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Deux millions de Québécois sans médecin de famille

Anonyme, Wednesday, May 17, 2006 - 13:20

François-Pierre Gladu; Julien Martel

Auteurs: François-Pierre Gladu; Julien Martel

Introduction

On sait aujourd'hui que près de deux millions de Québécois n'ont pas accès à un médecin de famille, qu'au moins 200 000 citoyens du Québec ont perdu leur médecin de famille entre 1999 et 2004 et que, durant la même période, au moins 900 000 autres personnes auraient pu être suivies par les nouveaux médecins de famille, mais ne l'ont pas été, faute de disponibilités.

Entre-temps, beaucoup de cliniques médicales ont fermé leurs portes. Celles qui demeurent à ce jour en activité perdent tranquillement leur personnel médical au profit des centres hospitaliers ou réduisent au minimum leurs heures d'ouverture.

Alors qu'un médecin de famille est normalement en mesure de prendre en charge une clientèle de 1500 personnes, les 7600 omnipraticiens québécois s'occupent en moyenne de seulement 750 patients. Bien que le Québec ait la plus grande concentration de médecins de famille du Canada, il est bon dernier au chapitre de ses citoyens qui en ont un. La pénurie de médecins de famille est-elle réelle?

Limites à la pratique

Il faut savoir qu'en 1993 Marc-Yvan Côté, le ministre de la Santé de l'époque, a imposé aux médecins des mesures qui allaient limiter leur liberté de pratique et qui allaient, par le fait même, avoir des impacts majeurs sur l'accessibilité aux soins de première ligne, c'est-à-dire les soins prodigués par les omnipraticiens en clinique médicale ou en CLSC.

Sous la menace d'une réduction de 30 % de leurs honoraires professionnels, on a obligé les médecins de famille ayant moins de 15 ans de métier à pratiquer la médecine au moins 12 heures par semaine dans ce qu'on appelle les activités médicales particulières (AMP): des services médicaux essentiels, mais moins populaires auprès du corps médical parce que moins rémunérés ou prodigués durant des heures défavorables. On parle ici notamment des gardes de 24 heures, des soins palliatifs, des soins de longue durée et obstétricaux et des services d'urgence.

Dans la pratique, très peu de centres hospitaliers acceptent qu'un médecin travaille dans ses locaux moins de 20 à 25 heures par semaine: le seuil obligatoire de 12 heures par semaine est donc purement symbolique.

Les plus attentifs auront remarqué que tous ces soins, par leur nature, sont prodigués à l'extérieur des cliniques médicales. Ainsi, plutôt que d'offrir aux omnipraticiens des incitatifs financiers pour augmenter l'attrait vers la pratique en cabinet et garantir la prise en charge de cette clientèle, on obligeait les médecins de famille, au détriment de leurs propres patients, à quitter leur bureau au minimum deux journées par semaine pour effectuer ces AMP. C'est comme si vous investissiez des sommes colossales pour le développement de votre entreprise, mais que le gouvernement vous forçait à travailler ailleurs 40 % du temps, limitant d'autant la rentabilité de votre entreprise et le temps consacré au service de vos clients.

Les conséquences sont aussi évidentes et désastreuses que ces situations peuvent sembler aberrantes: alors que la population vieillissait, les omnipraticiens ont cessé de développer de nouvelles cliniques médicales, ils ont dû refuser des milliers de patients et les cliniques médicales se sont vidées au profit des centres hospitaliers. En effet, tant qu'à y pratiquer au moins deux jours par semaine, pourquoi ne pas y établir une pratique permanente, sans prendre le risque financier lié à la création d'une entreprise?

Une limite élargie

C'était en 1993. Aujourd'hui, non seulement cette mesure est-elle encore en vigueur, mais son champ d'application a été élargi. En 2002, François Legault, à son tour ministre de la Santé, a jugé qu'il était dans l'intérêt des patients que tous les médecins de famille ayant moins de 20 ans de pratique (donc en moyenne âgés de moins de 50 ans) soient soumis à ces mesures coercitives, faisant fi des statistiques montrant que les cliniques médicales ne répondent plus aux besoins des patients dits orphelins.

Les médecins de famille s'opposent depuis des lunes à l'imposition de ces mesures. En 2006, 13 ans trop tard, le ministère de la Santé et des Services sociaux a reconnu publiquement que l'imposition des AMP avait eu l'effet pervers de dépeupler les cabinets médicaux. Les principes d'application préhistoriques des AMP sont donc en grande partie responsables de la pénurie - ressentie - de médecins de famille. [...]

Alors que le gouvernement Charest a mis l'accessibilité des soins de santé au coeur de ses priorités, son ministre de la Santé, Philippe Couillard, tarde toujours à effacer les erreurs de ses prédécesseurs et à éliminer ces mesures nuisibles. Pendant ce temps, tous les Québécois qui n'ont pas de médecins de famille se voient contraints d'obtenir des soins à l'urgence, quelle que soit la lourdeur de leur pathologie.

Selon l'Institut canadien d'information sur la santé, «plus de la moitié (57 %) des visites aux services d'urgence en 2003-04 [au Canada] étaient attribuables à des problèmes de santé considérés comme moins urgents (p. ex. douleur dorsale chronique, réactions allergiques légères) ou non urgents (p. ex. maux de gorge, problèmes menstruels, diarrhées ponctuelles)». Le portrait québécois est encore plus alarmant.

Quand on sait que chaque visite à l'urgence coûte à l'État des centaines de dollars supplémentaires que la même consultation en cabinet médical (jusqu'à 10 fois plus), en raison notamment de la lourdeur bureaucratique et des équipements médicaux sur place, qu'attend-on pour utiliser cet argent à meilleur escient?

Bien entendu, il ne faut pas pour autant délaisser les patients visés par les activités médicales particulières. Mais on doit inciter tous les omnipraticiens à les soigner de plein gré, en offrant des conditions de pratique qui reconnaissent la lourdeur de leur travail. Comme cela se fait en Ontario, on limiterait ainsi le nombre d'heures qu'un médecin consacre aux activités médicales particulières, le libérant pour ses responsabilités premières en cabinet.

D'une gestion des services médicaux centrée sur les aspects punitifs, qui institutionnalise la démotivation professionnelle et produit des effets néfastes sur l'efficience et l'accessibilité des soins à la population, on doit développer une gestion axée sur les incitatifs dont le coût est estimé à 2 % de l'enveloppe budgétaire servant à la rémunération des médecins omnipraticiens. Non seulement cette somme est-elle précisément en harmonie avec le cadre financier offert par le gouvernement aux autres employés de l'État, mais elle améliorerait la santé de notre population et permettrait des économies substantielles en désengorgeant les urgences et en redirigeant les patients vers les médecins de famille.

Cette révision des principes d'application des AMP est primordiale à la réussite des réformes en cours qui incluent l'informatisation des dossiers, la rationalisation des prescriptions et des coûts de médicaments et l'intégration des divers points de services médicaux. L'oublier condamne la réforme à un échec coûteux, le quatrième en 15 ans. Prions nos bureaucrates de s'inspirer cette fois-ci des réussites de nos voisins canadiens.

François-Pierre Gladu : Médecin de famille, président de l'Association des jeunes médecins du Québec et enseignant clinique à l'Université de Montréal

Julien Martel : Éditeur du magazine Santé inc.



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