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Ceux qui ne comptent pasCarl Desjardins, Tuesday, June 10, 2003 - 14:18
Mark Engler
Dans un des rapports souvent cités du New York Times, un sergent Schrumpf a rappelé un incident dans lequel des Marines on fait feu sur un soldat irakien se tenant parmi plusieurs civils. Une femme a été tuée. " Je suis désolé, dit le sergent, mais la gonzesse était dans le champ. " Traduction Nathalie Serrand, Coorditrad* Pourquoi il importe de se souvenir des victimes civiles de la guerre d'Irak ? Depuis la fin de l'invasion de l'Irak, l'humeur nationale est à la justification et à la bravade. Les présentateurs d'informations télévisées et le département de la Défense s'accordent : l'Amérique est ravie. On congratule les soldats. Ceux d'entre nous qui se sont opposés au président et à ses généraux devraient avoir honte devant une guerre si brillamment couronnée de succès. Il est une question, plus que toute autre, que cette autosatisfaction dominante empêche de poser. Au milieu des récriminations générales, peu se risqueront à demander : " Quel en a été le coût ? " Sur les télévisions outre-mer, les raids des Marines et les bombes de l'Air Force ont eu un coût humain. Et tandis que le visage de Donald Rumsfeld devenait la singulière icône de la guerre aux Etats-Unis, le reste du monde brandissait des photos d'Ali Ismaeel Abbas, le garçon de 12 ans qui a perdu ses parents et huit autres proches, en même temps que ses deux bras, dans le bombardement de Bagdad. Il ne fait aucun doute que certains ont exploité de telles images à des fins de propagande. Il ne fait aucun doute que la recherche du carnage est devenue à certains moments du sensationnalisme de mauvais goût. Mais quel a été l'impact sur les Américains de n'avoir vu que peu, sinon aucun, de ceux qui sont morts ? Il existe des estimations du nombre de civils tués durant la guerre. Un groupe de 19 bénévoles en Angleterre, les créateurs d'un site web nommé " IraqBodyCount.net " (le décompte des corps en Irak.net), estime qu'il y a eu un " minimum " de 2050 morts. Ce total reflète les chiffres les plus bas fournis par les rapports d'information sur les incidents mortels. Un décompte plus complet devrait y ajouter les centaines, peut-être les milliers de gens dont la mort n'a jamais rapportée par aucune source - ceux qui ont été enterrés discrètement dans les décombres, ou ceux qui ont été blessés et sont morts ultérieurement dans un de ces hôpitaux d'Irak débordés et, en fin de compte, pillés. Aucune nation, " coalition " ou autre ne s'est chargée d'établir ce calcul. D'après John Sloboda de l'IraqBodyCount, " une initiative du gouvernement suisse, lancée au milieu de la guerre, a été abandonnée du fait de pressions politiques ". Le dilemme qui se présente là est un vieux dilemme, et qui plus est dangereux : quel est le prix d'une vie ? combien doit-il y avoir de morts avant que cela importe ? Peu sont ceux qui peuvent offrir de bonnes réponses. Ceux qui ne retiennent que les moments les plus sanglants de la guerre ne tiennent pas compte des autres vies. Des centaines de milliers de citoyens irakiens sont morts suite aux sanctions de la dernière décennie, dont Saddam Hussein est fortement responsable, mais que les Etats-Unis avaient le pouvoir de lever durant tout ce temps. Beaucoup plus encore seraient morts si les sanctions avaient été prolongées. Et nous n'avons aucun moyen de savoir combien seront tués lors d'invasions futures inspirées par la conquête de l'Irak, ou lors d'actes de châtiment qui en découleraient. Washington, bien sûr, a soigneusement pris compte des 166 soldats américains et britanniques tués durant l'action. Ce qui a éludé, au passage, l'idée d'un décompte des morts civiles. De nombreux journalistes, en particulier à la télévision, ont pris cette position officielle pour argent comptant. Même dans le plus responsable de nos journaux de presse, une idée est devenue comme une incantation : " un nombre précis [de civils tués] n'est pas et ne sera probablement jamais disponible " a déclaré le New York Times. " Le décompte final pourrait ne jamais être établi ", a dit le Washington Post. A plusieurs reprises, les reporters ont souligné la difficulté d'établir un décompte exact. C'était, à première vue, une déclaration d'humilité, une reconnaissance honnête du chaos inhérent au conflit militaire. Pourtant, sur certains points, cette tendance - ce refus de compter, ou même de tenter de le faire - s'est transformée en quelque chose d' autre. C'est devenu une forme de dénégation politique. Les rares dépêches qui ont égratigné en surface la position du gouvernement sur les morts civiles ont révélé une facette humaine de la guerre - dans laquelle de jeunes soldats ont eu peur pour leurs vies et dont le sort a dépendu de décisions rapides et difficiles -, mais aussi, en même temps, une surprenante désensibilisation face à la vie humaine. Dans un des rapports souvent cités du New York Times, un sergent Schrumpf a rappelé un incident dans lequel des Marines on fait feu sur un soldat irakien se tenant parmi plusieurs civils. Une femme a été tuée. " Je suis désolé, dit le sergent, mais la gonzesse était dans le champ. " Un autre reporteur du Times a décrit une situation dans laquelle des Marines ont attaqué une caravane de véhicules s'approchant d'eux au loin, ne sachant pas si ceux-ci pouvaient être remplis d'ennemis ou, comme cela s'est avéré, d'innocents. Un à un, des civils ont été tués. A plusieurs centaines de mètres de la position avancée des Marines, un mini-van bleu s'est fait tirer dessus ; trois personnes ont été tuées. Un vieil homme, marchant à l'aide d'une canne sur le côté de la route, a été abattu. Ce qu'il faisait là n'est pas clair ; peut-être était-il dérouté et effrayé et essayait-il seulement de fuir la ville. Plusieurs autres véhicules ont été mitraillés. Quand la fusillade s'est arrêtée, il y avait près d'une douzaine de corps, dont seuls deux portaient des vêtements ou des armes d'apparence militaire. " Deux journalistes qui étaient devant moi, plus haut sur la route, ont dit qu'un commandant de compagnie avait dit à ses hommes de retenir leur feu jusqu'à ce que les snipers aient tiré quelques coups, pour tenter de mettre les véhicules hors d'action sans tuer les passagers. " " Laissez les snipers s'occuper des véhicules civils ", a dit le commandant. Mais dès que le sniper le plus proche eut tiré ses premiers coups de semonce, d'autres Marines ont apparemment ouvert le feu avec des M-16 ou des mitrailleuses. " [Un] chef de contingent, après la fin de la fusillade, a crié : "mes hommes n'ont montré aucune pitié". Remarquable. " Le nombre de civils tués dans cette fusillade importe vraiment, ne serait-ce que pour nous rappeler que l'invasion n'est pas un jeu vidéo. Cela importe, parce que cela montre que quelque sophistiqués que soient ses outils, la guerre qualifiera toujours ses badauds innocents des " dommages collatéraux ". Une dure indifférence à l'encontre de telles vies n'est pas limitée aux sergents et aux chefs de contingents présents sur le front. C'est la position encouragée par un gouvernement qui ne compte pas ses victimes, même quand il prévoit d'autres conquêtes : bientôt la Syrie, et ensuite l'Iran. C'est une attitude qui persiste en dehors des temps de guerre, guidant nos préjugés à l'encontre de ceux qui vivent dans des nations dont nous n'avons jamais appris à prononcer les noms, nations que nos " champions des mots chocs " appellent nations du " turd world " [third (tiers) étant remplacé par turd (merde en argot)]. Afin de rompre le cycle de guerre et de privation, de haine et de terrorisme, les Etats-Unis devront un jour commencer à compter non pas seulement les morts de ce conflit, mais tous ceux dont nous ne tenons jamais compte. Et ils devront commencer à se sentir responsables devant eux. Car, s'ils le font, nous apprendrons que ce n'est pas une question de deux ou trois milliers de personnes. La majorité de ce monde s'élèvera pour être dénombrée. -- Mark Engler, écrivain basé à New York, peut être joint à: eng...@eudoramail.com. Cet article est paru initialement sur TomPaine.com. Assistance Recherche fournie par Katie Griffiths. - Publié dans le courriel d'information d'ATTAC.
Le décompte des morts en Irak à cause de la guerre
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