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La Palestine entre préservation et transformation

Anonyme, Wednesday, June 7, 2006 - 03:34

RUBY BIRD

Revue d’Etudes Palestiniennes n° 98 – Revue Trimestrielle des Etudes Palestiniennes, par l’Institut des Etudes Palestiniennes fondé en 1963 à Beyrouth, arabe, privé, indépendant et à but non lucratif.

Tiré de « Plaidoyer pour un décodage social des contradictions politiques dans la société palestinienne" »

Ce qui suit regroupe de courts extraits d’une série de conférences publiques données par Ilan Halevi à l’Université Libre de Bruxelles du 17 au 21 octobre 2005.

La société palestinienne existe-t-elle ? Depuis quand, où, et comment ?

- « Car la société palestinienne fait face depuis plus d’un siècle à une entreprise de destruction physique qui s’est constamment accompagnée d’une tentative de négation théorique : subtilisation du pays, déni d’existence du peuple, pas de géographie, pas de démographie, donc pas de société. »
- « Nous appelons société palestinienne celle qui s’est constituée sur ce territoire avant même qu’il ne soit administrativement détaché de l’ensemble de la « Grande Syrie », lui même partie intégrante de l’ensemble ottoman : entre la Méditerranée et le Jourdain, entre l’Egypte et le Liban. Pour un ensemble de raisons, nous appelons aussi société palestinienne les communautés palestiniennes constituées dans les pays d’exil où les Palestiniens chassés de leur pays au cours de la guerre de 1948 ont trouvé refuge….nous incluons dans le champ de cette analyse la minorité palestinienne restée en Israël après 1948, dont le sort, en dépit de sa citoyenneté israélienne, reste indissociable de la problématique palestinienne en général. »

- « A la veille de la première guerre mondiale, la Palestine ne constitue pas, on le sait, une entité administrative distincte… Cette sainteté des lieux, la présence de sanctuaires, de reliques et de centres de pouvoir religieux, l’industrie du pèlerinage – hôtellerie et consommation – est constitué de l’identité propre du pays avant même que l’occupation étrangère ne le détache de l’ensemble auquel il appartenait organiquement. »
- « Ce que Mostefa Lacheraf écrit à propos de l’Algérie à la veille de la conquête française s’applique absolument à la Palestine jusqu’au tournant du siècle : le pouvoir ottoman y est largement accepté par la population. Comme Etat légitime, et non comme une occupation étrangère. D’ailleurs, au contraire d’autres régions de l’Empire, la Palestine ne connaît aucune forme de colonisation turque : pas d’appropriation de terres au profit de généraux, peu de fonctionnaires qui ne soient pas recrutés localement, pas d’immigration à vocation dominante. »
- « Aiguillonné par ses revers militaires face à l’expansion européenne, et par la prise en charge directe de l’administration de la Dette Publique par les compagnies étrangères, l’Etat ottoman va s’engager, dès le début de la deuxième moitié du 19ème siècle, dans une série de réformes modernisatrices,… Ces tentatives renforceront…. Une certaine forme de patriotisme… qui se heurtera, après 1908 aux outrances nationalistes et pantouraniennes des Jeunes Turcs, qui répriment avec la plus extrême violence les manifestations d’un nationalisme arabe alors essentiellement culturel, qui prolongeait la renaissance « arabe » amorcée par l’Albanais Mehmet Ali et son fils Ibrahim Pacha… Cette réforme, cependant…. ne parvint jamais à son terme, d’autant plus que le pouvoir ottoman, puis Jeune Turc… en ralentit lui-même la mise en œuvre sous la pression des notables locaux qui faisaient valoir qu’elle favorisait la vente des terres aux étrangers. Dans un premier temps aux missions étrangères, particulièrement aux Templiers allemands qui jetaient les bases d’une entreprise coloniale allemande au nord de la Palestine, et puis surtout aux organisations et institutions juives et à leurs prête-noms locaux. »
- « les villes en Palestine, en dépit du fait que le pays tout entier s’apparente à la petite province, prennent une importance et une centralité précoce… Cette urbanisation qui aurait tendanciellement dû conduire à l’émergence de classes sociales distinctes, visibles et identifiables, allait rapidement se heurter aux effets de l’expansion de l’entreprise sioniste de colonisation de peuplement… Déjà à cette époque, à l’agonie de l’Etat ottoman, on voit les dynamiques sociales et économiques « naturellement » à l’œuvre dans la société palestinienne brutalement contournées, voire inversées, sous l’effet de facteurs « extérieurs », en l’occurrence l’entreprise de colonisation de peuplement orchestrée par le mouvement sioniste. »
- « C’est la guerre, impulsée de l’extérieur par la rivalité des puissances européennes entre elles, et nullement articulée sur les contradictions locales, qui va soudainement et dramatiquement bouleverser tout cela et poser une équation nouvelle. »
- « L’occupation militaire britannique de la Palestine précède de près de 4 ans l’instauration du Mandat octroyé à l’occupant par la Société des Nations. Elle intervient sur fond de promesses contradictoires et non tenues, de double jeux et de double langage britanniques, de trahisons et de complots impériaux… Le Mandat, lui, consacre l’émergence de l’entité transjordanienne en même temps qu’il établit l’existence en droit de l’Etat palestinien à venir, puisque l’indépendance des territoires placés sous mandat est la finalité avouée du régime des mandats. La Déclaration Balfour, cependant, en devenant partie intégrante de la philosophie de l’occupant, introduit dans cette perspective les germes de son autodestruction. »
- « Il est certain que la politique de Londres tout au long des années 20 est lourdement hypothéquée par le parti pris prosioniste de Downing Street, mais il est également avéré que dans sa majorité l’institution militaire ne sympathise pas avec l’entreprise sioniste et continue de rêver à une alliance anglo-arabe. »
- « Les Britanniques n’attendent pas la promulgation du régime du Mandat pour s’attaquer à la propriété terrienne en Palestine. Dès 1919, une série de décrets proclamés par le Gouvernement militaire britannique abolissent toues les formes de la propriété collective des terres.… C’est parmi les victimes de cette dépossession que vont se recruter les premières « bandes armées » qui harcèlent les colonies et les colons, y instaurent l’instabilité et l’insécurité sur les routes. Un nouveau sous-prolétariat rural est en train de se constituer, qui préfigure le peuple des réfugiés. »
- « Jusqu’à la publication du Livre Blanc en 1931, la politique britannique continue d’encourager tout à la fois l’immigration juive et la vente des terres aux Juifs. Ainsi le Yishouv passera-t-il de 65 000 en 1918 à 650 000 en 1947. Les objectifs socio-économiques du mouvement sioniste en Palestine pendant cette période de gestation que l’historiograhie sioniste appelle « l’Etat-en-route » sont clairement énoncés : la « conquête de la terre » (expropriation et colonisation), la « conquête du travail hébreu » (expulsion de la main-d’œuvre palestinienne du marché du travail) et la promotion des « produits du pays » (boycott, et souvent destruction, de la production palestinienne).
- « En 1936, une coalition de partis politiques urbains conduite par le parti de l’Istiqlal (Indépendance)… lance une grève générale qui va se révéler être la plus longue de l’histoire, et va durer six mois… Il y a en Palestine, une communauté juive prête à prendre le relais… avec l’arrivée des capitaux transférés par les Juifs allemands… et qui va s’engouffrer dans le vide créé par la grève du secteur arabe. En bref, la grève est un gigantesque suicide social et économique. »
- « En 1936, le gouvernement de Sa Majesté dépêche en Palestine une Commission d’enquête qui porte le nom de Lord Peel pour identifier l’origine des troubles et des désordres. La Commission Peel formule le diagnostic suivant : l’origine des troubles en Palestine, c’est la peur des Arabes de se voir transformés en minorité dans leur propre pays. La Commission propose donc, soit l’arrêt de l’immigration juive et l’arrêt de vente des terres aux Juifs, soit le partage du pays en deux Etats indépendants. C’est cette dernière proposition qu’entérinera, la même année le Congrès du Parti Socialiste britannique en y rajoutant, car c’est plus socialiste, le transfert de la population arabe hors du territoire de l’Etat juif projeté. »
- « La guerre allait encore renforcer l’alliance anglo-sioniste et l’approvisionnement des troupes du Commonwealth, Britanniques, Canadiens et Australiens allaient offrir à l’économie de la communauté juive de Palestine une occasion inespérée de se développer, tandis que l’économie palestinienne stagnait ou régressait. »
- « Du 29 novembre 1947, date du vote du Plan de Partage à l’ONU, au 15 mai 1948, date du retrait britannique et de la proclamation d’indépendance de l’Etat d’Israël, les forces armées sionistes affrontent des corps de partisans, de volontaires et d’irréguliers, et entament le processus d’expulsion massive de la population civile palestinienne… 15 mai 1948 jusqu’aux accords de Rhodes en janvier 1949… l’Etat d’Israël nouveau-né contrôle 78% du territoire de la Palestine du Mandat, dont elle a chassé plus de 800 000 Palestiniens. »
- « La société palestinienne, désormais, est géographiquement éclatée, soumise à des régimes politiques différents dans le cadre d’Etat-hôtes dont les politiques à l’égard des communautés réfugiées varient considérablement… des trois-quarts du pays qu’ils contrôlent désormais, les Israéliens ont expulsé les trois-quarts de la population. Sur ce territoire, ils ont également exproprié plus des trois-quarts des terres, et rasés les trois-quarts des villages arabes. Aussi les réfugiés, au sens large du terme, qui inclut les « réfugiés de l’intérieur », constituent-ils la majorité écrasante des Palestiniens, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Palestine. »
- « Cette situation engendre un autre paradoxe. L’UNWRA, l’Agence des Nations Unies chargée de gérer la « catastrophe humanitaire » palestinienne, va assurer, par un système de distribution de ration alimentaire, et pendant des décennies, la survie physique de la masse de réfugiés dépourvue de ressources. »
- « Les élites urbaines, tant à l’intérieur de la Palestine qu’en exil, participent activement à l’essor des mouvements nationalistes arabes laïcs et modernistes, ainsi qu’au mouvement communiste… Nassériens et Baasistes de tout poil sont florissants, proclament haut et fort que l’unité (arabe) est la voie du retour (en Palestine). »
- « Les deux décennies qui séparent la Nakba de la guerre de juin 1967… les Palestiniens de l’intérieur, citoyens de deuxième catégorie dans l’Etat juif, prolétarisés à outrance, déplacés à l’intérieur du territoire israélien, soumis au Gouvernement communiste israélien pour seule expression légale ; les Palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est, devenus formellement citoyens jordaniens après l’annexion de 1950 ; les Palestiniens de la bande de Gaza, où les réfugiés constituent 80% de la population ; les Palestiniens du Liban ; les Palestiniens de Syrie… »
- La guerre de juin 1967 réunifie le territoire palestinien sous l’occupation israélienne. Ce qui était pensé comme extérieur devient intérieur et, progressivement, la revendication d’un Etat indépendant va prendre le pas sur celle du retour. »
- « Les conséquences économiques de l’occupation sont spectaculaires, et des secteurs entiers de l’économie périclitent et disparaissent, avant de sombrer dans la dépendance et la sous-traitance des firmes israéliennes… Politiquement, cependant, la défaite arabe de 1967 ressemble à un nouvel essor pour le mouvement de libération palestinienne. »
- « Cet engagement massif des habitants des camps extérieurs dans la lutte de libération s’accompagne d’une « professionnalisation » du combat… Après la signature du traité de paix égypto-israélien, en 1979, et parallèlement à la création du « Front de fermeté », le comité conjoint jordano-palestinien désignera la résistance économique comme axe central de la stratégie de Soummoud, de la résistance passive au déracinement et à la destruction. »
- « La guerre d’octobre 1973, en démontrant la possibilité d’une initiative politico-militaire arabe basée sur l’alliance des Etats de la ligue de front (Syrie et Egypte) et des princes du pétrole, ouvrait de nouvelles perspectives de règlement négocié. Dans la foulée, l’OLP va opérer un tournant stratégique d’envergure et se rallier à la solution des deux Etats, acceptation rétroactive, et encore baignée d’ambiguïté, du Plan de partage de 1947. »
- « Cette unité nouvelle, qui atténue la contradiction avec la Jordanie, permettra le Soummoud, puis la première Intifada, qui apparaît à maints égards comme une revanche des camps, mais place les enfants de l’élite urbaine au premier rang de sa direction en tant que porte-parole. »
- « A la veille de l’ouverture des négociation à Madrid, en octobre 1991, le Gouvernement israélien d’Yitzhak Shamir, en imposant les « règles de Madrid » qui interdisent aux Palestiniens de Jérusalem, mais surtout de la Diaspora et à l’OLP, de participer aux négociations, tente d’intervenir dans ce clivage en favorisant la bourgeoisie de l’intérieur. »
- « En 1991, trois ans après la Déclaration d’Indépendance d’Alger… permettant l’ouverture du premier dialogue officiel entre l’OLP et la Maison Blanche… La tentative de marginaliser la Direction palestinienne procédait de la farce et du faux-semblant, et la suite (défaite électorale de Shamir, négociations d’Oslo et reconnaissance mutuelle) allait le démontrer de façon éclatante. »
- « Politiquement, on l’a constaté, la contradiction sociale majeure en Cisjordanie occupée n’oppose pas la ville à la campagne, ni l’ouvrier aux employeurs… Mais le clivage le plus profond reste celui qui sépare… les habitants des camps… et les classes moyennes urbaines. C’est cette population dont l’adhésion et le soutien constitue l’enjeu des affrontements politiques des dix dernières années. »
- « Pendant 5 ans après Oslo, la bourgeoisie citadine s’abritait derrière le concept de société civile et le tissu des ONG, a dénoncé tout à la fois la corruption et l’incompétence de la direction palestinienne et sa mollesse dans les négociations… A la veille des négociations de Camp David, ses représentants dénoncent à l’avance « l’accord de capitulation » que la direction s’apprête selon elle à conclure… Avec le refus opposé par Arafat aux propositions Clinton et Barak…., puis le déclenchement de ladite Seconde Intifada, la loyauté des camps se reporte à nouveau sur la direction… Il manque à ce tableau une sociologie des mouvements islamistes, et surtout du Hamas, des relations de clientèle que son action philanthropique et humanitaire dans les domaines de la santé t de l’éducation entretient, de son enracinement dans la toute petite bourgeoisie commerçante, à l’instar de mouvements comparables dans d’autres pays musulmans. »
- « Il convient cependant, à la lumière des sondages d’opinion qui créditent ce mouvement du soutien de près d’un tiers de la population…. De prendre en compte le fait que sur ces 30%, 10% soutiennent effectivement le programme et le projet de société Hamas, 10% soutiennent son action armée pour des raisons purement nationalistes, et 10% le soutiennent pour sanctionner l’Autorité Palestinienne, ses dysfonctionnements et son impuissance, et surtout ce que l’opinion englobe sous le titre générique de « corruption. »
- « La société palestinienne oscille ainsi entre la défensive, face à l’agression multiforme de la dépossession et de la négation sioniste de son existence et de ses droits et des transformations pour l’essentiel imposées par des évènements qui échappent à son contrôle. »
- « Dans son essence, le projet sioniste est une entreprise dont l’archaïsme saute aux yeux : vols de terres, accaparement de ressources en eau, « nettoyage «ethnique »… Historiquement, ce conflit de l’âge de pierre s’est inscrit dans le contexte de conflits plus larges et s’est articulé sur des intérêts impériaux globaux : tout d’abord dans le cadre de l’expansion coloniale, puis dans celui de la guerre froide… Tandis que l’articulation du conflit israélo-arabe et israélo-palestinien, dans le contexte actuel, sur une « guerre contre le terrorisme » qui ressemble à s’y méprendre à une nouvelle croisade contre le monde musulman, fait de la Palestine, le cœur symbolique de la nouvelle guerre mondiale. »

Journaliste Indépendante


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