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Dans le privé comme dans le public, la plupart des expériences de réingénierie ont échoué

clément, Thursday, September 16, 2004 - 21:12

Gérard Boismenu, Pascale Dufour, Denis Saint-Martin,

Nous publions dans cette page deux extraits du livre " Ambitions libérales et écueils politiques ", publié par Athéna Éditions. Le livre sera en librairie à compter de demain.

Pourquoi le gouvernement libéral a-t-il initialement décidé d'organiser son plan de réforme des services publics autour de l'idée de réingénierie? En raison de son amateurisme? Ou serait-ce plutôt à cause de son dogmatisme, comme l'ont suggéré certains collègues?

L'utilisation de ce concept, mis par la suite de côté par le gouvernement au profit du terme " modernisation ", est néanmoins étrange quand on sait que, dans le monde des affaires et les écoles de gestion, l'enthousiasme pour la réingénierie n'est plus ce qu'il a été au début des années 1990. Une étude publiée par l'École des HEC, en 1999, conclut que la réingénierie est " trop simpliste. La réalité sur le terrain est plus difficile. Soixante-dix pour cent des expériences échouent. "

Dans le secteur public, les études ne sont guère plus optimistes. En Grande-Bretagne, un pays que le gouvernement libéral cherche à imiter en matière de réforme administrative, on a conclu que la réingénierie avait connu un certain succès surtout dans les organismes dont la nature du travail est plus ou moins routinière. On pense à des organismes, comme les services postaux et le ministère du Revenu, qui sont structurés selon les principes fordistes ou tayloriens de la chaîne de travail, qui ont des objectifs clairs et qui produisent des activités mesurables ou quantifiables.

Ceux et celles qui vantent les mérites de la réingénierie ont généralement concentré leur analyse sur ce que James Q. Wilson et Henry Mintzberg appellent des production or machine-type organizations, plutôt que des organismes publics au mandat plus flou, opérant dans des environnements plus incertains et politisés- deux facteurs qui sont pourtant au coeur de la plupart des organismes publics. Déjà en 1994, un sous-ministre du gouvernement fédéral mettait en garde ses collègues contre " l'inflation verbale " de la réingénierie à laquelle sont associées " toutes sortes d'affirmations extraordinaires ".

L'idée de réingénierie a été mise de l'avant en 1993 par Hammer et Champy dans leur livre à succès Re-engineering the Corporation. Dans leur ouvrage, les deux auteurs affirment que la réingénierie est l'innovation la plus importante qui soit survenue dans le domaine de la gestion, depuis que Adam Smith a écrit The Wealth of Nations. Le changement annoncé par Hammer et Champy se veut radical. Le langage est révolutionnaire.

Une rupture

La réingénierie représente une rupture face aux structures fonctionnelles, qualifiées par Hammer et Champy d'entreprises tayloriennes ou de bureaucraties. Cette forme organisationnelle- et c'est ainsi que le gouvernement libéral représente l'État québécois- est jugée incapable de s'adapter aux nouvelles contraintes de l'environnement, parce que remplie de formalisme, de procédures et de contrôles. Ces défauts sont considérés incompatibles avec les nouvelles exigences du marché, qui réclament de la collaboration, du partenariat, du transfert d'information et de compétences, tout au long des processus transversaux.

Pour pallier l'inefficacité des structures fonctionnelles, les partisans de la réingénierie proposent une organisation structurée non plus autour des fonctions, mais autour des processus. Ce modèle d'organisation serait plus souple, plus flexible, plus fluide, libre des défauts des structures bureaucratiques. Le processus est associé à un flux d'informations, de biens ou de services. Il est orienté vers le client et traverse les fonctions, les départements et les services (notion de transversalité) et comprend généralement des acteurs externes à l'organisation (d'où la notion de partenariat). (...)

Le rapide survol du concept de réingénierie et de ses prémisses théoriques met en relief un certain nombre d'éléments pouvant aider à comprendre pourquoi, en utilisant ce vocabulaire, le gouvernement Charest s'est retrouvé dans une position politiquement inconfortable. D'abord, les libéraux ne se sont pas méfiés de " l'inflation verbale " inhérente à la théorie de la réingénierie. Ils ont adopté, de façon non critique, le langage révolutionnaire de Hammer et Champy et promis de faire tabula rasa du passé en mettant de l'avant un programme de réingénierie que le gouvernement associe à rien de moins qu'à un projet de " société nouvelle ".

C'est peu dire. Rarement a-t-on vu dans l'histoire récente des gouvernements l'un d'eux qui identifie le désengorgement des urgences dans les hôpitaux, la transformation de ministères en agences indépendantes ou la sous-traitance à un projet de société. Ce type " d'inflation verbale " a eu pour effet de braquer une partie de la population contre la réingénierie, autour de laquelle le gouvernement a laissé se développer, comme autant de ballons d'essai, des scénarios plus ou moins apocalyptiques (par exemple, les rumeurs de privatisation de Télé-Québec).

Une seconde raison pour expliquer l'impopularité politique de la théorie de la réingénierie auprès du public, et en particulier du mouvement syndical plus directement visé par les projets du gouvernement, tient au caractère " top-down " du processus de réforme. Comme on l'a vu plus tôt, Hammer et Champy conseillent aux réformateurs de ne pas impliquer la base dans le développement des projets de réingénierie, car on soupçonne cette dernière de résistance face au changement.

Ainsi, au moment de formuler son programme de réingénierie, Monique Jérôme-Forget a déclaré, lors d'une rencontre avec les membres du comité sectoriel sur l'organisation du travail où siègent les différents syndicats de la fonction publique, l'Association des cadres du gouvernement et des sous-ministres, ne pas avoir l'intention d'être éclairée par les différentes associations de fonctionnaires. (...)

Une vision poussiéreuse de la gestion publique

De nos jours, le débat ne porte plus que sur le "moins d'État" mais davantage sur le "mieux d'État"

(...) Christopher Pollitt, l'un des plus grands experts britanniques, conclut, dans un livre qui fait le tour de plus de dix années de réformes dans les pays de l'OCDE, qu'en ce qui concerne la réingénierie, " ses bases empiriques sont étonnamment fragiles. Il n'existe tout simplement aucune preuve irréfutable de changements dans les performances du secteur public ". Si le gouvernement avait vraiment voulu apprendre de l'expérience des autres, il n'aurait préalablement pas conçu son projet de réforme à travers le prisme déformant de la réingénierie.

Le gouvernement est obsédé par la taille de l'État. Cette fixation est une réminiscence de la rhétorique néolibérale des années 1980, alors que le débat politique portait sur la question de " plus ou moins d'État ". À cet égard, il n'est pas sans intérêt de mentionner que celle qui mène le projet de restructuration du secteur public, la ministre Jérôme-Forget, aime bien se faire comparer à Margaret Thatcher, la " dame de fer " qui a gouverné la Grande-Bretagne dans les années 1980. Dans un article à son sujet paru dans L'Actualité, les proches de Monique Jérôme-Forget disent d'elle que " sa phrase fétiche, qu'elle sert à tout bout de champ, est celle de l'économiste anti-interventionniste Milton Friedman: less government, is better government ". De nos jours cependant, le débat ne porte plus que sur le " moins d'État " mais davantage sur le " mieux d'État ".

En Europe, par exemple, la plupart des partisans de la Third Way, popularisée par Blair et Schröeder, n'expriment pas de parti pris idéologique fort contre l'intervention publique. Les Européens ne parlent pas de l'État minimal mais plutôt d'un " État social actif ". Plus près de nous, en Ontario, le gouvernement McGuinty a été élu pour refaire ce que les conservateurs ont défait. Mais ce n'est pas de ces expériences que le gouvernement Charest a choisi de tirer des leçons. Il a plutôt opté pour une vision poussiéreuse ou dépassée de la gestion publique.

Réalité actuelle

Même si elle ne correspond plus à la réalité actuelle, c'est une vision que les consultants du secteur privé, qui entourent actuellement le gouvernement, n'ont pas intérêt à tenter de transformer. Dans la réingénierie, l'appel aux consultants vise, en théorie, à surmonter les résistances des travailleurs touchés par les réformes. Le raisonnement est le suivant: ces travailleurs ne sont pas neutres, car ils sont dans une situation de conflit d'intérêts; de ce fait, on ne saurait s'attendre à ce qu'ils participent de façon objective et désintéressée à une réforme qui risque de bousculer leurs habitudes; on doit donc conclure que le recours aux consultants privés est justifié, non seulement par leur expertise, mais aussi par leur externalité.

Dans la mesure où ces consultants sont externes aux organisations ciblées par la réforme, on les estime plus objectifs, davantage capables de faire preuve d'indépendance d'esprit, en comparaison à ceux et celles qui font partie de l'organisation. L'externalité est considérée équivalente à objectivité et à indépendance d'esprit. Or, ces deux termes ne vont pas forcément ensemble. Les consultants externes ne sont ni plus ni moins désintéressés que les ressources internes. Les consultants sont des colporteurs d'idées dont la survie dépend de leur capacité à générer des profits. Et cette dépendance au profit, dans un marché concurrentiel et incertain, où chacun cherche à stabiliser ses revenus en préservant ses clients, conduit souvent les consultants à dire à leurs clients ce que ces derniers veulent bien entendre.

Dans ce sens, leur avis n'est pas nécessairement plus objectif ou neutre que l'avis de ceux et celles qui oeuvrent au sein de l'organisation. D'ailleurs, à propos de la " banque de consultants " constituée par le Conseil du Trésor à l'automne 2003, certains ont souligné que les firmes qui conseillent la ministre Jérôme-Forget à propos de l'orientation à donner à la " réingénierie " de l'État " pourront soumissionner quand viendra le temps de procéder à la privatisation, au partenariat public-privé, à l'impartition ou à la sous-traitance d'une activité ou d'un service du gouvernement ". Dans ces circonstances, comment peut-on penser que les consultants sont plus objectifs ou désintéressés que les employés de l'État par rapport à la réingénierie?

Les auteurs sont professeurs de science politique à l'Université de Montréal et membres du Centre de recherche sur les politiques et le développement social.

Avis légal:
Pour une utilisation de ce texte à des fins autres qu'éducatives

www.politiquessociales.net


Subject: 
Pratiques syndicales douteuses
Author: 
Hugo GAsca
Date: 
Mon, 2004-11-01 20:21

Le scandale de la construction de l'usine Papiers Gaspésia à Chandler nous dévoile des pratiques syndicales douteuses et le retour du spectre de la construction du Stade olympique en 1976 sur fond d'épinettes gaspésiennes. Il est l'exemple même, inacceptable, du copinage étatique entre les mandarins de la SGF et plusieurs ministres de l'ancien gouvernement péquiste. À cela s'ajoute l'extension astucieuse des coûts du métro à Laval. La bureaucratie est l'ennemi des gouvernements sociaux-démocrates. Y a du lavage de famille à faire chez les péquistes. Les fantômes de la défunte Union nationale hantent sans-culotte les couloirs de la souveraineté épuisée. L'Halloween d'un jour pourrait être plus longue que prévue cette année.


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