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PROCÈS DU 15 MARS 2002 : Une saga judiciaire pas comme les autresAnonyme, Thursday, August 26, 2004 - 20:00 (Analyses | Repression)
COBP
Ce document offre un état de la situation dans l'incroyable saga judiciaire que traversent les personnes arrêtées le 15 mars 2002. Il y est question de la gestion loufoque des causes du 15 mars 2002 par la cour municipale, de l'impact des refus d'aide juridique, de l'acharnement de la poursuite , du combat des accuséEs qui se représentent eux-mêmes et elles-mêmes, et plus encore ! MONTRÉAL, le 26 août 2004. Vous vous rappelez de cette fameuse arrestation de masse du 15 mars 2002, au cours de laquelle 371 personnes, incluant 102 personnes d’âge mineur, avaient été encerclés par une armée de flics anti-émeute dans le stationnement face au palais de justice au terme de la manifestation de la 6ième Journée internationale contre la brutalité policière ? Non ? Malheureusement, le système judiciaire, lui, n’a rien oublié puisque, deux ans et demi plus tard, plusieurs accuséEs du 15 mars 2002 sont toujours en attente de procès relativement à leur seule et unique accusation d’avoir pris part à un « attroupement illégal », une infraction au Code criminel canadien En fait, à quelques exceptions près, les nombreux et nombreuses accuséEs qui ont choisit de contester par un plaidoyer de non-culpabilité leur fausse accusation d’« attroupement illégal » sont tous et toutes encore embourbéEs dans les interminables procédures judiciaires qui ont été intentées contre eux et elles. Il convient aussi de souligner que l’écrasante majorité des accuséEs du 15 mars 2002 ont dû attendre plus de deux ans après leur arrestation avant d’avoir droit à leur procès. Ce qui n’est qu’un début puisque aucun des procès entamés cette année ne sera vraisemblablement terminé avant l’année 2005. La longueur des procédures judiciaires, qui s’apparentent à un cauchemar sans fin pour bon nombre d’accuséEs qui n’en sont, pour la plupart, qu’à leur première expérience avec le système de justice, constitue un fardeau injuste sur les épaules des victimes de la répression policière du 15 mars 2002 qui s’additionne d’ailleurs aux préjudices subis par l’arrestation et la détention questionnables. Il est donc ici pertinent de se poser la question à savoir si le système n’est pas en train de punir ceux et celles qui refusent de désobéir à leur conscience en refusant de s’avouer coupables d’une infraction criminelle qu’ils et elles savent ne pas avoir commis. D’ailleurs, n’est-ce pas pour éviter pareille situation que le droit à un procès dans des délais raisonnables est enchâssés dans nos deux Chartes, autant Canadienne que Québécoise ? Pour faire l’analyse de cette question, il faut tout d’abord dresser un bref historique de l’évolution pour le moins inhabituelle qu’ont connu les dossiers d’« attroupement illégal » du 15 mars 2002 à la Cour municipale de Montréal Du jamais vu à la Cour municipale À de nombreux égards, l’affaire du 15 mars 2002 fait figure de cas exceptionnel dans les annales judiciaires québécoises. Qu’environs 268 personnes se soient initialement retrouvées inculpées d’« attroupement illégal » relève en premier lieu du jamais vu. Pour la modeste Cour municipale de Montréal, l’affaire du 15 mars 2002 représente un défi hors du commun qui révélera rapidement ses limites en matière de saine d’administration de la justice. Le premier défi rencontré fut celui de la divulgation de la preuve. Il a fallu attendre jusqu’à la date d’audition pro forma du 12 février 2003 avant que les accuséEs puissent avoir droit au gros de la preuve, c’est-à-dire deux cassettes vidéo, deux cassettes audio et environ 200 photos sur un CD-Rom (et encore là, d’autres éléments de la preuve continueront à être divulgués aux accusés au cours de l’été 2003). D’ailleurs, la décision de la poursuite de ne remettre que 120 copies de sa preuve photo/vidéo à des avocats qui représentaient environs 250 accuséEs, à l’époque, fera en sorte que plusieurs de ceux-ci et celles-ci n’auront pas accès à cette preuve avant leur procès. Puis, quelques jours avant la prochaine date d’audition du 24 avril 2003, lorsque la poursuite apprend que la défense est prête à fixer à procès les quelques 250 dossiers d’« attroupement illégal », celle-ci fait des offres de règlement à la majorité des accuséEs du 15 mars 2002. L’offre en question se résume à plaider coupable à une infraction à un règlement municipal de la Ville de Montréal passible d’une amende de 138$ en échange de quoi la poursuite retire le chef d’accusation d’« attroupement illégal ». De toute évidence, la poursuite cherche à réduire le nombre imposant d’accuséEs dans l’affaire du 15 mars 2002 en leur offrant une porte de sortie pour en finir une fois pour toute avec cette menace qui pend au-dessus de leur tête de se retrouver possiblement avec un casier judiciaire pour avoir voulu exercer leurs libertés démocratiques. Cependant, les accuséEs de 15 mars 2002 ne se bousculeront pas aux portes pour mordre à l’hameçon et résisteront au chantage judiciaire à peine déguisé exercé par la poursuite. Ainsi, lors de l’audience du 24 avril 2003, lorsque la défense annonce qu’elle souhaite fixer des dates de procès pour l’ensemble des accuséEs, le tribunal semble un peu pris au dépourvu et les parties se retrouveront au bureau du juge-président de la Cour municipale de Montréal, Pierre Mondor, pour tenter de dénouer l’impasse. C’est alors qu’il est convenu de procéder à une conférence préparatoire, le 1er mai suivant. Le but de l’exercice de la conférence préparatoire consiste à favoriser une saine d’administration de la justice dans la gestion de causes complexes. L’épisode de la première conférence préparatoire Mais les travaux de la conférence préparatoire du 1er mai 2003 prendront une tournure tout à fait inattendue. Dans un premier temps, le juge Jacques Ghanimé refuse à toutes les personnes accusées présentes—une vingtaine—le droit d’entrer dans la salle d’audience pour assister et prendre part à ladite conférence. (1) Derrière les portes closes de la conférence interdite, les débats deviennent d’ailleurs rapidement houleux devant l’entêtement du juge Ghanimé à vouloir fractionner la masse d’accuséEs du 15 mars 2002 en petits groupes de façon à tenir des mini-procès. Du côté de la poursuite, les procureures demandaient plutôt de former quatre grands groupes d’environ une soixantaine d’accuséEs chacun. En défense, l’avocat qui représentait le plus grand nombre d’accuséEs souhaitait pour sa part un procès conjoint avec l’ensemble des accuséEs. Le juge Ghanimé, qui disait au tout début qu’il ne voyait pas comment il pouvait joindre plus de cinq accuséEs ensemble par procès conjoint, a fini par « céder » timidement en acceptant de joindre un maximum de dix accuséEs par groupe. En tout, on se retrouva avec 28 mini-procès différents, avec une durée d’audition prévue de deux jours à deux jours et demi chacun, et ce, pour un seul et même événement, pour une seule et même arrestation de masse ! Le premier de ces procès était prévu en novembre 2003 et le dernier en septembre… 2004 ! C’est cette décision controversée qui sera en bonne partie responsable des nombreux délais qu’ont connu l’audition des causes du 15 mars 2002 à la Cour municipale de Montréal. Mais le scénario boiteux des mini-procès imaginé par le juge Ghanimé se révélera être une mission impossible, telle que l’avaient prédit d’une voix commune les différentEs représentantEs de la poursuite et de la défense lors de la conférence préparatoire du 1er mai 2003. Dans un premier temps, la première vague des mini-procès se déroula à peu près comme prévu durant les dernières semaines de l’année 2003. Quatre des 28 mini-procès ont alors pu être entamé, et dans un cas, terminé. D’ailleurs, ce cas précis—on parle ici du 2ième mini-procès—fait figure d’exception puisqu’il n’y avait qu’un seul accusé et que celui-ci n’a présenté aucune requête, ni même plaidé aucune jurisprudence durant la totalité des procédures. Outre ce cas, aucun des mini-procès de la première vague de 2003 n’ont pu être terminé en l’espace des deux jours ou deux jours et demi d’audition qui avait alloué par le juge Ghanimé, faisant en sorte que d’autres dates ont dû être fixé pour la continuation de chacune des causes, en 2004. Et il ne faut pas espérer avoir des dates le moindrement rapprochées puisqu’on parle de dates qui vont de six à huit mois après le commencement de l’audition de la cause. Hiver 2004 : le train commence à dérailler Mais, dès la mi-février 2004, lors du début de la deuxième vague des mini-procès du 15 mars 2002, la Cour municipale se heurtera à des difficultés à procéder qui se révèleront insurmontables. Le calendrier des mini-procès prévoyait alors une cadence d’environ un mini-procès par semaine entre la fin du mois de février et la mi-juin 2004. Me Denis Poitras, qui représentait alors plus d’une centaine d’accuséEs du 15 mars 2002, avait des clientEs disperséEs à travers environ 18 mini-groupes, tous composés de huit à dix accuséEs chacun. Le problème c’est que, à l’instar des autres avocats en défense dans cette affaire, les clientEs de Me Poitras sont, pour la plupart, à la fois sans-le-sou et inadmissibles à l’aide juridique. En effet, les seuls rares mandats d’aide juridique dont dispose Me Poitras sont ceux qui ont été émis par des bureaux d’aide juridique de l’extérieur de la région de Montréal, ce qui ne signifie qu’une poignée de mandats, l’écrasante majorité de ladite clientèle résidant dans la grande métropole. C’est ainsi que Me Poitras se retrouve avec des groupes d’accuséEs pour lesquels il n’a aucun mandat d’aide juridique. Face à une telle situation, Me Poitras se présente chaque semaine devant le tribunal aux dates convenues lors de la conférence préparatoire, non pas pour faire les mini-procès, mais pour demander que les causes où il n’a pas de mandats soit remise à d’autres dates. Autrement dit, Me Poitras demande au juge du procès de joindre un groupe d’accuséEs pour lequel il n’a aucun mandat à un autre groupe d’accuséEs pour lequel il a au moins un mandat, question de ne pas travailler bénévolement durant des semaines. Même si la politique des refus systématique d’aide juridique constituait le principal motif de demande de remise, cela n’était pourtant pas le seul problème qui faisait obstacle à l’audition de certaines causes. Avec ses 16 juges siégeant en matière criminelle sommaire, la Cour municipale de Montréal n’a jamais eu ce qu’il fallait en effectif de la magistrature pour assurer qu’un juge différent présidera à chacun des 28 mini-procès du 15 mars 2002. Or, chaque accusé a pourtant droit à un procès devant un tribunal impartial, c’est-à-dire devant un juge qui n’a pas déjà entendu les mêmes témoignages des mêmes témoins concernant les mêmes faits. C’est pourquoi à deux reprises Me Poitras a dû joindre à sa demande de remise une requête en récusation adressés à des juges ayant déjà siégés dans un mini-procès du 15 mars 2002 au cours de l’hiver 2004. On efface tout et on recommence ! C’est ainsi que chacun des mini-procès du 15 mars 2002 prévus pour l’hiver de 2004 sont systématiquement remis à d’autres dates l’un après l’autre, faisant fondre graduellement le nombre de mini-procès. Jusqu’au jour où la poursuite et la défense reviennent devant le même juge Ghanimé pour une nouvelle conférence préparatoire, le 29 mars 2004. À cette occasion, le juge Ghanimé, qui semble être soudainement reconverti aux vertus de la souplesse administrative, adopte sans rechigner la proposition commune des parties de former cinq nouveaux groupes d’une trentaine à une quarantaine d’accuséEs chacun pour procéder dans les quelque 200 dossiers d’« attroupement illégal » qui sont toujours en attente sur le rôle de la Cour municipale. Malheureusement, si les groupes d’accuséEs ont été élargis, le nombre de jours d’audition alloués pour chaque procès est demeuré le même, soit deux jours et demi, et ce, pour instruire des affaires impliquant une trentaine à une quarantaine d’accuséEs ! Dans un tel contexte, on ne s’étonnera pas qu’aucune de ces causes n’aient pu être terminées à l’intérieur du temps prévu… Il appert que la Cour municipale aurait pu faire une gestion plus intelligente des dossiers du 15 mars 2002. En reconnaissant dès le début le caractère exceptionnel de cette affaire, la cour aurait dû se rendre à l’évidence que des procès réunissant plusieurs dizaines d’accuséEs échelonnés sur des dates consécutives était la meilleure pour tous et toutes et la meilleure façon de garantir le droit à un procès dans des délais raisonnables pour les accuséEs. Les effets de la politique de refus d’aide juridique Après nous avoir nié le droit à la liberté d’expression en mettant un terme prématurément à la manifestation du 15 mars 2002, l’État s’est attaqué, avec succès, à un droit naguère considéré comme acquis : celui à l’assistance d’un avocat. Peu fortunéEs, les accuséEs du 15 mars 2002 avaient été plusieurs dizaines à faire des demandes de mandat d’aide juridique au Centre communautaire juridique de Montréal (CCJM), lesquelles furent refusées massivement. Ces refus avaient alors fait l’objet de contestations non moins massives devant le Comité de révision de la Commission des services juridiques. À la suite d’une audience tenue en décembre 2002, le Comité de révision avait pris plus de sept mois avant de rendre sa décision, confirmant à toute fin pratique la soi-disante justesse de la politique de refus systématique appliquée par le CCJM. Curieusement, le même CCJM avait pourtant accepté d’accorder des mandats dans des dossiers similaires d’« attroupement illégal » les années précédentes. Serait-ce le nombre exceptionnel d’accuséEs dans cette cause qui aurait raison de la prétendue « générosité » de notre système d’aide juridique ? Toujours est-il que, dans un premier temps, cette décision aura pour effet de décimer les rangs des avocats de la défense qui avait accepté de représenter des accuséEs du 15 mars 2002. Ainsi, au moment de la conférence préparatoire du 1er mai 2003, un total de dix-sept avocats de la défense étaient impliqués dans les dossiers du 15 mars 2002. Avec la décision du Comité de révision du 2 juillet 2003 à l’effet de maintenir les refus d’aide juridique, le nombre d’avocats ne cessera de chuter. Aujourd’hui, seulement six avocats continuent de représenter plus de 200 accusés du 15 mars 2002. D’ailleurs, certains des anciens avocats n’avaient pas fait preuve de beaucoup d’éthique en abandonnant leurs clients sans les aviser, ou sans même se déplacer devant le tribunal pour l’informer de leur retrait de la cause pas très payante du 15 mars 2002. Fait intéressant, un juge de la Cour municipale qui avait siégé lors d’une des nombreuses demandes de remise faite par Me Poitras n’avait pas manqué de se prononcer en des termes sans équivoque sur l’importance de la représentation par avocat pour les accuséEs du 15 mars 2002. Voici une transcription du jugement rendu oralement par le juge Morton Minc, le 15 mars 2004, relativement à la demande de remise de Me Poitras : Après avoir entendu les arguments des parties et considéré l’historique de ces dossiers devant la cour, je vais accorder la remise pour les raisons suivantes : Bien que les dossiers datent de 2002, c’est la première fois qu’ils viennent à procès devant la cour. Je n’ai aucune preuve que cette demande de remise est frivole ou purement dilatoire. Au contraire. J’ai la preuve que les défendeurs ont fait tout le nécessaire pour obtenir un mandat d’aide juridique. À cette date, leur demande fait l’objet d’une requête devant la cour supérieure. Deuxièmement, les défendeurs sont jeunes et font face à des chefs d’accusation sérieux. S’ils sont trouvés coupables, ils risquent d’avoir un casier judiciaire. Troisièmement, les défendeurs vont avoir un procès conjoint où les règles de procédure sont plus compliquées que dans un procès où y a un seul défendeur. Pour cette raison, l’assistance d’un avocat est précieuse pour eux et pour une bonne administration de la justice. Quatrièmement, les défendeurs ont droit à une défense pleine et entière. Compte-tenu des faits qui m’ont été soumis, je considère qu’ils ont démontré leur désir d’être assisté d’un avocat. Le comble de l’inéquité Or, dans un renversement de situation dont seule la Cour municipale a le secret, un autre juge du même tribunal exprimait une opinion tout à fait contraire à celle du juge Minc seulement quelques semaines plus tard. En effet, le 19 avril 2004, le juge Denis Boisvert siège dans le premier des cinq grands procès réunissant 40 accuséEs qui ont été constitués suite à la conférence préparatoire du 29 mars 2004. Me Poitras avait alors prévu de faire entendre cinq requêtes de type Rowbotham, dont l’objet est de demander au tribunal d’ordonner au gouvernement de rémunérer un avocat pour les fins de représenter une personne accusée dans une situation d’indigence. (2) Lorsqu’elle est accordée, cette requête a pour effet de suspendre le procès jusqu’à ce que le gouvernement honore la décision du tribunal. Étant donné que c’est le gouvernement du Québec qui est mis en cause dans les requêtes Rowbotham, un avocat du Procureur Général (PG) du Québec, Me Patrice Pelletier-Rivest, est envoyé à la Cour municipale pour plaider des requêtes en irrecevabilité à l’encontre de celles de Me Poitras. Après de longs débats, le juge Boisvert accordera les requêtes en irrecevabilité du représentant du PG et refusera ainsi d’entendre toutes les requêtes de type Rowbotham de Me Poitras ! En réaction à cette étonnante décision, Me Poitras annonça au tribunal qu’il se retire des dossiers pour lesquels il n’avait reçu aucun mandat d’aide juridique, c’est-à-dire tous les dossiers sauf un seul. Et encore une fois, le juge Boisvert fera preuve d’une intransigeance absolue en refusant de permettre à Me Poitras de se retirer de quelque dossier ce soit et en l’obligeant à représenter gratuitement 31 accuséEs pour lesquelLEs il n’a aucun mandat ! Plaider coupable de guerre lasse La décision du juge Boisvert aura pour conséquence immédiate de faire en sorte que cinq accuséEs décideront de se représenter eux-mêmes et elles-mêmes, tandis que huit autres accuséEs accepteront de prendre les offres de règlement de la poursuite. Ce phénomène se reproduira dans les procès suivants, où d’autres accuséEs du 15 mars 2002 s’ajouteront au nombre de ceux et celles qui veulent en finir au plus vite. Il faut bien comprendre que, pour beaucoup d’accuséEs, l’entêtement de l’État à s’opposer coûte que coûte de fournir l’assistance d’un avocat constitue la goutte qui fait déborder le vase et l’ultime démonstration que s’il existe une justice, alors elle n’est pas accessible pour les accuséEs du 15 mars 2002. C’est n’est donc pas en raison de l’apparition soudaine d’un sentiment de culpabilité, mais davantage de guerre lasse que ces huit accuséEs décideront de régler définitivement leur dossier du 15 mars 2002 en acceptant les offres de la poursuite. De plus, il faut aussi reconnaître que, dans bien des cas, la décision d’accepter ces offres relève d’une décision à caractère économique. ConfrontéEs à la perspective de devoir se représenter seulEs à leur procès, certainEs accuséEs ont estiméEs qu’il serait plus coûteux de manquer trois jours d’ouvrage plutôt que de payer un ticket de 138$. C’est ainsi que l’impitoyable machine judiciaire est parvenu à venir à bout de la volonté de résistance à la fausse accusation d’« attroupement illégal » qui animait certainEs des accuséEs depuis deux ans. Ce ne sont pas les preuves bidons de la poursuite qui ont eu un effet dissuasif d’aller à procès mais tout simplement le fait que les règles du jeu ont rendu visiblement inéquitables les procédures judiciaires intentées contre les accuséEs. Dans un autre procès qui suivra, en mai 2004, un scénario à peu près identique se produit : Me Poitras demande à faire entendre deux requêtes de type de Rowbotham, le juge, en l’occurrence Richard Chassé, refuse d’entendre celles-ci. La seule différence dans ce cas est que l’avocat du PG n’aura même pas eu à se déplacer pour convaincre le tribunal de la soi-disante « impertinence » de ces requêtes. Toutefois, Me Poitras décidé d’attaquer la décision du juge Chassé par deux requêtes en certiorari déposée devant la Cour supérieure du Québec. Ces requêtes demandent donc d’annuler la décision du juge Chassé et de permettre aux deux requérantes d’avoir une véritable audition, devant un autre juge que Chassé, pour leur requête Rowbotham. Il est à noter que ces deux requêtes en certiorari seront entendues en Cour supérieure le 16 septembre prochain. L’acharnement judiciaire Il est d’autant plus regrettable que des accuséEs aient accepté les offres empoisonnées de la poursuite quand on sait que, jusqu’à présent, les deux seuls procès du 15 mars 2002 qui sont actuellement terminés se sont tous deux soldés par des acquittements. En effet, le 24 février 2004, le juge Denis Laliberté avait acquitté les huit accusés du premier procès du 15 mars 2002 sur une motion de non-lieu présentée par la défense. En fait, les accusés n’ont pas même eu à présenter leur version des faits puisque, aux yeux du tribunal, la poursuite n’avait même pas passé le test de la suffisance de preuve. (3) Cette spectaculaire défaite de la poursuite sera suivie par une autre victoire toute aussi éclatante pour les accuséEs du 15 mars 2002 avec l’acquittement du seul et unique accusé dans le deuxième procès d’« attroupement illégal ». Dans un jugement rendu le 8 avril 2004, le juge Evasio Massignani écrivait que « la Cour en arrive à la conclusion que les faits relatés démontrent qu’il s’agit d’une manifestation pacifique à l’intérieur de laquelle certains actes isolés sont commis face au quartier général par trois ou quatre manifestants ». Selon le juge, « s’il fallait qu’à chaque fois qu’un geste isolé » soit commis lors d’une manifestation on en conclu qu’il s’agit là d’un « attroupement illégal », alors ce serait là d’ « empêcher toute manifestation possible [ce qui] irait à l’encontre des droits primordiaux reconnus par les tribunaux. » Normalement, avec deux jugements aussi solides, on serait en droit de s’attendre à ce que n’importe quel procureur de bonne foi se rende à l’évidence que la poursuite n’a tout simplement pas de cause dans cette affaire-là et mettre un terme à l’hémorragie en fonds publics en abandonnant une fois pour toutes ces accusations sans fondement. Mais ça serait là oublier que les véritables patrons des procureurs de la poursuite sont la police et que cette même la police tient à tout prix à obtenir des condamnations contre les opposantEs à la brutalité policière qui ont osé prendre la rue un certain vendredi soir pour dire leur façon de penser à la flicaille qui gouverne nos rues. C’est ainsi que, contre toute attente, la poursuite a décidé de porter en appel le jugement Laliberté acquittant les huit accusés du premier procès. Curieusement, les mêmes procureurs se sont abstenus de porter en appel la décision du juge Massignani relativement au deuxième procès. Toujours est-il que l’appel dans le premier procès devrait être entendu par la Cour supérieure du Québec d’ici la fin de la présente année. Par ailleurs, ces acquittements ont aussi eu pour effet d’inciter la poursuite à apporter certaines « améliorations » dans sa preuve si peu convaincante. C’est ainsi que, lors de la deuxième vague de procès de cette année, deux témoins constables qui n’avaient pas été entendus lors de la première vague de mini-procès ont été produit devant la cour. De toute évidence, la poursuite avait décidé de couper dans le nombre de ses témoins à la suite de la décision controversée du juge Ghanimé de faire 28 procès. Pourtant, quand on sait ce que les deux nouveaux témoins ont à raconter, on ne peut qu’en arriver à la conclusion que leurs témoignages étaient loin d’être indispensable et déterminant quant à l’issue des procès. En effet, le principal élément nouveau amené par les deux constables se réduit à déposer en preuve que des billes auraient été tirées avec un sling-shot dans deux ou trois vitres du quartier général de la police lors de la manifestation. Bref, la poursuite n’avait pas eu si tort que ça en renonçant originalement à faire entendre ces deux constables… Mais, que voulez-vous, la poursuite est vraiment bien décidée à mettre le paquet, et même plus, pour arriver à donner un minimum de satisfaction à la toute-puissante police montréalaise. D’ailleurs, la conduite pour le moins questionnable du bureau des procureurs de la ville de Montréal dans les dossiers du 15 mars 2002 a déjà donné lieu à des requêtes en arrêt des procédures présentées par la défense dans certains des procès qui se sont ouvert cette année. Ces requêtes sont entre autres basées sur le principe que la poursuite est supposée ne pas avoir une cause à défendre, seulement un intérêt à faire éclater la vérité. Aucune décision n’a encore été rendue relativement à ces requêtes. L’autodéfense a bien meilleur goût Enfin, ce qui distingue la cause du 15 mars 2002 aux autres est le nombre inhabituel d’accuséEs assumant eux-mêmes et elles-mêmes leur propre défense devant la cour. Ces accuséEs, qui ne possédaient pratiquement aucune expérience en droit criminel, ont essentiellement appris sur le tas. Il faut aussi dire que, depuis le début de cette affaire, le Collectif Opposé à la Brutalité Policière (COBP), qui avait organisé la manifestation du 15 mars 2002, a assuré un certain suivi auprès des nombreuses personne arrêtées en rapport avec cet événement. Si ce suivi ne peut se substituer à une formation en droit qui fait défaut aux accuséEs, il aura néanmoins permis à un grand nombre d’entre eux et elles de s’y retrouver minimalement dans cette saga judiciaire pour le moins riche en rebondissements. Ainsi, outre les cinq accuséEs se représentant eux-mêmes dans le 5ième procès, on compte aussi 13 autres accuséEs se défendant sans avocat dans le 6ième procès ; dans le 7ième procès, on en recense 17, et, dans le 8ième procès, ce nombre se porte à 10 accuséEs. À ces nombres, il faut ajouter les accuséEs de la première vague de procès de décembre 2003. Ainsi, dans le 3ième procès, ce sont deux accuséEs qui se représentent eux-mêmes et elles-mêmes tandis que dans le 4ième procès, on compte trois accuséEs sans avocat. Que ce soit en raison des refus d’aide juridique ou par choix personnel, il n’en reste pas moins que ces accuséEs se sont tous et toutes réapproprié leur liberté de parole dans les salles de cour puisque aucun avocat ne peut s’exprimer en leur nom. Vous comprendrez qu’une telle situation ne va pas sans affecter la dynamique habituelle des procès à la Cour municipale. Les juges, qui sont habitués à faire uniquement affaire avec des avocats, doivent maintenant composer avec des accuséEs qui occupent désormais un rôle de premier plan dans leur propre cause. Cette situation occasionne un fardeau supplémentaire sur les épaules des juges qui siègent dans ces causes puisque la loi les oblige à s’assurer à ce que les accuséEs non-représentéEs comprennent bien chaque étape de la procédure criminelle au cours du procès. Évidemment, le succès avec lequel les juges s’acquittent de cette responsabilité est plutôt variable. Certains font davantage preuve d’impatience tandis que d’autres se plaisent dans leur rôle de juge-pédagogue. C’est ainsi qu’on a vu des accuséEs argumenter sur des objections. On a même vu des accuséEs plaider leurs propres requêtes basées sur la Charte canadienne des droits et libertés, incluant des requêtes en exclusion de la preuve ou en arrêt des procédures. On a aussi vu des accuséEs interroger ces mêmes flics qui sont à l’origine de toutes leurs tribulations judiciaires, incluant l’infâme commandant Alain Tourigny, le grand architecte de l’arrestation de masse du 15 mars 2002 et de plusieurs autres rafles de manifestantEs. En fait, ces procès nous permettent d’assister à un renversement symbolique de la situation : ces flics qui se sentent ordinairement au-dessus de tout sont ainsi tenus de répondre à toutes les questions qui viennent à l’esprit des accuséEs, à moins, bien sûr, qu’il y ait objection de la part de la poursuite (et celle-ci ne se prive pas d’en faire aussi souvent que possible). Vous ne verrez pas ça chaque jour une situation où un flic est contraint par la loi de répondre aux questions de manifestantEs ! Et les petits malins qui essayent de se dérober du serment qu’ils ont prêtés de dire « toute la vérité et rien que la vérité », en offrant des réponses vagues, ou même en refusant carrément de répondre, sont rapidement ramenés à l’ordre par le juge. Un appel à votre solidarité ! Comme vous le voyez, en dépit de tous les obstacles qui se sont dressés systématiquement sur leur chemin, il reste encore un bon nombre d’accuséEs du 15 mars 2002 qui ont choisi de tenir leur bout jusqu’au bout. Ces accuséEs, dont il faut saluer le courage, méritent le plein support de la communauté militante progressiste, car, ne l’oublions pas, l’enjeu de ce combat est celui du droit de manifester. Vous pouvez apporter votre support moral en venant assister au dernier des 9 procès d’« attroupement illégal » dans l’affaire du 15 mars 2002. Le 9ième procès s’ouvrira à la salle r.10 de la Cour municipale de Montréal (775 Gosford, métro Champs-de-mars) à partir du mardi 7 septembre 2004 et se continuera les 8 et 10 septembre suivant. Les heures normales des séances de cour sont de 9h30 à midi et demi pour l’avant-midi, et de 14h30 à 16h30 pour l’après-midi. Vous pouvez aussi apporter un soutien financier en faisant une donation au nom du COBP, Comme vous pouvez vous l’imaginer, il y a des frais d’avocat qui viennent avec tout ça ! Les chèques doivent être écrit au nom du COBP (vous pouvez inscrire 15 mars 2002 à côté, entre parenthèses, pour spécifier) et envoyé à : COBP a/s (1) La décision d’exclure toutes les personnes accusées avait d’ailleurs fait l’objet d'une requête en certiorari et en mandamus de la part de trois accuséEs du 15 mars 2002 qui se représentent eux-mêmes et elles-mêmes. Dans un jugement rendu en novembre 2003, le juge Fraser Martin rejetait ces requêtes. Pour lire cette décision, voir : http://www.canlii.org/qc/jug/qccs/2003/2003qccs17691.html (2) Rowbotham est le nom d’un accusé qui avait eu gain de cause après avoir demandé à un tribunal d’ordonner au gouvernement de payer ses frais d’avocat. Le jugement rendu par la Cour d’appel d’Ontario dans cette affaire a fait jurisprudence. (3) Voir l’article « GRANDE VICTOIRE POUR LES ARRÊTÉ-ES DU 15 MARS 2002! » : http://www.cmaq.net/node/15695
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