Nous, anarchistes réuniès à Caracas à l'occasion du Forum Social
Alternatif du 23 au 29 janvier 2006 - en provenance d'Allemagne,
d'Anglaterre, d'Argentine, de Bolivie, du Brésil, du Canada, de Colombie,
de Cuba, d'Équateur, d' Espagne, des Etats-Unis, de France, du Mexique, du
Chili, d'Italie, de Russie, d'Uruguay et du Vénézuéla - considérons
important de rendre public une position spécifiquement anarchiste qui
rende compte de notre expérience et de nos échanges.
Rapport du Forum social alternatif - Caracas 2006
* Du 23 au 29 janvier 2006, dix organisations sociales et politiques
vénézueliennes se sont faite entendre dans le cadre du Forum Social
Alternatif
(FSA). Petit ou grand, ce qui fût réalisé pendant cette semaine l’a été de
manière totalement indépendante et autogérée, utilisant en cela l’expérience
accumulée par ces organisations durant des années d’effort dans un contexte
vénézuélien tout à fait particulier.
Le FSA était une réponse à l’institutionnalisation progressive du Forum
Social
Mondial (FSM). Au cours de sa demi décennie d’existence, le FSM a en effet
renié
son principe fondateur de convergence des luttes les plus diverses et
contradictoires au sein d’un «mouvement des mouvements». Dans les faits,
le FSM
a servi comme rampe de lancement et comme légitimation de leaders, de
gouvernements, d’institutions, d’ONG et de partis de «gauche» en mal de
pouvoir et de ressources. Finalement, le FSM a favorisé les logiques du
lobby au
détriment de pratiques plus critiques, radicales ou provenant de
mouvements dits
«minoritaires». Mais aussi, et surtout, le FSA était une réponse au panorama
politique vénézuélien. Il se voulait l’amorce d’un espace autonome partagé
par des mouvements sociaux variés et dont les revendications sont loin du
manichéisme qui a dominé ces dernières années au Venezuela.
Le FSA s’est tenu en trois lieux de Caracas, l’Université Centrale du
Venezuela
(UCV), le Collège des Ingénieurs et l’Organisation Nelson Garrido (ONG). Il
concernait trois types d’activités : des conférences/débats, des ateliers
théoriques et pratiques et un festival de vidéo-activisme. Les conférences
virent
des interventions diverses et internationales : l’irlandais John Holloway :
«Changer le monde sans prendre le pouvor» et un débat de plus de 4 heures
devant
un public attentif ; Daniel Barret (Uruguay) : "Quels changements
entrevoir en
Amérique Latine"; Ezequiel Adamovsky (Argentina) : "Mouvements sociaux et
anticapitalisme au 21ème Siècle » ; Frank Fernández (Cuba) : "L’Anarchisme à
Cuba" ; Cristian Guerrero (USA) : "Ecologisme radical aux Etats-Unis" ;
Javier
Garate (Chile) et Andreas Speck (UK) : "Course à l’armement et
transnationales" ;
Crítica Radical (Brasil): "Les politiques de gauche en Amérique Latine" ;
Ricardo
García (México) : "Autonomie et Magonisme au Mexique" ; Rob Block (USA) :
"Mouvements anticarcéraux aux USA" ; Kristina Dunaeva (Russie) "La guerre de
Tchétchénie et le mouvement antimilitariste russe". On assista aussi bien
sûr à
des interventions de militants vénézuéliens. La semaine s’ouvrit sur la
conférence de Domingo Alberto Rangel "Fondamentalisme islamique et
globalisation".
Les autres interventions furent : Humberto Decarli "Militarisme et
changement social
au Venezuela"; Francisco Prada "Invasion étrangère et protectionnisme";
Ricardo
Benaím "Xénophobie et antisémitisme"; Lenin Ovalles "Cultures urbaines" et
Alfredo Vallota "Bases du socialisme du 21ème Siècle". Maria Pilar García
et le
collectif Amigransa assurèrent la coordination d’une journée de
conférences sur
les luttes écologiques et les communautés indigènes au Venezuela et dans
le monde
; la Croix Noire Anarchiste (CNA) du Venezuela organisa un forum sur la
situation
dans les prisons. On ne put que regretter l’absence de Douglas Bravo, dont
l’intervention "Propositions pour aujourd’hui et demain" dût être annulée
pour cause de drame familial.
º Activisme et pratiques
Les ateliers du FSA offrirent la possibilité d’échanges de pratiques et
d’outils entre activistes de tous les horizons. «Introduction au vidéo
activisme» était animé par Sonya Angelica Diehn, co-fondatrice d’Indymedia
Arizona et productrice de Pan Left Productions (USA). Elle y donna les
notions
basiques pour réaliser un projet audiovisuel indépendant. "Droits humains
en temps
de crise" était proposé par Carlos Nieto, du collectif vénézuélien "Une
fenêtre sur la liberté" en coordination avec la CNA-Venezuela. Cet atelier à
caractère juridique proposait des outils pour se défendre dans le cas
d’atteinte
aux droits humains. L’atelier « les bases du son » était à la charge de
Fabien, du groupe français Unlogistic. Il donna les grands principes du
chemin du
son de son enregistrement à sa restitution. Deux ateliers furent présentés
par
l’Internationale de Résistance à la Guerre (IRG), une des associations
antimilitaristes internationales les plus anciennes. Leur premier atelier
s’intitulait "Action directe non violente". Sur deux jours, il fût l’occasion
d’apprendre à construire une action de désobéissance civile. Le second
atelier
"Objection de conscience et antimilitarisme" avait pour objet de mieux faire
connaître les enjeux et les formes de ces luttes.
Et durant toute la semaine eut lieu le premier festival de documentaires
indépendants et de vidéo activisme. A part une session à l’UCV, les
projections
eurent lieu tous les soirs à l’ONG dans deux salles différentes. Ce fût
l’occasion de découvrir une œuvre documentaire et militante en provenance
de 8
pays différents. Le documentaire le plus applaudi et commenté fut
certainement
"Notre pétrole et autres contes" (Nuestro petróleo y otros cuentos), un film
censuré par le gouvernement vénézuélien à propos de sa politique pétrolière.
Il fût ainsi projeté à trois occasions devant salle comble.
º Tisser un réseau, construire l’autonomie
Pendant cette semaine, l’ONG a réellement été l’épicentre du FSA,
évènement dissident et contre-culturel. Initialement, il était prévu de
servir
un petit-déjeuner et un déjeuner pour 60 personnes. Mais dans la pratique,
et avec
un peu plus d’eau dans la soupe, ce furent plus de 100 couverts qui furent
servis
chaque jour. L’affluence était en partie constituée par des damnés du FSM qui
fuyaient pour quelques heures la militarisation du forum officiel. Quitte
à rentrer
dans les détails culinaires, le menu était mixte végétarien-carnivore et les
aliments venaient dans une grande mesure de coopératives paysannes ou de
petites
entreprises familiales. A l’ONG eut lieu finalement pendant cette semaine une
réunion de l’Action Mondiale des Peuples et la rencontre internationale
anarchiste (18 pays et plus de 60 personnes présentes). De cette dernière est
issue la "Déclaration Libertaire de Caracas".
L’ONG proposait aussi un espace de distribution de matériel indépendant.
Ce fût
notamment l’occasion pour l’organisation de récupérer quelques 2000 dollars
par la vente de bouquins, de revues, de t-shirts, de vidéos, de musique.
Cela a
fait partie des moyens mis en place pour autofinancer le FSA. L’autonomie
du FSA
n’aurait en effet pu se faire sans une infinité d’apports matériels et
financiers. On peut citer la donation de publications destinées à la vente
par la
Fondation Era Ecológica (Mérida-Venezuela), la Fédération Libertaire
Argentine,
le collectif Autonome Magoniste (México) ou le cadeau de dizaines de
t-shirts et
d’un vidéoprojecteur par Brennan Wauters (Canadá). Earth First! (USA) céda
aussi une bonne partie du bénéfice de ses ventes de matériel. Sans parler des
autres collectifs ou individuEs comme la Fédération Anarchiste Ibérique
(FAI), le
groupe Los Dólares ou la Foire du Livre Anarchiste de Montréal qui
réalisèrent
diverses activités pour collecter de l’argent. Tout ceci, ajouté aux fonds
récoltés lors d’activités organisées à Caracas pendant les 4 mois
précédents le FSA, a permis de couvrir les frais qui se sont élevés à près de
3000 dollars. Un tiers a été utilisé pour l’impression d’ALTERFORO, un
journal gratuit publié dans le cadre du FSA. Tiré à 10000 exemplaires, il
a été
très largement diffusé, au-delà même de toutes espérances.
Le FSA a aussi appuyé et participé à la manifestation convoquée le
vendredi 27
par divers organisations indigènes et écologistes de l’Etat de Zulia
(ouest du
Venezuela) pour protester contre l’exploitation des mines de charbon. La
manifestation a surtout été l’expression autonome des groupes indigènes
contre
l’Etat Vénézuélien et sa politique de développement minier, et ce malgré
quelques tentatives d’intimidation de la part de groupes chavistes. Ce ne fût
d’ailleurs pas la seule intimidation du gouvernement contre le FSA puisque
toute
la semaine, la DISIP (la police politique) roda autour de l’ONG.
L’objectif de construire un espace dissident du gouvernement vénézuélien,
de la
gauche étatique locale, des partis politiques traditionnels ou du Capital fut
largement atteint. Il permit la diffusion d’une multiplicité de visions et de
propositions, sans logistique ou espaces cédés par l’armée, sans promotion ou
gestion par la bureaucratie officielle. Le second objectif de reconstruire
un tissu
social à la base, de monter des réseaux, de développer des mouvements
autonomes
et offensifs aurait nécessité bien sûr largement plus d’une semaine pour être
atteint. L’autonomisation tous les mouvements sociaux (communautaires, de
jeunesse, écologistes, féministes, indigènes, du travail, urbains, paysans,
culturels, étudiants) est pourtant le défi à relever dans le futur car
aujourd’hui la réalité politique est polluée par les calendriers
électoraux et
par les stratégies issues des différents cercles du pouvoir.
Nous, anarchistes réuniès à Caracas à l'occasion du Forum Social
Alternatif du 23 au 29 janvier 2006 - en provenance d'Allemagne,
d'Anglaterre, d'Argentine, de Bolivie, du Brésil, du Canada, de Colombie,
de Cuba, d'Équateur, d' Espagne, des Etats-Unis, de France, du Mexique, du
Chili, d'Italie, de Russie, d'Uruguay et du Vénézuéla - considérons
important de rendre public une position spécifiquement anarchiste qui
rende compte de notre expérience et de nos échanges. Dans cet esprit, nous
déclarons que :
1. En accord avec nos bases idéologiques constitutives nous ne pouvons que
confirmer notre plus profond rejet de toute forme de domination et
d'oppression. Par conséquent, nous condamnons une fois de plus, et pour
éviter tout type de doutes ou de malentendus, le régime capitaliste et
l'organisation étatique de la société, ainsi que le militarisme,
l'impérialisme, le patriarcat, le racisme, les différentes formes
d'emprisonnement, la dégradation de l'environnement, la domination de
cultures prétendues supérieures et tout ce qui suppose qu'un être humain
puisse être au-dessus d'unE autre.
2. Au contraire, amantEs de la liberté jusqu'à la luxure, nous ne nous
lasserons pas de partager notre inspiration pour des valeurs libertaires,
égalitaires et solidaires qui permettent la construction d'une société
véritablement socialiste ; une société organisée sur des bases
autogestionaires, fédéralistes, de démocratie directe et bien au-delà des
frontières étatiques artificielles.
3. Egalement, au-delà du rosaire habituel de bonnes intentions et de
déclarations socialistes, nous considérons important de préciser à nouveau
qu'une société véritablement libertaire peut seulement résulter de la
décision conciente de sa base. Aucun exemple historique montre que
l'espoir d'une telle société puisse venir d'un historiscisme obscur, d'un
processus élaboré dans des sphères lointaines ou par des
messies-caudillos. Avant tout, ce ne sont que des illusions bloquant toute
émancipation réelle qu'il faut continuer de dévoiler et de critiquer.
4. Cette affirmation paraît particulièrement d'actualité et nécessaire,
dans la mesure où semble s'ouvrir en Amérique Latine un nouveau cycle
historique qui conduit les peuples à investir leurs angoisses et leurs
espoirs dans la sociale-démocratie ou le populisme. Ils sont appelés pour
administrer la crise du système de domination capitaliste mais en
perpétuent seulement une expression maquillée et édulcorée. Par
conséquent, nous réaffirmons, présentement conforté-e-s par une riche
expérience historique, qu'il n'y a pas de chemins étatiques ou
avant-guardistes vers une société socialiste libertaire. Le projet
libertaire sera crédible s'il appuie sur les luttes des mouvements sociaux
de base et sur une autonomie intransigeante.
5. Nous considérons aussi que la liberté n'est pas seulement un objectif
mais un chemin et une pratique. Par conséquent, nous ne pouvons faire
moins que défendre les libertés conquises et à conquérir dans notre longue
marche, en condamnant de maniere conséquente tous les gouvernements y
compris ceux qui se revendiquent comme révolutionnaires du continent
latino-americain et de toute autre partie du monde. Que cela soit clair,
nous condamnons tout gouvernement qui trouvent leur inspiration dans une
liberté tronquée ou repoussée à un terme lointain. Et peu nous importent
Et peu nous importent leurs hautes considérations sorties d'une
imagination délirante.
6 Finalement, appartenants à différents courants de la pensée et de la
pratique anarchiste et en ayant démontré dans les faits qu'il est possible
d'établir un climat de fraternité et de respect entre nous au-delà de nos
différences, nous affirmons qu'il est possible et nécesssaire pour notre
mouvement de construire tous les réseaux solidaires possible. Ceci est et
sera notre engagement et notre tâche immédiate.
Organisations :
Biopoliticos (Colombie)
Colectivo Autonomo Magonista, CAMA (Mexique)
Federacion Libertaria Argentina, FLA
Comision de Relaciones Anarquistas, CRA (Vénézuéla)
Centro de Estudios Sociales Libertarios, CESL (Vénézuéla)
Ateneo de Contracultura y Estudios Acratas "La Libertaria", Biscucuy
(Vénézuéla)
The Alarm - Newspaper(USA)
Espacio - Review (Équateur)
Kolectivo de Objecion por Konciencia ART (Colombie)
Ceci est un média alternatif de publication ouverte. Le collectif CMAQ, qui gère la validation des contributions sur le Indymedia-Québec, n'endosse aucunement les propos et ne juge pas de la véracité des informations. Ce sont les commentaires des Internautes, comme vous, qui servent à évaluer la qualité de l'information. Nous avons néanmoins une
Politique éditoriale
, qui essentiellement demande que les contributions portent sur une question d'émancipation et ne proviennent pas de médias commerciaux.
This is an alternative media using open publishing. The CMAQ collective, who validates the posts submitted on the Indymedia-Quebec, does not endorse in any way the opinions and statements and does not judge if the information is correct or true. The quality of the information is evaluated by the comments from Internet surfers, like yourself. We nonetheless have an
Editorial Policy
, which essentially requires that posts be related to questions of emancipation and does not come from a commercial media.