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Les fusions de CLSCNicole Nepton, Friday, November 14, 2003 - 19:20
Lorraine Guay
La civilité et le calme avec lesquels le ministre de la santé annonce la vague des fusions de CLSC ne doit pas faire oublier l'extrême rudesse de cette décision politique. Il s'agit en fait de la phase terminale d'une longue maladie dont souffrent les CLSC depuis leur naissance : un défaut de croissance logé sans doute dans les gènes de cette progéniture dont personne en haut lieu n'aura vraiment voulu. Le ministre Couillard ne fait qu'ajouter sa touche personnelle au gâchis. Chronique d'une mort annoncée. Marche avant vers le passé? La civilité et le calme avec lesquels le ministre de la santé annonce la vague des fusions de CLSC ne doit pas faire oublier l'extrême rudesse de la décision politique. Il s'agit en fait de la phase terminale d'une longue maladie dont souffrent les CLSC depuis leur naissance : un défaut de croissance, logé sans doute dans les gènes de cette progéniture dont personne en haut lieu n'aura vraiment voulu! Gouvernement après gouvernement, peu importe le parti ou le ministre en charge, les CLSC seront demeurés le parent pauvre des réformes. Près de 30 ans après leur fondation, ces derniers n'obtiennent toujours qu'une portion congrue du budget de la santé, une misère quand on considère que ces établissements auraient dû et pu être le pivot de la première ligne des soins de santé et de services sociaux au Québec. Le ministre Couillard ne fait qu'ajouter sa touche personnelle au gâchis. Retour sur un passé récent? Il n'est pas inutile de rappeler pourquoi les CLSC ont été mis en place. Dans les années soixante, les gens devaient payer pour recevoir des soins médicaux soit directement en "cash" soit par des assurances privées qui en saignaient plus d'un. Ceux qui n'en avaient pas les moyens étaient laissés à la charité publique. Les médecins étaient pour la plupart établis en cabinet privé (les polycliniques privées n'existaient pas encore). L'hôpital constituait le centre névralgique du système avec, comme conséquence, une vision hégémonique de son rôle dans la société, une approche de la santé réduite au curatif, une "culture de l'urgence" abusive et inefficace. Pas question non plus de participation de la population aux orientations des services. Comme quoi la "réingénierie" actuelle a des airs de déjà vu ! Ce sont les cliniques populaires de l'époque (Clinique St-Jacques, Clinique du peuple de St-Henri, Clinique communautaire de Pointe St-Charles, etc.) qui ont inauguré une nouvelle vision de la santé, un nouveau mode de dispensation des soins, une nouvelle configuration des rapports entre population, professionnels et gestionnaires et entre les institutions elles-mêmes. Nous disions alors : la santé de notre société est trop précieuse pour la laisser entre les mains des seuls professionnels et des seuls technocrates. C'était l'appel à la participation des citoyens. Et cette participation, en alliance avec des médecins, des infirmières, des travailleurs communautaires soucieux de vivre leur métier comme un service public, aura produit des innovations majeures dont la commission Castonguay-Nepveu s'inspirera pour créer les CLSC en 1975. Mentionnons pour mémoire : la participation de la population aux processus décisionnels concernant l'orientation et la dispensation des soins, l'accessibilité aux médicaments, aux soins dentaires et de la vue, le salariat pour les médecins, le travail en équipe toute profession confondue, un projet médical novateur imbriquant le travail clinique et le travail social, l'implication politique face aux causes de la maladie liées aux inégalités socio-économiques et pas seulement aux virus; la proximité, source d'une connaissance intime de la population d'un quartier, d'un territoire donné; la prise en charge globale et non par spécialité d'organes et donc la capacité de contrer le recours abusif à la spécialisation, d'éviter l'hospitalisation en particulier en santé mentale. Recevoir une femme avec son enfant, c'était s'occuper de toute la vie de cette femme et de son enfant, savoir si l'otite du bébé ne cachait pas de mauvaises conditions de logement, si le silence de la femme ne recelait pas quelques traces de violence domestique, et proposer des solutions variées : médicaments, support psycho-social et implication dans un groupe de femmes, etc. Ces expériences prônaient une conception dynamique de la médecine familiale capable de traiter en gros plus de 90% des bobos d'une population; et surtout, le renversement de la pyramide où le système en entier reposait désormais sur une base solide, large, accessible : la première ligne! Avec l'universalité et la gratuité des soins, la mise en place des CLSC aura été l'un des moments précieux où les Libéraux d'alors "réinventaient" vraiment le Québec dans le sillage de la Révolution tranquille. Chronique d'une mort annoncée Les fusions annoncées marquent la disparition lente mais inexorable de la mission particulière, originale, spécifique de cette institution du réseau de la santé. Les CLSC en effet ont dû faire face à toutes les résistances dans leur courte histoire: du boycottage systématique par les associations de médecins (pour le Dr Augustin Roy, alors président du Collège des médecins, nous pratiquions une "médecine soviétique" à la Clinique de Pointe St-Charles parce que les médecins travaillaient à salaire!), aux discrédits tapageurs relayés par la rumeur publique (les CLSC ayant paraît-il le monopole de la bureaucratie?), en passant par des volontés politiques à géométrie variable et les limitations chroniques imposées par le manque d'investissements substantiels (en ressources humaines et en argent). Les gouvernements se seront relayés pour renforcer ces résistances au lieu de les diminuer ne serait-ce que par le refus d'une politique pro-active de recrutement de médecins (salaires adéquats ou même majorés comme en région éloignée, les CLSC étant les "territoires éloignés" de la médecine!, passage obligé de tout étudiant en médecine familiale, etc.). On aura "tabletté" le rapport Brunet qui à l'époque prônait une formule originale, harmonisant des missions de base, valables pour tout CLSC sur tout le territoire québécois de manière à assurer l'égalité des services à toute la population et des activités adaptées aux situations locales et régionales. Ainsi un CLSC en Gaspésie pouvait assurer les mêmes services de base qu'un CLSC d'un quartier de Montréal, mais avec les couleurs particulières et les besoins spécifiques de la région. On aura laissé croître à l'infini les cliniques privées, méga ou poly, instaurant de fait une mcdonalisation de la médecine de première ligne (le "fast food" des sans rendez-vous et des sans suivis; des problèmes physiques amputés de leurs dimensions psycho-sociales qu'on relègue par ailleurs au secteur public : "ça prend trop de temps pour s'occuper d'un problème de santé mentale en clinique privée"). Cette politique complaisante a placé les CLSC en position de concurrence face à la clientèle et face aux médecins avec un préjugé favorable, mais jamais démontré, pour le privé, marché oblige! Elle a aussi forcé à des contorsions dignes du Cirque du Soleil pour assurer "l'harmonisation" des cliniques privées et des CLSC (groupes de médecine familiale par exemple, morts au feuilleton eux aussi). On aura ainsi tué dans l'oeuf ce que le Québec a produit de meilleur au plan de l'organisation d'un système de santé et de services sociaux. Y revenir après un long détour? La réforme réingénériale de M. Couillard va à l'encontre des grandes orientations prônées par l'Organisation mondiale de la Santé en matière d'organisation des systèmes de santé. Depuis plusieurs décennies déjà, l'OMS appelle les pays développés et les pays en développement à investir massivement dans la première ligne, dans des soins de base de qualité, dans une participation des communautés à l'orientation des services. D'innombrables colloques internationaux faisant écho à d'innombrables recherches sur la question ont appelé les gouvernements à solidifier la première ligne, à mettre en place des structures locales simples, facilement accessibles, à taille humaine, participatives. Les CLSC du Québec s'étaient taillé une réputation internationale enviable : on venait de partout pour apprendre de cette expérience originale de dispensation de services et de participation citoyenne. Les livres d'histoire des systèmes de santé y feront référence comme à une courte et prometteuse expérience, arrêtée prématurément par de petits politiciens. Nous y reviendrons un jour, forcément, mais après un long détour dont on commence à peine à entrevoir le prix collectif. Lorraine Guay
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