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Le père fouettard

Rosenfeld, Friday, June 10, 2005 - 15:18

Le célèbre militant pacifiste israélien Uri Avnery, fondateur de Gush Shalom (Le Bloc de la paix), nous brosse ici un portrait de l'ancien chef d'état-major israélien, Moshe Yaalon, qui était semble t-il moins pire que son successeur Dan Halutz.

Le père fouettard
publié le jeudi 9 juin 2005

Uri Avnery

« Tout mauvais chef peut être remplacé par pire que lui. »
Alors que le nouveau chef d’état-major, le général des forces aériennes Dan Halutz, prenait ses nouvelles fonctions, j’étais avec un groupe de manifestants devant le bâtiment de l’état-major général pour protester contre sa nomination. Notre slogan était : « Vous avez du sang sur les ailes ! » - pour rappeler ses déclarations après qu’il eut lâché une bombe d’une tonne sur une zone résidentielle à Gaza dans le but de tuer le dirigeant du Hamas Salah Shehadeh. Il faut se souvenir que la bombe avait également tué quatorze autres personnes dont neuf enfants.

Quand on lui a demandé à l’époque ce qu’il avait ressenti après avoir lancé la bombe, Halutz a répondu : « Une légère secousse dans les ailes. » Il avait ajouté qu’après cela il avait bien dormi. Je ne pense pas qu’une personne qui s’exprime ainsi puisse être le commandant suprême de notre armée.

Cela ne signifie pas que son prédécesseur était beaucoup mieux. Mais il y a une règle : « Tout mauvais responsable peut être remplacé par pire que lui. »

(Cela rappelle une blague juive sur le riche avare dans le ghetto. Quand il est mort, on n’a trouvé personne pour en dire du bien, comme c’est la coutume. A la fin, quelqu’un s’est dévoué : « Nous savons tous que c’était un vieil homme méchant, un voleur et un grippe-sou, mais, comparé à son fils, c’était un ange ! »)

Avant même d’abandonner son uniforme, le chef d’état-major renvoyé, Moshe (« Bogy ») Yaalon, a tiré une salve de déclarations qui dévoilent à la fois son caractère et ses opinions. Dans un entretien avec le journaliste de droite du journal Haaretz, Ari Shavit, il a dit :

(1) « Si on ne donne pas aux Palestiniens plus et toujours plus, il y aura une violente explosion. Une seconde guerre terroriste est hautement probable... Kfar Sava (du côté israélien de la Ligne verte) subira le même sort que Skerot. Tel-Aviv et Jérusalem également. » Skerot était la cible régulière des fusées Kassam.

(2) « Que se passera-t-il après le désengagement ?... Attaques terroristes de toutes sortes, tirs, bombes, kamikazes, mortiers, fusées Kassam... Vous quittez Gaza ? C’est le calme. Vous allez quitter la Judée et la Samarie ? Ce sera très calme. Vous quitterez Tel-Aviv ? Le calme sera total... (Le côté palestinien) parle de Safed, Haïfa et Tel-Aviv. »

(3) « La formule des deux Etats n’apportera pas la stabilité. Non !... (La solution des deux Etats n’est pas pertinente. Pas pertinente... (L’Etat palestinien sapera l’Etat d’Israël). A partir de lui, la confrontation continuera. »

(4) « L’Etat d’Israël est prêt à donner aux Palestiniens un Etat indépendant, mais les Palestiniens ne sont pas prêts à nous donner un Etat juif indépendant... Tout accord que vous ferez sera le point de départ de la nouvelle irredenta. Le prochain conflit. La prochaine guerre. »

(5) « L’établissement d’un Etat palestinien conduira à une autre phase de la guerre. Une telle guerre peut être dangereuse pour l’Etat d’Israël. L’idée qu’il est possible de constituer un Etat palestinien vers 2008 et de parvenir à la stabilité est déconnectée de la réalité et dangereuse. La vision de Bush est déconnectée de la réalité. »

(6) (Alors quelle est la solution ?) « Un processus beaucoup plus long, qui nécessitera tout d’abord une révolution des valeurs côté palestinien... Je ne vois pas la fin du conflit israélo-palestinien pendant ma génération. »

(7) « Abu Mazen n’a pas abandonné le Droit au Retour... pour revenir dans les maisons, dans les villages... Le retour des réfugiés signifierait pas d’Etat juif. Même Abou Mazen n’est pas prêt à accepter un Etat juif ici. »

(8) (Sur la démocratie palestinienne) « Est-ce cela la démocratie ? Ce sont des gangs ! »

(9) « Il est possible que l’armée israélienne soit contrainte (après le désengagement ) de retourner dans la bande de Gaza. »

La vision générale : « Nous sommes une société en guerre. Notre épée doit rester dégainée. Chaque jour elle doit être prête à servir. Une société en guerre. Sans illusions. Sans la fausse croyance que nous allons trouver une solution, d’une façon ou d’une autre. Non, rien ne sera résolu. »

A quoi tout cela nous fait-il penser ? C’est une copie presque conforme du fameux discours de Moshe Dayan sur la tombe de Roi Rotenberg. Moshe Yaalon était encore un bébé à cette époque. Comme la monarchie des Bourbon, il n’a rien oublié et rien appris.

On peut considérer ce discours avec cynisme. Yaalon est rempli de ressentiment contre Ariel Sharon et Shaul Mofaz, les deux personnes qui l’ont renvoyé de son poste au bout de trois ans à peine au lieu de lui laisser la quatrième année habituelle.

Comme le retrait de Gaza est le bébé de Sharon et Mofaz, Yaalon essaie de le torpiller.

Mais pourquoi s’arrêter là ? On pourrait affirmer avec cynisme que Yaalon exprime les points de vue du haut commandement de l’armée, et l’armée n’a aucun intérêt à la paix. Aucune organisation humaine ne cherche à devenir superflue. Au contraire, elle aspire à créer des circonstances qui la rendent encore plus nécessaire. Donc, le sommet de la hiérarchie militaire n’est pas réellement intéressé à une solution pacifique.

C’est confirmé par le fait que, après la publication de ses déclarations, le jour où Yaalon a quitté ses fonctions, ce dernier a reçu une énorme quantité de témoignages de soutien et d’affection de la part de ses collègues. Personne ne l’a contredit, même de façon anonyme.

Pourtant, l’approche cynique ne permet pas une totale compréhension du phénomène. Celui-ci va au-delà des intérêts personnels.

L’armée forme à la guerre et ne pense qu’en termes de guerre. Un vrai général ne peut même pas s’imaginer en état de paix. Pendant de nombreuses années, aucun général israélien important (à l’exception notable de Amram Mitzna et Ami Ayalon) n’a fait de déclaration de laquelle on pourrait déduire qu’il croit vraiment à la paix.

Cela pour deux raisons :

Premièrement, parce que Yaalon représente un groupe d’élite qui a une énorme influence sur la société israélienne. Avec ses centaines de généraux à la retraite, le « parti des généraux » contrôle presque toutes les positions-clés, politiques et économiques, du pays. Depuis le gouvernement, le conseil des ministres et les partis politiques jusqu’aux plus importantes entreprises publiques et privées.

Deuxièmement, parce que le chef d’état-major, le chef du Mossad et le chef des services de sécurité assistent aux réunions du conseil des ministres et que leurs évaluations politiques dictent pratiquement les mesures gouvernementales. Les points de vue du chef d’état-major ne relèvent pas du privé - ils ont un énorme impact sur la conduite de l’Etat.

Pendant trois ans, Yaalon a été le chef de l’armée israélienne. Pendant cette période, la Cisjordanie a été couverte de plus d’une centaine d’« avant-postes » de colonies. Un des fondateurs de ces avant-postes témoigne, dans la série télévisée de Haim Yavim, que tous ces avant-postes ont été installés selon les directives de l’armée, suivant un plan militaire destiné à couper la Cisjordanie en rubans et par conséquent empêcher l’établissement d’un Etat palestinien. Les déclarations de Yaalon traduisent l’arrière-plan idéologique de cette façon de procéder.

Quand le chef d’état-major croit que la paix est impossible, maintenant et dans l’avenir, tous ses avis au gouvernement - avis ayant force de directives - sont empreints de cette croyance.

Les affirmations de Yaalon conduisent à la conclusion qu’il n’y a pas - et qu’il ne peut y avoir - de partenaire palestinien. De ce point de vue, il y a accord total entre le général Yaalon, le général Ehoud Barak et le général Sharon. Abou Mazen, qui conspire pour ramener quatre millions de réfugiés palestiniens dans leurs anciennes maisons et leurs anciens villages, n’est certainement pas un partenaire. Conclusion : le désengagement doit être unilatéral comme Sharon l’a décidé. Autre conclusion : il n’y a pas de place pour un processus politique après le désengagement, puisque les Palestiniens en veulent « plus et toujours plus ».

Paix ? Ne faites pas rire Bogy. Ni Ehoud. Ni Arik.

Depuis plusieurs semaines maintenant, Yaalon fait un tour d’adieu qu’il a lui-même organisé. Il s’est rendu d’un poste de commandement à l’autre, d’un camp à l’autre, et partout il s’est fait photographier sous tous les angles, toujours coiffé du casque, chaussé des bottes et le fusil à l’épaule. Plutôt pathétique.

Ses subordonnés et ses collègues l’ont adulé comme un des grands Capitaines de l’Histoire, l’homme qui a « vaincu le terrorisme ».

En réalité bien sûr, Yaalon était un très petit capitaine. Au mieux l’armée israélienne a fini la « guerre » par un match nul. Elle n’a pas trouvé de réponse aux obus de mortiers et aux fusées Kassam. Elle a été obligée d’accepter un cessez-le feu non officiel qu’elle ne souhaitait pas. Dans une confrontation entre une armée puissante et de petits organisations clandestines, un match nul est un gros échec pour le chef d’état-major. Au bout du compte, il a échoué comme tous ses prédécesseurs, et son successeur échouera également. Comme tous les généraux du monde ont échoué dans des situations semblables.

Ainsi que le montrent ces dernières remarques, Yaalon est quelqu’un de plutôt limité, d’une intelligence moyenne et aux points de vue tout à fait primaires. Dans ses déclarations, on trouve tous les stéréotypes et tous les mythes de 120 ans de sionisme. Il n’y a pas un gramme de pensée personnelle.

Et c’est ce qui est le plus déprimant.

Quand ils sont en poste, les dirigeants de notre armée sont protégés de toute critique. Ils sont entourés d’un bouclier protecteur de « correspondants militaires » et de « porte-parole » à la botte dont le devoir est de mentir. Ils apparaissent toujours omniscients, dotés d’un superbe esprit d’analyse, dévoués corps et âme à la sécurité et à l’avenir de l’Etat sans autre préoccupation.

Quand ils quittent l’uniforme et perdent leur aura militaire, ils réapparaissent comme des gens tout à fait différents. Revenus dans le civil, les anciens chefs de l’armée, du Mossad et des services de sécurité se montrent comme des gens quelconques, la plupart d’entre eux médiocres, quelques-uns ans plutôt moins que médiocres. Occasionnellement l’un d’eux a été d’un calibre supérieur, mais la plupart étaient vraiment bêtes, et peut-être perturbés. Il est effrayant de penser que de telles personnes ont conduit l’Etat et ont été responsables de questions de vie et de mort.

Ce qui est encore plus effrayant, c’est que Yaalon ressemble à un ange comparé à son successeur.

Article publié en hébreu et en anglais le 4 mai 2005 sur le site de Gush Shalom. Traduit de l’anglais « The Bogyman » : RM/SW



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