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Préserver la Révolution cubaine

micquew, Wednesday, December 28, 2005 - 20:27

Felipe Perez Roque

Que se passera-t-il à Cuba si vous n'arrivez pas à redresser la barre de certaines erreurs et difficultés qui remettent en cause vos principes ? Que se passera-t-il lorsque les dirigeants historiques ne seront plus là ? Y avez-vous pensé ? Ce sont des questions que nous posent souvent nos amis à l'étranger. Nous en débattons au plus haut niveau. Le jeune ministre cubain des Affaires étrangères a fait une intervention très remarquée à ce sujet à la session d'hiver de l'Assemblée Nationale. Nous vous en offrons un résumé.

Felipe Pérez Roque a consacré la première parte de son intervention à la place de Cuba dans le monde. Il a souligné que la politique d'isolement de notre pays menée par les Etats-Unis n'a jamais autant été battue en brèche qu'au cours de 2005. Il a rappelé en particulier le vote quasi-unanime de l'Assemblée Générale des Nations Unies contre le blocus.

Revenant sur la " transition " que Washington veut imposer à notre pays pour en finir avec la Révolution, il a signalé que cela est un comble au moment où justement le gouvernement Bush est sur la sellette à cause de la guerre, la torture, les atteintes aux droits humains. Il a souligné au sujet des menaces étasuniennes contre Cuba :

" Cette assemblée est un défi, cette assemblée publique suivie par des millions de nos compatriotes est la petite île rebelle qui dit aux Etats-Unis, vous ne pouvez en finir avec nous, vous ne pouvez faire ce dont vous nous menacez. Vous avez perdu stratégiquement votre bataille contre Cuba, notre pays est un symbole. C'est un pays qui se dresse, ne recule pas, ne se rend pas, ne se vend pas, ne baisse pas les bras, ne peut être trompé, ne peut être divisé et donc, ne peut être vaincu. C'est la raison de la haine qui se trouve derrière les menaces et qui n'est pas due seulement à la pêche aux voix des ultras de Miami. C'est la haine d'une oligarchie corrompue qui est arrivée au pouvoir par la fraude. "

Dans la seconde partie de son intervention à l'Assemblée Nationale, Felipe Pérez Roque a souligné que nous sommes face à un défi majeur. Il a parlé de manière crue et directe des tendances négatives qui se sont fait jour dans notre société ces dernières années : la soif de consommation, la corruption, l'indolence face aux erreurs, la croyance ingénue dans le fait que le capitalisme est le paradis, les conduites de simulation d'un accord avec le projet de société que la majorité construit.

Il a repris les éléments dénoncés par le Président Fidel Castro le 17 novembre à l'Université de La Havane et a souligné :

"Nous sommes parvenus à l'invulnérabilité sur le plan militaire, tous ceux qui sont à même de le dire, l'ont fait avec toute l'autorité dont ils sont revêtus. Nous parviendrons à l'invulnérabilité sur le plan économique : hier, nous avons réfléchi à ce qu'implique cette invulnérabilité économique, y compris si le blocus se maintient.

Nous devons lutter aussi pour conserver l'invulnérabilité sur le plan politique et idéologique, ce n'est pas un problème en ce moment, nous l'avons, parce que nous avons en ce moment la génération qui a fait la Révolution, nous avons Fidel et Raul. Même l'ennemi reconnaît dans ses plans qu'il est impuissant contre eux, mais il fonde ses espoirs sur l'illusion que ceux qui viendront après, oui, il pourra les tromper, les vaincre, les diviser, les acheter ou s'imposer à eux.

La démonstration a été faite ici que nous avons en ce moment l'invulnérabilité politique et idéologique, mais qu'il faudra la conserver après. Lorsque ne sera plus là la voix qui nous met en garde alors que les autres n'ont rien vu, ceux qui perçoivent les choses avant les autres, ceux qui prévoient, ceux qui incarnent l'idée que oui, la victoire est possible, parce que, sans foi en elle, on ne peut y parvenir.

Nous sommes aujourd'hui le peuple au pouvoir, la Révolution victorieuse, mais nous ne pouvons garantir le maintien du socialisme seulement parce que la Constitution le proclame. Une conviction a été proclamée dans la Constitution, mais, dans les faits, nous devons la défendre jour après jour. En Union Soviétique, un référendum a donné pour résultat que 85% des gens étaient contre la désintégration du pays. Six mois après, un groupe a décidé, une nuit de tourmente, de la désintégrer, l'ennemi est entré et est arrivé ce qui est arrivé. Nous sommes restés seuls et nous sommes là.

Et nous devons savoir comment préserver la Révolution à l'avenir, lorsque nous serons face à ce vide que personne ne peut combler et que nous devrons tous combler en tant que peuple, parce que, dans l'histoire des peuples, de tels faits ne peuvent se répéter et parce que les personnalités jouent un rôle dans l'histoire. Une analyse en retrait concluait qu'il ne pouvait y avoir de révolution à Cuba, mais l'Attaque de la caserne Moncada et la mort de dizaines de jeunes aux idéaux élevés en ont créé les conditions, avec le leadership et l'apparition d'une nouvelle génération. Le Granma, la défaite militaire à l'arrivée des révolutionnaires ne laissait pas présager la victoire deux ans plus tard d'une petite armée formée de ces mêmes jeunes paysans et travailleurs qui avaient débarqué. En conséquence, l'ennemi ne mise pas sur la défaite pour maintenant, mais pour après. "

Felipe Pérez Roque a précisé pourquoi, à son avis, la Révolution cubaine s'était maintenue au pouvoir malgré les immenses obstacles auxquels elle s'est heurtée. Il a défini trois prémisses pour son maintien :

" La Révolution est arrivée jusque là, en premier lieu, grâce à l'autorité morale de ses dirigeants. On peut avoir le pouvoir et pas l'autorité - c'est ce qui arrive à Bush et à son régime - parce que l'autorité n'est pas écrite dans les livres, elle vient de la conduite exemplaire. Combien de gens ne disent-ils pas " je ne comprends pas bien, mais si Fidel le dit, je suis sûr que c'est comme cela " ou " si Fidel le dit, il sait, il y a un moment où nous comprendrons " ? Ce trésor, cette valeur, cette confiance… Ou cette autre phrase : " Si Fidel l'a dit, c'est que c'est comme ça ", parce que Fidel parle clairement aux gens. Combien de fois avons-nous vu ou entendu cela ? Ce trésor ne peut se perdre.

Tant que, dans notre pays, l'autorité des dirigeants sera basée sur la manière d'agir exemplaire, la conduite austère, la consécration au travail, l'absence de privilège si ce n'est celui de servir plus et de se sacrifier plus, tant que toute prébende sera combattue et que la sanction sera d'autant plus forte que le poste est plus élevé, tant que notre pays aura ce trésor qu'il a eu jusqu'à aujourd'hui et qui a fait se rassembler tout un peuple pour l'épopée qui lui a permis de résister pendant plus de 40 ans à l'Empire, il vaincra, c'est la première prémisse.

La seconde est : Tant que nous assurerons par la concertation l'appui de l'immense majorité de notre peuple comme nous l'avons fait jusqu'à aujourd'hui, non sur la base de la consommation mais des idées et des convictions… J'ai signalé comment les peuples ont été désarmés et ne sont pas descendus dans la rue et n'ont pas lutté dans les pays socialistes lorsqu'on a démantelé leur avenir. Néanmoins, nous avons vu le peuple pauvre du Venezuela descendre dans la rue et exiger le retour de Chavez lorsqu'a eu lieu le coup d'Etat oligarchique et militaire organisé par les yankees. Ceux qui possédaient peu sont descendus dans la rue. Ceux qui ont rejoint l'Armée Rebelle ici n'avaient rien, c'était des paysans pauvres. Donc, ce sont les convictions et les idées qui sont importantes, non la conception selon laquelle l'appui dépendra du fait que les gens possèderont plus de choses.

Bien sûr, il y a eu une érosion, il y a des gens qui disent : " Toutes ces années ont passé, j'ai tel âge, il me reste tant à vivre et ce sera toujours comme ça, les coupures de courant, le manque des transports…". Il y a celui qui se rend, qui se fatigue, qui émigre. Pire, celui qui trahit, qui se présente à l'ennemi et qui dit des mensonges, ce qu'on veut qu'il dise. Il y a aussi simplement celui qui abandonne l'effort collectif, abandonne l'épopée, laisse prendre barre sur lui, celui qui le pense sans le faire, qui dissimule, mais ce n'est pas la majorité.

Nous avons l'appui de la majorité de la population. Si nous ne l'avions pas, nous ne serions pas ici. Nous n'aurions pas pu résister à l'Empire. Avoir l'appui de l'immense majorité signifie qu'elle partage, comme elle l'a fait jusqu'à aujourd'hui, les convictions et les idées du projet. C'est une bataille sur le terrain des idées. La Révolution ne peut se maintenir sans appui, ce qui ne veut pas dire que nous ne pourrions pas la recommencer. Mais il serait dur que soit vaincue la Révolution qui est parvenue à réaliser la prouesse historique de se maintenir ici.

Et finalement, la troisième prémisse qui me semble clef est que nous ne pouvons pas être ingénus. Au final, la question est : qui reçoit les revenus : la majorité et le peuple ou la minorité oligarchique, transnationale et pro-yankee ? A qui appartient la propriété, au peuple, à la majorité ou la minorité corrompue qui obéira au seul gendarme au monde qui pourrait garantir ses privilèges à Cuba : l'impérialisme yankee. In fine, qui garantit que ce soit la majorité qui bénéficie de la plus grande part des revenus et que la majorité soit propriétaire de la plupart des biens ? L'Etat socialiste.

Le jour où l'ennemi parviendrait à Cuba - il ne le fera pas - à démanteler l'Etat socialiste en abattant la Révolution, ici, ce ne sont pas seulement la Révolution et l'Etat qui se perdront, ce sera la Nation parce que Cuba sera absorbée, elle deviendra une commune de Miami. Il n'y aura pas ici de bourgeoisie nationale, si nous la laissons revenir elle sera pro yankee et aura besoin de l'armée, la garde rurale pour se maintenir au pouvoir. Ce serait, de plus, la fin de la nation cubaine à laquelle nous sommes fiers d'appartenir car nous pouvons aller la tête haute de par le monde. "

Salué par des applaudissements nourris, le ministre cubain des Affaires étrangères a conclu :

" Mais, nous sommes sûrs que notre peuple aura la maturité, les idées, la morale, l'unité et la force nécessaire pour préserver l'œuvre de la Révolution et léguer à nos enfants un pays encore plus beau que celui que nos prédécesseurs ont défendu et préservé pour nous. "

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