans un pays qui n’a jamais été marqué par le mouvement libertaire ! Et Chavez arbitre le tout de haut avec l’appui de l’armée. Le rôle prépondérant de l’armée vénézuélienne est le résultat d’une lecture marxiste de son hétérogénéité de classe. Soucieux d’exacerber la contradiction de classe pouvant exister au sein de l’armée entre soldats et officiers, les marxistes ont encouragé une alliance entre l’avant-garde révolutionnaire civile et les secteurs progressistes militaires. Cette alliance civico-militaire a trouvé son expression chez Douglas Bravo, vieux chef de la guerilla et actuel dirigeant du groupe marxiste radical Ruptura (www.ruptura.org.ve), se situant à l’extrème-gauche du chavisme. Douglas Bravo souvent considéré comme le père spirituel de Chavez a pris ses distances avec lui … Pour de sombres histoires de pouvoir ? Le processus révolutionnaire est militariste. Il résulte des secteurs armés de la société, militaires ou non (l’éducation pré-militaire est obligatoire depuis 1999). Il est caudilliste, l’obéissance est due à un seul chef, assumant et concentrant tout le pouvoir. Il est anti-américain car la révolution passe par l’opposition aux Etats-Unis dans un monde dominé par eux. Et il utilise le pétrole comme l’arme essentielle dans une révolution à l’échelle du globe [9]. La pétrodémocracie vénézuélienne Le Venezuela est un pays aux innombrables ressources énergétiques [10]. Il détiendrait la plus grande réserve pétrolière connue au monde, des gisements abondants en gaz, des ressources non négligeables en charbon et un potentiel hydraulique impressionnant (et Chavez souhaite aussi développer l’énergie nucléaire par l’achat d’un réacteur à l’Argentine). Le Venezuela est aussi un des quatre grands fournisseurs en pétrole des USA (de 10 à 15% de ses importations). Pour diminuer cette dépendance, le gouvernement vénézuélien cherche à développer un marché intégré énergétique sud-américain et à s’allier avec la Chine (la Chine est le deuxième consommateur mondial de pétrole après les Etats-Unis et avant le Japon). Beaucoup craignent un engrenage fatal entre le Venezuela et les Etats-Unis. En effet, d’un côté, le Venezuela pourrait être tenté d’organiser l’embargo pétrolier des USA, se faisant ainsi le pays fer de lance de la contestation antiimpérialiste. De l’autre, les Etats-Unis pourraient envisager de faire tomber par la force un gouvernement qui s’affirme comme un de ses plus féroces opposants. Cela ne serait pas une nouveauté en Amérique Latine. Mais que penser alors des accords pétroliers entre l’Etat vénézuélien et des majors pétrolières américaines comme Chevron Texaco, Exxon Mobil ou Conoco Phillip ? Comment Chavez peut d’un côté dénoncer les U$A, Bush, la CIA, les multinationales du pétrole et de l’autre développer et renforcer sa politique de coopération économique avec les Etats-Unis ? Le jeu guerrier n’est-il pas avant tout une façade destinée à faire bonne mesure face aux opinions publiques ? Et puis, les rumeurs d’affrontement ne sont pas dénuées d’intérêt pour les gouvernements des deux pays. Elles justifient encore et toujours la militarisation. Courant 2005, Chavez a ainsi enclenché le premier degré de la mobilisation d’un million de réservistes en prévision d’une éventuelle invasion [11]. Et 100 000 kalachnikovs ont été achetées à la Russie pour armer le peuple (Douglas Bravo s’en serait d’ailleurs réjouit car en guerillero aguerri, il sait bien que l’armement des guérillas vient souvent de l’armée). Et bien, au moins sait-on où finit une partie de la rente pétrolière dans un pays où 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté [12]. Pour l’instant, l’affrontement se situe essentiellement sur le terrain économique. Début 2005, les chefs d’État du Venezuela, du Brésil et de l’Argentine ont annoncé la création d’une entreprise pétrolière commune, Petrosur [13]. Elle aurait comme premiers objectifs l’exploration de gaz et de pétrole en Argentine, la construction d’une raffinerie dans le nord du Brésil pour traiter du pétrole vénézuélien, et l’exploration pétrolière dans le bassin de l’Orénoque au Venezuela. Pour Chavez, Petrosur, et ses équivalents caribéen, Petrocaribe, et andin, Petroandina, doivent être au cœur de l’intégration politique et économique latino-américaine. Il veut faire du pétrole un outil du socialisme du XXIème Siècle, une monnaie « d’échange équitable », à l’image de ce qui est réalisé actuellement avec les médecins cubains qui viennent exercer au Venezuela contre du Pétrole. Mais, ce schéma suit aussi le modèle de la communauté européenne qui s’est développée autour d’un marché commun du charbon et de l’acier. Et là, on retrouve les autres enjeux, beaucoup plus obscurs, de l’intégration à grande échelle du capital : constitution d’un marché unique permettant le développement d’une économie compétitive à l’échelle mondiale, accroissement de la concurrence au sein du marché intégré, flexibilité et mobilité du travail, nivellement des salaires par le bas, normalisation de tous les aspects de la vie quotidienne, renforcement mutuel des politiques répressives. Alors que Chavez se fait le pourfendeur de l’ALCA (Area de Libre Comercio de las Americas – zone de libre-échange voulue par les Etats-Unis) et le défenseur de l’ALBA (Alternative Bolivarienne pour l’Amérique Latine qui souhaite régler les rapports entre pays du Sud tout en ignorant les Etats-Unis), le Venezuela est partie prenante de l’IIRSA (Intégration de l’Infrastructure Régionale Sud-Américaine – www.iirsa.org) [14]. Initiée en décembre 2000 à Brasilia par les douze gouvernements sud-américains, l’IIRSA souhaite développer les infrastructures pour le transport, l’énergie et les télécommunications. L’objectif affirmé est « le dépassement des obstacles géographiques, le renforcement des marchés et la promotion de nouvelles opportunités économiques dans la région ». Soutenu pour partie par la Banque Mondiale, l’IIRSA regroupe région par région des projets de constructions de routes, d’interconnexions de réseaux électriques, de développements de gasoducs pou l’acheminement du gaz vers l’Amérique Centrale (direction les Etats-Unis !) et la côte pacifique (direction l’Asie !). L’IIRSA doit parait-il garantir la fourniture d’énergie pour le développement de l’Amérique du Sud dans les deux cents prochaines années. Etrangement, c’est aussi l’objectif du PPP (Plan Puebla Panama) : garantir par l’interconnexion des infrastructures de la Patagonie à l’Alaska l’approvisionnement … des Etats-Unis ! La promotion de l’intégration économique et énergétique à l’échelle sous-continentale par les gouvernements sud-américains ne ressortirait-elle pas plutôt du seul souci d’affronter à armes égales les Etats-Unis, l’Europe ou le Japon dans la maîtrise de l’accès aux immenses ressources énergétiques de l’Amérique du Sud ? Le pétrole n’est pas qu’une arme géopolitique, il est aussi le garant de la paix sociale au Venezuela. A elle seule, l’activité pétrolière représente la moitié des recettes fiscales et un tiers du Produit intérieur brut. C’est le pétrole qui achète le soutien de la population vénézuélienne à coups de programmes sociaux de grande ampleur (les missions), d’augmentations de salaire des fonctionnaires, de campagnes médiatiques, de nouvelles infrastructures. Mais pour pouvoir entretenir le processus, il faut toujours plus de rentrées financières. C’est ce qui a motivé l’augmentation de la redevance des entreprises pétrolières opérant au Venezuela. C’est aussi ce qui a justifié la création du statut d’entreprise mixte : depuis janvier 2006, toute entreprise étrangère opérant au Venezuela doit former une entreprise mixte avec le gouvernement. La part étrangère est de 49%, les 51% restant allant à l’Etat. Augmenter le taux de captation des revenus pétroliers est aussi à l’origine du renforcement du contrôle de l’exécutif politique sur PDVSA, l’entreprise pétrolière nationale. Cette décision sera d’ailleurs le déclencheur du coup d’Etat avorté d’avril 2002. En décembre 2002, l’opposition utilise de nouveau PDVSA pour tenter de faire chuter Chavez. Le 6 décembre, les patrons, les capitaines de tanker, les cadres et les administratifs de PDVSA entament une grève générale. Elle est suivie de sabotages des systèmes informatiques et techniques. Après 60 jours de lock-out, le mouvement se termine grâce à la mobilisation de la population vénézuélienne, des ouvriers et techniciens de PDVSA. Cela aura quand même des conséquences importantes pour l’économie vénézuélienne avec une chute de la production à 200 000 barils contre 3 millions avant la grève. La situation sera récupérée au prix d’un grand nettoyage de l’entreprise (18 000 licenciements sur un total de 42 000, mais 80% de cadres) et d’une reprise en main politique de la direction (le ministre actuel de l’énergie est aussi le président de PDVSA) [15]. Encore une fois, le discours chaviste est multiple et non dénué de contradictions. Au premier abord, la maîtrise et la distribution de la rente pétrolière ont comme objectif une meilleure répartition des richesses en direction des classes les plus basses (certains parlent même de socialisation de la rente). Mais on retrouve là surtout les vieilles recettes keynésiennes employées après la seconde guerre mondiale en Occident. Elles sont destinées à pacifier la société vénézuélienne, à réduire « le gouffre social » qui sépare riches et pauvres, à diminuer les tensions qui pourraient porter préjudice au développement économique et industriel du Venezuela. Ce développement est un objectif prioritaire pour Chavez. Et il est mené malgré le coût social et environnemental pour les populations situées sur les territoires concernés par les nouveaux projets d’exploitation minière, gazière ou pétrolifère. Dans un cercle vicieux, le pétrole est à la fois la source principale de revenus pour le pays et la cause de la plupart de ses maux. Il entretient et renforce une dépendance économique qui pourrait s’avérer désastreuse avec l’épuisement des ressources fossiles d’ici 30 ans. Il justifie un partage de la propriété des exploitations au sein d’entreprises mixtes. Pourtant, en 1976, l’industrie pétrolière est nationalisée et Shell se retire du territoire vénézuélien. Quelques années plus tard, le mouvement est inversé et le pétrole devient une ressource nationale pouvant être exploitée sous licence par des compagnies multinationales (un tiers du volume total de pétrole extrait du sol vénézuélien l’est dans ses conditions). Avec les entreprises mixtes, ces compagnies peuvent maintenant détenir jusqu’à 49% du capital. C’est un pas conséquent vers la privatisation des ressources pétrolières du Venezuela ce dont aucun syndicat ne semble se soucier ! Et ce ne sont pas les seules ouvertures faites par le gouvernement Chavez aux multinationales énergétiques. La zone Delta aux larges des côtes vénézuéliennes regorge de gaz et de pétrole. Elle est découpée en zones pour l’exploitation desquelles le gouvernement a signé des licences de trente ans avec les compagnies Chevron, ConocoPhilips, Statoil, Total et Petrobras (Brésil). Le proyecto Rafael Urdaneta est découpé en 29 blocs off-shores et terrestres. Ils sont destinés à fournir du gaz au marché intérieur vénézuélien. Les premiers accords de licence ont été signés en octobre 2005 pour une durée de trente ans avec Chevron et Gazprom (Russie). La faille pétrolifère de l’Orinoco est une des premières réserves mondiales en pétrole lourd. Il existe actuellement quatre projets d’exploitation associant la société vénézuélienne PDVSA et les majors pétrolières anglosaxonnes. Tous ces accords sont passés dans le plus grand silence médiatique et politique. Ni les gouvernements étrangers, ni l’opposition, ni les médias qui leur sont attachés n’expriment la moindre désapprobation [16]. Pourtant, le pétrole est à la base d’un modèle de développement basé sur les progrès conjoints de l’industrie lourde, de la production de produits manufacturés et de l’agriculture intensive. Et, les ravages de ce modèle de croissance sont connus depuis longtemps. Mais qui s’en préoccupe quand la rente pétrolière fait miroiter la perspective de gains à court terme ? Car le pétrole est aussi la manne qui permet de développer le clientélisme électoral de Chavez, finançant les missions ou le Forum Social Mondial. Loin des enjeux géopolitiques, la politique énergétique du Venezuela a des conséquences incalculables sur l’environnement et la population vivant dans les zones d’exploitation. Le Venezuela possède les plus importants gisements d’or d’Amérique Latine dans la zone protégée d’Imataca à l’est du pays. En 1997, Caldera, le prédécesseur de Chavez à la présidence signe le décret n°1850 qui autorise l’exploitation minière et forestière dans la réserve d’Imataca. Le décret concernait une surface de 40% découpée en plusieurs zones. Pour l’alimentation des mines, il était prévu la construction d’une ligne électrique partant du lac Guri, la plus importante ressource hydraulique d’Amérique du Sud. Cette ligne devait aussi alimenter Boa Vista au Brésil. Malgré l’opposition des communautés Pemones vivant dans le Parc National de Canaima, la ligne fût construite et inaugurée en grande pompe par Chavez, Lula et Castro comme invité spécial [17]. En septembre 2004, Chavez revient sur le décret de Caldera – décret 3110 portant sur le « Plan d’ordonnancement et de régulation de l’utilisation de la forêt Imataca » [18]. En fait, il ne fait qu’entériner ce qui avait déjà décrété : « Les concessions qui ont été obtenues avant l’entrée en vigueur du présent décret et qui se trouvent dans la zone où les activités minières sont autorisées peuvent continuer ». Plus précisément, 12% de la surface de la réserve sont destinés à l’exploitation minière et forestière et 60% sont destinés à l’exploitation forestière seule [19] – [20]. L’opposition des organisations écologiques et des communautés n’y a rien changé. L’Etat de Zulia, à l’Ouest du pays, possède 95% des ressources carbonifères du Venezuela. La Sierra Perija, à la frontière colombienne, est la première région concernée. Elle connaît bien le problème. En 1973, le gouvernement vénézuélien accorde les premières concessions minières au pied de la Sierra. Il fonde trois ans plus tard la compagnie CarboZulia pour assurer l’exploitation. En novembre 2003, Chavez annonce le triplement de la production de charbon, justifié par la forte demande d’une Chine en pleine expansion. Il s’effectuera grâce à un partenariat de CarboZulia avec des compagnies occidentales (AngloAmericanCoal, Ruhrkohle …). Ce triplement s’annonce dévastateur pour l’environnement et les communautés Bari, Wayuu, Yupka et Japreria de la Sierra : déforestation massive (deux à trois mille hectares), pollution des rivières alimentant les communautés et plus largement contamination du bassin fluvial de Maracaibo (3 millions d’habitants), augmentation du nombre de maladies respiratoires. Les populations de la région sont essentiellement indiennes. Elles sont venues peupler une sierra hostile sous la pression des planteurs de la plaine au cours du Vingtième Siècle. Et de nouveau, elles se retrouvent soumises à l’arbitraire des intérêts économiques. En mars 2005, elles défilent à plus de mille dans Caracas [21]. Elles ne peuvent atteindre le palais présidentiel bloqué par la Garde Nationale. Après neuf heures d’attente, leurs émissaires recoivent la promesse de la formation d’une commission qui évaluera la situation. Belle promesse qui n’est pourtant qu’un droit constitutionnel ! Avait-il été ignoré jusque là ? Il faut dire que le gouvernement ne tient pas grand cas de la résistance des communautés. En décembre 2004, le Général de Brigade Carlos Martinez-Mendoza, directeur de CarboZulia déclare : « comme il existe au Venezuela une mafia des droits humains, les écologistes forment une mafia verte derrière laquelle se cache la contre-révolution, les multinationales, le tout dirigé par la CIA » [22]. D’autres protestations ont eu lieu à Maracaibo et sont pour l’instant restées sans réponse. Accompagnant le triplement de la production, il est aussi prévu la construction d’une ligne ferroviaire de 80 kilomètres en plein territoire Wayuu. Cette ligne aura son terminal au complexe portuaire Simon Bolivar, aussi connu sous le nom de Puerto America. Ce projet pharaonique situé à l’embouchure du lac de Maracaibo est inscrit au programme de l’IIRSA. Son objectif est de permettre l’expédition de gaz, de pétrole et de charbon vers l’Europe et les Etats-Unis. Pour faire bonne mesure, il inclut même une centrale thermoélectrique au charbon, certainement celui extrait de la Sierra Perija ! Et qu’en pensent les populations de pêcheurs des iles de San Bernardo, de San Carlos et de Zapara ? A la question de savoir si les habitantEs étaient chavistes, l’ancien maître d’école de l’île de Zapara me fit la moue : « vous savez avec le port … ». Le dragage de la zone, les constructions portuaires, la pollution atmosphérique vont en effet faire de ce coin tranquille un enfer industriel ! Et l’autonomie ? Phénomène spécifiquement latino-américain, le populisme divise la société entre partisans et opposants et par là-même tente d’empêcher toute critique sociale autonome, c’est-à-dire indépendante de l’agenda fixé par le pouvoir. Dans une certaine mesure, le chavisme y est parvenu, même si le Venezuela présente une part de plus en plus importante de Ni-Ni (ni Chavez, ni l’opposition). Il existe en effet très peu de voix dissidentes au sein de la gauche vénézuélienne. Les rares critiques proviennent d’associations, d’ONG ou de collectifs comme Amigransa (Ecologie et défense des communautés indiennes - www.amigransa.blogia.com), Provea (ONG qui publie un rapport annuel sur les droits humains au Venezuela, disponible aussi sur internet – www.derechos.org.ve), CRA (Comité de Relations Anarchistes qui publie El Libertario - www.nodo50.org/ellibertario et s’occupe du Centre d’Etudes Sociales et Libertaires www.centrosocial.contrapoder.org.ve), Soberania (site web critique vis-à-vis de la politique énergétique gouvernementale www.soberania.org), Homoetnatura (association environementale particulièrement impliquée dans la lutte contre les projets de la Sierra Perija). Leurs positions sont très mal perçues par les chavistes. Elles sont au gré des critiques qualifiées de mafieuses, d’ignorantes de la réalité, de contre-révolutionnaires, de pro-CIA … Elles sont malheureusement reprises par l’opposition qui trop débile pour définir son propre projet ne trouve rien de mieux pour critiquer Chavez que de s’affubler des grands concepts d’anti-autoritarisme, d’écologie, d’autogestion, d’autonomie, les vidant de leur sens ou pire entretenant une confusion que ne manque pas d’utiliser le chavisme. Il n’existe plus au Venezuela de mouvements sociaux à proprement dit qui soient autonomes. Toutes les mobilisations importantes sont convoquées par le gouvernement, qu’elles concernent la guerre en Irak ou l’interventionnisme nord-américain en Amérique Latine. Il est vrai qu’il est très difficile de critiquer le chavisme sans rapidement adopter une position dogmatique. Car Chavez a réellement un projet de "gauche" dans un pays où 50% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté. Ce projet est critiquable mais indéniablement, s'il parvient à l'appliquer, la situation globale du Venezuela sera meilleure. Ce projet n'est pas celui libéral et répressif d'un Uribe en Colombie ou d'un Fox au Mexique. Il est essentiellement d’inspiration sociale-démocrate, son grand modèle restant l’Europe. Le rejeter brutalement est illusoire tant qu'il n'existe pas d'alternative. Il n’est pourtant pas question de déserter le terrain de la critique, et ce pour deux raisons. L'une concerne la France. Nouvelle icône exotique d’une gauche moribonde, Chavez passe pour le libérateur de l'humanité. Pourtant, ce qu'il propose est à la portée de tout gouvernement de gauche qui s'en donne les moyens. Plutôt que de regarder au Venezuela, la gauche française devrait plutôt s'interroger sur ce qu'elle est depuis vingt ans. Pourquoi n'a-t-elle pas été capable de défendre face au Parti Socialiste au pouvoir la politique qu'elle encense chez Chavez ? La large stature de Chavez est bien utile pour masquer la pauvreté d’un projet idéologique qui n’a pas bougé depuis plus de 30 ans et le rapprochement des partis socialiste et communiste. Cet affrontement a traversé l’histoire politique moderne, une histoire de combats mille fois menés contre les pouvoirs, une histoire de luttes sociales mille fois défaites. Il marque au fer rouge 150 ans de communisme, d’anarchisme, de grèves générales, de combats de rue … Pour si peu finalement. Au Venezuela, comme ici, c’est peut-être de cet affrontement paralysant qu’il faut se défaire. Et tout simplement se remettre à rêver, à imaginer une théorie et une pratique des petites choses qui font les grands tout, se remettre à démêler les fils qui nous lient au pouvoir, celui dont on ne parle que dans les revues financières comme celui qui s’exerce au pas de sa porte. * Le titre, en espagnol Venezuela, ahora es de todas las multinationales est un détournement du slogan gouvernemental « Venezuela, ahora es de todos » Le Venezuela, aujourd’hui est à tous. [1] Foro Social Mundial Caracas: mortaja para los movimientos sociales venezolanos – Rafael Uzcategui - http://www.fsa.contrapoder.org.ve/Alterforo.pdf]. Texte sur la perte d’autonomie des mouvements sociaux au Venezuela avec le chavisme.
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