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Anarchosyndicalisme et autonomie populaire

Anonyme, Thursday, January 22, 2004 - 22:11

Un militant anarcho-syndicaliste

Pour combattre tout en contrant la bureaucratie et la hiérarchie

Quelle organisation révolutionnaire ?

Tout d’abord, je précise que par organisation révolutionnaire, je veux parler de l’organisation spécifique ( c’est à dire ayant ses théories et pratiques propres au sein du mouvement social ) et pas de l’organisation révolutionnaire de la nouvelle société ni même de l’organisation générale, unitaire des masses en vue de la révolution.

Ceci étant dit, une organisation révolutionnaire se doit, si elle veut pouvoir accomplir les taches qui sont les siennes ( et dont il sera question plus loin ), de tirer les leçons des expériences de lutte passées, de les analyser de manière critique et constructive.

Le mouvement social a exploré plusieurs voies censées aboutir à la transformation de la société, à la disparition de l’exploitation capitaliste, au socialisme, le parlementarisme, le syndicalisme réformiste et le léninisme.

Ces voies mènent à l’échec et cela est loin d’être nouveau.

Le parlementarisme mène à l’électoralisme, c’est à dire la recherche d’un électorat le plus important possible, donc à l’abandon des principes révolutionnaires susceptibles d’effrayer les bons électeurs. C’est un leurre. Changer la société, c’est plus compliqué et plus dur que d’aller déposer un bulletin de vote dans une urne. Qui plus est, un coup d’Etat ( et ce qui s’en suit : loi martiale etc.) peuvent venir stopper à tout moment un parlement qui serait un peu trop progressiste au gré des classes dominantes.

Le syndicalisme réformiste, cantonné à des revendications strictement matérielles (importantes niais pas suffisantes ) dans le cadre du système capitaliste, est incapable d’être un instrument d’émancipation réelle des exploités. Rapidement bureaucratisés, ce type d’organisation syndicale cherche, et arrive en général, à s’institutionnaliser, à devenir un interlocuteur reconnu par l’Etat et le patronat. Les notions de "crédibilité", de "réalisme", de "modernisme" sont alors mises en avant et servent à couvrir les pires saloperies. La collaboration de classes s’installe ( et les travailleurs en font les frais ! ), les syndicats ne cherchant pas à supprimer l’exploitation mais, au contraire, à négocier avec les capitalistes le degré de celle-ci.

Les organisations léninistes se définissent comme avant-gardistes. Elles avancent l’idée fausse que la direction de la lutte révolutionnaire doit être entre les mains d’un parti révolutionnaire "d’élite", extrêmement centralisé et censé détenir la science infuse. Porté par les masses incapables de s’émanciper par elles-mêmes, le parti d’avant-garde instaure "la dictature du prolétariat" et s’empare de l’Etat afin d’organiser le socialisme. Dans les faits, ce type de vision aboutit à la confiscation de la révolution par le parti d’avant-garde qui s’érige en nouvelle classe exploiteuse par le biais du contrôle de l’appareil d’Etat et de l’économie nationalisée, à la fusion entre le parti et l’Etat, à la dictature du parti sur le prolétariat et à l’Etat policier.

Parlementarisme et syndicalisme réformiste mènent tous 2 à la collaboration de classes, à l’abandon de la perspective révolutionnaire. Le résultat en est l’intégration des partis politiques de gôche et des syndicats réformards par le système capitaliste et étatique qui en fait des instruments de contrôle social, d’encadrement et d’étouffement des luttes, de déresponsabilisation des masses.

Le parlementarisme, le syndicalisme réformiste et l’avant-gardisme léniniste ont tous 3 un point commun leur mépris pour les masses. En effet, pour eux, celles-ci sont incapables de s’auto émanciper, d’analyser les situations, de définir un projet de société clair.

Les masses, telles un troupeau de moutons, ont besoin d’un berger. Elles sont invitées à voter pour les bons politiciens qui parleront et décideront pour elles, les gentils élus syndicaux qui les représenterons auprès des patrons. Les autres, qui se prennent pour "l’élite révolutionnaire", rêvent de contrôler et de diriger les luttes. Partout, on retrouve les pratiques de délégation de pouvoir, les phénomènes de bureaucratisation, l’idée que les masses ne sont bonnes qu’à suivre les slogans, qu’il leur est impossible de s’auto-organiser et de s’auto-diriger Pourtant...

A chaque fois que des situations révolutionnaires ( commune de paris en 1871, communes révolutionnaires espagnoles de 1873, soviets russes de 1905 et 1917, conseils ouvriers allemands en 1918-1919 et italiens en 1920, révolution espagnole en 1936.. ) ou des avancées sociales importantes ( 1936 et 1968 en France ) ont vu le jour, elles furent le résultat de l’auto-organisation et de l’action directe des masses et non celui des consignes des partis et des syndicats même si certains d’entre eux participèrent parfois activement au mouvement. Comme quoi parfois, les masses, si décriées par certains, se trouvent bien plus avancées que les éternels guides censés les représenter.

Parlementarisme, syndicalisme réformiste et léninisme mènent à tout, sauf à la révolution sociale ils ne peuvent en aucun cas être considérés comme des moyens révolutionnaires. Ils constituent de fait des obstacles au développement des capacités révolutionnaires des masses, masses qu’ils cherchent en permanence à utiliser pour satisfaire leurs ambitions, leur soif de pouvoir, ou préserver le statut quo social où ils sont si bien installés. Ils n’ont jamais amené la suppression de l’exploitation, de l’oppression et de l’exclusion.

130 ans après la création de la première Internationale, l’Association Internationale des Travailleurs, il faut encore, malheureusement, rappeler que "l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes" .La révolution ne pourra être que le résultat de l’action déterminée, consciente et coordonnée des masses. C’est à elles, et à elles seules, qu’il revient de tenter l’expérience, de tenter de concrétiser le projet communiste.

Partant de là, une organisation ne peut être révolutionnaire que si elle est clairement rupturiste. C’est à dire qu’elle se doit de rejeter toutes formes de parlementarisme, les élections syndicales ou politiques, la collaboration de classes, la cogestion et la prétention à représenter les masses.

De plus, elle doit rejeter toute idée de séparation du "politique" et du "social", le "politique" étant censé revenir aux partis et le "social" aux syndicats, ce qui constitue, à notre avis, une vision des choses étriquée. Nous pensons qu’une telle séparation ( et ce qu’elle sous-entend ) ne peut qu’être un frein au développement des capacités de résistance des exploités. Admettre cette séparation artificielle revient à reconnaître que la possibilité de faire changer les choses réside dans l’action des partis politiques et des syndicats et non dans l’auto-organisation des masses.

L’organisation révolutionnaire ne peut se concevoir que comme une organisation globale, fusionnant en son sein luttes politiques et luttes sociales contre un système d’exploitation lui aussi global. Tout les problèmes étant liés, rien ne doit être étranger à notre forme très particulière de syndicalisme.

Sur le plan de son fonctionnement, l’organisation révolutionnaire se doit également de rompre avec l’idée léniniste du centralisme. A l’opposé, elle doit promouvoir une forme d’organisation décentralisée et fédéraliste. Etant bien entendu que le fédéralisme, qui consiste à traiter collectivement de tout ce qui concerne l’organisation et ses orientations théoriques et pratiques, n’ a rien avoir avec l’autonomie. Le fédéralisme vise à avancer ensemble, l’autonomie revient, elle, le plus souvent à pouvoir faire tout et n’importe quoi sans avoir de comptes à rendre aux autres structures de base. Elle aboutit le plus souvent au nombrilisme et à l’isolement.

Les hommes et les femmes qui composent l’organisation doivent également veiller constamment à ce qu’aucun phénomènes de bureaucratisation ne gagnent celle-ci. Un fonctionnement fédéraliste clair garantissant le fait que le pouvoir décisionnel se trouve dans les structures de base et que les instances administratives nommées n’ont qu’un rôle exécutif, la fermeté en ce qui concerne les principes de fond ( rupturisme, globalisme, lutte des classes, fédéralisme .. ), la cohérence entre la pensée et la pratique minimisent ( mais n’éliminent pas ) les risques de dérive bureaucratique et réformiste.

Vaille que vaille, la CNT est aujourd’hui une des rares ( sinon la seule ) organisations révolutionnaires en France à être à la fois rupturiste, anti-bureaucratique et globaliste et à avoir une pratique sociale, encore limitée certes niais néanmoins réelle.

Elle ne participe à aucune mascarade électorale destinées à légitimer le système.

Elle est décentralisée et fédéraliste. Elle est la propriété des structures de base qui la composent.

Elle est à la fois politique et sociale. Elle est à la fois et en même temps anarchiste et syndicaliste.

Des luttes, oui mais pas seulement dans les entreprises. Dans les quartiers, les facs et les bahuts aussi, il faut résister. Il faut chercher, à terme, à être présents dans l’ensemble du champ social. Des luttes, oui mais des luttes autogérées, à caractère intercorporatiste, qui avancent des revendications unifiantes, qui refusent la division des travailleurs par le biais de la hiérarchie des salaires et des statuts, qui font avancer l’égalité de traitement entre hommes et femmes, français et immigrés, qui dépassent le cadre salarial et réformiste pour déboucher sur la critique politique du système, la solidarité active de toutes et tous, la convergence des masses vers un objectif : le Communisme Libertaire.
Rôle de l’organisation révolutionnaire

L’organisation révolutionnaire ne doit pas avoir pour vocation de contrôler les luttes, de diriger et d’encadrer les masses en mouvement. Ces masses, elle n’a pas non plus à prétendre les représenter, parler et penser pour elles. En bref, elle n’a pas à tenter de se substituer à elles.

Ce qu’elle doit, à mon avis, chercher, c’est leur autonomisation. Son rôle est d’essayer d’aider les masses à se prendre en charge par elles-mêmes, pour elles-mêmes. L’important, c’est qu’elles arrivent à auto-organiser et autogérer leurs luttes, qu’elles en aient collectivement la maîtrise. Que l’organisation révolutionnaire participe et aide au démarrage de ces luttes, soit Mais elle n’a pas à en prendre la direction car ces luttes sont la propriété de celles et ceux qui les font vivre à la base.

L’organisation révolutionnaire a un rôle de conseil et d’animation. Elle est là pour aider les gens à lutter, les faire profiter de son expérience du combat social et surtout pour tenter, par la propagande et la discussion dans les A.G., les manifs et les occupations, de donner du sens à ces luttes.

Les tâches de l’organisation révolutionnaire sont multiples :

Expliquer la nature, le fonctionnement et la logique du système capitaliste et étatique et dénoncer, bien sur, ses innombrables méfaits.

Expliquer et promouvoir l’auto-organisation et l’autogestion des luttes, l’action directe et la démocratie directe comme étant la seule voie de l’émancipation

Dénoncer et combattre les magouilles politiciennes, le corporatisme, le nationalisme, le sexisme, le fascisme, les délires médiatiques, etc...

Donner aux luttes une perspective plus large le dépassement idéologique et pratique du système socio-économique actuel.

Proposer et affiner un projet de société qui puisse constituer une alternative viable au capitalisme et expliquer clairement ce qu’implique, au niveau pratique, la volonté de concrétiser ce projet.

Contribuer à développer là où est l’oppression, c’est à dire partout, la solidarité active et consciente des exploités. Combattre la répression patronale et/ou étatique.

Aider, à terme, au développement au sein de la population laborieuse d’une contre-culture, d’une culture de lutte utile à sa défense quotidienne, rejetant les conceptions politiques et morales bourgeoises, bref aider peu à peu au développement d’une dissidence, d’une désobéissance, d’une résistance civile résolue et massive.

Construire les bases logistiques d’une contre-société ( coopératives égalitaires, squatts autogérés, caisses de résistance, comités de quartiers, librairies et athénées, radios et revues alternatives .) Il s’agit de bâtir en parallèle à la vieille société capitaliste les bases de la société future.

Etc

On le voit, ces tâches sont immenses et jamais l’organisation ne pourrait les mener à bien si elle prétendait les réaliser uniquement par elle-même. Elle se doit en fait d’expliquer ces tâches et d’œuvrer au sein des masses, au coude à coude avec elles, à leur réalisation.

Structure de lutte, lieu de culture, de formation militante et d’analyse sociale, réseau d’information et de solidarité, lieu convivial l’organisation révolutionnaire est tout cela à la fois.

Mais elle n’est pas une fin en soi. Il faut la concevoir essentiellement comme un outil social, un outil ayant pour but fondamental le développement de l’autonomie populaire, qui seul pourra peut-être un jour amener un changement social en profondeur.
L’autonomie populaire : une nécessité.

On peut voir se profiler dans les nombreuses tâches énumérées un peu plus haut, ce que j’entend par "autonomie populaire" et par quoi passe le développement de cette dernière.

L’autonomie populaire, c’est la capacité toujours plus affirmée et confirmée des masses a s’auto-organiser, à s’auto-défendre contre les iniquités produites par le capitalisme, à autogérer leurs luttes ( et donc quelque part leur propre futur ), à s’auto-représenter et à promouvoir un projet révolutionnaire.

Elle seule peut permettre la libération de la formidable puissance sociale qui réside potentiellement dans les masses exploitées. C’est dans l’autonomie populaire que réside la clé d’une révolution sociale authentique, constructive et libératrice, et il n’y a que dans et par la lutte sociale, la résistance quotidienne et multiforme au capitalisme que l’autonomie populaire pourra se construire et qu’elle en arrivera un jour, souhaitons-le, à se nourrir de sa propre nécessité.

Elle ne pourra être que le résultat d’un long processus social, fait de phases d’avancée et de phases de recul. L’important pour les masses étant alors leur capacité à capitaliser et à transmettre les connaissances théoriques et pratiques acquises par l’expérience.

Quoi qu’il en soit, c’est à son propre perfectionnement et renforcement en tant qu’outil social ainsi qu’à ce processus d’autonomisation des masses que doit travailler l’organisation. Elle se doit de contribuer à l’apparition et au développement de ce processus et, également, de tenter de l’orienter le plus clairement possible dans la voie de la révolution sociale, évidemment. Et cela, elle ne pourra le faire par la magouille, la manipulation et la récupération. Non, pour cela, elle devra convaincre et montrer l’exemple.

Notons, au passage, que le fait que l’organisation travaille à l’autonomisation des masses n’est pas du tout incompatible avec le fait qu’elle puisse atteindre elle-même, au bout d’un certain temps, un caractère massif. En effet, si durant les luttes l’organisation révolutionnaire se révèle être un outil efficace et utile aux masses, une partie de celles-ci viendront en toute logique la renforcer. Les masses nourriront l’organisation en même temps qu’elles se nourriront d’elle.

C’est à travers les comités de grève ou de lutte ( dans les quartiers par exemple ) auto-organisés et autogérés que prend forme l’autonomie populaire. Evidemment, cela n’exclue pas la participation des organisations syndicales à ces luttes mais cela empêche la prise de contrôle des mouvements par ces dernières. Le pouvoir, c’est dans ces A.G. de lutte qu’il sera, là où se retrouvent pêle-mêle syndiqués et non-syndiqués ( chômeurs, étudiants et travailleurs pour ce qui est des comités de quartier ), là où peut se réaliser la seule unité talable : l’unité dans la lutte directe contre l’Etat et le patronat. Etant bien entendu que pour nous "unité" ne veut pas dire "uniformité dans le discours et la pratique.
Des comités de lutte ou de grève aux conseils ouvriers :

Les comités de lutte ou de grève sont à la fois un lieu d’auto-éducation et un moyen de défense face à l’exploitation capitaliste.

Mais en cas de situation révolutionnaire, les taches de ces comités seront amenée a changer. D’instrument de lutte, ces comités en viendront peut-être, si la situation le permet, à se muer en conseils ouvriers, c’est à dire en instruments de réorganisation sociale amenés, en tant que tels, à se positionner et à agir concrètement par rapport aux problèmes de remise en route de l’économie sur des bases communistes, de l’organisation de la vie démocratique dans la cité, de la défense armée de la révolution, etc.

Cette transformation des comités de lutte en conseils ouvriers est, somme toute, logique. L’autonomie populaire se développe et se renforce dans les comités de lutte ou de grève puis, lorsque le rapport de force le permet, les masses tentent la révolution mais elles la tentent justement à partir de leurs instruments de lutte : les comités de lutte ou de grève ! ! ! Confrontés à de nouvelles tâches ( l’organisation de l’autogestion ), ils changent nécessairement de nature afin de s’adapter et de répondre aux urgences de la situation vécue.

Les conseils ouvriers peuvent être considérés comme l’expression organique de l’autonomie populaire, les instruments de l’émancipation des masses et de la transformation de la société. Les conseils ouvriers constituent fondamentalement l’auto-représentation vivante et évolutive des masses.

L’organisation révolutionnaire se doit d’intervenir dans ces conseils de la même manière que dans les comités de lutte ou de grève. Elle n’a pas à assumer la direction de la lutte révolutionnaire. Elle se doit seulement d’être, au sein de cette lutte et des masses qui la mènent, une force de proposition, un aiguillon sur le plan théorique et surtout, en l’occurrence, sur le plan pratique.

Il s’agit pour nous d’indiquer la direction, pas de s’en emparer. Là encore, et plus que jamais en fait, il s’agira de convaincre... et de construire.

La révolution sociale ne pouvant être que le fait des masses et non celui d’une organisation, cela doit, à mon avis, impliquer l’abandon de l’idée que les syndicats peuvent constituer les fondements de la réorganisation sociale. Celles-ci ne pourront être que le résultat de l’activité révolutionnaire consciente, déterminée et autonome des masses : les conseils ouvriers ( ou, si l’on préfère, les conseils de travailleurs ) et les conseils de quartiers, de facs.

En effet, on peut raisonnablement penser qu’une situation révolutionnaire semblable à celle de 1936 en Espagne, où la CNT était dans une multitude d’endroits en position hégémonique, a peu de chances de se reproduire. L’Etat tapera avant. Bien sur, on ne peut pas l’affirmer avec une totale certitude. Quoi qu’il en soit, que la révolution sociale libertaire se fasse par le biais des conseils de travailleurs ou par le biais d’une organisation spécifique de masse, l’important est qu’elle se fasse.

Un militant anarcho-syndicaliste

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