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Entretien exclusif avec Evo Morales, président de Bolivie

Anonyme, Wednesday, December 21, 2005 - 02:03

pagina12

Evo Morales, président élu de Bolivie, a reçu hier Página/12 en exclusivité pour expliquer son programme de gouvernement, ce qu'il fera avec les hydrocarbures, la culture de coca et les Etats-Unis. "Nous voulons y entrer avec la feuille de coca et non avec la cocaïne", a-t-il dit.

Le tari, un tissu d'aguayo couvert de feuilles de coca, est un signe de courtoisie pour les hôtes dans les régions andines, mais dans ce cas c'est une marque politique : celui qui nous offre de la coca est le premier président cocalero, non seulement de l'histoire bolivienne, mais probablement du monde. Evo, comme tous l'appellent, est calme, comme s'il s'était préparé toute sa vie pour ce moment, bien qu'il admette ne l'avoir "jamais rêvé". Quelques sourires, qui laissent entrevoir une ironie subtile, expriment sa joie pour le "carton" du dimanche et pour l'échec "par raclée" de son adversaire de droite, Jorge "Tuto" Quiroga, qui était le préféré de l'Ambassade (des USA) et de la bourgeoisie bolivienne. Evo Morales a reçu en exclusivité à Página/12 dans un bureau de sa maison de campagne et a dessiné quelques clés de son gouvernement, qui commencera le 22 janvier.

- Comment vit-il ce moment historique ?
- très bien, très content, satisfait par la réponse du peuple bolivien, qui nous a donné un mandat mais pour commander en obéissant. Je n'ai jamais pensé être où je suis, nous avons battu un record de voix, personne n'avait fait plus de 50 pour cent depuis la décennie des années 50, c'est un triomphe des peuples indigènes non seulement de la Bolivie mais de l'Amérique latine. C'est un orgueil pour moi, mais aussi pour les indigènes. Je veux rendre digne mes frères avec cette profonde victoire. Je me sens aussi orgueilleux des classes moyennes et intellectuelles, et veux qu'elles se sentent aussi orgueilleux des indigènes et d'Evo Morales, et ensemble nous pouvons changer notre Bolivie en pensant à l'unité, en pensant aux pauvres et aux marginaux. Maintenant les mouvements sociaux, nous sommes gouvernement et demain (pour aujourd'hui) nous nous réunirons à Cochabamba. Il s'agit de gouverner en persuadant, Il s'agit de gouverner en convainquant, en persuadant et non en passant en force. Nous sommes ici en nous préparant avec beaucoup d'envies pour changer l'histoire, en continuant ce que Túpak Katari et d'autres leaders indigènes ont tenté auparavant.

- Le Mouvement au Socialisme (MAS) dit qu'il va nationaliser sans confisquer, en quoi cette mesure consiste-t-elle ?
- Il ne va pas se confisquer ni exproprier les biens des entreprises pétrolières mais elles n'ont pas le droit d'exercer un droit de propriété sur le gaz et le pétrole. Notre gouvernement va nationaliser les hydrocarbures sur la base de la Constitution Politique de l'État et n'importe quelle entreprise qui veut investir devra être subordonnée aux lois boliviennes. Les actuels contrats pétroliers sont nuls de plein droit parce qu'ils n'ont pas été visés par le Congrès. Il faut terminer la clause de ces contrats qui dit "le titulaire (l'entreprise) adquière le droit de propriété en sortie de puit". L'État est maître dans le sous-sol et dans le "sur-sol". En tout cas nous allons garantir la récupération de ses investissements aux entreprises responsables, mais elles doivent être bénéficiaires avec équilibre, pour qu'aussi l'État et les boliviens en tirent bénéfices et pas seulement les transnationales. Le peuple demande la nationalisation et la voix du peuple est la voix de Dieu, nous allons la respecter.

- la Bolivie vend du gaz à ses voisins -y compris l'Argentine- aux prix plus bas que ceux-là du marché de Chicago, vous allez maintenir ces prix ?
- nous allons l'étudier. D'abord il doit y avoir un prix spécial pour le marché interne, il n'est pas possible que nous ayons des ressources pareilles sous terre et qu'au-dessus, les êtres humains, nous vivions en cuisinant avec de la bouse d'animaux et du bois. On ne peut pas continuer de vendre sur le marché interne aux prix internationaux. D'un autre côté, les actuels contrats ont été signés quand le baril de pétrole coûtait moins de 20 dollars (aujourd'hui il en vaut presque 60), ils doivent être révisés.

- Qu'est-ce qui va passer avec les prix de vente à l'Argentine ?
- il faut l'analyser après avoir résolu l'approvisionnement interne, mais en tout cas nous voulons agrandir nos marchés d'exportation aux pays de la région. Ce que je peux assurer c'est que l'affaire sera entre les États, non plus entre Repsol Bolivia et Repsol Argentina (1). Il faut penser aux majorités nationales plus que dans les gains des transnationales.

- La nationalisation va être la première mesure de son gouvernement ?
- au niveau économique oui. Et au niveau politique, c'est l'Assemblée Constituante pour en finir avec l'État colonial.

- Au sujet de la problèmatique de la coca, qui cause tant de frictions avec les États-Unis, quelle va être la politique du MAS ?
- il ne va pas y avoir un "coca zéro", nous allons cultiver d'une manière rationalisée pour la consommation légale. Oui, il doit y avoir cocaïne zéro, trafic de stupéfiants zéro. La lutte contre le trafic de stupéfiants sans intervention policière ou militaire étrangère doit s'impulser. Aujourd'hui les Nord-Américains dirigent nos Forces Armées et notre police. Je convoque le gouvernement des États-Unis à faire un pacte de lutte contre le trafic de stupéfiants qui doit en finir avec le secret bancaire, avec l'industrie des précurseurs et avec la demande. On peut seulement en finir avec le trafic de stupéfiants s'il y a un zéro "cocainómanos" (mains de la cocaïne) et zéro marchés.

- Comment la surface cultivée va-t-elle rester ?
- dans le Chapare (la zone excédentaire) nous allons maintenir un espace de coca par famille (40m x40m) : ceci est le meilleur apport du mouvement paysan producteur de feuille de coca à la lutte contre le trafic de stupéfiants.

- Avant-hier les États-Unis ont envoyé une félicitation un peu froide, comment imaginez-vous la relation avec ce pays à partir de maintenant ? Vous avez été un peu dur contre les Etats-Unis sur CNN, vous avez parlé de "condoléance" Rice.
- (Il rit.) Je ne sais pas si j'ai été dur, en tout cas le dialogue est ouvert, y compris avec le gouvernement des États-Unis qui doit respecter la volonté souveraine du peuple. Nous avons besoin de relations, mais pas de relations de soumission et de subordination. Des relations orientées à résoudre les problèmes des majorités. Il n'y aura pas de chantages ni de condicionnements. Et en cela, nous ne sommes pas seuls. Nous programmons un voyage avant la prise de fonction (le 22 janvier), j'ai une invitation de (Nelson) Mandela, une réunion avec Lula et avec (José Luis Rodríguez) Zapatero, en plus d'une rencontre avec le gouvernement chinois.

- Jorge Quiroga a fait une campagne en disant que, s'il gagnait, la Bolivie se joindrait au TLC (Traité de Libre Echange) avec les États-Unis. Le MAS a un regard plus orienté vers la région. Qu'est-ce qui va se passer avec le TLC à partir de maintenant ? La Bolivie part-elle pour prendre part pleinement au Mercosur ?
- n'importe quel traité de commerce, que ce soit le TLC ou le Mercosur, doit être orienté au juste commerce, de peuple à peuble, où les micro-entrepreneurs, les petits producteurs, et même dans notre pays les agro-industriels, soient ceux qui résolvent leurs problèmes, que ce ne soient pas les transnationales, en plus elles reçoivent des subventions, qui nous envahissent avec leurs produits. Le Nafta (Alena, 2) n'a absolument rien résolu pour les petits et moyens producteurs et pour les coopératives au Mexique. Et, avec ces expériences, devront être révisés ces traités. Si les marchés sont garantis, bienvenu, et peut-être pouvons-nous entrer aux États-Unis avec la feuille de coca et non avec la cocaïne (il rit), avec la viande sèche, avec la quinua. Dans ce cas, nous serons ouverts au dialogue, mais des accords commerciaux pour éliminer l'artisan, le petit producteur, il ne faut pas compter sur nous.

- Il se sent socialiste, Evo Morales ?
- Bien sûr. Et le changement social passe par le changement de chacun de nous. J'ai toujours projeté que si nous voulons transformer la Bolivie, Evo doit d'abord changer : ne pas être égoïste, ne pas être individualiste, ne pas être accapareur, ne pas être manoeuvrier et penser aux majorités nationales. C'est mon expérience dans la lutte syndicale et pour cela nous commençons à changer le MAS. Nous allons viser le socialisme communautaire. Dans la terre où je suis né, il n'y a pas de propriété privée, la zone d'élevage et agricole est de toute la communauté. Il faut récupérer les principes de réciprocité et de redistribution de nos richesses.

NOTES du traducteur :

1- Les entreprises publiques d'hydrocarbures de la Bolivie et de l'Argentine ont été rachetées, dans leur majorité, par Repsol. Pour en arriver à la situation grotesque que Repsol Bolivie vend du gaz à... Repsol Argentine, à des prix bien sûr "arrangés".
2- Accord de libre échange entre les Etats-unis, le Canada et le Méxique, entré en vigueur le 1er janvier 1994. Par exemple, le maïs étasunien subventionné a complètement innondé le marché méxicain et les paysans méxicains ne peuvent même plus être compétitifs sur le marché interne (sans parler d'exporter).

Eduardo Febbro y Pablo Stefanoni
Pagina12 (Argentine), 21 décembre 2005
Traduction : Fab, sant...@no-log.org



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