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Mondialisation: mythes et réalités

internationaliste, Monday, September 26, 2005 - 09:36

Arguments pour le socialisme par en bas

Tony Cliff

9 – MONDIALISATION : MYTHES ET RÉALITÉ
Ces dernières années un nouveau mot a fait son apparition dans le vocabulaire –mondialisation. Les dirigeants de tous les partis politiques –qu’ils soient de droite ou de gauche –acceptent ce mot comme un parole d’évangile. La même chose vaut pour la presse, la télévision les rapports des entreprise ou les dirigeants syndicaux

Ce mot ramène en fait à l’idée que le marché mondial et les multinationales sont si puissantes que les travailleurs dans chaque pays, ou de chaque multinationales, sont complètement impuissants. Il en est de même pour les états nationaux.

Edward Mortimer, écrivant dans le Financial Times, un journal de droite, utilise le Manifeste du Parti communiste comme soutien de la théorie de la mondialisation. Il cite le passage suivant de Manifeste :

« Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s’implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations.
Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays [...] Les anciennes industrie nationales ont été détruites et le sont encore tous les jours. Elles sont supplantées par de nouvelles industries [qui] n’emploient plus des premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus lointaines et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du monde [...] A la place de l’ancien isolement et de l’ancienne autarcie locale et nationale, se développe un commerce généralisé, une interdépendance généralisée des nations. »
Edward Mortimer, en proclamant que Marx fut le fondateur de la théorie de la mondialisation, voulait lui rendre hommage mais c’est en fait une insulte. Pour le montrer il suffit de quelques commentaires comparant l’économie marxiste et l’économie bourgeoise.

Marx fut tout à fait clair sur sa dette intellectuelle à l’égard de l’économiste classique Adam Smith et encore plus de David Ricardo. Mais il fut tout aussi clair sur le fait que sa propre théorie n’était pas la simple continuation de l’économie classique mais aussi sa négation. Le sous-titre du Capital de Marx est « une critique de l’économie politique ».

Dans La richesse des nations (publié en 1772) Adam Smith décrit très bien l’impact de la division du travail. Il décrit une usine d’épingles dans laquelle chaque travailleur effectue une travail répétitif différent. Cette division du travail accroît la productivité. Marx acceptait cela mais ajoutait que la division du travail fait du travailleur un demi-humain. C’est de là que part son concept d’aliénation. A un trou rond correspond une cheville ronde, à un trou carré correspond une cheville carrée. Mais il n’y a pas de trou dans l’image d’un être humain. Ainsi, les travailleurs ne sont pas simplement formés par le système. Ils ne sont pas comme de l’argile modelée par de grands facteurs objectifs mais des sujets actifs qui ressentent la pression extérieure et la combattent.

Pour Adam Smith et Ricardo la recherche du profit est une activité naturelle. Pour Marx elle est conditionnée historiquement. Le marché, la concurrence entre différents capitalistes, ou aujourd’hui des compagnies capitalistes ou des pays, obligent chacun d’eux à accumuler du capital. S’ils échouent ils sont condamnés. L’anarchie du capitalisme, la compétition entre unités de capital et la tyrannie dans chaque entreprise sont les deux faces d’une même pièce. Les capitalistes qui sont en concurrence font porter le coût de cette lutte sur les travailleurs et les travailleurs réagissent en résistant. Ils ne sont pas seulement des objets de l’histoire. La théorie de la mondialisation, elle, dans la logique de l’économie classique, pousse à l’extrême l’idée que le pouvoir est concentré au sommet de la société tandis que la base est impuissante.

La théorie de la mondialisation pense que cela est justifié. Cela fait parti de l’idéologie de l’économie de marché.

Quand des immigrés essaient de rentre dans un pays , surtout s’ils n’ont pas la « bonne » couleur de peau, ils sont simplement des migrants économiques, qui doivent être condamnés. Quand une entreprise française achète une entreprise étrangère (ou l’inverse) tout est normal. Si l’employeur impose une augmentation des cadences, c’est normal. Si les travailleurs y résistent c’est du sabotage. La radio donne des nouvelles du style « Bonnes nouvelles, les profits des entreprise ont augmenté de 20% l’année dernière » et quelques minutes plus tard « mauvaise nouvelles, les travailleurs sont irresponsables, ils demandent une augmentation de 5% ».

Le pouvoir des travailleurs dans les multinationales.
Dans cette logique, il est évident que les travailleurs d’une usine qui fait parti d’une multinationale sont sans pouvoir. Si 250 000 travailleurs sont employés par Ford comment une entreprise se quelques milliers peut elle s’opposer à la direction de Ford ?

Mais la réalité est exactement l’opposé. Quand 3 000 travailleurs de General Motors entèrent en grève à Dayton dans l’Ohio en 1996, ils stoppèrent toutes les opérations de General Motors aux États-Unis, au Canada et au Mexique. Plus de 12 500 travailleurs de General Motors furent arrêtés en quelques jours. La grève coûta à la compagnie environ 45 millions de dollars par jours et le gouvernement Clinton implora les deux côtés de négocier.

Quand une grève quasi générale fut déclenchée récemment au Danemark, Saab fut obligé d’interrompre la production de voiture en Suède parce que les composants provenaient de fournisseurs Danois. L’assemblage de moteurs en Finlande dut aussi s’arrêter. Volvo annonça que le chaînes de production en Suède et en Hollande avaient été gravement touchées.

Quand les routiers français firent grève en 1996 et 1997 l’ensembles des pays européens réagirent.

A cause des multinationales, l’impact d’un groupe de travailleurs peut être bien plus important qu’auparavant. Il suffit de comparer les exemples ci-dessus avec la première grève générale de l’histoire qui eut lieu en 1832 en Angleterre. Les grévistes devaient aller d’une usine à une autre pour faire débrayer les travailleurs.

Derrière la théorie de la mondialisation se trouve une logique complètement mécanique et formelle. La dialectique lui est complètement étrangère. La logique de la mondialisation est similaire à celle qui conduisit le Pentagone à lancer la guerre du Viêt-nam. Les dirigeants américains étaient totalement convaincus de la supériorité militaire américaine et la relative impuissance Vietnamienne. L’argument était le suivant : au 19ème siècle l’Angleterre soumit l’Inde. La machine militaire américaine dans les années 60 est incomparablement supérieure à celle de l’Angleterre du XIX. En même temps, le Viêt-nam est beaucoup plus faible que l’Inde. Si l’Angleterre pouvait l’emporter au XIX les États-Unis devaient se promener au XX.

En raisonnant de manière dialectique, l’image est exactement à l’opposé. Lors du soulèvement aux Indes de 1857, quand un soldat anglais était tué, quel dommage cela produisait sur l’Angleterre ? Combien vaut la vie d’un soldat anglais, d’un travailleur en uniforme ? Cyniquement disons 1000 F. Un avion américain vaut une centaine de millions de francs. Quelle tentation pour un soldat Vietnamien de lancer une grenade sur cet avion.

La mondialisation et l’état national.
Un autre argument des tenant de la théorie de la mondialisation est que désormais l’état national ne peut rien faire sur le niveau de l’emploi, que la mondialisation la tué le Keynésianisme.

Du début de la seconde guerre mondiale jusqu’à 1973, le monde a connu le plus long boom de l’histoire du capitalisme. Cela fut attribué par l’orthodoxie économique de l’époque au Keynésianisme. Diminuer les taxes, maintenir les taux d’intérêts à de bas niveaux, accroître les dépense de l’état, soutenir la demande de telle manière que l’économie soit en expansion, tout cela était le Keynésianisme.

L’expression du soutien le plus enthousiaste pour le Keynésianisme se trouvait certainement dans le livre d’Anthony Crosland, l’Avenir du Socialisme publié en 1956. Pour Crosland l’anarchie du capitalisme était en train de disparaître et avec elle les confits de classes. Le système devenait de plus en plus rationnel et démocratique. Le capitalisme lui-même allait se dissoudre pacifiquement. Tous les discours sur la production destinée à faire des profits plutôt qu’à répondre aux besoins humains étaient selon Crosland, de véritables non-sens : « L’industrie privée est enfin en train de s’humaniser. ».

Une révolution pacifique avait commencé dans laquelle les conflits de classes seraient inimaginables. « On ne peut imaginer aujourd’hui une alliance délibérée entre le gouvernement et les employeurs pour mener l’offensive sur les syndicats » écrivait-il. « Nous nous trouvons en Angleterre au seuil de l’abondance de masse. » Les socialistes devaient se détourner des problèmes économiques. Vers quoi ?

« Nous devons de plus en plus tourner notre attention vers d’autres et à long terme plus importantes sphères _de liberté individuelle, bonheur et joie[...] plus de terrasses de café, des rues plus claires et plus gaies la nuit, des hôtels et des restaurants de meilleur qualité et plus accueillant [...] plus d’illustrations murales et de peintures dans les lieux publics, de meilleurs designs pour les meubles et pour les vêtements de femmes, des sculptures dans le centre de nouveaux quartiers résidentiels, des plus beaux éclairages des rues et de plus belles cabines téléphoniques et ainsi de suite à l’infini. »
Si la description du capitalisme dans son vieil âge comme humain et rationnel semblait déjà alors absurde, cela l’est encore plus aujourd’hui. Le capitalisme qui était selon les termes de Marx « né couvert de sang et de boue » ne pouvait pas changer qualitativement. C’est un fait que la barbarie du capitalisme est aujourd’hui bien pire qu’il y a cent ans. Il suffit de penser aux chambres à gaz, à Hiroshima et Nagasaki, aux 20 millions d’enfants qui meurent dans le tiers-monde chaque année parce que les banques étranglent ces pays.

Le chômage qui touchait 8 millions de travailleurs en Allemagne en 1933, disparut en quelques années non parce qu’Hitler lisait Keynes mais à cause du programme de réarmement. L’explication du long boom fut fournie par la théorie de l’économie permanente d’armement. En 1957, dans un article intitulé Perpectives pour une économie permanente d’armement j’expliquais l’impact du réarmement sur la stabilité du capitalisme et aussi comment les contradictions de ce processus sapaient les bases du boom. J’expliquais que si tous les pays capitalistes clés dépensaient des moyens importants pour l’armement cela ouvrirait des marchés et ralentirait la chute du taux de profit. Mais si certains pays importants ne participaient pas et ne dépensaient pas leurs ressources pour l’armement pour l’armement, ils bénéficieraient plus du boom. Ils auraient plus de moyens pour moderniser leurs industries plutôt que les dépenser pour des tanks et des avions. Et ces pays l’emporteraient dans la concurrence mondiale. C’est exactement ce qui s’est passé.

Tandis que les États-Unis, la Russie le France et la Grande-Bretagne dépensaient massivement pour leur défense, l’Allemagne et le Japon ne dépensaient presque rien dans ce domaine. Le mark et le Yen devinrent très forts comparés au dollar au franc ou à la livre. En 1973, à la suite de la guerre du Viêt-nam, le dollar s’écroula, le prix du pétrole atteint des plafonds et le Keynésianisme fut déclaré mort.

A la conférence du parti travailliste, en 1976, le premier ministre alors en exercice James Callaghan, lui même travailliste, déclarait : « Nous pension, jusqu’à présent, que nous pouvions payer le chemin de sortie de la récession, dans le sens que nous pouvions réduire le chômage par les réductions d’impôts et les augmentations des dépenses publiques. Je vous dis clairement que cette voie de sortie n’existe plus. »

Le Keynésianisme laissa place au monétarisme, convertissant les travaillistes anglais avant même que Thatcher n’arrive au pouvoir puis les socialistes français après quelques mois au pouvoir dans les années 80.

Face à l’orage, le réformisme qui mise tout sur la politique de l’état est voué à l’échec. C’est comme avoir un parapluie de papier c’est utile tant qu’il ne pleut pas.

Pour mettre en échec les attaques du capitalisme, pour défendre des réformes, on doit aller au-delà du réformisme. Seuls les révolutionnaires peuvent désormais lutter de manière consistante pour des réformes.

Si un capitaliste décide de fermer une usine, les travailleurs doivent remettre en cause son droit de propriété. Si pour résoudre le chômage, la semaine de travail doit être réduite sans baisse de salaire et que le capitaliste dit qu’il ne paiera pas ses travailleurs qu’ils gardent l’usine ouverte, là encore il faut remettre en cause sa propriété de l’entreprise.

Entre le capitalisme et le socialisme, il y a un abîme et non comme le pensent les réformistes un espace qu’on peut combler graduellement. On ne peut pas franchir un abîme par de nombreux petits pas. Le développement du marché mondial n’a pas diminué la capacité des travailleurs à changer la société. Il mine par contre plus que jamais les illusions sur la capacité d’effectuer cette transformation par l’intermédiaire d’États nationaux.



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