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France: A propos du Pr. Pellerin et du nuage de Tchernobyl

Anonyme, Friday, June 2, 2006 - 05:10

Infonucléaire

Retour sur la gestion en France de la crise ouverte par Tchernobyl

Par Bella Belbéoch (juin 2003)

Des procès en diffamation ont été intentés ces dernières années par le Pr. Pellerin, Directeur en 1986 du SCPRI (Service central de protection contre les rayonnements ionisants) contre des personnes qui dans des livres ou dans les médias l’accusent d’avoir menti lors du passage du nuage sur la France, et évoquent (façon de parler) l’arrêt du nuage de Tchernobyl à nos frontières. Une plainte avec constitution de partie civile contre X a été déposée par l’association française de malades de la thyroïde, la CRIIRAD et à titre individuel par plusieurs centaines de malades - cancers et autres affections imputés aux retombées de Tchernobyl. En fait la polémique n’a jamais cessé depuis 1986 sur la façon dont les autorités françaises ont « géré » la crise après l’explosion de Tchernobyl.
Quand le nuage a-t-il atteint la France, quelle a été la contamination des aliments et du lait en particulier, pourquoi la France n’a-t-elle pas appliqué les recommandations de la Commission des communautés européennes, ni, on le verra plus loin, celles de l’OMS, quelles contaminations du sol, quel impact sanitaire sur la population ? Les réponses à toutes ces questions reflètent les conceptions des autorités françaises en matière de radioprotection, la façon dont elles envisagent les problèmes de santé publique. Il ne s’agit pas du seul Pr. Pellerin, responsable de la radioprotection en France, personnage inamovible depuis les années 60 quel qu’ait été le gouvernement, de gauche ou de droite. Cela explique bien des crispations aujourd’hui encore, 17 ans après, alors qu’ont été regroupés dans l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), l’Institut de Protection et Sûreté Nucléaire (IPSN) -autrefois dépendant du CEA- et l’Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants (OPRI) qui a remplacé l’ancien SCPRI, regroupement effectué sous la seule autorité de M. André-Claude Lacoste, directeur de la DGSNR (direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection).
Fait nouveau, des divergences se dévoilent au grand jour reflétant différentes conceptions de la « transparence » mais avec un consensus sur l’essentiel : en bref, il n’y a pas de conséquences sanitaires significatives dues à Tchernobyl en France. Un excès éventuel de cancer thyroïdien serait indétectable par l’épidémiologie, par manque de puissance statistique et par manque de données sur l’exposition des personnes aux retombées d’iode radioactif.

Il faut rappeler que la Gazette Nucléaire (http://resosol.org/Gazette) a informé très tôt sur la contamination en France, relisez le numéro 71/72 (août/sept.1986) et aussi 78/79 (juin 1987), 88/89 (juin 1988).
Des interventions publiques du GSIEN : vous vous souvenez sûrement du plateau de télévision du 10 mai 1986 où Monique Sené a fait face au Pr. Pellerin qui donnait enfin quelques chiffres de contamination tantôt en picocuries tantôt en becquerels. Cette séance a réveillé l’opinion et la presse qui ont réalisé après coup que le nuage était bien passé sur la France.
A Créteil le 15 mai 1987 au colloque sur les conséquences médicales de Tchernobyl organisé par la Société française de radioprotection et la Société française de biophysique, ayant été autorisée par le responsable du colloque, le Pr. Galle, à prendre la parole au cours d’une session présidée par le Dr. Bertin (EDF), j’ai demandé publiquement au nom du GSIEN la démission du Pr. Pellerin pour incompétence et qu’une commission d’enquête établisse les responsabilités à tous les niveaux, depuis le Ministre de la santé jusqu’aux autorités sanitaires et préfectorales locales (j’ai été huée. Voir Gazette 78/79 où le texte GSIEN et l’argumentaire ont été publiés). [A la séance de la veille clôturée par l’intervention du Pr. Pellerin, j’avais précisé de la salle que j’avais des choses désagréables à dire au Pr. Pellerin et que j’aurais aimé les lui dire en face ; mais le lendemain il était absent].

Désinformation, mensonges, je veux rappeler ici quelques faits.
En tant que témoin au procès intenté par le Pr. Pellerin à Hélène Crié et Michèle Rivasi (3 novembre 1999) à cause de leur livre « Ce nucléaire qu’on nous cache » (Ed. Albin Michel, 1998) j’aimerais vous faire part de l’argumentation que j’ai développée au cours de mon audition et des réactions, parfois vives, qu’elle a suscitées de la part du Pr. Pellerin. C’est une reconstitution, puisqu’on n’a pas le droit en tant que témoin de lire un texte, ou d’enregistrer l’audience, mais c’est une reconstitution fidèle car j’ai suivi le plan que j’avais longuement préparé. Les textes que j’ai cités de mémoire (communiqués, extraits d’articles) l’ont été d’une façon correcte (s’ils ne l’avaient pas été je pense que le Pr. Pellerin se serait manifesté !)

LE CHOC EN RETOUR DE LA DESINFORMATION

« Désinformation nucléaire : le gouvernement français subit aujourd’hui le choc en retour de sa désinformation (...) » titre Le Monde, 13 mai 1986. Cet éditorial du journal Le Monde traduit bien le sentiment général à ce moment.

1) Cadre général : dès l’annonce de l’élévation de radioactivité mesurée en Suède les propos très rassurants du SCPRI désamorcent toute inquiétude concernant la France.
D’après le 1er communiqué AFP du 28 avril (21h52) les dires d’un représentant du SCPRI ne font pas présager que la radioactivité mesurée en Suède est due à un accident grave sur un réacteur situé loin de la Suède (et que l’AFP annoncera 2 minutes plus tard à 21h54). Le 29 avril, l’analyse SCPRI est des plus minimalistes et comparaison est faite avec l’accident de Windscale dont la seule conséquence, d’après le SCPRI, aurait été de différer la consommation de lait. Pour les habitants proches de la centrale de Tchernobyl : « En ce qui concerne les populations il y a certainement un problème d’hygiène publique, mais pas de réel danger, et certainement pas plus loin que 10 à 20 km au nord de la centrale » (au moment même où sont évacués les 45 000 habitants de la ville de Pripyat proche de la centrale).
Donc pour nous, qui sommes si loin de Tchernobyl, aucun problème :
« A ce jour aucune radioactivité anormale n’a été vue dans notre pays en France en tout cas, compte tenu de la distance et de la décroissance dans le temps si l’on détecte quelque chose il ne s’agit que d’un problème purement scientifique  ». Ce 29 avril le SCPRI renforce les analyses quotidiennes sur ses 130 stations (air, eau, lait...).
A France-Inter ce même jour le Pr. Pellerin dira que si la radioactivité atteint la France « compte tenu du fait que c’est une radioactivité qui a été libérée au niveau du sol, au ras du sol, c’est à dire à 50 mètres peut-être, il n’est pas impossible qu’il ne subsiste pas grand chose ou presque rien quand ça arrivera à nous par l’ouest ». Il n’y a alors aucune donnée scientifique émanant de quelque autorité de sûreté que ce soit pour appuyer cette affirmation du Pr. Pellerin -qui s’avérera complètement absurde- d’une émission des rejets au ras du sol.

2) A quelle date la France a-t-elle été atteinte par la radioactivité venant de Tchernobyl ?
Pour le SCPRI : du 29 avril au 30 avril 16h, aucune élévation significative de la radioactivité en France sur l’ensemble des 130 stations SCPRI. Ce n’est que le 30 avril à minuit que le SCPRI indique une légère augmentation de la radioactivité dans le sud-est, non significative pour la santé publique. Le 1er mai à minuit « tendance pour l’ensemble des stations du territoire à un alignement de la radioactivité atmosphérique sur le niveau relevé le 30 avril sur le sud-est (...) sans aucune incidence sur l’hygiène publique ». Le retour à la normale de la radioactivité atmosphérique, y compris sur le sud-est, est effectif au 7 mai (télex SCPRI 7 mai, 13h).
D’après les publications (Laylavoix et al.) de l’Institut de Protection et Sûreté Nucléaire (IPSN) du CEA «  les premières augmentations de radioactivité imputables à cet accident ont été décelées dès le 29 avril dans le sud-est et l’est de la France » (ex. Marcoule et Verdun). «  Cette radioactivité supérieure à la radioactivité naturelle s’est maintenue avec des fluctuations décroissantes jusqu’au 10 mai » (Bulletin de sûreté nucléaire, 51, mai-juin 1986). Même date du 29 avril citée par G. Cogné, directeur de l’IPSN dans les Annales des Mines de novembre 1986.
Ainsi contrairement à ce qu’a dit le Pr. Pellerin, dès le 29 avril les particules radioactives sont arrivées en France.
J’ai dit à la Présidente du Tribunal que j’avais avec moi la publication de l’IPSN qui montre l’apparition de l’iode 131 le 29 avril alors que la contamination atmosphérique en iode 131 est nulle habituellement. Elle m’a demandé de la lui montrer : le Pr. Pellerin et son avocat ont bondi vers la table et au vu des courbes de contamination atmosphérique par l’iode 131, l’iode et le tellure 132 relevées à Marcoule et Verdun dès le 29 avril le Pr. Pellerin a rétorqué « ils se sont trompés ».
[La récente publication de l’IRSN Tchernobyl 17 ans après, indique enfin que la radioactivité a été décelée en France dès le 29 avril. Pourquoi les cartes IPSN des années précédentes et publiées par la presse indiquaient-elles le 30 avril ?].

3) L’impact du visuel, la France miraculée par l’anticyclone des Açores :
Le 29 avril le Pr. Pellerin indique qu’il n’y a rien au-dessus de la France, les vents ne sont pas dirigés vers nous, ils « tournent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre autour d’une dépression centrée sur l’Europe » (interview de France-Inter).
Pour l’opinion publique, ce qui est fondateur de la croyance absolue selon laquelle le Pr. Pellerin aurait dit que le nuage s’est arrêté aux frontières, c’est la diffusion visuelle (télévision et presse) des cartes de l’évolution météo du 29 avril au 1er mai avec le déplacement de l’anticyclone des Açores et la position du nuage radioactif en Europe.
Ainsi, le 30 avril la télévision (Antenne 2) en présentant le régime des vents en France avec leur rotation contraire à celle des vents en Allemagne met un signe « stop » sur notre frontière. Voilà qui est net. Quant à l’exemple des deux cartes publiées par Libération le vendredi 2 mai il est spectaculaire : sur la carte du 29 avril on voit en gris le nuage arrivant sur nous par l’est de l’Europe, qui stationne à nos frontières en arc de cercle parfait, nuage qui, sur la carte du 1er mai est repoussé par une grosse flèche noire en sens inverse venant de l’ouest figurant le déplacement de l’anticyclone. Il y a bien une traînée sur la Corse et légère sur le sud-est le 1er mai mais tout suggère qu’il n’y a rien eu sur le reste de la France entre le 29 avril et le 1er mai et que le nuage est dès lors repoussé vers l’est.
Ces cartes sont mensongères, le 29 avril il y a déjà sur la France de la radioactivité venant de Tchernobyl (d’après le CEA) et la France aurait dû être en gris le 1er mai. Aucune indication n’a été fournie sur l’origine de ces cartes ni sur les mesures d’activité ayant permis d’établir les limites du nuage radioactif. Or ces cartes ont bel et bien été avalisées par le SCPRI puisque ces cartes seront redonnées sous sigle SCPRI dans un communiqué du 2 juin sous le titre : « EVOLUTION METEOROLOGIQUE DU 29 AVRIL AU 5 MAI 1986 ».

4) Des données non chiffrées.
Selon le Pr. Pellerin, dans un premier temps les synthèses qu’il a fournies ne contenaient pas de données chiffrées car il a préféré donner des conclusions pratiques indiquant que la situation ne nécessitait pas de mesures de protection particulières. Il a ainsi laissé croire qu’il disposait d’informations en temps réel.
Et là se passe un accrochage avec le Pr. Pellerin lorsque je dis :
Les bulletins mensuels publiés par le SCPRI indiquent explicitement qu’en ce qui concerne l’activité bêta totale des poussières atmosphériques de l’air au niveau du sol, « les mesures sont effectuées cinq jours après la fin du prélèvement ». A l’exception de la station de mesure du Vésinet (Ile-de-France), toutes les stations du SCPRI en France étaient des stations de prélèvement. Qui dit prélèvement dit analyses après, mais analyses faites au Vésinet, d’où le délai. En ne révélant pas ce détail -qu’il connaissait bien puisque c’est lui qui avait conçu l’ensemble de ce système- le Pr. Pellerin a menti.
Le Pr. Pellerin réagit violemment en indiquant qu’existent 17 stations de mesure en temps réel dans des aéroports, avec des filtres déroulants qui permettent de mesurer l’activité bêta totale. [Là j’ai été surprise car dans les bulletins du SCPRI je ne les ai pas repérées dans l’ensemble des stations décrites].
- Mais ces filtres sont analysés où ? Au Vésinet ? Le Pr. Pellerin répond que oui... il y a le délai dû à l’acheminement par la poste.
Je continue : Dans le bulletin SCPRI du mois d’avril qui sera publié plus tard on verra que, par rapport aux maxima d’activité relevés en 1985 et dans les semaines précédent l’accident, l’activité des poussières atmosphériques fin avril était multipliée par des facteurs allant de 100 à 1000 et plus, pour des stations situées à la frontière italo-suisse, dans la vallée du Rhône, l’Alsace, la Corse, dans les départements de l’Hérault et de la Loire.
La Présidente veut me faire préciser si c’est le 29 ou le 30 avril, je dis que je ne peux pas le savoir, car il s’agit de l’activité maximale relevée, sans précision de date dans le bulletin SCPRI du mois d’avril, c’est peut-être le 30 avril ?

5) Les niveaux de contamination en iode 131 des laits au 7 mai, donnés à la télévision le 10 mai par le Pr.Pellerin. Des lacunes ? et/ou des mensonges ?
- Le délai entre la date de prélèvement et la mesure n’est pas précisé.
- Des valeurs ont été données pour les laits de vache de toutes les régions (sauf la Corse). Il y avait une valeur pour la région PACA. Or, sur le bulletin de mai-juin du SCPRI publié plus tard où figurent les résultats pour la 1ère semaine de mai, la région PACA et la Corse se distinguent de toutes les autres régions françaises par l’indication : prélèvements non parvenus ! D’après le SCPRI c’est le sud-est, et la Corse d’après les cartes météo, qui ont été touchés en premier et il n’y a pas eu de résultats d’analyse ! A quoi correspondait donc la valeur indiquée sur la carte présentée à la télé le 10 mai pour la région PACA ?
- Les chiffres donnés le 10 mai correspondaient à 110 laits de coopérative pour toute la France. Chaque lait de coopérative correspond à un mélange de laits. Pour chaque région un seul chiffre, la contamination moyenne en iode 131. Moyennés sur combien de laits de coopératives avec quels niveaux de contamination chacun ? On ignorera à quelle proportion de la consommation par région correspondent ces laits. Dans une même région il peut y avoir des zones touchées par la radioactivité et des zones épargnées. Pour les consommateurs de lait, qu’ils boivent du lait de coopérative ou du lait local, la moyenne n’a strictement aucun intérêt, ce qui compte c’est le lait qu’ils boivent, eux.
- Dans ce même bulletin de mai-juin déjà cité, outre une valeur moyenne de contamination du lait par région pour la 1ère semaine de mai (et différente de celle donnée le 10 mai) figure cette fois une valeur maximum de contamination en iode 131. Pour la région Rhône-Alpes elle est de 630 Bq/l et le lait aurait dû être interdit à la consommation si on avait appliqué en France les normes européennes.
- C’est la valeur de 360 Bq/l au 7 mai 1986 figurant sur cette 1ère carte présentée à la télé le 10 mai qui sera communiquée à la Commission des Communautés Européennes comme représentant le maximum relevé en France. Ceci est manifestement faux d’après des analyses de laits de vache provenant des Vosges, Ardennes, Haute-Saône, Moselle, du site nucléaire du Bugey figurant sur les bulletins de mai et juin du SCPRI publiés ultérieurement et encore plus faux si l’on considère des laits de brebis de l’Hérault (1700 Bq/l au 9 mai) et de Haute Corse (4400Bq/l au 12 mai). Or, le Pr. Pellerin et le Pr. Chanteur, son collaborateur, font partie du groupe d’experts au titre de l’article 31 du traité Euratom, et ce groupe a été chargé par la Commission des Communautés européennes d’étudier les conséquences de l’accident de Tchernobyl. Les renseignements qu’ils ont fournis sont mensongers.
- Dans le 1er bilan de synthèse publié le 8 mai le SCPRI indiquait comme contamination en iode 131 du lait une valeur de 12 picocuries par litre soit 440 Becquerels par litre relevée le 5 mai. Dans un ouvrage de vulgarisation Radiobiologie, Radioprotection de la Collection Que sais-je ? tant prisé des lycéens et étudiants le Pr. Maurice Tubiana et le Dr Michel Bertin affirmeront que la contamination maximale du lait en France après Tchernobyl a été de 400 Bq/l. On est loin des 4400 Bq/l au 12 mai en Haute-Corse correspondant à combien de becquerels le 5 mai ?

6) Enfin, que veut dire pour le Pr. Pellerin l’expression « problème significatif pour la santé » ou « problème significatif pour l’hygiène publique » ? Le rapport de l’OMS du 6 mai 1986.
Il le précise le 2 mai puis le 4 mai dans un communiqué SCPRI à diffuser auprès des autorités sanitaires, des médecins, des pharmaciens et du public :
« L’élévation relative de la radioactivité relevée sur le territoire français à la suite de cet accident est très largement inférieure aux limites recommandées par la CIPR et aux limites réglementaires françaises, elles-mêmes fixées avec des marges de sécurité considérables. Il faudrait imaginer des élévations dix mille ou cent mille fois plus importantes pour que commencent à se poser des problèmes significatifs d’hygiène publique ».
Remarquons qu’à cette date on ignore pendant combien de temps vont durer les rejets du réacteur accidenté.
Les seuls chiffres fournis par le SCPRI au 4 mai sont une valeur de contamination atmosphérique en iode 131et un débit de dose maximum de 60 microrad par heure. 100 000 fois ce débit de dose ? Un séjour d’une vingtaine d’heures à un tel débit de dose et qui ne semble pas effrayer le Pr. Pellerin est bien au-delà de ce qui est considéré comme acceptable en radioprotection car on entre alors dans le domaine des effets biologiques des fortes doses de rayonnement (appelés effets déterministes) dont la gravité dépend des doses reçues (vomissements, maladie des rayons, brûlures, etc.) C’est plus élevé que le débit de dose relevé dans les rues de Pripyat lorsque les autorités soviétiques ont décidé l’évacuation des habitants car ils craignaient que si on les laissait sur place ils ne subissent des doses de rayonnement pouvant déclencher des effets aigus Or, et l’OMS dans le compte-rendu du 6 mai 1986 de sa réunion d’experts tenue à Copenhague le précise à la page 25, les effets déterministes sont exclus en dehors de l’URSS : « en dehors d’URSS les effets biologiques à considérer sont de nature stochastique [non déterministes, les cancers et maladies génétiques] pour lesquels on suppose qu’il n’y a pas de seuil de dose, tels que les cancers et les effets génétiques. Dans une approche de précaution les retards mentaux des ftus irradiés sont aussi considérés comme basés sur une hypothèse sans seuil  ».
Puis les principes de base de la radioprotection sont rappelés. Selon l’OMS [et la Commission Internationale de Protection Radiologique, CIPR] il s’agit d’éviter autant que possible les effets biologiques de faibles doses de rayonnement, «  la probabilité d’apparition de ces effets stochastiques pour un individu donné est considérée comme étant proportionnelle à la dose cumulée due à l’accident aussi faible soit-elle ». Les mesures doivent être justifiées (ne pas créer un risque supérieur au risque évité), optimisées : prendre des mesures «  afin de réduire les doses d’exposition aussi bas qu’il est raisonnablement possible par des contre-mesures dont on espère qu’elles se traduiront par un bénéfice pour les personnes exposées  ».

Il y a une interprétation mensongère du rapport de l’OMS du 6 mai 1986 lorsque le Pr. Pellerin indique le 10 mai, lorsqu’il commente la carte de la radioactivité des laits français au 7 mai, «  (...) il y a lieu de souligner que l’organisation mondiale de la santé et l’OCDE ont officiellement confirmé qu’il n’y avait à prendre aucune contre-mesure en Europe ». Je ne connais pas le rapport de l’OCDE par contre celui de l’OMS rappelle dans ses conclusions p. 34 : « Toutes les mesures nécessaires de contrôle effectuées loin du lieu de l’accident visent à diminuer les doses d’irradiation autant que raisonnablement possible ». L’OMS fait ensuite la distinction entre laits provenant de mélanges et laits à consommation locale en ajoutant : « D’un autre côté, de fortes pluies ayant coïncidé avec le passage du nuage radioactif ont occasionné localement des dépôts élevés d’iode 131 et il peut donc se retrouver des concentrations élevées en iode 131 dans le lait brut de certaines fermes. Des restrictions de consommation immédiate de tels laits peuvent encore être justifiées sur la base de niveaux d’action au plan national comme le niveau des 2000 Bq/l adopté dans certains pays comme guide au-dessus duquel des restrictions doivent être considérées.  ». (Et dire que des enfants corses ont continué à boire du lait de brebis contaminé à 4400 Bq/l au 12 mai et qui devait faire 15000 Bq/l début mai d’après M. Cogné directeur de l’IPSN ! ). Et le rapport poursuit : «  Des actions simples telles que laver les légumes frais, ne pas utiliser l’eau de pluie comme eau de boisson sont des actions qui sont toujours à conseiller afin d’éviter des expositions inutiles ».

Le Pr. Pellerin avait délégué un de ses collaborateurs à Copenhague, le Pr. Chanteur. On peut vraiment se demander comment il interprète les textes.
N’est-ce pas pour éviter ce type d’interprétation mensongère que la CIPR dans ses recommandations de 1990 (CIPR,1991 article 124) indique : Dans la pratique, un certain nombre d’idées fausses sont apparues à propos de la définition et de la fonction des limites de dose. Tout d’abord on considère très souvent mais de façon erronée, que la limite de dose est une ligne de démarcation entre ce qui est « sans danger » et ce qui est « dangereux. (...) Ces idées fausses sont dans une certaine mesure renforcées par l’incorporation des limites de dose dans les réglementations. (...) Dans ce contexte il n’est pas surprenant que les administrations, les autorités et les pouvoirs publics choisissent à tort, d’appliquer les limites de dose dès que cela est possible, même quand les sources sont partiellement ou parfois hors de leur portée, et quand l’optimisation est la ligne de conduite la plus appropriée ».

Notes, mai 2003 :
Dans le rapport du 6 mai 1986 l’OMS indiquait que les laits de chèvre et de brebis sont plus contaminés que le lait de vache. Nos autorités sanitaires auraient donc dû s’inquiéter des populations locales qui consomment leur production là où les niveaux en iode 131 dépassaient largement 2000 Bq/l.
Dans ce même rapport était indiquée l’importance de connaître les débits de dose. Aucune donnée ne sera fournie à l’OMS par la France (voir Gazette 78/79, août-sept.1986). La seule valeur donnée par le Pr. Pellerin sera le débit de dose de 60 microrad/heure quelque part dans le sud-est, 4 fois le débit de dose habituel au même endroit. C’est bien pour pallier à ce manque de données rapides, en temps réel, que le système Téléray a été mis en place depuis Tchernobyl.
Quant aux stations dans les aéroports disposant de systèmes à filtres déroulants il semble que seules une dizaine de stations étaient opérationnelles en 1986. Munies d’une alarme se mettant en marche quand l’activité bêta totale dépassait le seuil, un fragment de filtre était alors découpé et envoyé au Vésinet pour analyse spectrométrique. (Les mesures d’iode 131 ne pouvaient pas être correctes puisqu’il n’y avait pas de charbon actif pour piéger la forme gazeuse).
A signaler que fin 1999 seul le site de la Hague était équipé par l’OPRI d’une mesure en continu d’iode radioactif.

QUELQUES REMARQUES PRELIMINAIRES A PROPOS DU NOUVEAU RAPPORT IRSN
« TCHERNOBYL, 17 ANS APRES, 2003 »

L’impression que je retire de cette première lecture est contradictoire. Il y a, c’est certain, une « ouverture » par rapport à l’opacité des rapports antérieurs. (L’obstination de la CRIIRAD et du Dr Fauconnier n’y est-elle pas pour beaucoup ?). Mais les doses efficaces ne semblent guère avoir changé et je perçois des réticences à prendre en considération le concept de la CIPR (Commission internationale de protection radiologique) : pour les effets stochastiques il n’y a pas de seuil d’irradiation en dessous duquel il n’y aurait pas d’effet. L’OMS l’admettait en 1986 dans son rapport du 6 mai.
Ainsi dire qu’il y a eu de la contamination radioactive en France suite à Tchernobyl, et qu’en certains endroits il y en a encore, il en résulte (et résultera) des doses de rayonnement, et une dose collective rapportée à la population française cela implique qu’il y ait des effets sanitaires.
L’IPSN/IRSN a affiné ses calculs. On apprend ainsi que dans tout l’est du pays les activités massiques maximales en Cs137 observées pendant l’été 1986 environ 1000 Bq/kg pour la viande sont redescendues à une dizaine de Bq/kg à l’entrée de l’hiver, comme pour le lait. Mais il n’est pas précisé que pour la viande cela dépassait les normes européennes de 600 Bq/kg, ni quelle proportion de viande cela a représenté. «  Pour l’iode 131, dans la même zone, les concentrations moyennes ont atteint plusieurs centaines de Bq/kg mais la décroissance a été bien plus rapide (diminution d’un facteur 2 tous les 5 jours  ». Or l’activité maximale recommandée par la CEE pour le lait et les produits laitiers a été, pour l’iode131de 500 Bq/kg le 6 mai, puis 250 le 16 mai et 125 le 26 mai. Jusqu’à quelle date y a-t-il eu de l’iode 131 dans le lait ?
On peut s’étonner qu’il n’y ait pas de commentaire au sujet des légumes-feuilles qui ont été les plus contaminés, les concentrations de Cs137 ont atteint quelques centaines de Bq/kg dans les jours qui ont suivi les dépôts dans le Nord-Est, et pour l’iode 131 les contaminations ont atteint quelques milliers de Bq/kg (p. 65).
Il est admis que pour les champignons et le gibier la diminution de la contamination a été lente, les activités du Cs137 ont peu varié et que ponctuellement elles peuvent encore dépasser la limite de commercialisation de 600 Bq/kg. La population a-t-elle été informée ?
A-t-on interdit la chasse dans les Vosges, là où avait été trouvé un sanglier très contaminé, où l’activité du muscle atteint 1000 Bq/kg ?
Il est satisfaisant de voir que la nouvelle carte de contamination des sols publiée récemment par l’IRSN se raccorde aux frontières avec celle de nos voisins. Cela donne raison à la CRIIRAD d’avoir à chaque fois exprimé ses désaccords et d’avoir publié l’Atlas avec André Paris (Contaminations radioactives : atlas France et Europe, Ed. Yves Michel, 2002).
Il est bien dit que cette carte globale de la France est d’une certaine façon « moyennée » et ne représente pas la contamination en un lieu déterminé. Cependant, connaissant la très forte contamination en certains points du bassin versant du Var, d’après le rapport Maubert de l’IPSN-Cadarache concernant une étude de contamination démarrée le 1er mai 1986 (voir Gazette 88/89) qui indiquait « Il est à signaler que si les "normes européennes" avaient été en vigueur dèsledébutdumois de mai de nombreuses récoltes auraient dû être détruites » il s’agissait à cette époque de l’iode 131, puis du Césium 137 et d’autres radionucléides (Ru 106 etc), on aimerait savoir si les endroits répertoriés très contaminés du Mercantour où, d’après le rapport IRSN, des champignons peuvent encore aujourd’hui dépasser les 600 Bq/kg des normes européennes en césium 137, ces endroits sont-ils indiqués au public ? Qu’en est-il aujourd’hui de la forêt du Boréon « haut lieu touristique Niçois où l’on cueille, en saison, myrtilles et champignons » ? Y a-t-il par exemple des Boletus edulis signalés récemment par la Commission des communautés européennes comme particulièrement contaminés ?
Ce rapport Maubert signalait que deux autres études avaient été initiées en mai 1986 dans la vallée de la Moselle et en Corse dans le bassin versant du Tavignano. Ces trois rapports n’ont jamais été rendus publics seules des synthèses ont été publiées. La crédibilité scientifique d’un rapport exige la possibilité pour tout scientifique d’accéder aux données de base, ceci n’a pas été respecté par l’IPSN.
Qu’en est-il en Corse dans les lieux forestiers, en montagne pour la chasse et la cueillette ?
Pour ces deux zones du sud-est et la Corse je suis gênée par les calculs de dose : ils me paraissent sous-estimés. En particulier pour la Corse ils me paraissent beaucoup moins réalistes que ceux effectués par le Dr Fauconnier, habitant le pays, vivant et consommant, comme ses patients, les productions locales. Son exposé à Montauban (colloque organisé par le conseil général de Tarn-et-Garonne, janvier 1988) devant les experts du CEA les avait impressionnés par sa rigueur.
Les facteurs de risque du cancer de la thyroïde chez l’enfant : « Un excès de risque significatif de cancer de la thyroïde a été observé après irradiation externe de la tête et du cou à des fins médicales à partir de doses à la thyroïde de l’ordre de 100 mGy  ».
Ceci est faux si l’on se réfère aux premières études de Ron et Modan sur des enfants atteints de teigne et traités par rayons X : ils indiquaient une dose moyenne légèrement inférieure à 9 rad (90 mGy) avec une fourchette de 43 à 168 mGy et des temps de latence de 4 à 22 ans, moyenne 14,3 ans (22 ans était alors la durée du suivi). La cohorte comportait 10842 enfants âgés de 1 à 15 ans au moment du traitement (Elaine Ron, Baruch Modan, Benign and malignant thyroid neoplasms after childhood irradiation for Tinea Capitis, JNCI, vol. 65, 7-11, 1980).
Je suis toujours gênée lorsque je lis que « l’excès de risque significatif a été trouvé à partir de doses de l’ordre de ... ». Ceci peut laisser croire qu’il existe un seuil de l’ordre de 100 mGy en dessous duquel il ne peut pas y avoir apparition de cancer de la thyroïde. Or le cancer de la thyroïde est une maladie stochastique, il n’y a pas à invoquer de seuil de dose (d’après les concepts de la CIPR). Avec une cohorte très étendue (comme c’est hélas le cas en Biélorussie, Ukraine et Russie) ce cancer très rare de l’enfant devient visible sans ambiguïté.
Le temps de latence de 5 ans pris par l’IRSN pour les cancers de la thyroïde me paraît trop élevé (1er cas 4 ans après l’irradiation pour l’étude citée précédemment de Ron et Modan). D’autre part les courbes relatives au nombre de cancers de la thyroïde en Biélorussie montrent un accroissement dès 1989 chez les enfants opérés par Demidchik, et le nombre de cancers des adultes a présenté une croissance quasi exponentielle les premières années après Tchernobyl. Je signale que pour les 14 enfants ukrainiens atteints de cancer thyroïdien qui ont été traités en France (chez le Pr. Aurengo) dont s’est occupée l’Association « Les enfants de Tchernobyl » d’Ukraine (Mme Marie-Laurence Simonet) les cas de cancers de la thyroïde se sont déclarés entre 20 mois et 90 mois après l’exposition. On est loin des 5 ans.
Je suis très critique sur la façon d’utiliser les mesures faites sur le personnel CEA car elles sont biaisées du fait que de nombreux travailleurs du CEA ont pu changer leurs habitudes alimentaires car ils ont été très conscients de la réalité de l’accident. Au retour du week-end du 1er mai tout le monde à Saclay était au courant que les alarmes s’étaient déclenchées fichant la trouille aux travailleurs d’astreinte, (le nuage « passait »). Cela a causé une émotion suffisante pour que la direction de Saclay organise une réunion générale du personnel en juin 1986 en présence du Dr. Lafuma et où la CFDT a diffusé à tous les participants un fascicule sur « les conséquences radiologiques du passage du nuage radioactif dû à l’accident de la centrale de Tchernobyl (URSS) » (Gazette Nucléaire 71/72).
Finalement il faudrait à la fois considérer les doses collectives en se basant sur des moyennes mais la persistance de la contamination dans certaines régions devrait inciter à prendre en compte les doses collectives des groupes critiques en autosubsistance qui sont complètement ignorés. J’ai la nette impression que le rapport tend à minimiser les effets sanitaires bien qu’il ressorte, sans le dire, une critique des déclarations du Pr. Pellerin. Ainsi, l’IRSN critique les contaminations rapportées par le SCPRI en 1986 mais les conclusions sont identiques : pas d’effet sanitaire significatif.
Quant aux problèmes sanitaires des zones contaminées du Bélarus et d'Ukraine, juste un mot. Quasiment tout ce qui est rapporté par les médecins du Bélarus est systématiquement considéré comme non validé scientifiquement, par exemple les augmentations de malformations congénitales observées par Lazjuk. On voit poindre, peut-être, la reconnaissance d'un petit excès de leucémie dans des zones contaminées d'Ukraine. Bizarre que les augmentations de cancer au Bélarus publiées par Okeanov n'aient pas été reconnues. En somme, à part les incontournables cancers de la thyroïde (qui ne seraient peut-être pas encore acceptés si le Pr. Keith Baverstock n'avait pas mis son poids dans la balance en 1992) il n'y a pas d'effet notable.
Les enfants malades du Bélarus, les cardiopathies, les cataractes, leur fatigabilité, leur baisse d’immunité, leurs allergies etc. cela ne fait pas de bonnes études épidémiologiques, donc ça n’existe pas.

UN PEU D’HISTOIRE : « INSTALLATIONS NUCLEAIRES ET PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT »
(LE PASSE EST IMPORTANT POUR COMPRENDRE LE PRESENT ET L’AVENIR)

C’est le titre d’un article de P. Pellerin et J. P. Moroni dans les annales des Mines de janvier 1974. Danscet article le responsable de la radioprotection française faisait référence au rapport numéro 151 de l’OMS de 1958 intitulé « Questions mentales que pose l’utilisation de l’énergie atomique à des fins pacifiques ». Le Pr. Pellerin soulignait dans ce texte la nécessité « de ne pas développer de façon excessive les mesures de sécurité dans les installations nucléaires afin qu’elles ne provoquent pas une anxiété injustifiée » (en gras dans l’article).
Ainsi en 1974, au moment du lancement du programme d’électronucléarisation massive de la France, le responsable de la radioprotection exhortait les techniciens de l’énergie nucléaire à ne pas exagérer les mesures de sécurité dans les installations nucléaires.
On ne doit donc pas s’étonner de la façon dont la crise de Tchernobyl a été gérée. Concernant la radioprotection la meilleure façon de ne pas alerter les populations et de ne pas déclencher d’anxiété n’était-elle pas de ne pas mettre en place un système efficace de contrôle de la radioactivité ? Il semble bien que la préoccupation du Pr. Pellerin ait été davantage d’éviter l’anxiété que les cancers radioinduits.

Bella Belbéoch, juin 2003.
Publié dans la Gazette Nucléaire, 207/208, juillet 2003.



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