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Rod Coronado: une voix pour la libérationAnonyme, Saturday, May 1, 2004 - 03:28
Mirha-Soleil Ross
Une entrevue avec Rod Coronado, autochtone traditionaliste et militant au sein du Front pour la libération animale. ROD CORONADO : Une voix pour la libération L’entrevue qui suit a été réalisée par Mirha-Soleil Ross avec Rod Coronado le 15 juin 2000 et diffusée lors de l’émission « Animal voices » sur les ondes de CIUT 89.5FM à Toronto. Elle a ensuite été publiée dans le numéro 17 de la revue Underground : the magazine of the north american Animal liberation front supporters’ group. *** Rod Coronado est un autochtone traditionaliste et un guerrier militant pour l’environnement et la libération animale. Il a été incarcéré pendant 4 ans et demi dans une prison fédérale américaine pour ses activités au sein d’organisations pour la libération de la Terre et des animaux. MIRHA-SOLEIL ROSS : Bonjour et bienvenue à notre émission, Animal voices. Parmi nos auditeurs et nos auditrices, plusieurs te connaissent bien et sont au fait de ton travail. Pour ceux qui sont nouvellement à notre écoute, est-ce que tu pourrais commencer par nous présenter un survol de ta participation au sein du Animal liberation front (ALF)? ROD CORONADO : Bien sûr… Mais d'abord, je voudrais vous remercier, vous, vos auditeurs et vos auditrices pour tout le soutien que vous m’avez apporté durant mon incarcération. Ça m’a vraiment aidé de savoir que j’avais le soutien de gens à Toronto, de gens au Canada et en fait de gens à travers le monde. Je crois que cela a vraiment démontré exactement combien d’appui il y a pour les actions directes illégales, et ce, en contraste avec ce que le gouvernement voudrait que l’on croie. Pour répondre à la question : « Comment je me suis au début impliqué dans le ALF? », je dirais que ce qui m’a élevé à un tel niveau de conscience et de militantisme, c’est de toujours avoir été élevé dans un esprit de respect et de révérence pour les animaux et la nature. Je n’ai pas commencé avec les campagnes de lettres et les pétitions pour ensuite passer aux manifestations. Je ne suis pas passé à travers ce genre d’évolution simplement parce que j’ai tout de suite découvert un niveau tellement extrême d’abus et de cruauté envers les animaux – et ce, à travers des documentaires, des bulletins d’information, des revues et journaux — que, pour moi, la situation requérait une action immédiate. Les animaux qui étaient en train de souffrir dans les laboratoires, sur les fermes à fourrure et sur les fermes d’élevage intensif ne pouvaient attendre qu’on épuise des moyens plus légaux. Pendant longtemps, les gens avaient opté pour la voie légale et, même si à l’occasion ça les avait conduits à certains résultats, ces derniers n’avaient pas été obtenus assez vite pour les animaux qui, eux, étaient en train de souffrir. Je me suis donc impliqué dans le mouvement d’action directe en travaillant avec des organisations comme Sea sheperd conservation society, Earth first!, et plus tard avec le ALF. J’étais en Grande-Bretagne au milieu des années 80 et j’ai vu que le ALF n’était pas une organisation extrêmement structurée. Vous pouvez vous appeler militant du ALF si vous observez les trois règles de base suivantes : vous devez respecter la vie plus que les objets, plus que la propriété; vous devez vous engager à libérer les animaux des lieux où ils sont abusés et vous devez dénoncer tout haut l’horreur de la vivisection et l’abus des animaux. Alors, j’ai vu des gens, en Angleterre, qui faisaient exactement ça. Ils n’avaient aucun chef et prenaient simplement l’initiative; ils avaient confiance en eux-mêmes et ils s’octroyaient l’autorité de former leurs propres sections du ALF. C’est donc à ce moment-là que j’ai formé une cellule liée au ALF dont l’efficacité a atteint son apogée durant les années 80 et 90 avec les raids de laboratoires universitaires et d’instituts de recherche gouvernementale. MSR : Tu sembles avoir canalisé tes efforts dans la lutte contre l’industrie de la fourrure. Pourquoi as-tu choisi de lutter tout particulièrement contre l’industrie de la fourrure? RC : Je suis membre de la nation pascua-yaqui et, en tant que personne autochtone, l’industrie de la fourrure représente tellement plus pour moi que seulement l’abus des animaux. Cette industrie représente notre génocide culturel. Ils étaient les hommes de troupe de l’invasion dans le « Nouveau Monde ». Ce sont eux qui ont introduit les maladies. Ce sont eux qui ont introduit l’alcoolisme. Ce sont eux qui ont introduit la poudre explosive et bien d’autres choses encore qui nous ont menés au génocide. Alors pour moi la continuation de l’industrie de la fourrure aux 20e et 21e siècles est en fait une continuation de ce génocide-là. L’industrie de la fourrure a eu un impact désastreux sur les peuples autochtones et continue toujours de faire ses ravages parmi les peuples autochtones animaux. Alors, ils continuent de causer autant de dommages qu’ils en ont causé aux 15e, 16e et 17e siècles en menaçant maintenant les dernières nations d’êtres qui vivent à l’état sauvage. Ma lutte contre l’industrie de la fourrure en est donc une de persévérance et de résistance séculaire contre la conquête, contre le colonialisme et contre l’impérialisme. Je ressens une empathie immense pour les animaux emprisonnés dans les fermes à fourrure ou pris au piège dans des trappes d’acier parce que nous partageons des liens de parenté et parce qu’ils souffrent tout comme mes ancêtres ont souffert. L’industrie de la fourrure est l’incarnation moderne des mêmes gens qui ont massacré mon peuple et qui ont détruit nos terres ancestrales. Mon combat contre l’industrie de la fourrure est donc un combat qui a ses racines dans des croyances très profondes, croyances qui ont à voir avec l’écologie et avec mon héritage culturel. Aussi, je pense qu’en tant que représentant de tout ça, il est très important de les confronter et de leur dire clairement qu’ils ne devraient plus exister. Sur le plan éthique, nous avons assez évolué moralement comme êtres humains pour reconnaître que ces industries sont aujourd’hui inacceptables dans notre société. MSR : Je me suis engagée dans le mouvement pour les droits des animaux au milieu des années 80. J’avais 15 ou 16 ans et je me rappelle qu’à cette époque, au Canada, il y avait beaucoup de tension entre notre mouvement et l’industrie de la fourrure. Tu as dit que tu considères que l’industrie de la fourrure a perpétré un génocide contre les peuples autochtones. Mais l’industrie de la fourrure, au cours des années 80, a tenté de propager l’idée que les militants pour les droits des animaux étaient en train de commettre un acte de génocide contre les gens autochtones en attaquant une industrie qu’ils représentaient comme étant liée à leur indépendance et à leur survie économiques. Est-ce que cette tentative, qui consiste à attaquer le mouvement contre la fourrure en utilisant les gens autochtones, perdure toujours aujourd’hui? Est-ce que leur tentative s’est soldée par un échec? RC : Je pense que c’est une stratégie de relations publiques pour essayer de maintenir un argument valable pour leur existence. Mais je pense aussi que ça ressemble aux arguments des propriétaires de plantations qui accusaient au 19e siècle les abolitionnistes de menacer le gagne-pain des esclaves noirs. Que ceux qui sont les plus responsables de notre génocide soient, maintenant, en train d’affirmer qu’ils se préoccupent de notre bien-être, pour les gens autochtones, c’est comme se faire foutre une baffe en pleine gueule. C’est insultant! Et plus ils utiliseront cet argument, plus ça sera clair, pour les gens autochtones, qu’ils sont en train de nous exploiter encore davantage. MSR : Il y a beaucoup de discussion dans notre mouvement autour de la question de la violence. L’une des principales questions au centre des débats est : qu'est-ce que la violence? Et aussi : est-ce que les actions du ALF constituent ou non des actes violents? Dans tes articles, tu dis que tu ne considères pas la destruction d’équipement ou d’objets qui exploitent et détruisent les animaux et la Terre comme des actes violents. Est-ce que tu pourrais nous parler un peu plus de ta position sur ce sujet? RC : Bien voilà... Retirer des mains de quelqu’un un fusil, avant que ce fusil ne soit utilisé pour tuer quelqu’un d’autre, ne peut être considéré comme un acte violent parce que c’est très clair que tu es en train d’empêcher qu’un bien plus grand crime soit commis. Ainsi, retirer avant qu’ils ne soient utilisés des outils qui ont pour seul but la destruction de vies innocentes est un acte de prévention, prévention d’un crime bien plus grand et bien plus pervers. Alors dans ces cas-là, je considère les actes agressifs comme non violents. Nous vivons malheureusement aujourd’hui dans une société qui sanctionne la destruction des derniers anciens séquoias, qui autorise l’extinction de plus de 10 000 espèces par année. Je pense que, dans notre société, c’est une action non violente que de supprimer, avant que le mal soit fait, ces outils qui servent à la destruction. Et il est si absurde de se faire coller l’étiquette de terroriste, d’extrémiste et de criminels violents par ceux-là mêmes qui sont responsables d’une quantité incroyable de souffrance, de torture, de violence et de véritable terrorisme. Je crois que le public n’a qu’à regarder et voir qui sont ceux dont les mains sont tachées de sang pour reconnaître les véritables membres violents dans notre société. MSR : Dans un article que j’ai lu, tu mentionnes aussi que le mouvement pour la libération animale a maintenant atteint un point qui a déjà été visité par d’autres mouvements pour la justice sociale, particulièrement en ce qui a trait au harcèlement et à la violence dirigés contre ses militants par les industries et le gouvernement. Quelles leçons les mouvements pour la libération animale et pour la libération de la Terre peuvent-ils tirer de l’histoire de ces autres mouvements sociaux? RC : Je crois qu’à partir du moment où nous commençons à reconnaître la véritable violence et le véritable terrorisme dans notre société, alors on est confronté au fait que, quand le gouvernement commet des assassinats, on parle de « manœuvre militaire » ou d’« opération policière ». Mais quand les forces rebelles défendent leur environnement ou leurs terres ancestrales, et bien elles sont accusées de terrorisme ou de violence. Alors, il est important de reconnaître que ce type de réaction existe parce que nos gouvernements ont deux poids, deux mesures, que notre société vit dans l’hypocrisie, faisant en sorte que non seulement on ne s’oppose pas à toutes les formes de violence, mais que, dans les faits, on légifère pour en permettre beaucoup. Comment peuvent-ils prétendre se soucier de la violence quand il y a tant de violence légalement autorisée tout autour de nous dans la société d’aujourd’hui? Et ces accusations sont toujours lancées quand nous commettons des actes de vandalisme contre la propriété, contre les biens matériels, mais elles ne sont jamais lancées contre les représentants officiels des industries, leur personnel militaire et leurs policiers qui commettent des actes violents de façon régulière contre nos manifestants pacifistes. La seule raison pour laquelle nous voyons le ALF et le ELF (Earth liberation front) répondre aussi agressivement et en dehors de la loi, c’est que nous ne sommes plus respectés comme manifestants pacifistes. Nous voyons de plus en plus d’attaques au poivre de Cayenne contre les manifestants et de plus en plus de violation de leurs droits civils et de leurs droits humains. Tant et aussi longtemps que la société permettra au gouvernement et aux forces policières de traiter des gens qui ont un grand respect pour la non-violence de cette façon, et bien certains diront : « Au diable tout ça! Je ne vais tout de même pas m’arranger pour me faire taper sur la tête par un policier quand, au lieu de ça, je peux attaquer une institution pacifiquement en visant sa propriété. » Alors, dans ce sens, je considère que les actions du ALF et du ELF sont des actions qui préviennent la violence parce qu’elles empêchent les confrontations physiques qui mènent souvent à des confrontations violentes. Donc, je crois qu’il est important de reconnaître que nous essayons le plus possible d’adhérer à un code de non-violence. Même Gandhi admettait que la résistance non violente n’est efficace que dans la mesure où l’oppresseur la reconnaît. Or les autorités, aujourd’hui dans notre société, semblent n’avoir aucun respect pour notre adhésion à la non-violence. Si les représentants de la police, de la justice et de notre société étaient à ce point préoccupés de mettre fin aux actions illégales pour la défense des animaux et de l’environnement, la meilleure chose qu’ils pourraient faire, ce serait leur travail. Ces organisations et ces institutions dont la responsabilité est de protéger l’environnement doivent faire respecter ces lois qui sont maintenant en vigueur et pour lesquelles nous avons combattu longuement et durement. Je sais qu’en ce moment, au Canada, ils sont à peine à l’étape où ils vont passer une loi pour protéger les espèces menacées d’extinction. Cela aurait dû avoir été fait, il y a bien des années. Le Canada est toujours responsable du plus grand massacre de faune animale au monde avec sa chasse aux phoques et je ne vois pas comment ils peuvent continuer ce type d’agression, ce type de génocide écologique qui est sanctionné par l’État sans s’attendre à une réponse illégale en retour. C’est légal de tuer des phoques au Canada, mais c’est illégal de les protéger, ce qui est une situation inacceptable. MSR : Tu as pris part à des actions directes et tu as fait partie du Animal liberation front depuis 1985. Lorsque tu jettes un regard vers le passé et que tu réfléchis sur tes quinze années de militantisme, est-ce que tu penses que les différentes activités pour la libération animale ont vraiment eu un impact sur l’industrie de la fourrure? RC : Quand on examine l’industrie de la fourrure ici en Amérique, ce que j’ai pu constater au cours de ma vie, c’est un déclin sans répit des fermes d’élevage et des fourreurs parce que maintenant, en plus des manifestations, des pétitions, des campagnes de lettres, des activités des groupes de pression, ils sont aux prises avec un élément imprévisible et impossible à maîtriser. Et cet élément, c’est l’action directe illégale qui indique à ces gens que leurs pratiques sont moralement et écologiquement inacceptables. Le message envoyé est qu’en plus d’avoir à répondre au gouvernement, un gouvernement qui a de toute façon démontré une inertie totale quant à leur contrôle, ils doivent désormais aussi répondre de leurs actes devant des groupes (comme le ALF) qui leur arracheront une taxe pour leurs actes cruels. Et dans ce sens, nous avons créé pour ces gens une réalité dans laquelle ils devront assumer des coûts d’assurance plus élevés s’ils se lancent en affaires pour abuser des animaux. Ils devront assumer des frais de sécurité de plus en plus coûteux. Ils devront laisser tomber l’idée d’annoncer leurs produits dans leur vitrine de peur de se la faire fracasser. Et en l’absence de toute réglementation gouvernementale de l’industrie de la fourrure, c’est ce que la population doit faire. Nous devons forcer ces compagnies et ces industries à rendre des comptes. Je crois donc que le ALF peut être fier d’avoir empêché l’industrie de la fourrure de prendre de l’expansion. Et grâce à une simple pression soutenue, nous continuons de voir, ici aux États-Unis, une réduction des fermes d’élevage d’animaux à fourrure. Maintenant, regardons une industrie comme celle de la recherche animale… Moi, je vis ici à Tucson en Arizona et, en 1989, nous avons assisté à la plus importante action de libération animale dans ce pays alors que 1200 animaux ont été libérés de l’université d’Arizona. Par la suite, les chercheurs ont déclaré dans le journal que le ALF avait attiré l’attention sur leurs recherches à tel point qu’ils étaient désormais forcés de justifier et de rationaliser chaque expérience faite sur des animaux avec, pour conséquence, qu’ils avaient été forcés de réduire le nombre d’animaux utilisés en expérimentation. Ils étaient devenus conscients que le public était préoccupé par ce qu’ils faisaient à partir du moment où l’attention avait été attirée sur leur recherche. Donc, peu importe vos sentiments à l’égard des actions directes et illégales pour les animaux et la Terre, personne ne peut nier qu’elles aident à attirer l’attention sur certains problèmes qui échappent à la vigilance du public. Ici, au Colorado, quand le ELF a incendié, il y a quelques années, des édifices appartenant à Vail corporation, on avait déjà essayé pendant des années de se battre devant les tribunaux pour forcer le US fish and wildlife service à protéger le lynx canadien aux États-Unis. On avait participé à toutes les assemblées générales de consultation publique. On avait même des biologistes, du ministère de la Faune du Colorado, qui dénonçaient la destruction de l’habitat du lynx. On avait écrit des lettres et fait tout ce qu’on était supposé faire sans jamais voir un mot sur le sujet dans les médias. Mais quand le ELF est entré en scène et a fait flamber ces édifices, instantanément du jour au lendemain, la question du lynx canadien est devenue une question digne des nouvelles internationales. Ça a fait la une de tous les journaux et de tous les réseaux d’information. Partout, les gens savaient ce qui se passait. Et depuis ce temps, le gouvernement américain s’est vu dans l’obligation d’offrir au lynx une protection légale qui lui était auparavant refusée. C’est une protection qui n’est peut-être pas aussi stricte qu’elle devrait l’être, mais je pense tout de même que le ELF a le mérite d’avoir aidé à exposer le problème au grand jour. Quoi que vous pensiez de ces tactiques, la réalité est la suivante : nous pouvons avoir les meilleurs biologistes du monde de notre côté; ils peuvent dénoncer les menaces qui pèsent sur notre environnement et sur les populations animales, mais il n’y a rien comme les actions directes pour nous assurer une présence dans les médias. Alors dans ce sens, nous ne sommes pas ceux qui établissent les règles, nous ne faisons que jouer le jeu. MSR : Malgré le harcèlement et la violence des gouvernements qui essaient d’écraser des groupes comme le ALF et le ELF, est-ce que tu prévois une augmentation de même qu’une diversification des actions directes dans les années à venir? Si oui, est-ce que tu vois ce mouvement prendre de l’envergure à cause de la frustration ressentie par de plus en plus de gens qui avaient jusqu’à aujourd’hui opté pour des méthodes de pression et de protestation plus traditionnelles? RC : Je vois ce mouvement grandir parce que les militants sont acculés au pied du mur. Je ne le vois pas grandir par choix. Il y a de plus en plus de gens qui se joignent à cette lutte parce qu’ils n’ont plus aucune confiance dans les moyens légaux. Et c’est parce que nous voyons aujourd’hui plus que jamais les entreprises et les industries privées avoir plus d’influence que les électeurs sur l’élaboration des politiques gouvernementales. C’est tellement évident maintenant avec l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, avec l’Accord de libre-échange nord-américain, avec l’Organisation mondiale du commerce et le Fonds monétaire international… On est en train de voir ces structures institutionnelles renverser tous les gains démocratiques obtenus par les environnementalistes et les militants pour la protection animale. Et plus cela se produit, plus les gens perdent confiance dans les moyens démocratiques de changement. Alors, les mouvements d’action directe prennent de l’ampleur en raison de l’incapacité des gouvernements d’obéir à la volonté des gens dans notre société. Ici aux États-Unis, la protection animale est le problème pour lequel le Congrès reçoit le plus de lettres. Donc si nous vivions dans une véritable démocratie, cela se traduirait en lois pour la protection des animaux. Mais au lieu de cela, les animaux de laboratoire se trouvent encore aujourd’hui avec tout ce qu’il y a de plus minime en matière de protection. De plus, certains animaux comme les rats, les souris, les oiseaux, les poissons et les animaux de ferme ne sont même pas reconnus comme des animaux. Donc tant et aussi longtemps que notre gouvernement refusera de répondre aux préoccupations du public — dont la majorité se soucie du bien-être des animaux et de l’environnement —, ses représentants peuvent être sacrément sûrs qu’il y aura une augmentation d’actions directes menées par des gens qui n’ont aucune confiance dans leur gouvernement. MSR : Le type de travail que tu fais semble comporter beaucoup de risques et énormément de sacrifices. Il faut vraiment que tu sois capable de mettre ton égoïsme de côté. Tu as mis ton propre corps en péril… Tu as été incarcéré… Qu’est-ce qui te pousse à accomplir tout ce que tu accomplis? Et où trouves-tu l’inspiration politique et la force spirituelle qui te permettent de faire face à tes peurs? RC : Cette lutte est beaucoup plus ancienne que quiconque vivant aujourd’hui. Elle est plus ancienne que les institutions gouvernementales, qu’elles soient canadiennes ou américaines. Il s’agit d’une résistance sacrée qui a vu le jour en même temps que s’est développée une vision du monde dans laquelle les animaux et la nature sont considérés comme des objets et des matières premières. En contraste, notre lutte est le prolongement d’une sagesse qui nous encourage à vivre en harmonie avec toutes les formes de vie et la nature. Et personnellement, quand les gens me parlent de la prison ou du harcèlement gouvernemental, je n’y pense même pas. Je ne pense pas aux sacrifices que je fais parce que, pour moi, cette lutte a toujours représenté un bien plus grand privilège, un bien plus grand bonheur. Ce bonheur, c’est celui, comme être humain, de pouvoir représenter le monde animal et la création pour lesquels mes ancêtres ont lutté et pour lesquels ils sont morts. C’est donc quelque chose que nous devrions considérer comme un honneur extraordinaire. Nous perpétuons une tradition pour laquelle les gens ont donné leur vie pendant des siècles. Et si je dois aller passer quelques années en prison pour représenter cette lutte-là, et bien qu’il en soit ainsi. Ce sera un véritable honneur pour moi. Car peu importe les sacrifices que je pourrai faire dans ma vie, je sais que mes ancêtres, qui se sont battus pour la même chose, en ont fait de bien plus grands. Aussi nous devons nous rappeler que nous nous battons pour quelque chose de tellement plus beau, tellement plus humanitaire, tellement mieux que ce que ne nous a jamais offert la culture dominante. Tout ce qu’ils ont créé, y compris cette illusion de réalité dans laquelle nous sommes forcés d’exister, est fondé sur la peur et puise sa force dans l’intimidation, dans le culte de la consommation et dans toutes ces choses que nous sommes censés désirer et respecter. Non pas parce que nous y croyons, mais parce que nous avons peur des conséquences auxquelles nous devrons faire face si nous n’adhérons pas aux normes sociales. Il faut donc être prêt à considérer une autre option et ce qu’elle représente. Et nous représentons le pouvoir de l’amour et le pouvoir de la Terre. Ce pouvoir n’est pas créé par l’homme; il se voit plutôt dans une rivière, dans une chaîne de montagnes, dans la nature, et dans un lynx ou un vison à l’état sauvage. Et ça, pour moi, c’est quelque chose de tellement sacré. Personnellement, quand j’étais en fuite et que le FBI me pourchassait, c’est là que j’ai réalisé pour la première fois que j’étais beaucoup plus proche des animaux que je l’avais auparavant imaginé. C’est seulement quand je me suis senti traqué comme un animal que j’ai vraiment développé une appréciation pour ma propre vie et ma liberté, deux choses dont nous devons tous jouir, car ce sont des cadeaux. Cette vie. Cette Terre. Ce bijou de planète. Ce sont les seules choses dans nos vies pour lesquelles nous devrions nous battre. Parce que si nous nous compromettons et échouons dans nos obligations morales et sociales de protéger cet environnement, ce ne seront pas seulement nos petits-enfants qui souffriront. Ce seront aussi toutes les formes de vie, qui ont pris 400 millions années pour évoluer sur cette planète, qui disparaîtront. Et je ne veux pas être témoin de ça durant mon existence. Donc quand j’étais en prison, je n’avais pas de difficulté à dormir la nuit parce que je savais en fin de compte que j’avais fait ce que mon coeur m’avait indiqué être juste. J’avais combattu pour cette cause tout comme d’innombrables nations d’êtres humains l’avaient fait auparavant. Avoir la plus belle voiture ou la plus grande maison n’avait donc, pour moi, aucune importance. Ce qui m’importait, c’était de savoir que je pourrais un jour faire face à mes petits-enfants et, quand ils me demanderaient ce que j’avais fait pour protéger l’environnement et pour empêcher des espèces de disparaître, je pourrais les regarder droit dans les yeux et leur dire que j’avais fait tout ce qui était humainement possible. Et c’est ça, la question que nous devons nous poser : serons-nous capables de dire aux générations futures que nous avons accepté nos responsabilités sans égards aux conséquences et que nous avons fait ce que nous savions être, au plus profond de nos coeurs, juste. MSR : Lorsque j’entends les militants pour les droits des animaux et les gens autochtones parler de faire partie du monde animal et de l’environnement et de ne pas en être séparés, je pense toujours que ces deux mouvements ont beaucoup en commun. Donc de ton point de vue, quels sont les éléments qui pourraient motiver une alliance puissante entre les militants pour les droits des animaux et les militants dans le mouvement de résistance autochtone? RC : Je vois le végétalisme, la libération animale, et l’écologie radicale comme les incarnations modernes de la résistance autochtone. Je vois tout ce pour quoi nous nous battons aujourd’hui comme l’équivalent de ce pour quoi mes ancêtres se sont battus. Je vois défoncer les portes d’un laboratoire pour libérer des animaux et le sabotage d’équipement de coupe à blanc comme brûler des forts et se battre pour défendre ses terres, il y a 100 ou 200 ans. Je pense que cette lutte est tellement plus ancienne que le mouvement pour la libération animale et l’écologie. Ça remonte aux gens qui pendant des siècles ont cru aux mêmes choses pour lesquelles nous nous battons aujourd’hui. Maintenant, les esprits de ces gens qui se sont battus et qui ont souffert pour la même cause sont à l’intérieur de nos corps parce que nous vivons sur cette même Terre où ils ont eux-mêmes vécu. Nous nous nourrissons de la même énergie et de la même force vitale de la Terre qui les a nourris et leurs esprits nous parlent. Nous vivons dans cet environnement urbain donc nous répondons en conséquence. Parce que nous sommes au coeur du mal, nous réagissons en rejetant l’exploitation animale et la destruction de l’environnement. Et de nos jours, on nous appelle des environnementalistes ou des militants pour les droits des animaux… Mais je pense qu’il est important pour nous tous de reconnaître que ça va bien au-delà de l’environnement et des animaux. Il s’agit des droits de la Terre, des droits de l’air, des droits de l’eau, des droits des pierres, des droits de toute la création de survivre. Alors, il faut sortir de ces petits compartiments dans lesquels la société essaie de nous enfermer. Il faut se défaire de ces étiquettes que la société nous colle. Nous devons reconnaître que nous nous battons tous contre le même ennemi. Nous nous battons tous contre le même empire pernicieux. Et c’est seulement quand nous aurons reconnu cela, que nous pourrons vaincre ce stratagème utilisé contre nous depuis toujours et qui se résume à “Diviser pour conquérir
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