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Préparons la grève générale publique-privée

Eric, Monday, February 23, 2004 - 15:28

Marc Bonhomme

Pour contrer l’offensive type « bulldozer » du gouvernement Charest, les grandes centrales syndicales sont en consultation auprès de leurs bases. Le Réseau Vigilance, une coalition au sommet qui regroupe les grandes centrales, sauf la FTQ qui cependant l’appuie, et la plupart des organisations populaires, organise des petits rassemblements lors des consultations pré-budgétaires ou à d’autres occasions propices.
Les consultations syndicales semblent vouloir déboucher sur de grandes (...)

Pour contrer l’offensive type « bulldozer » du gouvernement Charest, les grandes centrales syndicales sont en consultation auprès de leurs bases. Le Réseau Vigilance, une coalition au sommet qui regroupe les grandes centrales, sauf la FTQ qui cependant l’appuie, et la plupart des organisations populaires, organise des petits rassemblements lors des consultations pré-budgétaires ou à d’autres occasions propices.

Les consultations syndicales semblent vouloir déboucher sur de grandes manifestations nationales lors de certaines dates symboliques telles le 8 mars, le 14 avril, anniversaire de la prise du pouvoir par le PLQ, pour converger vers un apogée le premier mai avec un objectif de 100 000 personnes. Il serait aussi question de grèves de 24 heures ou tout au moins de journées d’action en mars ou avril.

Cependant, une concertation intersyndicale ne semble pas encore ficelée. On y verra peut-être plus clair lors des réunions des instances nationales de la fin février et du début mars. Même au niveau des travailleuses de garderie, il n’est pas certain que les journées de grève des syndicats CSN soient coordonnées avec celles de la CSQ, et encore moins avec les autres syndicats du secteur public. On peut penser que le maraudage syndical, envenimé par la loi sur la restructuration syndicale du secteur de la santé et d’autres mésententes par exemple au sujet de l’équité salariale et des priorités du Front commun, n’arrange pas les choses.

Lors des consultations syndicales, du moins à la CSN et à la FTQ, il sera question de grève générale. De dire la présidente de la CSN au Conseil confédéral du 6 février : « C’est ainsi que nous serons appelés à faire un débat de qualité sur la pertinence d’une grève générale. » Et puis le président de la FTQ dans le Monde Ouvrier de janvier-février 2004 : « Il n’y aura pas de grève générale demain martin, mais nous voulons être prêts si nous devons la faire. » Dans les consultations de la FSSS, les bases soulèvent la question d’une grève générale illimitée. On doit donc s’attendre à ce que cette éventualité soit soulevée à son prochain conseil confédéral au début mars.

Défaites et occasions ratées

Il ne faut pas oublier, cependant, que la présente consultation, accompagnée des petites manifestations locales et régionales, se tient après la défaite stratégique de la fin décembre. Certes, étant donné la popularité que le gouvernement Charest y a perdu, cette victoire du PLQ en sera peut-être une à la Pyrrhus. On verra lors de la suite des choses. Mais les sondages désavantageux au PLQ ne servent à rien s’ils ne sont pas mis à profit.

Jusqu’ici, le PLQ a réussi à éteindre tous les feux - éducation, environnement, équité, ALCAN, transport en commun - même s’il n’a rien réglé quant au fond, et à « garder le cap » sur la ré-ingénérie qui se gagnera ou se perdra lors des négociations des conventions collectives du secteur public. Pour le moment donc, la stratégie du PLQ d’isoler les syndicats du secteur public, particulièrement de la santé, fonctionne même si toute la dynamique sociale est dans un état de déséquilibre fort instable. Le paradoxe de la conjoncture actuelle est de comprendre pourquoi le PLQ garde l’initiative malgré son impopularité et les multiples contestations qui l’assaillent.

Même les syndicats du secteur privé pourraient être tentés de se replier sur leurs conventions collectives pour se doter de clauses les protégeant de la sous-traitance, convention par convention. Les résultats de la tournée de la FTQ le diront. (Il n’est pas exclu, non plus, que le PLQ ne puisse pas aller jusqu’à laisser tomber sa volonté de créer un ordre professionnel enseignant, très impopulaire et hérissant, pour mieux isoler le secteur de la santé.) On peut même penser que le Conseil du patronat rendra service à son gouvernement en incitant ses membres à ne pas faire de provocations pendant un certain temps surtout eu égard à la sous-traitance, le temps que le PLQ tente de régler leur compte aux syndicats du secteur public.

Mais il est vrai que la soif du profit et la loi de la concurrence ont leurs impératifs qui n’attendent pas. Le Premier ministre en sait quelque chose, lui qui s’est fait faire un coup fourré par l’Alcan. Malheureusement, le geste très audacieux des travailleurs de l’Alcan, appuyé activement par leurs camarades et par presque toute la population régionale, n’a pas été encouragé par les directions syndicales concernées qui ont plutôt poussé au compromis. Ainsi, même si le plan de l’Alcan a été refusé, l’occupation a été arrêtée.

Un autre feu d’éteint, qui aurait pu embraser toute la plaine si l’ensemble du mouvement syndical et populaire s’était mobilisé, encouragé et guidé par ses hautes directions, au nom de la création d’emplois, du développement régional et, last but not the least, de la nationalisation des installations hydro-électriques de l’Alcan. Proposer la nationalisation pendant que le PLQ propose les « partenariats publics-privés », il fallait oser le faire. Cela aurait pu être pourtant « la revendication alternative » qui aurait pu unir et mobiliser tout le mouvement syndicale et populaire contre la ré-ingénierie.

Voilà une occasion ratée. Ce n’était pas malheureusement la première. La grande mobilisation du 11 décembre avait prouvé hors de tout doute l’audace unitaire des classes travailleuses qui étaient allées jusqu’à bloquer des ports et des routes. À cette occasion, les hautes directions syndicales n’avaient qu’accompagné les bases à qui elles prêchaient la modération dans les semaines précédentes. Malgré le vote de grève immédiat, avant que ne soient adoptées les lois scélérates, de plusieurs syndicats - 125 à la FTQ seulement de l’aveu de son président - les hautes directions syndicales refusèrent de lancer le mot d’ordre d’au moins une grève générale immédiate de 24 heures.

Le retour de la concertation

Une telle grève n’aurait certes en rien garanti une victoire tellement était grande la détermination du gouvernement. Cependant, elle se serait peut-être amplifiée. Et même en cas de défaite, l’expérience acquise aurait pu être garante d’une reprise des luttes plus amples et plus rapides après les Fêtes. Au lieu d’une re-mobilisation, les hautes directions syndicales et leurs alliés du Réseau Vigilance ont plutôt renoué avec la concertation en participant aux consultations pré-budgétaires du gouvernement Charest.

Le PLQ, en effet, avait parfaitement compris les appels de bilan de fin d’années des directions des centrales en ce sens. Il s’empressa de les accommoder en envoyant au front son ministre le plus populiste prêt à dire n’importe quoi et son contraire. Le PLQ était plus qu’heureux de reprendre l’initiative à si bon compte malgré son impopularité quitte à éteindre tous les feux pour préserver l’essentiel, la ré-ingénérie.

Les petites manifestations du Réseau Vigilance, qui soulignent un effondrement de la capacité de mobilisation après le 11 décembre, n’ont pour but que d’occuper le noyau militant et d’entretenir les illusions de ceux et celles qui pensent « qu’on est très bien parti » comme, par exemple, la direction de l’UFP. Cette tactique est même dangereuse car elle provoque l’exaspération d’une partie du noyau militant tenté par l’aventurisme minoritaire pour la plus grande joie des forces policières.

En effet, ces occupations et confrontations minoritaires permettent aux forces répressives de mieux identifier, d’isoler et de réprimer le noyau militant et ainsi d’affaiblir le fer de lance combatif du mouvement populaire tout en faisant peur aux autres. C’est d’autant plus inconscient de procéder ainsi que la stratégie répressive de l’époque de la « guerre contre le terrorisme » est connue : frapper impunément les communautés culturelles arabo-musulmanes et « visibles » pour habituer la population à l’arbitraire des « certificats de sécurité » et autres moyens semblables de sorte, quand les noyaux anti-néolibérales et anti-capitalistes des mouvements syndicaux et populaires sont quelque peu isolés de la base, à pouvoir faire de même contre eux.

Si au moins cette tentation de l’aventurisme générait une critique de la concertation. Au contraire, elle pousse à un concertationnisme radical pour « retrouve[r] le chemin du dialogue et de l’écoute » comme le disait le président du CCMM-CSN au sortir de l’occupation des bureaux de la ré-ingénieure en chef du PLQ. La direction du FRAPRU se montre même prête à chanter les louanges du PLQ en retour d’un plat de lentilles qui bien qu’apportant un soulagement à court terme ne commence même pas à régler la crise du logement. Ces appels au dialogue et ces bons mots n’ont pour effet que de semer la confusion et ainsi affaiblir la grande alliance stratégique anti-PLQ à construire.

Ce radicalisme combatif n’est finalement que le pendant de « gauche » de la direction des hautes instances syndicales qui tentent de freiner, dévier et arrêter la vague de fond provenant de la base qui, elle, cherche spontanément à briser le carcan de la routine concertacionniste et du légalisme pour faire apparaître au grand jour la lutte de classes franche et ouverte. Il faut faire son lit du fait qu’il n’existe pas de gauche syndicale organisée genre « Teamsters for a Democratic Union », bien qu’il existe des militants et militantes isolées qui le soient, prête à confronter publiquement les hautes directions syndicales. Qui s’y substituera si ce n’est la gauche politique organisée ?

Constatant le succès de ses consultations pré-budgétaires, le PLQ, tout en « gardant le cap », propose maintenant une série de forums que les hautes directions syndicales se sont empressées d’accepter. Au moins la coalition écologique anti-Suroît a d’abord boycotté les consultations de la Régie de l’énergie avant malheureusement d’accepter des concessions. Même la coalition des patrons des sociétés de transport urbain, l’ATUQ, annonce qu’ils boycotteront la consultation du PLQ sur les « partenariats publics-privés » tant qu’ils n’auront pas leurs 80 millions $.

S’appuyer sur l’expérience canadienne et les acquis du peuple québécois

Il ne faut pas oublier, non plus, la conjoncture mondiale et canadienne du moment. La ré-ingénierie Charest vient après celles des Harris, Campbell en Colombie britannique et Rafarin en France auxquelles les classes travailleuses ont puissamment résisté même si finalement elles ont perdu... pour l’instant. On peut donc apprendre de ces expériences.

En très raccourci, la riposte de la base est au rendez-vous, même si elle n’est pas instantanée et demande à être orientée et organisée. Par contre, les hautes directions syndicales de l’Ontario Federation of Labour, du British Columbia Federation of Labour, des CFDT, FO et CGT françaises ont mené le mouvement à la défaite en le surfant pour mieux le freiner à chaque tournant pour qu’il n’aboutisse pas à une grève générale illimitée, seule capable de construire le rapport de forces pour battre l’offensive néolibérale. [On trouvera une analyse plus détaillée des expériences de l’Ontario et de la Colombie britannique dans mon essai « La grande bataille qui vient »]

L’actuelle situation québécoise offre les mêmes contrastes. Une base qui pousse par couches différenciées, ce qui oblige les hautes directions syndicales à proposer de grands rassemblements, peut-être une grève de 24 heures et à mentionner vaguement la possibilité de grève générale. Il leur faut surfer la vague. Par contre, par au moins deux fois, ces hautes directions ont réussi à arrêter le mouvement sans toutefois le démobiliser. À moins d’un plan de mobilisation et de construire une direction alternative, cela viendra.

Non seulement est-il possible d’apprendre des expériences ontarienne, britannico-colombienne et française, mais on peut aussi s’appuyer sur des spécificités sociales du Québec. En effet, la différence politique essentielle de la situation québécoise par rapport aux deux grandes provinces canadiennes, est la question nationale, et la différence organisationnelle essentielle est l’existence de l’UFP.

Il y a d’ailleurs une corrélation étroite entre le développement du mouvement antinéolibéral en Ontario, en Colombie britannique et en France et l’importance de la gauche politique antinéolibérale et anticapitaliste. Car ce n’est que de cette gauche que peut venir des propositions d’orientation, de revendications mobilisatrices et unificatrices et d’une méthode d’organisation basée sur la démocratie participative, propositions ensuite possiblement reprises dans les mouvements sociaux dans le cadre de leurs pratiques démocratiques.

La question nationale fait en sorte que le mouvement prolétarien d’ici est plus fort comme en témoigne notre taux de syndicalisation plus élevé que la moyenne canadienne et l’expérience unique du Front commun même si celle-ci commence à vieillir. La question nationale, c’est aussi la perspective d’une alternative, celle de l’indépendance, et d’une stratégie, celle de l’Assemblée constituante, que véhicule l’UFP. Or envisager de se mobiliser dans une lutte de fond, peut-être de longue haleine, qui remet en question l’orientation de base du parti au pouvoir, exige cette perspective. Dans une lutte, l’alternative, c’est l’espoir.

L’UFP est un « n’est plus mais pas encore », n’est plus un groupuscule mais n’est pas encore un parti de masse. Si l’UFP fait des propositions au mouvement, tout en y participant, qui crée les « conditions gagnantes » d’une grève générale, il créerait pour lui-même les conditions pour se transformer en parti de masse antinéolibérale, indépendantiste, féministe, écologiste et internationaliste. Par contre, s’il se satisfaisait d’être « en phase » avec les hautes directions syndicales, il en viendrait à la longue à mettre de côté son orientation antinéolibérale. Pour ne pas s’étioler, il n’aurait d’autre choix que de devenir un NPD québécois social-libéral et « souverainiste » mou, ou à se joindre à une organisation qui le serait.

Cette proposition que l’UFP serait en mesure de faire aux mouvements de masse pourrait se résumer dans le mot d’ordre « Préparons la grève générale publique-privée ».

« ... la grève générale... »

Les grèves de 24 heures et les grandes manifestations, tout comme les rassemblements régionaux et locaux nécessairement plus modestes, peuvent être utiles dans tout plan d’action pour construire la confiance et les réseaux de militantes et de militants tout comme pour débattre et préciser les revendications. Cependant, comme le démontre clairement l’expérience des « Days of Actions » ontariens contre la prétendue « révolution du bon sens » du gouvernement Harris, une succession de grandes manifestations accompagnées de grèves de 24 heures ne fait pas fléchir un gouvernement qui « garde le cap » sur ses politiques de « ré-ingénérie ».

Au contraire, quand les participants et participantes, qui souvent sacrifient une journée de travail et même prennent les risques d’un arrêt illégal - souvenons-nous que les forces policières ont la répression facile dans le contexte de la « guerre contre le terroriste » - réalisent que la série de grandes manifs combinées aux grèves d’une journée ne mènent nulle part, elles se démobilisent.

Cette grève générale doit-elle être illimitée ? Un gouvernement décidée qui sait d’avance que le mouvement de protestation, même s’il est de grande ampleur, sera limité dans le temps, rentrera les voiles durant la tempête pour mieux les redéployer ensuite. Comme toutefois le mot « illimité » fait souvent peur, surtout aux premiers temps de l’escalade quand la confiance n’y est pas encore, on peut faire comme en France lors des grandes mobilisations du printemps dernier et parler plutôt de « grève générale de 24 heures reconductible ».

Cette formule a un double avantage. Elle est d’abord transitoire entre grève de 24 heures et grève illimitée. Mais, surtout, elle invite à une prise de décision quotidienne et par là pose donc le problème du mécanisme de cette prise de décision.

Assumer une éventuelle crise politique

Les hautes directions syndicales objectent souvent qu’une grève générale illimitée entraînerait une crise politique et donc possiblement le chaos social. (La situation sociale actuelle, cependant, n’est-elle pas le chaos organisé ?) Ce serait donc un mot d’ordre irresponsable. Pour elles, être « responsable » serait de respecter les règles institutionnelles bourgeoises de l’alternance électorale. En pratique, donc, il faudrait attendre aux prochaines élections pour voter pour le PQ et au mieux limiter les dégâts entre-temps.

En effet, quel autre parti « moins pire » pourrait immédiatement prendre le pouvoir surtout dans le cadre du système de vote uninominal à un tour ? Pourtant, cette perspective est complètement démobilisatrice car par sa politique du « déficit zéro » le PQ a été le Jean-Baptiste qui a préparé la voie à la réingénierie du PLQ. De même cette politique anti-populaire a-t-elle instauré des « conditions perdantes » bloquant toute stratégie indépendantiste et pavant ainsi la voie à l’imposition de la loi dite de la « clarté » sans même qu’il y ait eu résistance populaire.

Tapi dans l’opposition officielle et prétendant tout changer pour que rien ne change - surtout pas de chef - avec sa soi-disant « saison des idées », le PQ attend le retour du balancier mais dans la loi et l’ordre. Il n’y aura pas plus, en effet, d’élection référendaire suicidaire réclamée par les « purzédurs » que de « projet de société » car il est tout à fait impossible au PQ de concocter un « budget de l’an 1 » à la Legault qui satisfasse à la fois « Québec Inc. » et le peuple québécois.

Pour revenir au pouvoir, toutefois, il est bon qu’il y est assez de protestation sociale pour discréditer le PLQ mais non pour renverser ses politiques néolibérales. Ainsi, de retour aux affaires, le PQ ne sera pas blâmé pour des mesures impopulaires que « Québec Inc. » réclamait de toute façon. Par le simple statu quo, « moins pire » que le bulldozage, le PQ apparaîtra automatiquement plus « progressiste » à moins que « Québec Inc. », aiguillonné par l’implacable loi de la compétition de la globalisation libre-échangiste, exige d’autres reculs. Alors, on revotera pour le PLQ ou quelque autre sauveur populiste...

Si l’atteinte de l’objectif d’une grève générale illimitée engendrait la crise politique comme on peut s’y attendre, elle permettrait de sortir du cercle vicieux de l’alternance. Cette crise doit donc être la bienvenue. Les scénarios possibles sont légions allant d’un changement de la garde au sein du PLQ jusqu’à la construction d’un pouvoir populaire issu de la rue en passant par un retour du PQ au pouvoir. Nous n’en sommes pas là. Il s’agit seulement, en ce moment, de ne pas avoir peur de la crise politique mais de la souhaiter.

En fait, la seule préparation lointaine qu’on puisse faire, et qui soit de toute façon immédiatement utile, c’est que l’UFP se fasse connaître comme un parti capable de proposer une orientation avec tous ses avenants et que des réseaux vigilance se construisent à la base.

La nécessité d’une direction

Est-il cependant nécessaire d’avancer le mot d’ordre de « grève générale » dès maintenant ? Est-il même nécessaire d’avancer une orientation, des propositions de revendications, etc. ? N’est-ce pas là être anti-démocratique, ne pas être « en phase » avec le mouvement ? On peut comprendre que le ras-le-bol envers les partis établis qui renient systématiquement leurs promesses électorales pour se plier aux ordres des « marchés » c’est-à-dire des transnationales, et qui réduisent la démocratie à un « culte du chef » quasi religieux et au matraquage publicitaire de slogans ait produit une forte réaction « basiste ».

Cette réaction basiste imprègne d’ailleurs fortement le mouvement altermondialiste au point de rendre très difficile l’émergence d’une direction choisi démocratiquement au moment des Forums sociaux mondiaux. Ceux-ci doivent leur substituer une assemblée des mouvements sociaux autoproclamée et cooptée qui pour le moment, heureusement, jouit de la crédibilité nécessaire pour émettre des déclarations qui font consensus et servent, faute de mieux, de guide au mouvement. Mais cette inévitable solution transitoire est grosse de crise majeure au fur et à mesure que les clivages se cristallisent entre les antinéolibéraux et les socio-libéraux.

Si donc la dictature du chef qui décide de tout, ou tout le moins arbitre toute controverse, est incompatible avec la démocratie, l’ultra-démocratisme du basisme l’est tout autant comme le démontre le fonctionnement du FSM. En effet, la majorité des gens sont accaparés par la plus en plus difficile lutte pour la survie et pour un minimum de bien-être personnel dans le cadre capitaliste de la lutte de tous contre tous. La bourgeoisie, en s’appuyant d’abord sur la famille et la religion, puis sur l’école et encore sur la puissance médiatique, ensuite sur la culture commercialisée et de plus en plus sur le consumérisme, est parvenue à façonner une « opinion publique » qui refoule la conscience populaire... sauf dans les moments de crise où tout redevient possible.

Le lourd fardeau de la routine de la survie et le lavage de cerveau de l’opinion publique, cependant, laissent place au désemparement lors de l’émergence des crises qui seront de plus en plus fréquentes avec la développement des contradictions de l’impérialisme néolibéral. Si le choc initial, qui cependant n’arrive pas en même temps pour tous et chacune selon sa place dans les rapports sociaux et les réalités nationales, de genre, de politisation etc., produit souvent des réflexes « de classe », il est suivi d’attentes d’une orientation pour s’y retrouver dans le dédale de tous ces problèmes « auxquels on n’avait jamais pensé auparavant ». D’où le besoin d’une direction du mouvement social.

Cette direction ne s’improvise pas. Elle doit être choisie et se former dans les temps calmes. Le calme, cependant, est aussi propice à leur récupération du simple fait de l’utilisation judicieuse d’une partie des sur-profits de l’impérialisme pour leur accorder des privilèges. À l’ère de l’impérialisme néolibéral, la canalisation de ces sur-profits vers la corruption des couches supérieures du prolétariat, qui n’ont plus seulement leurs chaînes à perdre, se fait de plus en plus par les fonds d’investissements syndicaux et les régimes de pensions collectifs et individuels, tous deux largement soutenus par le régime fiscal.

En ce sens, on peut de plus en plus parler d’un appendice « ouvrier » au capitalisme financier. Rien de plus normal, alors, que celui-ci, par l’intermédiaire des hautes directions syndicales, appuie « Québec inc. » à travers le PQ. (Certains analystes brésiliens pensent d’ailleurs que la dégénérescence néolibérale du PT s’explique de la même façon.)

On ne peut donc pas compter sur les hautes directions syndicales et leurs alliés pour mener à bon port un mouvement social qui doit ébranler l’édifice néolibéral, ce que démontrent plus que clairement les exemples des deux plus grandes provinces canadiennes et celui de la France. Ces directions, cependant, pourront apparaître comme démocratiques en accompagnant le mouvement différencié de la base sans toutefois lui proposer une orientation, des revendications, une méthode d’organisation et un plan d’action. Le résultat fera en sorte que la montée aux barricades, si on en arrive là, se fera en ordre dispersé, dans la confusion, sans organisation de la solidarité malgré un fort sentiment solidaire. Les secteurs de pointe auront droit à quelques carottes et quelques coups de bâton mais l’essentiel sera perdu. La défaite ne sera peut-être pas irrémédiable mais il faudra un temps d’arrêt, plus ou moins long, pour s’en remettre.

Par contre, un parti antinéolibéral comme l’est l’UFP est moins prisonnier des entraves de l’opinion publique de laquelle sa base d’adhérents et d’adhérentes s’est en grande partie dégagée du fait même de leur adhésion volontaire. L’UFP n’est pas lié non plus par un fonds d’investissement ou par une couche dirigeante jouissant de privilèges, au contraire celle-ci fait souvent des sacrifices financiers. C’est donc à lui de proposer au mouvement social une orientation, etc. pour minimiser reculs et détours.

« Préparons... »

Une grève générale illimitée a besoins d’être préparée. Ça va de soi. Inutile de ridiculiser ce mot d’ordre comme malheureusement l’a fait la direction de l’UFP lors de l’assemblée publique de Montréal le 13 février. Ce serait même mépriser les militants et militantes du secteur de la santé qui, constatant le danger imminent de la privatisation de leurs emplois, sont prêts dès maintenant à aller jusqu’au bout. Sur le fond, elles ont tout à fait raison même s’il y a risque d’action précipitée de leur part, action précipitée ardemment souhaitée par le gouvernement Charest pour mieux les isoler et les écraser.

Ces militants et militantes n’accepteront l’attente que si elle est active et que le but de l’escalade est clairement la grève générale illimitée - ou de 24 heures reconductible - et que ce but soit proclamé publiquement. De plus, si la précipitation est dangereuse, une trop grande attente l’est tout autant. L’offensive ré-ingénérie continue : la prochaine étape en sera vraisemblablement le budget.

Le plan du Réseau Vigilance ne prévoie aucune riposte de masse contre ce budget. On se serait attendu à ce qu’il soit proposé au moins une grande manifestation un jour de fin de semaine contre ce budget dont l’on sait d’avance qu’il sera dévastateur. Pourquoi pas une grève de 24 heures avec manif le jour même de la présentation du budget ? Ce serait une excellente occasion de réclamer plutôt un réinvestissement massif dans les services publics et les programmes sociaux.

S’il est pertinent d’organiser de grands rassemblements lors de dates symboliques (8 mars, 14 avril, 1er mai), il l’est encore plus de le faire pour contrer des offensives prévues au calendrier. C’était là l’idée de la mobilisation du 11 décembre. L’erreur fut de ne pas en profiter pour appeler à une grève de 24 heures immédiate.

Viendront ensuite, peut-être, les élections fédérales. Ce serait une occasion en or de soulever la question du « déficit fiscal » d’autant plus qu’il est maintenant clair que le fédéral non seulement ne donnera pas de ressources fiscales supplémentaires aux provinces mais qu’il en retranchera sous prétexte de la complexité des règles de la péréquation. Ajoutons-y la question des congés parentaux. Une participation populaire massive, dans la rue, du peuple québécois à cette campagne devient d’autant plus nécessaire que le scandale des commandites n’a la répercussion qu’il a que parce qu’il est une nouvelle occasion d’un déploiement ultra-chauvin contre la nation québécoise, ce que l’affaire Don Cherry avait anticipé.

Une mobilisation de masse à l’occasion des élections fédérales permettraient de combiner lutte sociale et lutte nationale. Car la meilleure façon de régler le « déficit fiscal », nécessaire à un réinvestissement massif ; d’affirmer le caractère anti-guerre du peuple québécois qu’a récusé le gouvernement fédéral en participant hypocritement à la guerre contre l’Iraq, en contribuant à occuper l’Afghanistan, en ne condamnant pas l’occupation israélienne et en participant au bouclier anti-missiles ; et de rétablir la dignité de la nation québécoise bafouée par la loi dite de la « clarté » et le dénigrement, c’est l’indépendance.

Attendre et tergiverser, c’est aussi laisser place au maraudage dans la santé qui sèmera la zizanie à moins d’un boycott de la loi de restructuration des syndicats du secteur de la santé comme la direction de la FSSS compte le faire, au moins partiellement. Car faire l’économie d’un rappel des lois scélérates de décembre, c’est abandonner des groupes de femmes qui voudraient se syndiquer - faire confiance au processus judiciaire comme le fait la haute direction de la CSN est pour le moins risqué, politiquement problématique et prendra des lunes - ouvrir la porte à la sous-traitance sauvage, laisser la guerre s’installer entre les centrales syndicales et abandonner les régions aux élus libéraux.

Un catalyseur qui pourrait immédiatement accélérer les choses : construire la solidarité - manifs, grèves d’appui... - autour des travailleuses de garderies qui elles sont déjà au front sur la question essentielle de l’équité, autour des chargéEs de cours qui posent la question de la précarité et de l’équité et autour de certains conflits régionaux (Urgel Bourgie, Marriott Château Champlain...) qui eux aussi soulèvent d’autres questions essentielles. Il s’agit souvent de lutte de femmes, de membres des communautés culturelles, de gagne-petit, de précaires, de sous-traitées. Une belle occasion de lier luttes syndicales et luttes contre la pauvreté, luttes du secteur public et luttes du secteur privé.

« ...publique-privée »

« Tous ensemble » disait la partie mobilisée du peuple français le printemps dernier. « Tous et toutes ensemble » aurions-nous dit au Québec... et qu’il serait une bonne idée de clamer pour la grande bataille qui vient. Comme le disait la direction de l’UFP lors de la réunion publique du 13 février : « Sans unité, pas de victoire).

À moins d’être complètement débranché de la population québécoise, le gouvernement Charest sait qu’il y aura une confrontation. En éteignant les feux, en renvoyant les syndiquéEs du privé à leurs conventions collectives, en faisant peut-être des concessions spécifiques aux enseignantes et enseignants comme cela s’est fait en France, le PLQ révèle sa volonté d’écraser les travailleuses et travailleurs généraux du secteur de la santé afin de briser l’obstacle principal à la privatisation, le cœur de la ré-ingénérie.

La question stratégique fondamentale n’est pas tellement la grève générale illimitée car elle aura tout probablement lieu dans au moins le secteur de la santé. (Les chargéEs de cours de plusieurs universités la déclancheront d’ailleurs tout probablement lundi prochain. On peut d’ailleurs se demander si ces syndicats n’auraient pas mieux choisi d’attendre pour se rallier à un plan d’action commun s’il avait existé.) C’est plutôt le « tous et toutes ensemble » qui fait problème. Pour y arriver, il y a deux questions clefs à résoudre : la revendication mobilisatrice et unificatrice et la démocratisation des structures dirigeantes selon le principe de la démocratie participative.

On se rappelle encore du 100$ du Front commun de 1972 et du salaire minimum de 8.50$ l’heure de la Marche des femmes de 2000 que, malheureusement, le mouvement social a rapidement abandonnée, désenchanté et découragé qu’il fût à cause de sa vision idyllique du PQ. Seul un large débat à la base peut générer la sagesse populaire voulue pour mettre au point ces quelques revendications coups de poing.

En négatif, on peut difficilement exclure un « non » retentissant à la privatisation des services publics et à la sous-traitance anti-syndicale de même qu’aux lois scélérates dont il faut demander le rappel.

En positif, une revendication concrète et précise réclamant un réinvestissement massif dans les services publics et les programmes sociaux, financé par une réforme fiscale à l’avenant, toucherait directement chacun et chacune et serait aussi un préalable à la majorité des revendications sectorielles. L’expression « réinvestissement massif » est d’ailleurs reprise par de plus en plus de groupes. L’UFP pourrait contribuer à promouvoir et à préciser cette revendication charnière en s’appuyant sur sa plate-forme.

En ce qui concerne le réinvestissement massif, le point ‘6.e’ de la plate-forme réclame un « réinvestissement massif immédiat de 10 milliards $ afin de diminuer le déficit social dans le réseau public de la santé et des services sociaux... ». .

Du côté de la réforme fiscale nécessaire pour financer ce réinvestissement, le point ‘8.a’ précise : « Établissement d’une fiscalité véritablement progressive ; révision à la hausse de la taxation sur le capital, les profits et les biens de luxe ; abolition des paradis fiscaux ; révision complète des abris fiscaux ; augmentation des impôts sur les profits des entreprises ; imposition des grandes fortunes ; révision des droits de succession. ». Le comité de la réforme fiscale pourrait chiffrer certaines revendications.

La revendication du « réinvestissement massif » unifie car elle est porteuse tant pour les syndicats que pour les mouvements anti-pauvreté, de logement, de femmes, étudiant et écologique, etc.. Elle est en fait porteuse pour toute la population. Si elle se cristallise dans un chiffre, elle devient mobilisatrice parce que concrète et irrécupérable tout comme l’étaient en leur temps de 100$ par semaine et le 8.50$ l’heure. Quelques exemples chiffrés de réforme fiscale pour la financer la rendront tout à fait crédible.

Ce qui fait l’unité et donne confiance, c’est aussi la démocratie. On pourrait peut-être résumer le principe de la démocratie participative par le principe suivant : la direction propose et la base dispose et contrôle. Le basisme, comme on l’a vu, en balaie du revers de la main le premier terme tandis que le bureaucratisme fait fi du deuxième terme. L’un et l’autre aboutissent à ne pas faire le plein de mobilisation et éventuellement à la démobilisation. Or une grève générale publique-privée exige qu’on fasse le plein de la mobilisation et qu’on tienne le temps nécessaire.

À son dernier Conseil de l’Union, l’UFP a proposé la formule « Réseau Vigilance à la base » Cette formule a l’avantage de souligner que l’actuel Réseau Vigilance au sommet, où en plus sont exclus les partis politiques, est insuffisant en plus de faciliter la mainmise des hautes directions syndicales comme c’était le cas à Solidarité Populaire Québec.

L’important est de retenir l’idée que dans les lieux de travail et d’étude, même dans les quartiers, au fur et à mesure que se développera le mouvement, et pour qu’il se développe, l’organisation de comités à la base inter-syndicaux, inter-secteurs, inter-mouvements, fédérés jusqu’aux niveau régional et national, serait la structure assurant le maximum d’unité et de mobilisation tout en permettant de contrer les blocages des hautes directions syndicales.

Le prochain Conseil de l’Union de l’UFP, les 27 et 28 février, serait l’occasion de discuter à fond du mot d’ordre « Préparons la grève générale publique-privée ».

Site de l'Union des forces progressistes
www.ufp.qc.ca


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