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Relève de la garde à Ottawa

Anonyme, Thursday, January 26, 2006 - 22:46

Arsenal-express

La campagne exceptionnellement longue qu'on nous a infligée au cours des deux derniers mois s'est donc finalement conclue, comme prévu, par l'élection d'un gouvernement conservateur minoritaire dirigé par Stephen Harper, dont la victoire aura toutefois été un peu plus courte que ce qu'il pouvait espérer.

Comme d'habitude, cette campagne aura été marquée par bien des promesses et des slogans creux (les électeurs et électrices, heureusement, ont été appeléEs à changer pour vrai afin de réussir le Canada avec un bon Jack!). Surtout, elle a été traversée d'un bout à l'autre par une grande illusion, sur fond de pure hypocrisie.

Ainsi, on a prétendu que ces élections étaient l'objet d'une bataille entre des "valeurs" fondamentalement opposées: les valeurs américaines promues par Stephen Harper, d'une part; et les valeurs canadiennes (ou québécoises) défendues par ses trois principaux adversaires. Celles-ci, nous a-t-on dit, seraient faites de solidarité, d'ouverture, de tolérance et de compassion. Des valeurs canadiennes que celles-là, vraiment?

Mais comment peut-on accepter l'idée que le Canada est un pays "ouvert" quand à chaque année, des centaines, voire des milliers de candidates et de candidats au statut de réfugiéE sont refouléEs et déportéEs, comme ce fut le cas de Mohammed Cherfi et des autres réfugiéEs algérienNEs au Québec?

Comment peut-on parler de "tolérance" quand une politique comme celle des certificats de sécurité permet d'étiqueter des musulmans au faciès et de les emprisonner sans droit, indéfiniment, à partir d'un simple soupçon dont l'État n'a même pas à faire la preuve?

De quelle "solidarité" et de quelle "compassion" s'agit-il quand depuis 20 ans et d'un bout à l'autre du pays, toutes les provinces, sans exception, ont sabré dans le montant des prestations d'aide sociale et instauré des programmes de travaux forcés payés en bas du salaire minimum? Quand le programme d'assurance-chômage a été dénaturé au point où la majorité de ceux et celles qui perdent leur emploi n'y ont même plus accès? Quand des milliers d'autochtones vivent dans des conditions infra-humaines, sans eau potable ni services sanitaires, comme on l'a vu il y a quelques semaines encore à Kashechewan? Give us a break, de grâce!

En vérité, et contrairement à ce qu'on nous a raconté, ces élections n'avaient rien à voir avec un "conflit de valeurs"; il s'agissait essentiellement d'une opération de relève de la garde, d'un changement du personnel qui sera appelé à perpétuer les mêmes valeurs, le même ordre social, le même Canada qu'on a toujours connu: un pays taillé sur mesure pour promouvoir et satisfaire les intérêts de la grande bourgeoisie.

Les commentateurs politiques ont beaucoup glosé sur le "recentrage" opéré par le Parti conservateur. Il est vrai que sur bien des questions, le programme présenté plutôt habilement par Stephen Harper nageait dans les mêmes eaux que ceux du Parti libéral, du Nouveau parti démocratique et même du Bloc québécois: promesses de baisser les impôts, de régler le déséquilibre fiscal, d'augmenter le financement du système public de santé, de réprimer les jeunes contrevenants en les traitant comme des adultes (une proposition des Conservateurs que Jack Layton a d'ailleurs reprise à son compte), etc. Même sur les questions de politique étrangère, la position de Stephen Harper se situe dans une stricte continuité avec celle du gouvernement libéral sortant (poursuite de l'occupation militaire canadienne en Haïti et en Afghanistan, élaboration d'une politique de sécurité et de surveillance frontalière commune avec les États-Unis, etc.). Le ministre des Transports Jean Lapierre a eu beau traquer les discours "nazistes" et "d'extrême-droite" pendant toute la campagne électorale, c'est quand même lui qui a annoncé, quelques jours avant le déclenchement des élections, que son gouvernement allait installer des caméras de surveillance dans toutes les stations de métro et tous les autobus des sociétés de transport public à travers le pays, ce qui rapprochera certes un peu plus le Canada de ce qu'on appelle ailleurs dans le monde un État policier!

Ainsi donc, encore une fois, on aura droit à un changement dans la continuité (sic): celle-ci étant entendue comme le maintien et la consolidation du pouvoir bourgeois. Les Conservateurs seront amenés, par la force des choses, à "gouverner au centre", i.e. dans l'intérêt général de la bourgeoisie et de ses différentes fractions, et en assurant le maintien de la paix sociale. Le chef du PC n'avait pas tort lorsqu'il a évoqué les "garde-fous" qui l'empêcheront de pencher trop à droite (le contrepoids exercé par le Sénat, la Cour suprême, les provinces...). Le système politique bourgeois au Canada est assez habilement conçu pour que les capitalistes puissent se distinguer et continuer à faire leur petit bonhomme de chemin, sans trop de heurts.

C'est ainsi que le pays a toujours été gouverné par un parti unique, depuis sa fondation: un parti composé de deux grandes ailes, l'une "libérale", l'autre "conservatrice", qui n'ont par ailleurs jamais remis fondamentalement en question l'orientation générale de la société canadienne.

D'ailleurs, au cours de la récente campagne, ce fut assez amusant de voir Stephen Harper proposer de réduire la taxe sur les produits et services - une taxe à la consommation on ne peut plus régressive, par définition - alors même que cette taxe avait été introduite par l'ancien gouvernement conservateur de Brian Mulroney! Et en même temps, de voir son adversaire libéral Paul Martin s'opposer à sa diminution, alors même que son parti avait fait campagne (et qu'il avait été élu) en 1993 en promettant de l'abolir - une promesse qu'il n'a évidemment jamais remplie!

L'enjeu des dernières élections, au fond, était assez simple: il s'agissait d'assurer à la classe dominante canadienne, un gouvernement viable et fonctionnel. Après quatre mandats et 12 ans de règne libéral, la bourgeoisie était condamnée, en quelque sorte, à renouveler son personnel politique, dont l'efficacité n'y était plus. Le quasi-putsch par lequel Paul Martin a pris la relève de Jean Chrétien à la tête du Parti libéral fut à l'évidence insuffisant pour y redonner vie.

En outre, l'élection du gouvernement Harper permettra peut-être de prendre acte des changements qui se sont produits depuis déjà quelques années dans les rapports qui opposent les différentes fractions de la bourgeoisie canadienne, pour tenir compte des intérêts des secteurs qui montent, en particulier au Québec et en Alberta.

Il sera d'ailleurs intéressant de voir le mouvement indépendantiste québécois, dont le projet est inextricablement lié aux intérêts de la bourgeoisie nationale québécoise, se repositionner pour faire face à cette nouvelle donne -- ce qu'il va devoir et qu'il a d'ailleurs déjà commencé à faire, bien qu'à mots couverts. Les leaders du Bloc et de son grand frère péquiste (...à moins que ce soit l'inverse?) ont tenté de minimiser les reculs essuyés par le Bloc, en évoquant la "percée" qu'il aurait réalisée auprès des communautés culturelles. Le fait est que le Bloc a perdu quelque 128 000 votes par rapport au scrutin de 2004, alors qu'il s'était vanté d'avoir atteint un sommet historique. (La vérité est qu'à l'époque de Lucien Bouchard, en 1993, le Bloc avait obtenu 300 000 votes de plus que cette année: par rapport à l'ensemble de l'électorat, le Bloc a perdu en fait plus du quart de ses appuis, passant de 36,7% en 1993, à 28,8% en 2004 et à 26,6%, cette fois-ci.)

Le recul du Bloc obligera donc le mouvement indépendantiste à revoir son fameux plan en "trois périodes", qui s'avère d'ores et déjà lourdement hypothéqué. Cela causera de bons maux de tête à pas mal de gens, notamment du côté du nouveau "parti de gauche" que l'UFP et le mouvement Option citoyenne s'apprêtent à fonder, et qui se voyait déjà jouer un rôle auprès d'un éventuel gouvernement péquiste en route vers un troisième référendum sur la souveraineté, suivant la défaite du gouvernement Charest. Celle-ci, tout à coup, apparaît un peu moins "inéluctable" qu'elle l'était il y a quelques semaines à peine...

Nous nous en voudrions de ne pas souligner, au passage, les résultats obtenus par les candidates et candidats des deux partis prétendument "communistes" qui ont participé au scrutin: des résultats tout à fait minables, obtenus de surcroît sur des programmes qui le sont encore plus. Ainsi, les 21 candidatEs du Parti communiste canadien ont obtenu 0,32% des suffrages dans les circonscriptions où elles et ils se sont présentéEs (0,02%, sur l'ensemble du pays). Quant aux "marxistes-léninistes" du PCCML, ils et elles ont raflé 0,26% des voix dans les 69 comtés où ils et elles se sont portés candidats (0,06% sur l'ensemble du pays).

Le pire, c'est que ni l'un ni l'autre n'a fait la promotion de quelque idée communiste que ce soit durant cette campagne -- ce qui est souvent le prétexte qu'ils utilisent pour justifier leur participation au cirque électoral. Le PCC révisionniste s'est limité à souhaiter l'élection de "quelques députés progressistes, incluant des communistes" ce qui, selon lui, allait "ouvrir la voie au socialisme" (?!). Quant au PCCML, le charabia incompréhensible qui lui tient lieu de "programme" est encore plus consternant: la seule mention du socialisme en est désormais exclue, ayant été remplacée par d'étranges incantations sur "le renouveau démocratique et l'édification nationale". Il fallait lire la déclaration officielle émise par ses deux candidats dans la région de l'Outaouais, à la veille du scrutin, qui présentait le Bloc comme une alternative valable et qui se terminait honteusement par le mot d'ordre suivant: "Toutes et tous au bureau de scrutin le 23 janvier!". On est bien loin de l'époque où le PCCML appelait à faire payer les riches...

Cette année encore, notre organisation -- le PCR(co) -- a fait campagne pour le boycott des élections. Bien que le taux de participation, à l'échelle du pays, ait suffisamment augmenté (de 60,9% à 64,9%) pour que la classe politique puisse pousser un soupir de soulagement, la tendance générale à la baisse du taux de participation est loin d'avoir été renversée. De fait, ce sont pas moins de 8 millions d'électrices et d'électeurs qui se sont abstenuEs, ce qui fait du taux de participation de cette année le troisième plus faible de toute l'histoire du pays.

On notera également que l'abstention est beaucoup plus massive dans les circonscriptions à forte concentration prolétarienne et/ou autochtone. Ainsi, le comté le plus pauvre au pays, Winnipeg-Centre, est aussi celui où on a le moins voté (48,9%). À l'opposé, la circonscription de Belinda Stronach, Newmarket-Aurora, qui fait partie des 10 circonscriptions où le revenu moyen des ménages est le plus élevé, est aussi l'une de celles où on a voté le plus (72,4%).

En faisant campagne pour le boycott des élections, les maoïstes du PCR(co) ont voulu s'appuyer sur le profond sentiment de dégoût que la politique bourgeoise inspire aux masses populaires, pour faire avancer l'idée d'une rupture complète et définitive avec le système capitaliste lui-même. Au cours des prochaines semaines et prochains mois, nous comptons intensifier nos efforts pour faire naître un parti d'un tout nouveau type, qui sera en mesure de défendre, non seulement en théorie mais aussi en pratique, la perspective d'une lutte globale et déterminée contre le pouvoir de la bourgeoisie, pour la construction d'un nouveau pouvoir prolétarien et populaire. Cette responsabilité appartient à tous ceux et celles qui souhaitent en finir avec le capitalisme.

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Article paru dans Arsenal-express, nº 81, le 26 janvier 2006.

Arsenal-express est une liste de nouvelles du Parti communiste révolutionnaire (comités d'organisation).

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