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Le Brésil de Lula et les minorités sexuelles à l'ONURoberto Jovel, Sunday, March 21, 2004 - 15:54
Roberto Jovel
Par le biais d'une résolution déposée à la Commission des droits humains de l'ONU, le Brésil de Lula enjoint les gouvernements de la planète à protéger les droits humains des minorités sexuelles et de genre. Le Vatican, l'OIC et les fondamentalistes protestants nord-américains s'opposent farouchement à cette résolution. Mais une très large et diverse mobilisation mondiale par la base est en branle. Ce que vous pouvez faire. Ces jours-ci, dans le cadre de sa 60ème session de travail, la Commission des droits humains (CDH) des Nations Unies (ONU) plongera dans un débat qui s’annonce particulièrement difficile. Le Brésil dépose à nouveau une résolution visant, d’une part, à reconnaître la persistance, à travers le monde, de violations des droits humains liées à l’orientation sexuelle des personnes et, d’autre part, à engager les gouvernements de la planète à faire respecter les droits humains des personnes dont la sexualité est autre qu’exclusivement hétérosexuelle. Cette résolution revient sur la table à la CDH de l’ONU aujourd’hui suite à une farouche opposition à son adoption, l’an passé, de la part des gouvernements membres de l’Organisation de la conférence islamique (OIC), du Vatican, qui a exercé une très forte pression auprès des gouvernements latino-américains, et suite à l’abstention par le gouvernement des Etats-Unis, dont on connaît les sensibilités fondamentalistes protestantes. Si les raisons justifiant une prise de position par la CDH de l’ONU en faveur de la défense des droits des minorités sexuelles ont été suffisamment documentées par des organisations non gouvernementales (ONGs) internationales indépendantes et crédibles, les opposants d’une telle défense essayent pour leur part de faire valoir des arguments culturels, religieux et supposément post-colonialistes afin de battre ladite résolution. Un soutien ferme à ce qu’on nomme désormais « la résolution brésilienne » est aujourd’hui nécessaire de la part de tous les mouvements et de tous les individus préoccupés par la justice. Des abus fort bien documentés : les raisons d’agir Amnistie internationale (AI) signale que, en juillet 2000, Frederick Mason, un homme gai noir, était torturé par des agents de police à Chicago l’ayant traité de « sale tapette nègre ». L’organisation a également pointé du doigt des procès aux États-Unis où l’orientation sexuelle de l’accusé a joué un rôle à sa condamnation à la peine capitale, le dernier de ces cas datant d’octobre 2003. Dans son édition du 3 février 2004, Le Monde rapportait que Sébastien Nouchet, homme gai belge, était aspergé d’essence par des voisins l’ayant par la suite brûlé vif. Cela fera bientôt 3 ans qu’un véritable pattern de persécution prévaut en Égypte à l’endroit des hommes accusés d’avoir des relations sexuelles avec d’autres hommes. Selon le Groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires, ces Égyptiens n’auraient jamais dû être arrêtés. Pour sa part, le Comité de l’ONU contre la torture dénonce également les traitements auxquels ces victimes ont été soumises par des autorités carcérales. Dans un document récent, la rapporteuse spéciale de l’ONU pour les exécutions extrajudiciares, la Pakistanaise Asma Jahangir, estime à 200 le nombre des meurtres de personnes homosexuelles et transgenres commis au Honduras entre 1991 et 2001. Pour sa part, AI dénonce le refus par les autorités honduriennes d’accorder un statut légal aux organisations des minorités sexuelles, ainsi que le tabassage continu auquel sont soumises des lesbiennes en Équateur par des gangs d’hommes de leur propre quartier. Ce ne sont là que quelques exemples. Ces violations établies par des organisations telles AI, Human Rights Watch (HRW), l’International Gay and Lesbian Human Rights Commission (IGLHRC) ainsi que par les experts indépendants des Nations Unies sont en lien avec des droits fondamentaux tels le droit à la vie, à l’intégrité physique et mental, à la liberté d’association et d’expression, à un traitement égal devant la loi, à ne pas être victime de discrimination. Il ne s’agit donc nullement de « droits spéciaux », mais des droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits humains ainsi que dans d’autres instruments internationaux auxquels la grande majorité des États sont partie. Une initiative vraiment planétaire : quand la distinction Nord/Sud s’estompe Des notions erronées et réifiantes de la culture et de l’ethnicité tendent à se déployer lorsqu’on discute, sur le plan international, au sujet de la diversité sexuelle et des droits humains. L’homosexualité et le respect des droits des personnes homosexuelles seraient l’affaire de l’« Occident blanc »; les initiatives visant à protéger les minorités sexuelles ne seraient qu’une démarche des « lobbies gais » des pays « du Nord »; les Nations Unies feraient preuve d’« impérialisme » lorsque ses mécanismes se portent à la défense des membres des groupes relevant de la diversité sexuelle de l’être humain. A-t-on raison de penser de la sorte ? En ce moment, une dynamique de réseautage international en soutien à la « résolution brésilienne », facilitée par l’organisation non gouvernementale canadienne ARC International, compte sur la participation de militants et militantes d’ONGs des minorités sexuelles des pays suivants : Afrique du sud, Égypte, Kenya, Nigeria, Ouganda, Zimbabwe, Israël, Chine/Hong-Kong, Fidji, Inde, Corée, Malaisie, Népal, Pakistan, Philippines, Sri-Lanka, Thaïlande, Croatie, Russie, Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Mexique, Australie, Nouvelle-Zélande en plus d’autres pays européens et nord-américains. Le 14 février 2004, une conférence d’organisations lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et transsexuelles regroupant des dizaines de militants et militantes en provenance de plusieurs pays africains signait et distribuait mondialement la « Déclaration de Johannesbourg ». Cette déclaration constitue un solide démenti aux Mugabe, Arap-Moï, Museveni et Nujoma qui prétendent que l’homosexualité soit quelque chose de « non africain ». Les signataires rappellent que la présence de la diversité sexuelle en Afrique a précédé à la conquête par les puissances coloniales, celles-ci étant les responsables historiques des lois, dans les codes pénaux africains actuels, qui criminalisent l’homosexualité. Des experts indépendants en matière des droits humains, provenant de pays dits « du Sud », ont joué un rôle clé dans le système de l’ONU en termes de documentation et de dénonciation des violations des droits humains des minorités sexuelles. En plus de la Pakistanaise Asma Jahangir, ces rapporteurs spéciaux de l’ONU incluent Radhika Coomeraswamy, du Sri-Lanka, qui travaille sur le thème de la violence faite aux femmes, et les experts en droits humains de l’Algérie, du Paraguay et de la République islamique d’Iran faisant partie du Groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires. On le voit, des gens issus d’un ample éventail de régions et de cultures se trouvent à l’avant-garde de cette lutte. Et la religion dans tout cela ? Le caractère sacré de la justice En général, ce ne sont que les principaux tenants d’interprétations fondamentalistes et intégristes de certaines religions qui s’opposent activement à ce que les droits humains des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et transsexuelles soient protégés. Disant craindre des « attaques » aux valeurs traditionnelles, ces fondamentalismes et ces intégrismes passent sous silence de manière flagrante les graves atteintes aux droits fondamentaux dont il est question dans cette discussion. Heureusement il y a des courants, dans les diverses religions, qui croient au caractère sacré de la justice et du devoir de traitement humain envers les membres de leur famille et de la famille humaine qui ne sont pas hétérosexuels. Une déclaration co-signée par plusieurs organisations basées sur la foi, à l’initiative de « Catholiques pour le droit de choisir », circule en ce moment sur le plan international en soutien à la « résolution brésilienne ». On peut y lire : « Nous reconnaissons que les traditions de foi dans le monde se sont développées dans des contextes culturels et historiques différents et qu’elles peuvent différer quant aux préceptes devant gouverner notre comportement intime et consensuel. Mais nous continuons d’affirmer avec force que la liberté, l’intégrité physique et la vie doivent être protégées et que la dignité humaine doit être respectée (…). [Des] êtres humains vulnérables face à la violence ou victimisés par l’intolérance nécessitent d’une défense accrue de la part de ceux qui ont du pouvoir. » On sait que dans l’église Unie tout comme chez les anglicans ou épiscopaliens, tant au Canada qu’aux Etats-Unis, on est en train de faire des pas de géant afin de mettre fin à la discrimination envers les membres des minorités sexuelles. Des évêques anglicans d’Afrique, tels Desmond Tutu et Winston Njongonkulu Ndungane en font autant, ce dernier dénonçant « l’intolérance envers l’homosexualité », proposant la tenue d’une conférence éducative au sujet de la diversité sexuelle en Afrique et soulignant que « notre église doit apprendre à vivre ensemble dans sa diversité » au lieu de chercher à « lancer des pierres ou de parler des schismes ». Du côté de l’islam, une coalition internationale d’organisations des minorités sexuelles, dont Al-Fatiha et Salaam, soutient activement la « résolution brésilienne » depuis l’an passé, tâche à laquelle contribuent aussi leurs membres et sympathisants qui, tout en étant hétérosexuels, agissent solidairement en défendant cette interprétation de leur religion qui ne conduit pas vers la discrimination des minorités sexuelles mais qui, au contraire, la condamne. Ils déclaraient en 2003 : « L’islam n’est pas une religion monolithique et l’Organisation de la conférence islamique ne représente pas les voix d’une Oummah (communauté musulmane) globale. (…) Du Maghreb au Moyen-Orient, de l’Indonésie et la Malaisie jusqu’aux plages de l’Asie du Sud et aux côtes de l’Amérique du nord, les musulman-e-s constituant des minorités sexuelles et de genre s’unissent et se lèvent ensemble sous la voûte de l’islam. Notre foi nous apprend la paix, l’amour et la justice sociale. » Le mouvement international pour la justice sociale Une fois encore, la ville de Porto Alegre, au Brésil, se constitue en phare pour le mouvement international pour la justice sociale : le groupe ATTAC Porto Alegre signe un appel au soutien à la « résolution brésilienne ». ATTAC Porto Alegre y réaffirme le principe de l’inadmissibilité de la discrimination, souligne le long chemin qui reste à parcourir pour mettre fin à la discrimination des minorités sexuelles et déclare :« nous profitons de l’occasion pour manifester notre opposition totale aux déclarations de M. George W. Bush contre le mariage entre personnes du même sexe. ‘Contre le fondamentalisme de M. Bush, tout notre appui à la résolution brésilienne à l’ONU !’ » (italiques dans le texte original). Si des lesbiennes, gais, bisexuel-le-s, transgenres et transsexuel-le-s ont fait partie intégrante et active du mouvement international pour la justice sociale et pour la solidarité internationale depuis toujours, c’est seulement récemment que dans le cadre de rencontres tel le Forum social mondial (FSM) on se penche concrètement sur les droits économiques, sociaux et culturels en lien avec la diversité sexuelle. Cela a tardé à venir, mais il n’y a rien de plus naturel au sein d’une telle mouvance : si l’on s’oppose à l’exclusion, à la marginalisation des êtres humains en général, on s’opposera sans doute à l’exclusion et à la marginalisation dont font l’objet des groupes humains particulièrement vulnérables car stigmatisés. C’est de la sorte que la dernière rencontre du FSM, tenue à Mumbai, s’est penchée sur l’exclusion inhérente au système des castes en Inde. Ce qui se montre ainsi, c’est que déjà dans le mandat, dans la vocation des mouvements pour la justice et la solidarité planétaires, il y a les assises nécessaires à la prise en charge du travail contre l’oppression des minorités sexuelles. Au cœur de nos motivations il y a la lutte contre la déshumanisation de ces victimes d’une discrimination qui leur refuse un traitement en accord avec les standards de justice que l’humanité s’est elle-même donnés de par sa législation internationale. D’où l’incontournable tâche de réhumaniser les membres des minorités sexuelles en leur/nous accordant, dans les engagements intergouvernementaux et dans les faits, l’égalité en dignité et en droits. Inclure aussi l’identité de genre : un devoir incontournable Quant on dit « orientation sexuelle », on fait référence à la direction de l’attirance sexuelle et affective d’une personne : envers des gens du même sexe (orientation homosexuelle), de l’autre sexe (orientation hétérosexuelle), des deux sexes (orientation bisexuelle). Or le seul terme « orientation sexuelle » ne couvre pas ces autres minorités que sont les personnes transgenres et transsexuelles. Chez ces dernières, il en va plutôt de leur « identité de genre » (indépendamment de leur orientation sexuelle). La résolution brésilienne, pour l’instant, ne mentionne que l’orientation sexuelle, mais des organisations internationales, dont AI, HRW, IGLHRC, l’International Gay and Lesbian Association (ILGA) et beaucoup d’autres, insistent auprès des délégations des pays membres de la CDH pour que l’identité de genre soit incluse. Pourquoi ? Les exemples d’abus que des personnes transgenres et transsexuelles peuvent subir sont nombreux et variés. AI a documenté des cas en Amérique latine où des policiers ont délibérément frappé des femmes transsexuelles sur leurs implantations à fin de les faire éclater, ce qui a pour effet de répandre des substances toxiques dans le corps. Devant l’éventail de violations subies par ces groupes humains, qui comprennent aussi des démarches de « nettoyage social », nous tenons à réaffirmer notre opposition sans réserves à toute discrimination, y compris celle qui est basée sur l’identité de genre. Nous prenons au sérieux l’article premier de la Déclaration universelle des droits humains, qui établit que nous naissons tous et toutes libres et égaux, égales, et que nous devons pouvoir jouir des mêmes droits découlant de notre dignité en tant qu’êtres humains. Ces distinctions entre l’orientation sexuelle et l’identité de genre se dérobent aux yeux des agents de l’oppression et de la violence, qui ne voient chez les membres des minorités sexuelles et de genre que des « tapettes », des « fifs », des « folles » et tous les équivalents de ces injures dans les différentes langues. La recherche tant universitaire que par des ONGs montre que l’identité de genre est souvent amalgamée à l’orientation sexuelle dans les conceptions phobiques des autorités étatiques autant que parmi la population en général. Puis, même s’il y a recoupement, chez certains individus, de ces deux aspects de la diversité humaine, les distinctions sont nécessaires pour les cas où il n’y a pas d’intersection et pour envisager une protection explicite face aux abus ayant un lien particulier avec l’identité de genre. Grâce notamment à un excellent travail de la part des ONGs Action Canada pour la population et le développement (ACPD) et ARC International, le Canada est heureusement prêt à co-parrainer la résolution brésilienne et nos représentants à Genève pousseront également pour un langage incluant l’identité de genre. Le Brésil a besoin d’un soutien particulier à cet effet et il ne doit pas être seul à se battre pour une question primordiale de non-exclusion. Ce qu’il faut comprendre et assumer entièrement aujourd’hui, pour paraphraser le militant gai mexicain José Joaquin Blanco, c’est que : « personne ne pourra se dire libre avant que nous ne soyons tous et toutes libres ». Vous pouvez signer une pétition en ligne d’ILGA en appui à la « résolution brésilienne » (http://www.brazilianresolution.com ), votre organisation peut émettre des déclarations officielles en soutien à la résolution et appeler d’autres organisations à se joindre à ces gestes de solidarité. Pour accéder au dossier complet qui comprend l’ensemble des documents cités dans cet article et autres documents pertinents, allez au site http://www.algi.qc.ca/forum/amnistie/messages/68.html Roberto Jovel
Signez cette pétition en ligne (d'ILGA) en soutien à la résolution du Brésil. Les signatures seront remises au président la Commission des droits humains de l'ONU
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