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350 millions ou une ligne pointillée?

SebastienT79, Wednesday, March 9, 2005 - 08:18

Sydney Ribaux

En période de pointe du matin, 20 000 automobilistes empruntent l'une des trois voies du pont Champlain en direction de Montréal. À votre avis, combien de personnes font le même trajet en autobus sur la voie réservée qui est aménagée sur une seule voie? 18 000 personnes. Cette voie pourrait accueillir encore au moins 10 000 utilisateurs de transports en commun de plus. Il suffirait d'augmenter le nombre de stationnements incitatifs de même que le nombre d'autobus qui font le trajet.

On pourrait résumer le débat concernant le projet de prolongement de l'autoroute 25 comme suit : est-il justifiable de dépenser 350 millions de dollars pour construire un nouveau pont entre Montréal et Laval alors que quelques millions suffiraient pour tracer une ligne pointillée et ouvrir une voie réservée aux autobus sur on pont existant? Un nouveau pont où quelques litres de peinture?

L’auteur est co-fondateur et coordonnateur général d’Équiterre

Il est assez ironique que le gouvernement Charest ait choisi la mi-février, c’est-à-dire le moment même de l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto, pour relancer le projet de pont sur l’autoroute 25 reliant Montréal et Laval. À terme, ce projet alourdira de plusieurs millions de tonnes le bilan québécois des gaz à effet de serre (GES). Autant dire que les politiciens de la province n’ont strictement rien compris aux engagements prévus par cette entente environnementale qui prévoit la réduction des GES.

Pour bien comprendre l’absurdité de ce projet, il faut se rappeler que le précédent gouvernement avait été tenté par l’idée de construire un pont entre Montréal et la Rive-Sud et avait donné à M. Roger Nicolet le mandat d’évaluer le projet. Puisque la justification d’un pont demeure la même, qu’il soit vers Laval ou Longueuil, il est pertinent de reprendre quelques chiffres issus du débat soulevé par la Commission Nicolet.

En période de pointe du matin, 20 000 automobilistes empruntent l’une des trois voies du pont Champlain en direction de Montréal. À votre avis, combien de personnes font le même trajet en autobus sur la voie réservée qui est aménagée (en sens inverse) sur une seule voie? 5 000? 10 000? En fait, cette voie réservée permet à 18 000 personnes de franchir chaque matin le fleuve Saint-Laurent, soit presque autant que le nombre de navetteurs en voiture. Qui plus est, cette voie pourrait accueillir encore au moins 10 000 utilisateurs des transports en commun. Il suffirait d’augmenter le nombre de stationnements incitatifs le long de l’autoroute des Cantons de l’Est de même que le nombre d’autobus qui font le trajet.

On pourrait résumer ce débat comme suit : est-il justifiable de dépenser un milliard de dollars pour construire un nouveau pont Montréal – Rive-Sud alors que quelques millions suffiraient pour tracer une ligne pointillée et ouvrir une voie réservée aux autobus sur un pont existant (dans les deux cas, 20 000 bénéficiaires potentiels chaque matin). Un nouveau pont ou quelques litres de peinture? Les seuls « contribuables » à avoir catégoriquement appuyé la première solution devant la commission Nicolet étaient les ingénieurs avec un projet de pont ou de tunnel sous le bras! Presque tous les autres ont pris parti, avec une conviction variable, pour le transport en commun.

Le test du développement durable
Le développement durable, dont se réclame maintenant le gouvernement Charest, exige que l’on évalue chaque nouveau projet sous trois angles : économique, social et environnemental. Le projet de construction d’un pont pour compléter l’autoroute 25 dans l’Est entre Montréal et Laval est contestable à tous les points de vue.

Du point de vue strictement économique, la construction de nouvelles infrastructures routières n’est aucunement justifiable. En milieu urbain, le coût par déplacement est beaucoup moindre pour un usager du transport en commun que pour un automobiliste, et ce, tant pour l’État que pour les citoyens. Par ailleurs, la construction d’un nouveau pont entraînera le développement immobilier de l’Est de Laval et surtout, de la couronne Nord. Cet étalement urbain s’explique facilement : selon les chiffres les plus récents (1999) le prix des terrains résidentiels dans l’Est de Montréal était de 8 $ / pi2, alors que dans la MRC des Moulins, juste au nord de Laval, il était de 1 $ / pi2. Cependant, il est bien connu que l’étalement urbain entraîne des coûts importants pour l’État (construction et entretien d’écoles, de CLSC, de routes, etc.) ainsi qu’un effet déstructurant pour les quartiers montréalais et lavalois qui devront subir des fermetures d’écoles et la perte de plusieurs services publics faute de résidents.

En outre, même si le milieu des affaires de l’Est de Montréal est plutôt favorable à la construction du pont de la 25, ce projet risque de leur être défavorable. En effet, le coût d’un terrain commercial dans l’Est de Montréal était d’au moins 30 $ / pi2 en 1999, alors que dans la MRC des Moulins il était plutôt de… 3 $ / pi2. Si l’on ajoute à cela la problématique des terrains contaminés à Montréal, il ne faut pas être un génie pour comprendre que le pont favorisera l’exode des entreprises la couronne Nord.

Du point de vue environnemental, l’exode des Montréalais et des Lavalois vers la couronne Nord sera amplifié par ce pont et, à terme, ce sont des dizaines de milliers de nouvelles voitures qui se déplaceront dans la région de Montréal, soit l’équivalent de plusieurs millions de tonnes de gaz à effet de serre. Les résolutions unanimes de la Ville de Montréal, du Conseil Métropolitain de Montréal et de l’Assemblée nationale en faveur de la ratification du protocole de Kyoto, n’étaient-elles que des vœux pieux? Le Maire de Montréal, qui ne s’est jamais prononcé clairement sur le projet du pont de la 25, a-t-il pensé à l’impact de 140 000 voitures sur la qualité de l’air, le bruit, la sécurité et la qualité de vie des Montréalais?

Du point de vue social, il est clair que tout investissement dans le réseau routier de la grande région de Montréal favorise les citoyens les mieux nantis (qui possèdent des voitures) au détriment de ceux, moins fortunés, qui dépendent davantage du transport en commun. En effet, comme nous le répète sans cesse monsieur Charest, le budget du Québec est serré ce qui signifie qu’il faudra faire des choix entre de nouvelles infrastructures, l’entretien du réseau routier existant et le développement du transport en commun. On ne peut pas tout faire. Les centaines de milliers de Montréalais qui ne possèdent pas de voiture (et les entreprises pour lesquelles ils travaillent) seraient mieux servis par une augmentation de la fréquence des autobus que par un nouveau pont. Qui plus est, des milliers de travailleurs qui possèdent une voiture la troqueraient volontiers pour un train ou une voie réservée pour autobus si cela leur évitait de subir chaque matin les bouchons de circulation.

Enfin, ceux qui fondent sur ce projet l’espoir de réduire la congestion routière devraient lire le rapport de la Commission européenne des ministres du transport (CEMT) rédigé en collaboration avec l'OCDE en 1995. D’après ce rapport, « [l]a construction d’un nombre croissant de voies routières dans les villes (…) n’a pas réduit notablement l'ampleur des encombrements aux heures de pointe. Dès qu'une nouvelle voie est ouverte dans une grande ville, elle est vite saturée. »

Le projet de pont sur l’autoroute 25 augmentera le nombre de voitures et de camions qui entreront chaque jour sur l’Île de Montréal. Où iront ces véhicules? Sur l’autoroute métropolitaine? Impossible, vous diront tous les camionneurs et les résidents de l’Est; celle-ci est complètement congestionnée. Outre les navetteurs qui se dirigent vers Anjou, les autres auront besoin d’un nouvel axe est-ouest. Il est donc évident que le futur prolongement de l’autoroute Ville-Marie entre le pont Jacques-Cartier et le tunnel Louis-Hippolyte-Lafontaine est intrinsèquement lié au pont de la 25. Impossible ou inutile de faire l’un sans l’autre. Ainsi, le ministre de l’Environnement devrait au moins demander au ministre des Transports de fusionner ces deux projets afin qu’ils soient examinés ensemble par le BAPE (Bureau d’audiences publiques sur l’environnement). Faire autrement serait incohérent.

Si le gouvernement Charest est sérieux à l’égard du développement durable, il doit ranger ce projet de pont dans les cartons où il l’a trouvé. Il devrait aussi réassigner les fonctionnaires du ministère du Transport (qui relancent l’idée à chaque remaniement ministériel) à un projet plus important, comme le développement du train de banlieue Montréal – Mascouche, l’aménagement du « Via Bus » vers Repentigny ou encore le prolongement du train de Blainville jusqu’à Saint-Jérôme. En plus d’être cohérents avec le développement durable et nos objectifs de réduction des gaz à effet de serre, ces investissements soulageraient réellement et à bien moindre coût qu’un pont, la congestion routière.

Faites part de votre opposition à ce projet en communiquant avec:
- Votre élu municipal
- Le premier ministre du Québec, M. Jean Charest

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