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GUIDE CRITIQUE DES MÉDICAMENTS DE L'ÂME

RiouxYves/Bleuler, Saturday, December 11, 2004 - 14:40

Bleuler

UNE MISE EN GARDE

Sous la commandite de l'Association des groupes d'interventions en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ), le sociologue David Cohen et des collaborateurs lançaient en 1995 un livre dont l'influence est encore aujourd'hui très répandue. Ce livre dénonce systématiquement les médicaments utilisés en psychiatrie. Le point de vue extrémiste et relativement marginal qui y est défendu représente un important danger parce qu'il manque de la nuance que commande ce genre de dossier.

Sous la commandite de l'Association des groupes d'interventions en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ), le sociologue David Cohen et des collaborateurs lançaient en 1995 un livre dont l'influence est encore aujourd'hui très répandue. Ce livre dénonce systématiquement les médicaments utilisés en psychiatrie. Le point de vue extrémiste et relativement marginal qui y est défendu représente un important danger parce qu'il manque de la nuance que commande ce genre de dossier.

Oeuvre de collaboration, le "Guide critique" est en fait d'une valeur inégale. Par exemple, la première partie du chapitre les antidépresseurs, rédigé avec l'aide de Céline Cyr, est nuancé, méthodique et bien documenté, tandis que les chapitres II, III et V portant respectivement sur le lithium, les neuroleptiques et le ritalin, sont incomplets et marqués par un vif parti pris contre le modèle médical et les théories ayant cours en sciences de la santé.

Les auteurs se contredisent de chapitre en chapitre. Par exemple, en introduction (page 10), on affirme que les patients sont les seuls crédibles pour juger des effets secondaires des médicaments. À l'opposé, en page 87, on affirme que le témoignage de patients en faveur de leurs prescriptions est irrecevable et ne doit pas être d'avantage pris en considération que les éloges euphoriques qu'un toxicomane ferait de sa drogue. Il faudrait se brancher! Il faut tenir compte de l'opinion des patients, oui ou non?

Mais les contradictions de Cohen et ses amis sont convergents. Les auteurs considèrent le témoignage des patients qui parlent contre les médicaments et ils se méfient des témoignages qui par en leurs faveurs. À cet effet, on remarque que le livre contient près de 228 citations provenant de patients psychiatriques. Or, la totalité de ces citations sont des plaintes contre les médicaments, contre les psychiatres ou contre les familles débordées qui pressent les malades de respecter leurs prescriptions.

Les auteurs agissent de façon aussi cavalière avec le matériel scientifique. Le livre cite de nombreux travaux scientifiques mais toujours ceux qui justement tendent à démontrer leur thèse. Dans le livre, on tire souvent des conclusions abusives de faits interprétables autrement et, surtout, on occulte des pans complets de la recherche sans aucune explication.

Plus inquiétant, le livre qui se veut une oeuvre, de vulgarisation, propose des métaphores évocatrices pour illustrer des énumérations de chiffres que les patients risqueraient de ne pas comprendre. Ainsi, la prise de lithium est-elle comparée à un empoisonnement au "plomb", les neuroleptiques à une "lobotomie", et le ritalin à une consommation de "drogue illicite" (cocaïne). Bien que ces images ne soient pas sans fondement, on devine facilement quel impact elles ont sur les personnes contraintes par leur maladie à prendre ces classes de médicaments.

Pour notre part, nous admettrons volontiers que les médicaments sont dangereux en général et doivent être prescrits avec parcimonie. Le danger est plus grand dans le cas des anciens neuroleptiques (antipsychotiques) puisque ces derniers ont souvent des effets secondaires désagréables et provoquent parfois des dommages neurologiques sérieux. À se demander pourquoi on en prescrit encore. Mais voilà, le mal que ces médicaments soignent ou préviennent est généralement pire que le danger qu'ils représentent.

À ce sujet, le portrait idyllique que David Cohen et ses collaborateurs font de la schizophrénie apparaît singulièrement déformé. Les auteurs schématisent la maladie mentale en taisant la souffrance des personnes schizophrènes et de leur entourage. Le livre expose pourtant volontiers des souffrances que font subir aux patients les médicaments, les psychiatres et les familles. Malgré la masse colossale de recherches qui prouvent les bases biologiques de la schizophrénie (et que j'ai exposé sur CMAQ: http://www.cmaq.net/fr/module.php?mod=donjon&id=18968 ) Cohen et ses collaborateurs exècrent cette évidence empirique. Ils n'admettent même pas la conception actuellement répandue des "facteurs multiples" qui suppose une action combinée de prédispositions héréditaires, de troubles du développement et de stress environnementaux. Cohen ne fait pas mention des études menées auprès des jumeaux, ni des études épidémiologiques mesurant l'incidence en fonction du lien de parenté. Ils se contentent de reprocher à ce point de vue de ne pas avoir été prouvé de manière "irréfutable" puisque les gènes agissant dans la schizophrénie n'ont pas encore été localisés. C'est vrai, mais si les auteurs évaluent la théorie généralement admise avec des critères aussi sévères, ils deviennent beaucoup moins exigeants lorsqu'ils présentent leur propre modèle.

Cohen et ses collaborateurs adhèrent à la théorie suivant laquelle la maladie serait uniquement d'origine sociale. Ce point de vue est pour le moins controversé puisque, en plus des recherches génétiques, les études transculturelles montrent, qu'à travers le monde, l'incidence de la schizophrénie est sensiblement la même quels que soient le pays ou la culture d'appartenance. Soulignons ici que le "Guide critique" se garde bien de faire mention des études transculturelles. Des psychiatres éminents (Reynaud) ont d'ailleurs dénoncé cet ancien courant psychiatrique du "tout social" qui conduit généralement à une négation de la maladie.

Les auteurs prônent aussi les "thérapies psychosociales" comme alternatives aux médicaments (plutôt que comme compléments). Ces approches sont, en effet, un facteur important pour prévenir les rechutes et pour améliorer la qualité de vie des malades, mais Cohen et compagnies les présentent comme une panacée.

Leur adhésion à la théorie sociale les conduit à charger lourdement les malades et leurs familles dans un discours culpabilisant qu'on espérait dépassé. En page 150, on va jusqu'à accréditer une théorie voulant que les malades soient schizophrènes par "choix"... L'hypothèse d'une fuite de la réalité dans la maladie est défendable du point de vue psychanalytique, mais cette école a au moins le mérite d'expliquer que l'aiguillage vers une forme ou l'autre de maladie est structurel et parfaitement incontrôlable par le sujet. Une nuance importante que les auteurs du "Guide critique" ne font pas. Quant aux familles, elles sont fréquemment pointées du doigt dans le livre (notamment pp. 161, 228, 229, etc.). Leur mauvaise volonté serait à la source du mal et responsable aussi de l'échec des traitements psychosociaux. Cohérents, les auteurs invitent d'ailleurs les malades, dans ce cas, à rompre avec leurs proches.

Les psychothérapeutes sont aussi pris à parti, du moins les "mauvais". Et qu'est-ce qu'un "mauvais" psychothérapeute pour Cohen ?

«Les psychothérapeutes qui encouragent leurs clients à prendre des médicaments pour résoudre leurs problèmes psychologiques {lire: psychiatriques}» p. 353

Les psychologues et les travailleurs sociaux travaillant en milieu psychiatrique jugeront eux-mêmes du bien-fondé de cette assertion.

La plus sérieuse erreur de David Cohen et de ses associés est, cependant, d'oublier une importante manifestation de la psychose dont on doit tenir compte dans la planification du traitement : le déni de la maladie. Les schizophrènes et maniaco-dépressifs souffrent d'un mal qui altère la perception qu'ils ont d'eux-mêmes. Bien qu'ils sentent que quelque chose ne va pas, les psychotiques ignorent généralement le caractère irréel de leurs symptômes (hallucinations, délires) et refusent souvent d'admettre leur maladie. Les patients refusent parfois leurs médications parce que les effets secondaires sont trop pénibles, mais la pratique montre qu'ils la refusent aussi souvent simplement parce que le traitement implique un diagnostic qu'ils refusent d'admettre. Une dimension que le sociologue Cohen et ses amis ont manifestement ignorée.

Si le "Guide pratique" est un ouvrage incontournable pour les historiens de l'antipsychiatrie, il est, par contre, dangereux pour les personnes souffrant de schizophrénie qui pourraient y trouver un alibi pour stopper un traitement dont ils ont peut-être encore besoin. Parce que c'est là le noeud du problème. Les efforts de désinstitutionnalisation des malades psychiatriques commandent que tous les moyens soient mis en oeuvre pour favoriser la réussite. Et, sur ce terrain les recherches sont unanimes à montrer que le principal facteur de rechute chez des personnes schizophrènes est le non respect de sa prescription de neuroleptique. Encore ici Cohen et compagnie occultent complètement la chose.



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