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Éthique économique d'un checkpoint

Anonyme, Tuesday, July 11, 2006 - 09:29

RUBY BIRD

Par RUBY BIRD - Journaliste indépendante

A l’heure où Israël ose, sous le prétexte fallacieux de la capture d’un soldat (on connaît tous la mauvaise et véridique réputation de l’armée Tsahal), commet pour la énième fois des atrocités appelées crimes contre l’humanité. La lâcheté d’une puissance militaire contre un peuple sans défense nous démontre que la lâcheté universelle, par son silence obstiné, est encore pire. On veut nous ressasser sans cesse le devoir de mémoire pour une action qui s’est passé et dont les « victimes » remettent à l’ordre du jour et pour leur entier plaisir. Car l’on peut parler de jouissance quand certains de leurs représentants s’en vantent partout où ils passent. Un jour, bientôt nous le savons, les Français se réveilleront et cela fera très mal dans les chaumières.Suit un exemple de la vie quotidienne et des souffrances imposées par des représentants de l’armée israélienne. QUE LA ROUTINE !

------------L’ETHIQUE ECONOMIQUE D’UN CHECKPOINT
Par Ramma Hammami de la Revue d’études palestiniennes n° 98 – Revue trimestrielle publiée par l’Institut des Etudes Palestiniennes.

« … Pendant près de 3 ans, de mars 2001 à décembre 2003, la dernière étape du trajet ente l’Université de BIRZEIT et Ramallah consistait à parcourir à pied les 1 ou 2 kilomètres du point de contrôle de SURDA. Les passagers devaient descendre des minibus qui s’agglutinaient de part et d’autre de la zone interdite aux voitures…. Des milliers de personnes faisaient le trajet tous les jours…. Ceux qui avaient soif sur le trajet pouvait acheter à boire à un revendeur ambulant. Ceux qui avaient oublié quelque achat d’épicerie pouvaient s’arrêter à l’un des étals surnommés les « Duty free ».

« Les pires jours, des soldats à la gâchette facile interdisaient soudain le passage d’étudiants et de villageois qui se retrouvaient coincés du mauvais côté de leur trajet vers le travail ou la maison. Plus généralement, les soldats pouvaient débarquer du checkpoint pendant quelques heures, pour s’amuser avec le flot des marcheurs, les arrêtant tous – ou quelques-uns au hasard – contrôlant interminablement leurs cartes d’identité ou leurs bagages. Le plus souvent, ils « réorganisaient » les conducteurs ou les marchands ambulants en défonçant leur minibus ou leurs étals avec leurs Jeeps. En trois ans, au checkpoint de Surda, trois Palestiniens ont été abattus par l’armée israélienne, deux autres sont morts lors d’accidents liés à des destructions de minibus, un homme au moins est mort de crise cardiaque alors qu’il attendait de pouvoir passer sur son brancard, deux bébés ont été mis au monde derrière un tas de décombres et un nombre indéterminé de jeunes gens ont été tabassés par les soldats, souvent sous les yeux de la foule. Personne n'a compté le nombre de blessés lors des manifestations dérisoires organisées pour démolir le barrage. »

« Au cours de cette période 2001 – 2003, le bureau du Commissariat aux affaires humanitaires des Nations Unies a fait état de la présence quasi permanente de plus de 600 points de contrôle et barrages routiers de l’armée israélienne, étranglant les populations palestiniennes dans toute la Cisjordanie. »

« Après que l’armée eut hermétiquement fermé le poste d’al-Jawwal au nord-est de Ramallah, Surda fut le seul point de passage pour les Cisjordaniens entrant dans la ville ou la quittant…..Surda devint également le pôle d’attraction des chômeurs de toute la Cisjordanie qui cherchaient à gagner leur vie grâce aux milliers de personnes traversant chaque jour le checkpoint. »

« Pendant la deuxième Intifada, ni l’Autorité palestinienne ni les partis politiques n’ont pourvu la population des structures d’organisations de masse qui avaient été si cruciales pour la résistance civile lors de la première Intifada de 1987 – 1993. Au contraire, la poussée des groupes de résistance armée à tout d’abord cantonné la majorité des gens au rôle de spectateurs. En même temps, les punitions collectives infligées par Israël entre 2000 et 2004 ont été plus radicales et plus féroces. »

« Les barrages, paradoxalement, sont devenus les « espaces libres » de cette Intifada ; c’est dans des endroits tels que Surda que la plupart des Palestiniens se confrontent constamment et directement, en tant que membres de la collectivité, à l’occupation israélienne. C’est ainsi que, à cause des checkpoints et en rapport avec eux, la société a développé de nouvelles formes de résistance et des formes adaptées d’organisation civile. »

« L’idéologie émergente de résistance civile est une variante du vieux thème nationaliste du Sumud ou ténacité. Dans les années 1970, Sumud signifiait refuser de quitter la terre malgré la rigueur de l’occupation ; aujourd’hui il prend un sens un peu plus dynamique. Ce nouveau sens, que l’on retrouve dans la phrase bateau « al-hayat la zim tistamir » (« la vie continue »), parler de résister à l’immobilité forcée en refusant de laisser les bouclages de l’armée vous empêcher d’aller au travail ou à l’école. »

« Les checkpoints, cependant, ne font pas que compliquer les déplacements : ils créent un immense chaos. Pas seulement parce que les marchandises ne peuvent pas arriver sur les marchés, ou les étudiants dans leurs écoles, mais parce que les circuits par lesquels passent la totalité des relations sociales, qui rendent le commerce et l’éducation possibles, sont détruits. »

« En Palestine, en l’absence d’organisations de masse, les réseaux des travailleurs des secteurs privés sont restés sur la touche…..Une fois le danger sur les routes tourné en dérision, les conducteurs et leurs sous-culture symbolisent la nouvelle ligne de conduite, qui consiste à tout traverser, par tous les moyens, pour aller partout. La même sous-culture de petit voyou très macho a développé les systèmes non officiels qui ont rendu « y aller » possible. La « voyeuserie » est devenue un élément très important de la résistance quotidienne et de l’organisation aux checkpoints…. »

« Les transports en commun palestiniens sont assurés essentiellement par des minibus Ford privés, qui peuvent légalement, chapeautés par une entreprise locale de taxis, transporter 7 passagers et possèdent un permis de circuler sur un trajet bien défini. »

« A la période où une file était ouverte, les camions transportant les marchandises israéliennes vers les marchés palestiniens pouvaient obtenir des permis d’y circuler. Mais même avant que Surda ne soit définitivement interdit aux véhicules, durant l’été 2002, il fallait trouver une solution pour le petit commerce, les agriculteurs, les écoliers, les maçons, les voyageurs et leurs bagages ou les étudiants de l’université qui rentraient de vacances. Elle prit la forme de porteurs équipés de carrioles en bois à trois roues. »

« Parmi les travailleurs, être porteur est perçu comme le dernier stade avant la mendicité. La majorité des porteurs qui travaillaient depuis longtemps au marché de Ramallah venait des villages autour d’Hébron, la zone la plus touchée par la pauvreté de la Cisjordanie. Ils dormaient dans le marché pendant la semaine et travailler à Surda fut pour eux un petit progrès. »

« L’inventaire de ce qui traversait le checkpoint grâce aux porteurs en un seul matin d’été donne une idée de l’importance de leur rôle. Viande des abattoirs de Birzeit, mûres fraîches, cartons de nourriture pour un supermarché, verres et assiettes pour une vaissellerie, tissu pour un tailleur, bagages, bois, pots de peinture blanche, une vitrine en verre, une machine à tailler la pierre, un moteur de voiture – sans parler de l’édition du jour du journal al-Qods. »

« Mais les porteurs transportaient des gens, aussi. Les enfants trop petits pour marcher sur deux kilomètres et trop lourds pour que leurs parents les portent étaient des passagers réguliers. Sur de longues périodes, quand les chaises roulantes ne pouvaient pas passer parmi les gravats, c’étaient les porteurs qui transportaient les malades et les vieillards, y compris 6 patients sous dialyse des villages alentour et, plusieurs fois, des gens blessés sur le barrage lui-même. »

« Vers la fin, lorsque Surda devint la plaque tournante de la circulation entre le Nord et le Sud de la Cisjordanie, il y avait environ 25 porteurs, 18 voitures à chevaux, ainsi que 400 minibus et 30 petits taxis qui travaillaient sur le checkpoint. Il y avait également les revendeurs ambulants, qui étaient une trentaine par beau temps, et dans les 70 pendant le Ramadan. Un jour ordinaire, près de 540 personnes vivaient de Surda. Sans compter le secteur des services qui s’étaient développés pour nourrir et apaiser la soif des travailleurs du checkpoint – camions bar, vendeurs de cigarettes, vendeurs de boissons et de kebab, maréchal-ferrant. Les jours de gros trafic, surtout, le tarif initial des courses, fixé et honnête, devint aléatoire. »

« Le checkpoint avait offert à des hommes sans grade un rôle indispensable à la survie de la société. Les travailleurs du barrage, tout en étant eux aussi victimes des sanctions infligées à la population qu’ils servaient, avaient réussi à trouver dans la cause de leur misère une source de revenus. De plus, leur possibilité de travailler dépendait, sinon de l’autorisation des soldats, au moins de leur indifférence. Les porteurs et les chauffeurs de minibus se retrouvèrent finalement dans une position très ambiguë sur le barrage, où les rôles d’oppresseurs et d’opprimés, d’exploiteurs et d’exploités sont pourtant nettement définis. »

« Même si les travailleurs ne voulaient pas cautionner le sale boulot des soldats, ou ne voulaient pas qu’on pense qu’ils le cautionnaient, ils ne pouvaient pas se permettre d’entrer en conflit ouvert avec eux. »

« La leçon implicite, apprise et réapprise chaque fois que quelqu’un essayait d’intervenir en faveur d’étudiants arrêtés par l’armée, était que toute tentative d’intervenir ou de résister ne faisait qu’aggraver la situation. Pourtant, il y eut des manifestations spontanées d’étudiants et de jeunes gens que le harcèlement constant dont ils étaient victimes faisait parfois craquer. »

« Il y eut souvent des affrontements individuels lorsque les soldats dépassaient la ligne invisible de ce que les travailleurs pouvaient supporter dans le rapport dominant-dominé. On cite en exemple l’histoire héroïque du cafetier qui avait préféré laisser les soldats détruire son échoppe plutôt que de continuer à leur offrir son café, ou du jeune conducteur de minibus qui, pour l’amour des autres, avait été boxer un soldat qui venait d’insulter leur mère. Mais la résistance la plus significative se rencontrait dans la subversion quotidienne, plus dramatique mais tout aussi têtue, du régime du checkpoint lui-même. Les travailleurs du barrages en modifiaient constamment les limites ; la nuit, ils déplaçaient en catimini les blocs de béton de quelques centimètres pour permettre le passage des voitures à chevaux ou aplanissaient les nouveaux monticules de gravats pour que les voitures des porteurs puissent traverser. »

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