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Récit vécu d'un génocide animal

katherine, Monday, April 18, 2005 - 09:23

Michel Vandenbosch

Le massacre des phoques au Canada

Totalement effaré, je descends de l'hélicoptère qui vient juste d'atterrir à l'aéroport de Charlottetown. Cela me prend un certain temps avant de réaliser que je suis à nouveau dans le monde réel. Telles des diapositives projetées dans mon esprit, la scène d'horreur me poursuit encore de longues minutes. Ai-je réellement vu ce que j'ai vu ? Trois quarts d'heure plus tard, tout semble encore si irréel. Comme si j'avais été catapulté sur une autre planète. Je sens mes pieds toucher la terre ferme. Mais mon esprit est resté sur la banquise affreusement souillée du nord du Canada.

C'est le tout premier jour où je suis témoin du massacre de ces créatures totalement sans défense. J'ai vu des barbares sans coeur s'en prendre à nouveau à des victimes innocentes, de jeunes animaux âgés de deux à douze semaines. A chaque fois, une petite bande d'hercules arrogants est ressortie impunie malgré ces cruautés inhumaines, profitant et jouissant ainsi de sa toute-puissance sans limite. Les douleurs ou angoisses de leurs jeunes victimes les laissent totalement de marbre. Les animaux n'ont aucune chance. La chasse irrationnelle de centaines de milliers de jeunes phoques du Groenland (phoques à selle) est à nouveau lancée, avec son cortège d'ignominies. Durant cinq jours, j'ai été témoin du mépris affiché pour la vie de ces animaux. Barbarie perpétrée avec la complicité impardonnable des autorités canadiennes. Il y a 20 ans, on pensait cette folie révolue. Ce sont les autorités canadiennes qui ont maintenu artificiellement en place la chasse aux phoques et lui ont donné un nouvel élan. C'est près d'un million de phoques qui risquent, en trois ans, d'être massacrés. Les animaux de moins de 12 jours, les célèbres phoques à fourrure blanche, sont officiellement épargnés. Provisoirement. Ils disposent de quelques jours de sursis, jusqu'à ce que leur duvet couleur neige se mue en différentes teintes de gris. C'est ce que veut le gouvernement canadien. Soi-disant pour empêcher la venue d'un trop grand nombre de phoques, mais en fait pour des raisons providentielles d'ordre purement politique, plus précisément pour conserver le folklore intact . Les empereurs romains avaient déjà tout compris : donnez du sang et de l'action au peuple. De cette façon, vous détournez son attention des problèmes réels. Il n'y a plus de poissons à cause de la surpêche et de la politique de tolérance menée par le gouvernement? Désignez le phoque comme bouc émissaire, répétez le mythe aussi longtemps et souvent que possible, jusqu'à ce que tout le Canada en soit convaincu. Ce que j'ai vu se produire en cette année 2004, sur l'invitation de l'IFAW (International Fund for Animal Welfare) ou Fonds International pour le Bien-Etre Animal, restera à jamais gravé dans ma mémoire. C'est le récit de mon voyage vers un paradis de tranquillité et de silence, que j'ai vu en un rien de temps se transformer en enfer, l'enfer des phoques.

Les premières traces de cruauté. 1er jour, mercredi, 24 mars, Charlottetown, Prince Edwards Island, Nord Canada.
Il est 07h30 du matin et je tourne en rond dans le foyer de George Inns. Je me suis éveillé à chaque heure de la nuit. Ca ne tient certainement pas à ma chambre d'hôtel. Celle-ci ressemble à un morceau de décor rustique directement tiré du légendaire classique hollywoodien " Autant en emporte le vent " Il n'y a vraiment aucune raison de s'angoisser car la chasse n'a pas encore débuté. C'est ce que l'équipe de l'IFAW nous a dit. Au programme du jour, il est prévu de faire connaissance avec des phoques heureux. Il est temps maintenant de prendre tranquillement son petit déjeuner. Mais le programme change soudain. La chasse vient tout de même de débuter. Une surprise plus que désagréable. Je m'étais déjà préparé mentalement à rencontrer des phoques, qui mènent une existence tranquille sur la banquise. Avant de partir, nous devons tout d'abord demander une autorisation auprès de Roger Simon, un employé de DFO le Ministère des Pêches et des Océans. Sans cette autorisation, nous ne pouvons nous rendre sur la banquise. Notre rendez-vous est à 09h00. Le jour précédent, le sénateur Jean-Marie Dedecker, la député Magda De Meyer et d'autres hôtes belges ont dû attendre cinq heures pour obtenir leur autorisation. Ca promet. Nous sommes trois, un journaliste du Vif Express, Günther Pauls de l'IFAW à Bruxelles et moi-même. Un par un, nous sommes interrogés. Nous sommes tout de suite prévenus : Simon se montrera aimable avec nous mais il défend la chasse bec et ongles. Selon lui, elle se déroulait d'une manière plus humaine. Contre toute attente, le rendez-vous se déroule exceptionnellement vite. Je passe en dernier lieu. 'Quelle est la raison de votre présence ici?' 'Je viens regarder la chasse aux phoques.' 'Vous ne pouvez en aucun cas empêcher la chasse et vous devez toujours vous tenir à une distance de dix mètres d'un chasseur, sinon nous vous retirons immédiatement votre autorisation, avez-vous bien compris cela ? Je fais un signe de tête. 'Comment se fait-il qu'il y ait autant de Belges cette année?' me demande encore Simon, comme si de rien n'était. 'Etrange, non?' Je souris. 'OK,' dit l'employé, 'vous pouvez y aller'. Tout s'est déroulé sans histoire. Le Ministère est d'humeur généreuse. La discussion de groupe obligatoire n'a même plus lieu d'être. Jusqu'ici tout va bien. Vers 11h00, deux hélicoptères pleins à craquer décollent de l'aéroport de Charlottetown. Via le casque d'écoute, j'entends les conversations entre les pilotes et la tour de contrôle. Plus tard, plus personne ne dira mot. La tension est à son comble. J'essaie de me préparer mentalement à ce qui nous attend. Nous volons au-dessus des forêts de conifères, qui alternent avec les paysages lisses enneigés. Nous atteignons la banquise. Je suis complètement ébloui : devant moi des tapis blancs immaculés et infinis recouvrent l'eau du Golfe du Saint-Laurent. Un paysage à vous couper le souffle. Tout d'un coup, mon regard s'arrête sur un premier phoque. Et plus loin encore un. Et encore deux, trois. Vus du ciel, les animaux ressemblent à de petits vers de terre. Rebecca Arthworth, l'opiniâtre responsable de campagne de l'IFAW, nous indique un bateau qui fend lentement la glace. Le premier choc ne se fait pas longtemps attendre. De grandes tâches rouges avec des petits points noirs souillent la banquise jusqu'ici vièrge qui, en cette période de l'année, sert de maternité aux phoques à selle et dans une moindre mesure aux phoques à capuchon. Les taches deviennent de plus en plus nombreuses. Au fur et à mesure que l'hélicoptère descend, elles deviennent de plus en plus grandes. Du ciel, les longues taches rouges contrastent avec la blancheur de la banquise. Ce sont les premières traces visibles de cruauté, qui, dans toute leur abomination, me glacent le sang. Après que les deux hélicoptères aient atterri sur la glace, tous les passagers se dirigent alors vers le terrible massacre en cours.

Juste après l'atterrissage des deux hélicoptères, nous avançons irrémédiablement vers les lieux où les massacres ont été commis. Sur place, on ne peut faire autrement que de marcher dans le sang. Attention, la glace est trompeuse. Avant qu'on ne s'en rende compte, on s'y enfonce. Un ingénieur du son effrayé de la VRT l'a subi bien malgré lui. Mouillé jusqu'à la taille, il est parvenu tant bien que mal à se dégager. Au loin, je peut déjà distinguer le premier barbare en action. Des deux mains, il lève en l'air son arme meutrière. Le hakapik, une matraque d'environ un mètre cinquante, avec à son extrêmité en métal un clou à tête plate courbé d'au moins 14 cm de longueur. Avec cet engin, il frappe de façon impitoyable. Arrivé à sa hauteur, on voit sa petite victime écorchée, étendue dans une grande flaque de sang. Ses grands yeux noirs de jais semblent me fixer. Hallucinant. A peine deux cents mètres plus loin, près d'un petit monticule de glace, je vois un jeune phoque dormant paisiblement au soleil, ne se doutant de rien. Deux cents mètres, la distance entre la vie et la mort. Pour un tueur de phoques, cette distance ne représente rien. Trois chasseurs empilent leur butin: les peaux si recherchées de jeunes victimes de trois semaines à peine, dégoulinantes de sang. Nous voyons un bateau approcher qui vient embarquer le tout. Le vaisseau porte un nom, mais quel nom: War Lord ou Seigneur de Guerre. Le Seigneur de service, le capitaine, daigne, à sa demande personnelle, nous accorder une interview. "Approchez-vous donc", qu'il nous somme. Nous restons à une distance de dix mètres. Nous connaissons ce petit jeu, les chasseurs essayent que les gens de l'IFAW s'approchent de plus près, pour ensuite porter plainte contre eux. Le journaliste de la VRT pose une question dans le but de briser la glace. Sur quoi Jean-Marie Dedecker ajoute: "Ce que vous faites, n'est pas de la chasse, mais du meurtre de bébés". Et je lance: "Vous devez maintenant m'expliquer quel plaisir vous ressentez à ce genre de cruautés". "Ces foutues bêtes mangent tout notre poisson", réplique le Seigneur d'un ton méprisant. Pour lui, c'est la guerre, et le phoque est son ennemi. "Balivernes", réplique Jean-Marie à juste titre. Je lance au visage du Seigneur: "Nous nous trouvons en plein centre de vos cruautés. Etes-vous conscients que ces animaux éprouvent des sentiments?" Le Seigneur nous débite son ignorance: "Ils ont peut-être des sentiments, mais ils n'éprouvent aucune douleur. Un biologiste me l'a dit. Et vous, que faites-vous alors? En tournant avec vos hélicoptères, ces animaux sont morts de frousse". Ce fut son dernier argument. Ces dernières paroles avant qu'il ne se retire: "Si vous voulez voir du sang, allez en Irak". Pour Magda De Meyer, s'en fut trop. Hier, des phoques se prélassant au soleil ont apprécié ses caresses en toute quiétude. Elle ressentit un sentiment intense de solidarité avec un animal qui éveillait notre empathie. Maintenant, elle pleure tout en se penchant sur un jeune phoque écorché. Innocence paisible de l'animal violée par une violence brute inhumaine. Entre ses larmes, elle répéta doucement à plusieurs reprises: "Comment une chose pareille est-elle possible ? C'est pas humain, comment peut-on tolérer une telle chose?". Je pose un bras pour la consoler. De retour aux hélicoptères, nous nous mettons en rond et nous nous tenons par la main. Pour observer ensemble quelques instants de silence. Par respect pour ces animaux, à peine nés et à qui on ôte vie et dignité d'une manière exceptionnellement atroce.

Deuxième vol dans l'après-midi. Cette fois-ci, une équipe de tournage mexicaine nous accompagne. Un hélicoptère garde-côte nous suit de près depuis un bon bout de temps. Nous atterrissons à un endroit où, à une centaine de mètres plus loin, près d'un autre amoncellement de glace, deux ou trois hakapiks se soulèvent et s'abattent sur leurs victimes. En ordre dispersé, des petits groupes de chasseurs s'acharnent sans arrêt sur leurs ennemis absolument sans défense qu'ils méprisent. Les perches ne servent "normalement" qu'à traîner les animaux. Mais aucun garde-côte ne bronche si les 'gaffes' autrefois interdites servent d'arme meurtrière, comme j'ai pu le constater à maintes reprises. A leurs yeux, les phoques ne sont pas chassés, ils sont 'pêchés'. On aiguise les couteaux et les pauvres bêtes sont écorchées vives. Je m'approche à dix mètres de deux chasseurs. Je vois l'un d'eux frapper plusieurs fois un jeune animal. Le petit phoque en sang vit encore. Le bourreau enserre entre ses jambes, comme dans un étau, le pauvre animal agonisant et lui ouvre le ventre sans broncher. A ce qu'il paraît, le 'spécialiste' s'acquitte de sa corvée en vingt-huit secondes, tandis que ce bricoleur y met plusieurs minutes. Jean-Marie Dedecker le regarde comme un chien battu, sans en croire ses yeux. "Arrêtez de filmer", nous lance tout à coup l'autre chasseur. "Je vous dis, arrêtez de filmer", qu'il nous crie. Pour renforcer son ordre, il l'accompagne d'injures et de menaces. Personne n'en tient compte. On continue à filmer. L'excité chuchote alors quelque chose à l'adresse du gafouilleur, après quoi ils s'arrêtent! Ils font demi-tour et se dirigent vers leur bateau. A quelques mètres d'un de ces innombrables bains de sang, un jeune phoque a échappé au massacre. Je m'en approche lentement et m'assois avec précaution à côté de lui. Ses grands yeux, tout noirs et humides, me regardent d'un air hébété. Je lui chuchote: "Doucement, petit, du calme, n'aie pas peur, il est parti" . Je le touche, juste un rien. "J'espère du fond du coeur que tu survivras. Je te promets que je ferai pour vous tout ce qu'il me sera possible de faire. Désolé de ne pas pouvoir faire plus pour toi. Pardonne-moi d'être un humain..."

J'essaye de me consoler avec l'idée que notre présence ici a fait cesser au moins un massacre, même si c'est de manière provisoire. Mais que nous arrive-t-il? Le garde-côte a atterri. Ils viennent vérifier nos autorisations. Ah oui, ces autorisations ont un prix: pour être témoin d'un massacre, cela coûte 25 dollars, et pour tuer un phoque, à peine 5 dollars. En théorie, il est important de savoir comment. Selon les autorités canadiennes, chaque phoque chassé doit être mort immédiatement après avoir reçu un coup bien visé sur la fontanelle. Le test des yeux doit apporter la preuve du décès. Si on touche l'oeil et qu'il ne réagit pas, on est certain que l'animal est mort. Je n'ai jamais vu faire ce test par les chasseurs. Et maintenant, les gardes-côte viennent nous contrôler, alors que les bourreaux agissent impunément. C'est franchement un comble! " Je viens de Belgique et j'ai emmené avec moi ces deux parlementaires ", lance-je à la tête de Dupont et Dupond. " Chez nous, en Belgique, les gens pensent que le Canada est un des pays les plus civilisés du monde. Mais après ce que nous avons vu ici comme actes de barbarie, je peux vous assurer que les Belges vont changer d'avis. Nous nous faisons contrôler alors que ces bouchers, là-bas, vous les laissez faire. C'est tout bonnement scandaleux. " " Je ne peux pas faire de commentaire là-dessus, Monsieur ", répond Dupond. " J'exécute les ordres qui m'ont été donnés. C'est à Ottawa que ces choses se décident. " " Peut-être, mais il n'y a pas de ministre ici en ce moment. Vous représentez les autorités, et donc c'est à vous que je dis ce que je pense de ce foutoir. Vous n'avez qu'à transmettre le message à vos supérieurs. " Ouf, ça fait du bien.

" We are the champions " : la crapule en action. Jour 2, jeudi 25 mars, début d'après-midi.
Ce matin, Magda et Jean-Marie ont été témoins d'une scène d'une cruauté absolument sordide. Des dizaines de jeunes phoques ont été simultanément réduits, au moyen du hakapik ou du crochet, à l'état de misérables choses se débattant en tous sens. Tout en frappant, la crapule chantait à tue-tête " We are the champions ". Au-dessus des étendues glacées de l'Est du Canada, dans l'Océan Atlantique, quelque part entre l'île du Prince-édouard et les îles de la Madeleine, un hélicoptère sillonne le ciel. Les bateaux n'ont pas encore repéré les grands troupeaux de phoques. En attendant, ils tuent à peu près tous les animaux isolés et les petits groupes qui croisent leur chemin. Nous survolons à basse altitude un bateau amarré. De là-haut, je vois un chasseur qui, le poing serré, nous fait un signe du genre " allez vous faire voir ", la main droite dans le pli de son bras gauche tendu. Un geste un rien plus sympathique que le majeur tendu auquel nous avons quelques fois eu droit. Un peu plus loin, j'aperçois un spécimen inquiétant d'Homo sapiens sauter d'un jeune phoque à l'autre. Le hakapik s'élève et s'abat à la vitesse de l'éclair. L'individu sautant en tue sept ainsi (il semble du moins qu'ils soient morts, et, vu les circonstances, il faut l'espérer). Lorsque nous arrivons près de lui, il vient de liquider sa dernière victime en date. Le petit animal paraît raide mort. Il l'écorche. " Vous voulez ceci ? ", crie le prédateur, en nous jetant ce qui reste du phoque à la tête. Le sang gicle tout autour. Il repère une autre victime et se précipite sur elle. Ce phoque-là a moins de " chance ". Le crochet s'enfonce avec violence dans son corps. L'animal n'est pas mort et gigote en tous sens. Le prédateur met son pied sur la queue pour maîtriser sa proie. Puis il traîne le jeune phoque derrière lui, à l'aide du crochet ; l'animal, qui ne cesse de remuer, laisse une trace de sang sur des dizaines de mètres. Il est quasiment mort lorsque l'on sort le couteau.

Un génocide animal. Jour 3, vendredi matin, 26 mars
Les scooters partent vers la glace et s'éloignent du bateau. Plus un phoque vivant à l'horizon. Un groupe de tueurs a déjà " nettoyé " toute la zone qui s'étend à perte de vue. Ils s'en vont en nous faisant signe de la main et en riant de nous. Barry, notre pilote, a repéré quelque chose. Nous nous approchons, et les petits points noirs grossissent au fur et à mesure. On comprend vite de quoi il s'agit : un charnier. Des dizaines de cadavres de phoques entassés flottent dans une mare de sang qui, en se mêlant à la glace, coagule çà et là en une boue crasseuse. Rebecca attire notre attention sur un jeune phoque écorché. L'œil droit pend hors de l'orbite. Manifestement le fait d'un crochet, et manifestement pas tué instantanément, d'un seul coup sur la fontanelle, et encore moins " avec humanité ", comme le préconisent les autorités canadiennes. Je me mets à genoux. Mon corps vacille. Un instant, je manque de perdre l'équilibre. Je sens monter les larmes, essaie de les retenir et m'abandonne finalement à mes émotions. Comment les gens peuvent-ils tomber aussi bas ? Quels monstres sont capables de faire une chose pareille ? C'est un véritable génocide animal. Je rassemble tout mon courage et pousse un profond soupir. Mon regard tombe alors sur un paquet de chewing-gum vide, froissé, juste à côté d'une queue coupée. Quoi de plus banal ? Le prédateur-guerrier venu des confins de la société de consommation jette ses détritus juste à côté des restes de ce qui fut un petit être vivant sensible, et qu'il laisse derrière lui avec indifférence, comme un déchet. Cela témoigne d'un incroyable manque de respect pour un environnement naturel d'une beauté que l'homme doit préserver. Jean-Marie Dedecker ne dit rien. Il n'y a pas de mots pour décrire tout cela. Je dis à Rebecca que, dès notre retour en Belgique, nous nous adresserons aux trois ministres compétents, puis au Parlement européen. Il faut mettre un terme à cette barbarie. " Thank you, Michel, thank you so much ", dit-elle. Elle me serre fort dans ses bras. Une étreinte comme une ode aux sentiments humains, ou ce qu'il en reste.

Le soir, nous écoutons le professeur David Lavigne, une autorité scientifique reconnue dans le monde entier dans le domaine de la biologie marine, parler des mesures de conservation et du comportement des phoques. Il est venu spécialement de Toronto en avion afin de répondre à nos questions. Cela fait quarante ans que le professeur Lavigne étudie ces animaux, et il réfute totalement la politique des autorités canadiennes en matière de phoques. Le cabillaud ne constitue que 3 % du régime alimentaire de ces animaux. La disparition des cabillauds est due au fait que le Canada a autorisé une pêche extensive de ce poisson. Et c'est le phoque que l'on accuse aujourd'hui des conséquences d'une politique désastreuse. Les autorités canadiennes calculent leur quota de chasse sur la base d'un modèle obsolète, à l'aide de mauvaises données scientifiques. Personne ne sait vraiment à combien d'individus s'élève la population des phoques. Plus celle-ci se réduit, plus certaines espèces dont le phoque se nourrit et qui consomment elles-mêmes de le cabillaud s'attaqueront à leur tour à ce poisson déjà fortement malmené. Mais il y a encore d'autres incertitudes. L'écosystème de la région est un réseau d'innombrables relations prédateur-proie extrêmement complexes. C'est une erreur que d'isoler une espèce des autres. Par ailleurs, comme la glace fond toujours plus vite, de plus en plus de phoques se noient avant d'avoir obtenu leur brevet de natation. Combien meurent de cette manière, personne ne le sait non plus.

Méfiez-vous de Atilla the Hunter. Jour 4, samedi 27 mars
Ma profonde tristesse se transforme en colère quand je vois un trio de sadiques à l'œuvre. Un gars très robuste atteint des sommets de cruauté. Je l'appelle Atilla the Hunter. Il soulève le hakapik, et bas de toutes ses forces un bébé phoque, une, deux, trois fois, droit dans la face de l'animal. Je vois le sang gicler de sa mâchoire. Atilla ne jette pas un regard sur sa victime et se repose. Puis il se retourne et à nouveau se met à frapper, une, deux, trois fois. Et le bébé n'est toujours pas mort. En tirant et en se débattant, l'animal perd son combat contre la mort, c'est sûr. Mais quand? Atilla reprend envie. Encore un coup par ici, et encore un coup par là. A dix mètres de là, un autre bébé phoque est gisant sur la glace, battu jusqu'à en perdre conscience. Le sang suinte de sa mâchoire. Je sens la colère qui monte en moi. Je dois me contrôler, sinon les gens de IFAW vont avoir de gros problèmes. Je dois quand même faire quelque chose. Je m'avance vers trois phoques. Prudemment, car je dois traverser un endroit où la glace semble moins épaisse. Je m'assieds , exactement entre les bourreaux et très probablement quelques unes de leurs prochaines victimes. Les bourreaux se regardent, puis me regardent. Atilla a compris le message. Il prend un morceau de nageoire et le lance vers ma tête. Puis ils s'avancent vers moi. 'Reculez, Michel,' me crie quelqu'un de IFAW, 'reculez'. Je n'ai pas le choix. Je cède à contre-coeur. Atilla et sa bande marchent autour de moi et de mes protégés. Ils s'avancent tous droit vers une autre famille de phoques, qu'ils abattent et écorchent sur place. Un petit phoque caché derrière un glaçon a tout vu. De temps en temps il vient regarder. Et puis il se passe une chose qui m'a fortement impressionné. Le bébé phoque commence une attaque. Non vous ne rêvez pas. La gueule ouverte il se déplace et s'approche du grand Atila. Je l'entends gronder. Quelques secondes passent avant que Atilla ne se réalise d'ou vient ce bruit. Et puis il se retourne. Le petit phoque ne cède pas. Petit, ceci devient ta mort. Atilla laisse son hakapik, prend son couteau et le déplace de gauche à droite le long de sa propre gorge par un geste sadique. Je me dis : " Maintenant, ce CENSURE va tuer le petit animal. " Le petit phoque recule un peu, puis s'avance à nouveau. Il continue à gronder. Atilla se penche en avant, et ouvre et ferme sa main comme un bec de canard, tout près du petit phoque. 'La ferme, toi', veut-il faire comprendre. Ceci met notre petit phoque encore plus en colère. Cela ne peut pas durer. Je crains qu'il ait signé son arrêt de mort depuis longtemps. Je m'attends à ce que Atilla le laisse encore un peu continuer pour l'achever ensuite. Mais cela ne se passe pas comme prévu. Atilla, qui se prend pour Dieu, gracie le petit phoque. Par pitié? Je ne le pense pas. Simplement pour montrer sa puissance absolue. Atilla a droit de vie et mort. Cela doit lui donner un sentiment d'immense pouvoir. Notre petit phoque a fait connaissance avec la race humaine. Chaque fois qu'un être humain l'approche, il gronde, également vers nous. Je le comprends. La glace ne prend pas la couleur rouge cette fois, mais jaune. Notre petit phoque doit uriner à cause de toute cette tension traumatisante. Chapeau pour cette démonstration de courage intrépide. La vie appartient à ceux qui osent.

Ce n'est pas vrai! Les voilà à nouveau : la garde côtière. Maintenant il y a un policier qui les accompagne. Il paraît qu'un chasseur s'est plaint de nous, de façon informelle. Notre hélicoptère aurait survolé leur bateau de trop près. Et tous les phoques auraient sauté à l'eau… 'No comment', c'est leur réponse à ma réaction, quand je dis qu'ils doivent disposer de beaucoup de temps pour s'occuper de ceci, alors qu'Atilla the Hunter et ses copains sadiques peuvent s'amuser librement. Quelques heures après, l'autre équipe fait un compte rendu concernant des chasseurs qui ont torturé des bébés phoques. Ils ne les tuent même pas. Ils les laissent simplement crever. Leur agonie a duré prè d'une heure. Et la garde côtière? No comment…

Après mon retour à l'hôtel, je visite les rues commerçantes de Charlottetown. Quelque chose me frappe. Il existe des animaux en peluche, ou autres imitations de toutes sortes. Même des homards ! Mais aucun phoque, nulle part. Sauf dans un vieux magasin poussiéreux qui vend de très vieux biblots. Là je vois une statuette d'ours blanc souriant, qui tient sa patte avant sur sa proie, un phoque mort. Les phoques sont tabou à Charlottetown. On agit comme s'ils n'existaient pas et comme s'il n'y avait pas de chasse. Je suis soudain désorienté. Un habitant gentil m'indique le chemin vers mon hôtel. Il m'y emmène même personnellement. L'homme parle de choses et d'autres. 'Eh bien, belle région, n'est-ce pas?' 'Certainement, sauf la chasse aux phoques'. L'homme se tait immédiatement. J'essaie: 'Que pensez-vous de cette chasse?' 'Ils mangent tous les poissons.' 'Pourtant un expert m'a dit le contraire hier.' 'Vraiment?' 'Et puis il y a la cruauté.' 'Oh, mais là je suis d'accord avec vous. Je suis aussi contre cette façon de chasser.'

Mon ami Jimmie. Jour 5, dimanche, 28 mars, dernier jour sur la glace.
Nous survolons une zone où des centaines de bébés phoques se reposent paisiblement au soleil. Les chasseurs ne les ont pas encore trouvés. Je crains que cela ne tarde. Devant nous, nous voyons les îles de la Madeleine. Nous atterrissons sur la glace, pas loin d'un hélicoptère de chasseurs, qui fait la navette entre des groupes de phoques abbatus. Les animaux sont écorchés sur la glace et hissés à bord d'un bateau à l'aide d'un palan. J'avais décidé de ne plus accompagner, j'en avais assez vu. C'est Rebecca qui m'a demandé de venir. Je n'avais pas envie de rester seul à l'hôtel. Le vent froid souffle fort. La glace bouge. Quand on regarde au loin, on voit la glace qui monte et descend. L'océan Atlantique s'est réveillé. Je vois un phoque et je m'approche de lui. Il est étendu sur le dos. Il ferme les yeux en se blotissant au soleil. Je me couche prudemment à côté de lui. Il ne réagit pas. Je touche gentiment son ventre. Je caresse doucement sa fourrure chaude. Il fait de grands yeux puis referme ses paupières. Il se laisse faire avec plaisir. Le bonheur de ce phoque est communicatif. Je lui tiens la nageoire pendant un court moment, comme pour lui serrer la main. Ce qui était une patte chez ses ancêtres il y a des millions d'années, s'allonge contre son corps. Presque immédiatement il me retend sa nageoire. Puis il se soulève un peu et se recouche sur le côté. Ses yeux irrésistibles sont maintenant grand ouverts, il a le regard curieux. Il se redresse ensuite complètement sur le ventre et se dirige en direction … des chasseurs! Chose à ne pas faire! Je me place devant lui et avec des mouvement des bras je lui montre qu'il doit faire demi-tour. Il s'arrête, puis heureusement fait ce que je lui demande. Je le vois disparaître derrière un glaçon, lentement. J'ai un nouvel ami et je l'appelle Jimmie, le phoque. Est-ce qu'il survivra? Merci, Jimmie, pour avoir partagé avec moi ton bonheur naturel durant un moment. Adieu, bonne chance, good luck.

La glace se brise sans bruit. En très peu de temps des ruisseaux de plus en plus larges se forment entre les morceaux blancs. Il est temps de retourner. La situation devient dangereuse. Je me dirige vers l'hélicoptère et je franchis quelques crevasses en sautant. Mais les crevasses deviennent bientôt trop larges. Rebecca et moi sommes entourés d'eau. Pas de panique. Les hélicoptères montent. Il faut être prudent car une vague forte qui soulève la glace peut faire basculer un hélicoptère et le faire couler. Barry vient nous chercher. Nous courons vers l'hélicoptère en nous courbant, pendant que les hélices tournent. La porte s'ouvre, nous entrons et nous montons immédiatement.
A l'aéroport, nous nous disons adieu. Rebecca me remercie. Je lui souhaite bonne chance. L'équipe de IFAW me manquera.

Quelques heures plus tard. L'avion monte en direction de Montreal. Je pense à Jimmie, l'ami que je laisse derrière moi. A Montreal je trouve ce que je cherche : des phoques en peluche et autres imitations. Je suis finalement de retour dans un monde plus normal.

www.gaia.be/fr/


Subject: 
"génocide"!... et puis quoi encore?
Author: 
Bouddheur
Date: 
Tue, 2005-04-19 10:02

Ça me rappelle les Raëliens qui dénonçaient le "racisme anti-sectes"... Galvaudage, surenchère et industrie de l'attendrissement pour citadins européens très partiellement (et partisanement) informés, n'ayant souvent jamais vu autre chose que des pigeons et écureuils chez eux, et qui souvent ne pensent qu'à voir des amérindiens à plumes et tomahawk quand ils viennent ici (ces touristes-là, j'en ai rencontré plus que ma part).

Pour le reste, histoire de ne pas me répéter, voir à l'adresse suivante les commentaires relatifs au texte précédent de la rubrique Spécisme, qui traite du même dossier.

http://www.cmaq.net/fr/node/20663#comment


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