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Hô Chi Minh : un revolutionnaire " indochinois " journaliste à l’HumaAnonyme, Sunday, July 4, 2004 - 09:04
Par Alain Ruscio (*)
Nguyên Ai Quôc est un nom qui ne doit pas dire grand-chose à la majorité des lecteurs de l’Humanité ni d’ailleurs à quiconque aujourd’hui. Si l’on ajoute que ce nom a été l’un des innombrables pseudonymes de Nguyên Tat Thanh, on n’a guère avancé. Mais, dès que l’on saura que plus tard, bien plus tard, précisément en 1941, ce Vietnamien a fini par adopter un ultime pseudonyme, Hô Chi Minh, on sera, enfin, en terrain de connaissance. De 1917 à 1923, le futur leader vietnamien (on disait alors, annamite ou indochinois) a vécu en France. Tous ses biographes s’accordent à écrire que cette période a été décisive dans le cheminement de sa pensée, dans sa formation politique, prélude à une vie d’action d’une intensité rare. Au début de son séjour, sa culture politique est encore rudimentaire. En tout cas, selon nos critères européens. Car lui sait très précisément ce qu’il veut : la libération de son pays. Mais, conscient des limites du mouvement nationaliste, il cherche la voie de cette libération. Il fréquente alors divers cercles politiques, divers clubs de discussion. Malgré sa réserve naturelle, il y prend la parole pour parler du Vietnam et, plus généralement, du problème colonial. Il commence à fréquenter les milieux de la gauche française, le Parti socialiste, la CGT, la Ligue des droits de l’homme. Il y croise régulièrement Léon Blum, Jean Longuet, Marcel Cachin, Paul Vaillant-Couturier, Marius Moutet, Pierre Monatte. Plus tard, il gardera le souvenir ému de ces premiers Français qui lui disaient " monsieur " ou même, mot nouveau pour lui, " camarade ". Fin 1918, il adhère au Parti socialiste, étant ainsi un des tout premiers colonisés à s’inscrire aussi directement dans la vie politique française. On le voit, par exemple, le 1er mai 1920, haranguer la foule massée devant la mairie du Kremlin-Bicêtre (c’est à cette occasion que son nom apparaît, sans doute pour la première fois, le 2 mai, dans l’Humanité). Le Parti socialiste est alors traversé par une polémique qui enfle avec les mois. Faut-il soutenir la République des soviets ? Faut-il, surtout, adhérer à la toute jeune Internationale communiste ? Nguyên Ai Quôc n’a pas de formation globale qui lui permet de trancher entre les thèses en présence. Une seule chose compte, pour lui : qui s’intéresse au sort de son peuple ? Qui s’engage à le défendre ? Les défenseurs de la " vieille maison " socialiste lui paraissent, de ce point de vue, étrangement passifs. Par contre, les partisans de l’adhésion, que l’on commence à appeler " communistes ", sont plus intransigeants en ce domaine. Au cours de l’été 1920, l’Humanité publie les Thèses sur la question nationale et coloniale, de Lénine. Quôc en prend connaissance. Cette découverte le fait basculer définitivement dans le camp des partisans de l’adhésion. En décembre, à Tours, il vote, avec la majorité, pour la création d’un parti nouveau. Une photo célèbre le représente, frêle, timide, en train d’intervenir. À ses côtés, une silhouette connue, un peu plus massive, celle de Paul Vaillant-Couturier. Et ce n’est pas par hasard que ces deux futurs dirigeants du communisme international se retrouvent côte à côte. De 1920 à son départ de France, à l’été 1923, Nguyên Ai Quôc va déployer une grande activité. Il est membre fondateur de l’Union intercoloniale. Il crée un journal, significativement appelé le Paria, regroupant des colonisés des quatre coins de l’empire. Il en reprend les arguments dans un livre-pamphlet, le Procès de la colonisation française (1). Bien que communiste, et connu comme tel, il saisit toutes les occasions pour s’exprimer dans une autre presse. Il confie, par exemple, des articles au Populaire et au Libertaire. Il fréquente la franc-maçonnerie. Mais, désormais, c’est surtout à l’Humanité qu’il réserve ses talents de journaliste : une vingtaine d’articles en un peu plus d’une année. La plupart portant sur l’Indochine mais, en bon internationaliste, Quôc décrit également la misère des Noirs d’Afrique, la situation du mouvement ouvrier turc. Pour le révolutionnaire vietnamien, bon élève de Lénine, le journal communiste doit être tout à la fois un éducateur et un agitateur. Un éducateur : il part de la constatation que les Français, alors, les militants du nouveau parti comme les autres, ignorent à peu près tout de la situation coloniale. Dans l’Humanité du 25 mai 1922, il dénonce " l’indifférence du prolétariat métropolitain à l’égard des colonies ". Pour pallier cette insuffisance, Quôc décrit, abondamment, cette situation. Certes, écrit-il, les prolétaires de France souffrent. Mais les colonisés connaissent une situation " mille fois plus douloureuse ". Dans le style qui l’a rendu célèbre, il alterne ton révolté et remarques caustiques, multiplie les exemples. Toujours très concret, il cite ces simples chiffres : la France consacre 350 000 piastres, dans le budget de l’Indochine, à l’instruction publique, contre trente-cinq millions aux dépenses militaires (l’Humanité, 28 septembre 1923). Mais le journal doit être également un organisateur. À une époque où l’idée est encore neuve, il insiste sur la complémentarité des luttes des ouvriers français et des colonisés. Nguyên Ai Quôc conclut chacun de ses articles par un appel à l’action : les militants doivent accorder plus d’attention à la question coloniale. Dans le domaine de l’anticolonialisme, le jeune PCF a des progrès à faire. Beaucoup d’adhérents estiment que la protestation des parlementaires suffit. Nguyên Ai Quôc, avec d’autres colonisés communistes et quelques premiers militants européens (de métropole ou du Maghreb), fait partie de ceux qui estiment que le nouveau parti tout entier doit s’engager pas seulement par des paroles, mais par des actes. Il bataille ferme, par exemple (et obtient satisfaction), pour que la question coloniale soit à l’ordre du jour du 3e Congrès, en 1922. Il réussit à imposer dans l’Humanité une rubrique coloniale régulière. En juin 1923, il quitte la France. Traqué par la police, menacé d’être reconduit en Indochine (et donc, probablement, assassiné) en cas d’arrestation, il se rend clandestinement à Moscou. Il a le sentiment, justifié, d’avoir contribué à ancrer dans le jeune Parti communiste un certain internationalisme. Mais il est prudent. Il a également constaté des réticences, des lenteurs, des séquelles de paternalisme. La nuit n’a pas forcément fini à Tours, pour l’anticolonialisme français. Il n’importe. Ces années passées au PCF et à l’Humanité auront été marquantes dans sa formation politique. Un quart de siècle plus tard, devenu président de la République démocratique du Vietnam, reçu en chef d’État en 1946 en France, la première personne qu’il demandera à rencontrer fut Marie-Claude Vaillant-Couturier, la veuve de son cher camarade Paul. Plus tard encore, lorsqu’il présidait, à Hanoi, aux destinées du pays, face à l’agression américaine, il trouvait toujours un moment pour recevoir les correspondants de son journal (Madeleine Riffaud, Georges Girard et Charles Fourniau, correspondants de l’Huma, peuvent en témoigner). Nguyên Ai Quôc-Hô Chi Minh était un fidèle. (1) Paris, 1925. ce livre a été récemment réédité par les Éditions Le Temps des Cerises (Introduction et notes d’Alain Ruscio). (*) Ancien correspondant de l’Humanité au Vietnam. Repères Alain Ruscio est l’auteur de plusieurs ouvrages. Parmi ses derniers : Que la France était belle au temps des colonies (Maisonneuve et Larose), le Credo de l’homme blanc (Complexe) ; La Guerre française d’Indochine. Les sources de la connaissance (Les Indes Savantes) ; Diên Biên Phu, la fin d’une illusion (L’Harmattan) ; Nous et moi : grandeurs et servitudes communistes (Tirésias).
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