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Les pièges de la morale (partie 1)Anonyme, Thursday, April 20, 2006 - 18:16 Jorge Majfud traduit de l’espagnol par : Il y a quelques jours, dans une entrevue télévisée, la mère du candidat présidentiel qui conduit les enquêtes au Pérou, Ollanta Humala, déclara que la première action du gouvernement de son fils devrait consister à exécuter un couple d’homosexuels afin qu’on en termine avec l’immoralité du monde. Pour sa part, son père a reconnu qu’il avait fait de son fils un militaire afin qu’il arrive au pouvoir. Son fils, un centimètre plus stratégique, leurs avait recommandé de ne pas parler jusqu’au jour des élections. La confiance de cette mère en un acte « symbolique » de la part de son fils, en plus d’être un acte criminel, est un monument d’ingénuité. De cette façon, on suppose que si le fils de Marie ne put en terminer avec l’immoralité du monde, lui pourra le faire, ce fils de madame Humala, faisant appel à une morale pharisienne que même Jésus condamna de façon répétée. D’autres points de vue sont malgré tout tragiques et significatifs : la commune échelle de valeur de l’Inquisition, selon laquelle l’assassinat et l’abolition des droits humains sont nécessaires afin d’imposer la Morale dans le monde – peut-on en dire plus ? Cela démoralise de constater que l’alternative a une tradition politique conservatrice en Amérique Latine, basée sur une culture d’abus – de classe, de sexe et de race – et soit si mesquine comme celle qui, pire, prétend se vendre comme « révolutionnaire ». Comment est-il possible que des pays comme le Pérou, avec des cultures indigènes si riches, continuent de présenter des alternatives si étroites, propres de la vielle déformation colonialiste au service des empires étrangers ? Choisir entre Fujimori, Alan Garcia, Ollanta Humala et Lourdes Flores est comme choisir entre noir et obscur, entre l’Ouest et l’Orient. Où sont les Salomon de nos peuples ? Ce fait est aussi significatif de provenir d’une femme, de la mère d’un supposé ‘’leader indigène’’ qui n’est pas plus qu’un autre militaire autoritaire avec un discours différent mais avec la même mentalité de messianisme moralisant des autres temps. C’est une preuve de plus de la trahison du patriarcat qui a servi comme instrument principal dans la brutale conquête et la colonisation de nos peuples indigènes, qui aspirent à se libérer, utilisant les mêmes chaînes qui avant les opprimaient. J’essayerai d’expliquer cette thèse, brièvement. Avec une infinité de données, je comprends que le système patriarcal n’était pas si avancé dans l’Amérique pré-colombienne comme il l’était dans l’Europe du XV è siècle. Encore que l’Inca et les autres chefs méso-américains exprimaient déjà un type d’organisation masculine sur les bases des sociétés indigènes, les femmes maintenaient encore une quote-part du pouvoir qui, par la suite leur sera exproprié. Comment et quand se produisit la naissance du patriarcat et la conséquente oppression de la femme ? Nous pourrions donner une explication de profil marxiste qui, pour le moment, m’apparaît comme étant la plus claire : du changement d’un système de subsistance à un système où la production excédait la consommation, a surgit non seulement la division du travail mais aussi la lutte pour l’appropriation de ces biens excédents. Et qui, sinon l’homme, était en de meilleures conditions d’administrer (en son bénéfice propre) cet excédent ? Non par raison de force domestique, mais parce que la même sur-production – avec ses périodes respectives de pénuries – nécessita une classe de guerriers organisés qui étendront la domination sur d’autres régions et se pourvoiront d’esclaves afin de rétro-alimenter le nouveau système. Les armées seraient alors la cause et la conséquence du patriarcat; avant la défense elles surgiront pour l’attaque, pour l’invasion, avec la tendance logique de se substituer au pouvoir politique par la force de leurs propres organisations. Et, comme tout pouvoir politique et social a besoin d’une légitimation morale, celle-ci fut fournie par les mythes, les religions et une morale faite à la mesure et à la ressemblance de l’homme. Dans beaucoup de communautés de base de l’Amérique pré-colombienne, les femmes continuaient de partager le pouvoir et le rôle social principal que n’avaient pas les femmes blanches dans leurs propres royaumes. Selon l’historien Luis Vitale, l’idée de la fonction « naturelle » de la femme comme maîtresse de maison est supportée par les femmes indo-américaines jusqu’à ce que le modèle patriarcal européen soit imposé par les conquistadors . Cependant, plusieurs données nous révèlent que le patriarcat était déjà apparu avant la conquête chez les classes hautes, dans l’administration des empires. Plusieurs chroniques et récits traditionnels écrits au XVI è siècle – Cieza de Leòn, par exemple - nous rapportent la coutume des opprimés par les Espagnols à opprimer leurs propres frères plus pauvres, reproduisant ainsi la verticalité du pouvoir. Aussi, nous avons la nouvelle de l’Inca Gracilazo de la Vega, que l’Inca Auquititu avait l’habitude de persécuter les homosexuels et ‘’qu’on les brûlait vifs sur la place publique […]; parallèlement, qu’on brûlait leurs maisons’’. Et, avec un style qui n’échappe pas au récit biblique de Sodome et Gomorrhe, ‘’ il fut annoncé publiquement, comme loi inviolable, que sur son domaine on se garde bien de commettre un semblable délit, sous peine que pour le péché d’un seul serait dévasté tout un peuple et brûlés ses habitants en général ’’. L’inhumaine persécution et exécution des homosexuels est un évident symptôme d’un patriarcat naissant, plus si nous considérons que nous n’avons pas la même histoire d’incinérations de lesbiennes. Le danger des femmes pour l’ordre patriarcal s’est exprimé sous d’autres formes, pas tant par sa pratique lesbique. Maintenant, à quoi me référé-je avec le titre de cet essai ? Nous pouvons aussi bien considérer que la division du travail put avoir une fonction avantageuse pour les deus sexes et pour la société à un moment déterminé; nous savons aussi que le patriarcat, comme quelconque système de pouvoir, ne fut jamais démocratique, ni moins innocent dans sa moralisation. Dans le monde pré-colombien, ce patriarcat naissant s’est matérialisé par la présence de chefs et de caciques indigènes qui progressivement furent trahis par le reste de leurs propres sociétés. Quoiqu’il est certain qu’il y eût quelques caciques rebelles – comme Tupac Amaru -, nous savons aussi que les conquistadors se servirent de cette classe privilégiée afin de dominer des millions d’habitants de ces terres. Comment peut-on comprendre que quelques milliers d’espagnols furent capables de soumettre une civilisation très avancée et gigantesque en nombre comme celles des Incas, des Mayas ou des Aztèques, composées de millions d’habitants ? Il y eut plusieurs facteurs, comme les maladies européennes – premières armes biologiques de destruction massive -, mais aucun de ces éléments n’eut été suffisant sans la fonction servile des caciques indigènes. Ces derniers, afin de maintenir le pouvoir et les privilèges qu’ils avaient sur leurs sociétés, et afin de confirmer le patriarcat, s’entendirent rapidement avec les envahisseurs blancs. Ce n’est pas par hasard que dans un monde qui, par la suite, se caractérisera par le machisme, aient surgis tant de femmes rebelles qui, à partir de la naissance de l’Amérique, s’opposèrent à l’envahisseur et organisèrent des soulèvements de toutes sortes. La trahison des caciques ne fut pas seulement une trahison de classe, mais aussi une trahison du patriarcat. Ce n’est pas par hasard qu’une autre des caractéristiques dont nous souffrons encore aujourd’hui en Amérique Latine – et que nous analyserons dans un essai postérieur – soit, précisément, la division. Cette division fut quelques fois un élément stratégique de la domination espagnole sur le continent métis; par la suite elle se convertit en une institution psychologique et sociale, en une idéologie qui mena à la formation de pays et de nationalismes lilliputiens ou à des égoïsmes gigantesques. La même division qui, par la suite, a servit afin de maintenir des peuples entiers dans l’oppression la plus prolongée. La même qui montre ceux qu’on appelle « latinos » aux États-Unis, selon leurs intérêts personnels les plus immédiats . Je comprends que dans le fond toute la philosophie et les mouvements sociaux du XX è siècle – spécialement de sa seconde moitié – et de notre début de siècle, consiste dans une lutte pour le pouvoir. La nécessité de définir si l’homme et la femme sont égaux ou différents, à partir d’une position ou d’une autre, vise à une revendication ou à une réaction. Depuis longtemps, les revendications féministes ont été plus effectives dans le monde anglo-saxon. Apparemment, aux États-Unis, les femmes auraient obtenu un niveau « d’égalité » de droits et une « annulation » de la culture machiste que n’auraient pas encore atteints d’autres pays, comme plusieurs pays en Amérique Latine. Néanmoins, sans nier un certain degré d’obtention, ces ‘’conquêtes’’ peuvent être plus virtuelles qu’effectives. Nous pouvons penser que le revenu des femmes du premier monde sur le marché du travail fut une nécessité du système capitaliste, et que par conséquent, cette ‘’libération’’ peut s’écrire entre guillemets dans plusieurs cas. Comme si les faits fussent peu, et non sans paradoxes, la rhétorique du patriarcat a repris naissance dans le centre du monde anglo-saxon. Phillip Longman, par exemple, est un des porteurs de l’idée que le patriarcat est l’étape à venir dans le centre du monde. Sa théorie s’asseoit sur la vérification que la composante villageoise est cruciale afin de maintenir un pouvoir (impérial) à partir de l’antiquité gréco-latine jusqu’aux temps modernes. Pourquoi ? Simplement parce que maintenir la femme dans ses traditionnelles fonctions de mère, de nonne et de prostituée correspond directement avec une augmentation du taux de natalité. Une preuve de cette tendance serait, selon Longman, les dernières élections américaines de 2004 : les états avec les taux de natalité les plus hauts votèrent pour les conservateurs qui ont triomphés, pendant que les états libéraux, avec peu d’enfants, votèrent pour les démocrates. ( Une autre étude a révélé que les états avec un rendement intellectuel – SAT – bas votèrent pour les gagnants, pendant que les cités universitaires votèrent pour les perdants; mais on ne mentionne pas ces données). Une autre stratégie typique des réactionnaires est de voir le problème de façon synchrone et d’ignorer la perspective diachronique. Si j’élimine l’histoire d’un problème, ce que nous avons aujourd’hui est un état « naturel », permanent et, par conséquent, inquestionnable. Par exemple, les plus tolérants promeuvent les débats sur la question ‘’ est-ce que les hommes et les femmes sont différents ? Cette différence, est-elle biologique ou culturelle ? ‘’ Mais ces questions, comme presque toutes, si l’on n’ impose pas une réponse, restreignent l’ensemble des réponses possibles. Donner deux options et exiger une réponse est comme tracer une ligne rigide sur le sol et demander de quel côté sont les autres. S’ils ne sont pas « avec nous », ils sont « contre nous ». On ne se permet pas d’alternatives. Cette coutume de nier la complexité de la réalité est une grossière stratégie idéologique qui fonctionne à la perfection en politique, mais un intellectuel qui se respecte ne peut accepter sans révolte cette imposition de l’ignorance. Par conséquent, nous devons nous rebeller contre le précepte selon lequel ‘’ on ne doit répondre à une question par une question ‘’. Répondons à cette question par cette autre question : ce que nous appelons « homme » ou « femme », est-ce le même aujourd’hui qu’il y a trois mille ou dix mille années ? Est-ce que la femme française du XVI è siècle était la même femme de l’empire inca ou aztèque du même siècle ? La « femme », ne peut-elle pas être à la fois une réalité biologique et en plus une réalité culturelle ? Cette nécessité de ‘’définir’’ un genre, est-ce une prétention totalement innocente, philosophiquement désintéressée ? Par l’histoire nous savons que ce que nous appelons ‘’homme’’ ou ‘’femme’’ ne furent jamais exactement la même ‘’chose’’, ni ne furent jamais absolument des choses différentes. Cependant, dans le débat pour une « définition » déterminée, l’objet principal est sous-jacent, non déclaré : la lutte pour le pouvoir, pour la libération ou pour l’oppression stratégique. Les responsables ne sont pas des personnes concrètes, ni une simple structure sociale, produit d’une réalité économique où on lutte pour les bénéfices matériels : ce sont les deux. Mais si nous ne pouvons pas changer avec une révolution un système économique social – dans notre cas, le capitalisme tardif et le vieux patriarcat – qui rédige les discours et prescrit une Morale à sa mesure, peut-être que nous conservons encore le droit de désobéir aux rhétoriques utilisant cette coutume de questionner et de bombarder les dogmes avec des arguments. Peut-être ainsi le penser en viendra à se mettre au service d’une recherche de la vérité et non au service du pouvoir en place et au service des ambitions personnelles. Jorge Majfud Traduit de l’espagnol par : • Jorge Majfud. Écrivain uruguayen (1969). Il étudia l’architecture à l’Université de la République où il gradua. A l’heure actuelle, il se dédie intégralement à la littérature et à ses articles dans différents médias. Il enseigne la littérature latino-américaine à l’Université de Géorgie, aux États-Unis. Il a publié « Hacia qué patrias del silencio » (1)(roman, 1996), « Crìtica de la pasiòn pura »(2) (essai, 1998), « La reina de America »(3) (roman, 2001), « El tiempo que me tòco vivir»(4) (essai, 2004). Il est collaborateur à La Repùblica, à La Venguardia, à Rebellion, à Resource Center of The Americas, à Revista Iberoamericana, à Eco Latino, au Centre des Médias Alternatifs du Québec, etc. Il est membre du Comité Scientifique de la revue Araucaria de Espana. Ses essais et articles ont été traduits en anglais, français, portugais et en allemand. 1) Vers quelles patries du silence |
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