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Le Canard Enchaîné face à De Gaulle pendant la guerre d'AlgérieAnonyme, Thursday, July 6, 2006 - 10:00 (Analyses)
RUBY BIRD
Par Ruby BIRD - Journaliste Le Canard Enchaîné est né il y a 90 ans et il s’est lancé dans le « journalisme d’investigation » dans les années 1960. C’est un journal qui est assez puissant qui a raillé et fustigé de hauts personnages, et fait éclater de mémorables scandales. Il a un place unique au monde et joue de sa particularité dans notre société médiatique. C’est un journal amusant, satirique, qui utilise un langage codé. Je me suis particulièrement attachée à un chapitre relatant une période cruciale de la politique française et qui revient à l’actualité de façon sous-jacente particulièrement en périodes électorales. Nous y sommes en plein dedans pour les élections présidentielles de 2007. Je n’ai relevé que quelques très courts passages, donnant un aperçu du rôle que peut jouer un média tel que le Canard Enchaîné dans les comportements politiques d’un pays et influençant définitivement le cours de son histoire. ------------LE CANARD ENCHAINE LE CANARD FACE A DE GAULLE PENDANT LA GUERRE D’ALGERIE « Cependant, au cours de la première phase de la guerre, de l’insurrection de novembre 1954 jusqu’à l’arrivée du Général de Gaulle au pouvoir, en mai 1958, le thème fut inégalement présent dans les colonies avec l’envoi massif du contingent…. » « Le Canard Enchaîné n’eut jamais les moyens ni la volonté d’entretenir en Algérie une équipe permanente de correspondants. Seuls trois journalistes du Canard y effectuaient de brefs séjours…Par ailleurs, les journalistes « travaillaient au corps » les responsables politiques à Paris, au Parlement, dans les ministères, de sorte que le journal fourmillait d’échos qui permettaient de déchiffrer la position de tel ministère ou de tel parlementaire sur la question… » « La guerre d’Algérie marque le premier tournant de l’info du Canard Enchaîné ; ou, plus exactement….un premier tournant dans la nature et les méthodes de l’info du journal. Grâce à des journalistes entrés du milieu des années 1950 au début des années 1960, l’image du Canard évolua sensiblement, d’un journal certes bien introduit dans les couloirs du Parlement et les antichambres des ministères mais dont l’essentiel du propos consistait en un commentaire satirique d’évènements connus de tous, à un journal placé à la pointe de l’info, bénéficiant de renseignements confidentiels et exclusifs en provenance des sources les plus diverses mais toujours proches des lieux de décision…. » « La guerre d’Algérie eut un effet bénéfique sur les tirages du Canard Enchaîné : de 1954 à 1962, ils furent multipliés presque par trois ; les numéros qui connurent les tirages les plus élevés des années 1960 et 1961 sortirent dans un contexte saturé par l’actualité algérienne…..Il est bien possible que la qualité nouvelle des infos dont disposait le Canard Enchaîné, surtout en un temps et sur un sujet où celles-ci étaient une denrée rare et précieuse, ait suffi à attirer à lui de nouveaux lecteurs….le Canard adopta un style plus combatif ; pour beaucoup de ses journalistes, la guerre d’Algérie était plus qu’un sujet, c’était une cause et de nombreux lecteurs se reconnurent dans leur engagement… » « Le ton était donné. La dénonciation des grands colons – que Châtelain – Thilhade appelait les « fellagas » - et du système établi à leur profit fut l’une des constantes de la campagne menée par la rédaction du Canard Enchaîné tout au long de la guerre d’Algérie. Leur responsabilité dans le déclenchement de la guerre, engagée tant par leur refus ancien des réformes nécessaires que par leur violence actuelle, fut soulignée…..La mission de la France cachait mal, selon le Canard, des intérêts économiques autrement plus substantiels : concurremment avec l’intransigeance du colonat, l’explication de la guerre d’Algérie par l’enjeu pétrolier domina le raisonnement du journal jusqu’en 1958. » « Egoïste ou altruiste, la conception que la rédaction du Canard avait des rapports entre la métropole et l’Algérie débouchait toujours sur le souhait d’une séparation ; l’indépendance du Maroc et de la Tunisie, précisément en mars 1956, fut accueillie par le Canard avec soulagement et comme un exemple à suivre…. Les situations de l’Algérie et des protectorats étaient cependant bien différentes, et les journalistes du Canard ne l’ignoraient pas. L’existence d’une communauté européenne nombreuse, anciennement implantée et qui ne voulait pas de l’indépendance rendait les choses infiniment plus compliquées. » « Les journalistes du Canard Enchaîné luttèrent contre le Gouvernement et contre les jusqueboutistes de l’Algérie française. Ils trouvèrent de leur propre aveu des alliés….Les saisies de journaux, les poursuites contre les journalistes….furent dénoncées, même quand ceux-ci n’appartenaient pas au camp dont se réclamait le Canard. Pourtant, l’hebdomadaire satirique fut relativement épargné par la censure…. » « ainsi protégé par sa nature de journal satirique, le Canard Enchaîné peut se permettre les plus vives attaques contre la politique du Gouvernement et les pratiques de l’armée….La dénonciation des exactions de l’armée répondait, selon Tréno, à la fois au devoir de vérité et au devoir de justice…. » « Pour qui relit la presse du début de l’année 1958, le retour de De Gaulle était annoncé par la place croissante que le personnage prit en quelques mois dans les esprits et les articles des journalistes…..Ce qui amusait, irritait, inquiétait les journalistes du Canard, c’était le costume de sauveur providentiel que l’exilé de Colombey endossait avec tant de naturel sous les vivats d’une foule hétéroclite…. » « Tous les articles mettaient en doute l’attachement du Général à la République et parlaient de « coup d’Etat new-look », son hostilité jamais démentie à la Constitution de la 4ème République, aux partis, voire au Parlement était rappelée…. » « En attendant, l’une des conséquences immédiates des évènements du 13 mais fut la multiplication des saisies administratives qui frappaient le Canard en Algérie….Dans les années qui suivirent, d’autres saisies furent ordonnées mais à un rythme très inférieur….pour autant, la censure en bonne et due forme ne fut établie que pour peu de temps, à la suite de l’instauration de l’état d’urgence le 17 mais 1958. N’ayant jamais admis qu’elle était en guerre contre l’Algérie, la République française ne put utiliser les outils préventifs et répressifs liés à une telle situation ; la presse en profita, qui fut plus libre pendant la guerre d’Algérie qu’elle ne l’avait été pendant les conflits mondiaux. » « Le Canard Enchaîné ne ménagea pas ses critiques envers le nouveau pouvoir qui n’avait pas mis fin aux exactions de l’armée française….les journalistes du Canard s’engagèrent aussi aux côtés de ceux que la justice poursuivait en raison de leur opposition à la guerre d’Algérie. » « Les intentions du chef de l’Etat restèrent longtemps obscures, ses propos suscitèrent des interprétations divergentes, son plan –s’il existait- demeurait caché. En juin 1958, Gabriel Macé signalait l’apparition d’un nouveau métier : « interprète des discours de De Gaulle » ; selon que c’était le Président ou le Général qui s’exprimait, selon qu’il s’adressait aux « ultras » ou aux « républicains », l’interprétation d’une même déclaration différait considérablement. La réponse était d’autant moins aisée à fournir que l’interrogation sur l’Algérie se doublait d’une autre, qui interférait sans cesse avec elle, portait sur les projets nourris par De Gaulle en matière constitutionnel. » « Mais le premier mouvement d’adhésion aux propositions novatrices du Général De Gaulle concernant les rapports de la France et de l’Algérie était toujours contrarié par une autre, qui tenait aux intentions antirépublicaines prêtées au chef de l’Etat. On le vit bien lors des différents référendums sur l’avenir de l’Algérie. La dimension plébiscitaire n’en était jamais absente puisqu’en même temps que De Gaulle soumettait au vote les modalités de l’évolution algérienne, il vérifierait le soutien populaire à sa personne et sa politique. » « Les remous provoqués par les partisans désespérés de l’Algérie française rejetèrent donc périodiquement vers De Gaulle des hommes qui désiraient avec ardeur s’en éloigner…. Mais ce soutien était circonstanciel ; sitôt la menace écartée, voire dans le même temps qu’ils lui faisaient face et qu’ils assuraient De Gaulle de leur soutien, les journalistes du Canard reprenaient le thème du pouvoir personnel, de la suspension de la légalité, de la dictature à laquelle devait un jour succéder la République. « merci et partez vite ! », tel fut en résumé le message, frappé au coin de l’ingratitude républicaine, que la rédaction du Canard Enchaîné fit inlassablement passer au Général De Gaulle entre 1958 et 1962. »
Journaliste Indépendante
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