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Bref retour sur la grève étudiante

christianb, Thursday, April 14, 2005 - 13:02

Les Éditions Rouge et Noire

 
La grève étudiante vit présentement son dernier souffle avec les dernières associations membres de la Coalition de l’association pour une solidarité syndicale étudiante élargie (CASSÉE) en débrayage. Depuis au moins un an, la grogne couvait dans les milieux étudiants. En février 2005, une grève étudiante qui, au départ, semblait n`être qu`une simple étincelle a mis le feu au cul du gouvernement. Si elle semble s`estomper pour le moment, cette grève n’en a pas moins constitué un moment fort révélateur de la société québécoise, du rôle et des positions des acteurs et mouvements sociaux, ainsi que de la signification que prend (ou qu`on donne) à cette brisure du quotidien que représente la grève.
Photo par BadAcid

La grève étudiante vit présentement son dernier souffle avec les dernières associations membres de la Coalition de l’association pour une solidarité syndicale étudiante élargie (CASSÉE) en débrayage. Depuis au moins un an, la grogne couvait dans les milieux étudiants. En février 2005, une grève étudiante qui, au départ, semblait n`être qu`une simple étincelle a mis le feu au cul du gouvernement. Si elle semble s`estomper pour le moment, cette grève n’en a pas moins constitué un moment fort révélateur de la société québécoise, du rôle et des positions des acteurs et mouvements sociaux, ainsi que de la signification que prend (ou qu`on donne) à cette brisure du quotidien que représente la grève.

La grève étudiante comme analyseur

Tout n’a pas été dit sur la grève étudiante actuelle. Et tout ne sera certainement pas dit plus tard. Pour l’immédiat, retenons que le moyen choisi par les organisations étudiantes, la grève, reçoit une appréciation bien ambiguë en regard de son caractère historique dans le contexte du capitalisme. En effet, la grève signifie sommairement la perturbation voire la paralysie de l’entreprise ou de l’institution. Que ce soit partielle ou totale, inscrite dans le temps ou illimitée, la grève signifie que l’entreprise ou l’institution cesse son activité normale. Dans le cadre du mouvement étudiant, la cessation des cours est une étape comme l’est la fermeture complète de l’établissement. Ce qui signifie que, virtuellement, l’ensemble des activités directes et connexes sont paralysées.

À l’instar donc des syndicats ouvriers et de la fonction publique, la grève étudiante développe une stratégie qui contrarie les institutions économiques, sociales et politiques qui contrôlent les leviers de la résolution des problèmes soulevés. Dans le cas présent, l’État sera la cible directe et indirecte des stratégies de grève. L’objectif est clair et sans équivoque : mener des actions de disruption qui, parce qu’elles dérangent, inquiètent, fatiguent l’ordre ambiant, finissent par motiver des négociations fructueuses et de bonne foi. À ce stade de la lutte, nos opposants voudraient bien nous faire croire que notre propre ténacité constitue de l’abus, que notre puissance collective génère de l’oppression ou encore que notre détermination leur fait violence. C’est justement à ce stade d’atermoiements douteux et de propos fallacieux qu’on doive tenir bon et aller de l’avant dans l’atteinte des objectifs de grève.

Par la même occasion, l’affichage systématique des revendications, des communiqués de grève, des informations de grève, sont des stratégies de communication qui permettent une liberté d’expression visant à concurrencer la puissance médiatique de l’État et du gouvernement. À défaut de s’offrir des pages de publicité, des panneaux réclame ou une place sur toutes les tribunes à sensations, il ne reste qu’à placarder, à graphiter et à autocoller l’information dans l’espace public.

Dès lors, le bavardage paternaliste des grands médias et des portes-paroles « corporatifs-corporatistes » sur les conséquences indésirables de la grève étudiante pour l’institution, en particulier l’Université par son soi-disant rayonnement social, n’est qu’une autre étape vers la tentative d’atrophier ce mode d’action légitime contre la violence institutionnalisée qui domine la société. Déjà dans le cadre des relations de travail, la grève est enserrée par le Code du travail tout en recevant l’opprobre de l’intelligentsia du contrôle social. Dans le secteur public, la grève ne porte guère plus de conséquences sinon qu’elle donne les moyens d’assurer plus de services qu’en période normale. Au nom du droit des bénéficiaires, des élèves, des parents ainsi qu’à toutes les catégories d’ayant droits possibles les organisations de lutte qui font de la grève leur arme deviennent des parias. Si bien qu’une grève reçoit sa légitimité, comme d’autres formes d’action, que si elle ne contrevient pas au déroulement sériel des activités sociales.

Et que dire de la violence que peut générer la grève dans ses différentes manifestations, par exemple les dommages matériels ? Inacceptables ! Au dire des grands médias. Brutalité sur les lignes de piquetage ? Ignoble ! Que disent cependant les éditorialistes au sujet des coupures dans l’éducation et dans l`aide sociale ? Compréhensibles en ces temps de restriction budgétaires… Les fermetures d’entreprises ? Effets collatéraux dans le grand jeu des lois du marché… L’appauvrissement causée par la gestion néo-capitaliste-libérale ? Un matière qui donne à réfléchir…

NON, il ne doit pas y avoir de cours…

Bref, au minimum, la grève doit se comprendre comme un moyen d’auto-défense privilégié contre la violence symbolique et matérielle subies par la grande partie de la société. Dans l’atonie de ce monde, une grève n’est qu’une réaction légitime. Maintenant, l’écœurement gagne n’importe quel individu sain d’esprit devant les conseils émis, en toute générosité, par les spécialistes de la « gestion de la conflictualité sociale pacifiée », dixit la FTQ! En effet, « cela ne peut durer, il faut négocier » disent-ils. La plupart de leurs conseils visent à orienter les deux grandes fédérations (FECQ et FEUQ) dans leur négociation avec le gouvernement. À leur aider à formuler des propositions crédibles dans le cadre d’une négociation dont l’objet, faut-il le rappeler, porte sur une décision gouvernementale de coupure budgétaire ! Négocier en deçà du statu quo ! Et cela au mépris de l’autre organisation, la CASSÉE, qui a été le fer de lance, dans tous ses aspects, de la lutte étudiante.

Mais il n’y a pas de hasard. Autant sur les moyens que sur la forme organisationnelle, en passant par le type de revendications, cette dernière organisation tranche en tout point sur les deux fédérations : combativité, vision large du débat sur l’éducation, démocratie… Aussi, la CASSÉE n’hésite pas à élargir la revendication à un aspect essentiel : la gratuité de l’éducation post-secondaire, en particulier pour le niveau universitaire. Dans le pragmatisme ambiant, parler de cet aspect relève d’un courage qui ne peut qu’être perçu comme dangereux par les tenants de la négociation (le gouvernement, les FECQ-FEUQ, l’intelligentsia du contrôle social…).

Au-delà la gratuité des études post-secondaire, l’angle mort des débats actuels se concentre sur les finalités sociales de l’éducation tant collégiale qu’universitaire. Étudier quoi et pour quel objectif ? Selon différentes interprétations (les thèses de l’économie du savoir ou du capitalisme cognitif, à titre d’exemple), le rôle de l’éducation devient toujours plus primordial, à tous les niveaux des stades de l’apprentissage stratifiées pour toutes les classes sociales, dans le fonctionnement économique comme dans la reproduction du système social. Ainsi le débat sur le financement des études post-secondaires s’égare trop souvent par les perspectives budgétaires. Par exemple, il n’est pas absurde de croire que le monde des affaires devrait normalement appuyer n’importe quel effort pour rendre gratuites les études post-secondaires car il serait plus tard le principal récipiendaire de cette plus-value sociale. Pour sa part, la clairvoyance de court terme de n’importe quel gouvernement l’empêche de considérer l’énorme contribution fiscale d’une partie de la main-d’œuvre mieux rémunérée parce que mieux formée. L’avantage réciproque, pour ces deux acteurs, d’une population toujours mieux abrutie par la fureur de la transmission de compétences formatées s’avère être indéniable.

Dans les faits, obtenir un diplôme d’études supérieures pour accéder au marché du travail, dans le procès de marchandisation des savoirs en compétences (une véritable constellation de savoir-faire et de savoir-être malléables à l’infini), ressemble à une œuvre incommensurable. Il s’agit de faire le vœu de s’adapter de façon permanente aux multiples démangeaisons du capitalisme. Pour le dire autrement, l’étude universitaire ou collégiale promet de rendre momentanément l’individu compétent face aux exigences du marché du travail. Quant à la capacité de jeter un regard réflexif et critique sur le monde, cela devient affaire de science-fiction.

Défendre la gratuité de l’étude post-secondaire, et donc universitaire, devrait passer, ici, maintenant et demain, par une réflexion sur les tenants et aboutissants de ce vers quoi destinent ces études. De fait, l`école n`est-elle qu`un simple appareil de reproduction ou peut-elle être un espace de création ? Car reproduire connaissances et valeurs dominantes revient à admettre, implicitement ou explicitement, que le monde actuel est le seul possible. Est-ce bien là le rôle que nous voulons voir jouer pour l`école ou celle-ci ne doit pas plutôt fournir les instruments au peuple pour que celui-ci puisse mieux comprendre le monde et le transformer ?

Finalement, il ne nous reste qu’à constater que les choses sont immobiles si on ne pousse pas sur elles pour qu’elles avancent, et qu’elles reculent quand on ne les retient pas. En dépit de tout, quelques fenêtres éclatées peuvent initialement faire état de coup de semonce qui rendra attentive la plus sourde des oreilles ministérielles. Pour redonner de l’intérêt à une négociation enlisée, une occupation tenace qui durera le temps voulu et dont la durée nous appartient, peut faire se rétablir le dialogue. Mais quelle que soit la finalité des actions, il importe de contester toutes attaques à la libre expression, en montrant que l’espace public doit demeurer un espace politique sans autre forme de concession. En ce sens, contester, résister, se grouper, se mobiliser, se masser toujours plus nombreux et nombreuses, demeure l’arme la plus efficace pour renvoyer l’intimidation à sa caserne et, dans ce cas précis, l’État à ses devoirs.

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