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Altermondialisation : ATTAC cherche un nouveau soufflejplarche, Tuesday, August 26, 2003 - 08:17 (Reportage ind. / Ind. news report | BM-FMI / WB-IMF | Droits / Rights / Derecho | Economy | Education | Globalisation | Resistance & Activism)
Thomas Lemahieu
Au cours de son université d'été, l'association discute, parfois âprement, de son identité, de son rôle et du sens de son action. Arles (Bouches-du-Rhône), envoyé spécial Un doigt se lève timidement. Au bout du bras, une novice se racle la gorge : " Pardon madame, mais depuis cinq minutes, vous parlez de quelqu'un et je n'ai pas bien compris son nom... " En pleine leçon sur les origines de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), Susan George épelle sans moufter : " K-E-Y-N-E-S : Keynes, c'est le grand économiste de la régulation ; pour lui, il faut qu'à rebours du libéralisme, l'État prenne en charge les dépenses pour arriver au plein emploi. " L'université d'été d'ATTAC, commencée vendredi dernier, s'achève aujourd'hui. Et comme chaque année depuis quatre ans, c'est un succès incontestable : plus de 900 adhérents de l'association sont venus suivre des cours plus ou moins académiques (consacrés aux institutions internationales, au développement, à la protection sociale, à l'emploi, aux services publics, à l'impôt, à l'éducation, à la culture, aux biens publics mondiaux et à des dizaines d'autres thèmes), des travaux appliqués plus techniques et même un atelier d'écriture. Mais ils sont là aussi pour avaler une petite assiette vengeresse contre " les médias " et " leurs éditorialistes ultra-libéraux ", se bidonner des sarcasmes et saillies contre George W. Bush, chalouper au son d'un orchestre " salsa révolutionnaire bolivarien " et adresser ainsi un signe au Venezuela de Chavez, ou plus prosaïquement siffler le rosé d'un viticulteur bio d'Uzès. " On se régale ", articule Josette Pac, qui ne peut pas mieux dire un sentiment général. ATTAC, plus jamais seule Pour l'écrasante majorité des participants, c'est seulement en marge que se déroule le feuilletonesque débat sur l'image et sur l'identité de l'association. Innovation de ces rencontres estivales, une filière complète est dédiée au mouvement : " Et si l'on parlait d'ATTAC ", proposent les organisateurs, mais la plupart des sessions restent confinées dans la plus petite des salles du centre de congrès d'Arles et ne rassemblent qu'une vingtaine d'adhérents en moyenne. " C'est vrai que, pour les militants, ce n'est ni le lieu ni le moment, il y a une assemblée générale de l'association fin novembre ", explique un responsable. Néanmoins, que ce soit dans les couloirs, dans les allées ou aux tribunes, une question de fond émerge de cette université d'été : contrairement à la période de sa naissance, ATTAC ne détenant plus forcément aujourd'hui l'hégémonie dans le champ de l'altermondialisation, quelle place occuper, quel rôle tenir, quelles alliances nouer ? Dans un des ateliers, Geneviève Azam, présidente de l'important comité local de Toulouse, raconte une expérience récente : une association minuscule, avec quatre membres seulement, réussit, sans l'intervention d'ATTAC, à rassembler 1 500 personnes pour un débat sur l'accord général sur le commerce des services (AGCS) avec Agnès Bertrand. " On doit s'interroger car, c'est vrai que nous n'avons plus de monopole, estime-t-elle. Nous avons été, il faut bien le dire, très en deçà des attentes lors du rassemblement du Larzac. Mais j'en suis revenue ravie de voir d'autres pôles émerger dans le mouvement altermondialisation. Cela ne doit pas nous faire peur, cela doit encourager. " " Nouvelle étape " et crispations Dans le contexte actuel, tous les dirigeants de l'association tombent d'accord sur la nécessité d'engager une " nouvelle étape " marquée par un élargissement de l'intervention thématique (lire l'Humanité d'hier) et, si possible, numérique. " Nous devons continuer à nous développer parce que nous sommes des décontaminateurs d'esprit et des bâtisseurs d'espoir, avance Michèle Dessenne, secrétaire générale d'ATTAC. L'association doit se renforcer dans ses analyses, mais aussi en termes d'adhésions. Proposer d'adhérer à ATTAC, c'est ouvrir un espace de liberté pour quelqu'un. " Depuis quelques années maintenant, le nombre d'adhérents d'ATTAC paraît s'être stabilisé autour des 30 000, avec un phénomène assez aigu de turn-over (les très nombreux nouveaux adhérents compensent toujours plus ou moins les non-renouvellements de cartes). Au sommet de l'association, la crispation sur le contenu et le sens de cette " nouvelle étape " est palpable. Dernière illustration en date : la controverse sur une prise de position récente du président d'ATTAC - " rien d'autre qu'une contribution au débat nécessaire ", justifie-t-il. À plusieurs reprises la semaine dernière, Jacques Nikonoff s'est, dans la presse, dressé contre " l'image gauchisante " du mouvement. " Je ne vois pas pourquoi nous nous priverions de voir les jeux que les uns et les autres font sur notre dos, observe-t-il. Chirac parle beaucoup d'altermondialisation pour affaiblir la gauche dans l'espoir de multiplier, grâce au bipolarisme, les duels droite-extrême droite lors des prochaines élections. Après le Larzac, le gouvernement et une partie du PS ont lancé une campagne de dénigrement, visant à faire croire que ce mouvement serait irresponsable et violent. C'est faux : ATTAC est indépendant, le mouvement altermondialisation est humaniste et non violent. Dès lors qu'on nous colle une étiquette, on cherche à nous diviser, parce que ceux qui ne se reconnaissent pas dans cette étiquette, dans une option politique quelle qu'elle soit, risquent de quitter le navire. " Ces déclarations répétées ont agacé certains membres de la direction d'ATTAC, beaucoup moins dans les rangs des participants à l'université d'été qui n'entendaient manifestement pas en faire un pataquès... Même si, dimanche après-midi en plénière, l'intervention de Jean-Marie Harribey, économiste à Bordeaux et membre du conseil scientifique d'ATTAC, fustigeant " les stigmatisations un peu hâtives " du président de l'association, a été ovationnée. Pour Pierre Khalfa, syndicaliste du Groupe des dix et membre du bureau d'ATTAC, " si nos adversaires parient effectivement sur l'éclatement du mouvement, on doit chercher à faire des débats qui nous renforcent et qui ne nous affaiblissent pas. Nous sommes dans une dynamique d'agrégation large et ce n'est pas le moment au nom d'une clarification présumée de créer des clivages et des séparations au sein du mouvement altermondialisation. " Mais à la base, c'est une autre question qui mobilise très fortement l'attention et nourrit les crispations : les militants poussent la direction d'ATTAC à prendre position sur un tas de thèmes qui ne font pas consensus parmi les organisations (syndicats, associations, journaux, etc.) fondatrices de l'association et, en particulier, en l'occurrence, sur l'énergie nucléaire. " Il faut bien le dire, c'est à reculons que nous avons élargi jusqu'ici nos champs d'intervention, reconnaît Bernard Cassen, président d'honneur d'ATTAC. Si l'on parle de la Palestine, pourquoi ne pas parler du Tibet ou du Sahara occidental ? On ne peut pas tout prendre en charge, même si c'est vrai que le libéralisme s'attaque à tout partout. Sur les politiques énergétiques et le droit à l'énergie, nous allons élaborer un mode d'emploi de la discussion. Ce serait simpliste de limiter la question énergétique au seul nucléaire. Il faut savoir qu'au sein de l'association, il y a certes des pro-nucléaires, mais aussi le lobby Sortir du nucléaire. Ce qui nous promet un débat complexe, mais on a l'habitude à ATTAC. " Sous les applaudissements, Bruno Jetin, membre du conseil scientifique, déplore la " tiédeur " de l'association à ce sujet : " L'association a déjà réussi à prendre des positions qui allaient à l'encontre de la doctrine de certains de ses fondateurs, pourquoi pas sur le nucléaire ? " Un appel du pied pour les alliances Dans cette situation marquée par des crispations internes et par le retour au premier plan, avec le mouvement contre la réforme des retraites, du syndicalisme, ATTAC cherche à redéfinir son rôle avec plus de précision afin de ne pas se dissoudre complètement dans le mouvement altermondialisation. " C'est vrai que, dans les têtes de certains militants d'ATTAC, il y avait parfois cette idée que, comme les partis politiques, le champ du syndicalisme était mort et que l'association pouvait en quelque sorte l'occuper ", analyse Louis Weber, syndicaliste de la FSU et participant au conseil d'administration d'ATTAC. Pendant les gigantesques manifs du printemps, les militants de l'association se sont souvent mis sur le trottoir pour distribuer leurs analyses pour démonter " l'alibi démographique ", pour remettre l'accent sur le nécessaire partage de la valeur ajoutée, pour décortiquer les inégalités hommes-femmes sur les retraites encore accrues par la réforme Fillon. " J'ai constaté à plusieurs reprises que des équipes syndicales utilisaient, à côté du matériel de la CGT, celui d'ATTAC, raconte Christian Pilichowski, qui représente l'UGICT-CGT dans les instances de l'association. Ils disaient : "Regardez, ce qu'on vous dit, ATTAC le dit aussi", et comme si, d'une certaine manière, ATTAC faisait plus autorité que le syndicat. " Dans le débat sur l'identité d'ATTAC (fondée, rappelons-le, notamment par des organisations syndicales), la nature de ses rapports futurs avec le syndicalisme en général occupe toutes les têtes. " Il y a eu depuis des décennies, par le biais du management et de l'idéologie néo-libérale, un acharnement contre le monde ouvrier, estime Jacques Nikonoff. Nous devons aussi nous battre dans ce monde-là où l'idée que l'augmentation des cotisations patronales crée du chômage a été largement inséminée. " Au plan strictement politique, ATTAC n'envisage pas - sans surprise - de soutenir à l'avenir une formation politique ou même, comme précise Bernard Cassen, de participer à une " opération d'ingénierie politique de refondation de la gauche ". En revanche, ses rapports avec les élus locaux vont, eux, se développer avec la volonté de pousser les activités au plus près des territoires. Ainsi en 2005, la concession de la gestion de l'eau en région parisienne - un des axes majeurs de bataille des comités locaux d'ATTAC contre les multinationales - sera renégociée. " Sans mouvement populaire puissant sur cette question, les élus de gauche ne pourront rien faire, parce que c'est la droite qui tient les manettes du syndicat intercommunal, avertit, dans son atelier, Stéphane Peu, militant d'ATTAC et maire adjoint de Saint-Denis. Il faut laïciser le rapport d'ATTAC au politique ; cela doit rester de l'ordre de l'intime, mais en revanche, dans les villes et les territoires, il faut veiller à ce que là où les décisions doivent être prises, elles le soient. " C'est une évidence, mais aussi une nécessité pour gagner à un moment. " Et on tient peut-être là, sur les questions de l'eau, les conditions pour une première victoire ", s'avance Michèle Dessenne.
L'Humanité, quotidien proche du Parti communiste français
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