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Un avant goût de l'Enfer...Anonyme, Friday, May 30, 2003 - 07:16
Marab
Ce (long) texte est librement inspiré du monde de Cyberpunk, un Jeu de Rôles futuriste et prophétique. Il se veut une modeste mise en garde aux générations actuelles : "dans quel monde vivront vos enfants si vous ne prenez pas vos responsabilités ?". Année 2024, Night City. Il est 22h00, je viens de rentrer du travail. Une sale journée vient de s'écouler. Dans un Monde sale, on ne passe que des sales journées. Je suis employé subalterne à Bio-Technica, une Corporation spécialisée, comme son nom l'indique, dans le développement des bio-technologies. Employé, c'est d'ailleurs bien tout ce que je suis. La citoyenneté n'existe plus depuis longtemps. Bien avant la Première Grande Crise de 2004, les États avaient déjà commencé à reculer et à ployer sous la pression continue des firmes transnationales. Ma citoyenneté, c'est celle de ma firme. Tout ce que j'ai, je le dois à ma firme. J'appartiens à Bio-Technica. Ma firme a quasiment droit de vie et de mort sur moi, et ma descendance lui appartiendra de la même façon. C'est pour ça que je n'en veux pas. A quoi bon donner la vie, dans un monde où les enfants naissent enchaînés ? J'habite Night City, cette ville énorme qui dévore comme un cancer toute la côte Ouest des Etats-Unis, englobant dans le même espace urbain les défuntes Los Angeles et San Fransisco. Une Cité cauchemardesque née de l'urbanisation démente des années 2015. Une ville où la misère, la corruption, la pollution, la folie et la mort règnent en maîtresses absolues. Une ville où il ne fait jamais vraiment jour, à cause de ce brouillard constant né de la stérile et débilitante suractivité humaine. L'enfer sur terre. À moins de faire partie de la race des seigneurs, d'être un de ces grands dirigeants de Corporations qui habitent au sommet des gigantesques Tours Bio-Technica, Microsoft, Militech ou Arasaka. Là, de leur point de vue privilégié, au sommet de leurs immenses fortunes, les véritables Maîtres du monde regardent, avec une morgue de satisfaction où transparaît leur mépris du peuple, le résultat du processus que leurs pères et leurs grands-pères avaient engagé et qu'on appelait à l'époque "Mondialisation". Le putain de "Village Global" que leurs ancètres avaient promis aux miens est devenu un gigantesque bidonville, parsemé de quelques îlots de prospérité et se sûreté relatives, dans les territoires qui appartiennent aux Firmes. Saviez vous que Microsoft avait acheté l'Etat de Washington, l'Oregon, et une partie du Nevada ? J'en veux souvent à la génération de mes parents. Ils étaient jeunes quand les choses ont commencé à dérailler, et pourtant ils n'ont rien fait ! Mon présent aurait pu être bien différent si seulement ils avaient pris leurs responsabilités. Mais non ! Rien ! Ils ont préféré croire les gros mensonges des Firmes, mensonges relayés par les médias et les partis de gouvernement. Ils ont laissé les politiciens corrompus au service des Corporations confisquer le peu de pouvoir qui restait encore au peuple. C'est de leur faute si aujourd'hui, à même pas vingt ans, je vis en Enfer. Au début de la Mondialisation, il y avait pourtant des voies de résistance possibles. Qu' a-til pu se passer pour que nos pères acceptent docilement d'aller vers ce monde infâme qu'on leur préparait et dont leurs enfants souffrent en ce moment, sans plus aucun espoir de fuite ? J'ai pu me renseigner un peu sur le Temps des Nations. C'était il n'y a pas si longtemps et je suis moi-même né, comme mon père, "citoyen des Etats Unis d'Amérique". Mais il semble qu'à l'époque, en 2005, ça ne voulait déjà plus dire grand chose. Tout ce que je sais, je l'ai appris clandestinement via le Réseau, le seul endroit où il subsiste encore un peu de liberté. Le Réseau est le seul moyen (pour combien de temps ?) d'en savoir sur l'Histoire plus que ce que les firmes nous en apprennent. Car ces salopes contrôlent tout. Je dois l'essentiel de mon éducation à Bio-Technica, mon père étant employé chez elle à l'époque de ma naissance. J'ai grandi dans cet environnement. Je suis né Bio-Technica, j'ai été éduqué Bio-Technica, et il ne fait aucun doute que je mourrais Bio-Technica. Cependant, quelque soit leur puissance, les firmes ne contrôlent pas encore tous les flux. Certaines informations échappent pour l'instant à leur emprise. Par le Réseau, on peut apprendre des choses qu'elles préfèreraient cacher. Notamment ceci : Au tout début du 21ème siècle, le monde, qui n'appartenait pas totalement aux Firmes, n'était pas si invivable et barbare qu'elles veulent bien nous le raconter. Les gens étaient des "citoyens", ils vivaient dans des "Nations" et avaient même des "Droits Civiques", dont ils pouvaient faire usage pour contester les autorités en place. Mais notre horrible monde actuel était déjà en gestation depuis la fin des années 1970. Malgré la jouïssance théorique de ses fameux "droits civiques", la génération de mes parents était anesthésiée -comme celle d'aujourd'hui- par les Médias dominants qui lui promettaient un futur radieux fait de "liberté de commerce", de "croissance économique continue", d'"enrichissement personnel" et de "poursuite du bonheur individuel". Malheureusement pour ma génération, la plupart des gens les ont crus. La majorité à préféré croire ces salopards, ces ordures qui n'avaient pourtant compris qu'une seule chose : pour arriver à leurs fins de domination totale, ils devaient tuer le collectif et n'avoir au bout du compte en face d'eux que des individus désorganisés, prêts à se réfugier dans les griffes de quiconque leur assurerait un minimum de confort matériel et de sécurité relative dans un monde qui -à cause d'eux- ressemblait de plus en plus à une jungle. Mes parents se sont fait avoir. Une fois le collectif détruit, il ne restait plus aux Corporations qu' à anéantir l'individu. C'est maintenant chose faite. Aujourd'hui, en 2024, il n'y a plus ni individus ni collectivité. Il n'y a plus que les Corporations. Le Monde leur appartient. Les gens leur appartiennent. Elles se font la guerre entre elles, pour accroître leur domination, et comme toujours c'est ce bon con de Peuple qui en prend plein sa gueule. En ce qui me concerne, je ne me définis plus comme un individu. J'appartiens à BioTechnica, littéralement. A l'âge de dix ans, avec l'accord de mes parents ils m'ont implanté une puce dans la main droite, soit-disant pour pouvoir me retrouver en cas de rapt et aussi en cas de problèmes de santé. Ils ont fait passer le marquage du bétail humain pour un "progrès". Mes parents m'ont vendu. Aujourd'hui, nous faisons tous partie d'un troupeau. Hors du troupeau, point de Salut. Partout où est implantée BioTechnica, je suis en sécurité. N'importe où ailleurs, je suis en territoire hostile. Seuls les Nomades, les criminels et les fous tentent de vivre en dehors du Système. Ce Monde est monstrueux et il est malheureusement trop tard pour le changer. La génération de mes parents a failli, et c'est nous, leurs enfants, qui payons maintenant les pots cassés. J'ai pourtant lu qu'il y avait eu un début de résistance à ce processus. Dans les années 90 des gens, qu'on appelait "altermondialistes", se sont élevés pour contester le pouvoir grandissant des Firmes. Ils manifestaient, proposaient des alternatives à ce mode de développement qu'ils dénonçaient comme étant insupportable et mortifère. Ils s'élevaient contre le brevetage du vivant (la raison d'être de ma firme), contre la mainmise des multinationales produisant des OGM sur la production agricole, ils militaient pour une économie humainement plus juste et écologiquement plus responsable. Bref, ils voulaient mettre le Système au service de l'Homme et de la planète, au lieu de continuer à faire obstinément le contraire. Mais ils étaient trop peu et surtout, ils n'étaient pas assez écoutés. Les Médias les faisaient passer pour de gentils rêveurs irresponsables et hostiles au Progrès. "La Science, disaient les Médias, a toujours relevé les défis qui se posaient à elle ! Si on vous écoutait, on vivrait encore à l'Âge de Pierre !". "Vous n'y connaissez rien ! Laissez donc faire le Marché !". Selon les Médias, seuls le Marché et la Science pouvaient apporter à l'Homme le Progrès et le Développement. On disait aux gens que les avancées fulgurantes de la science et de la technologie devaient à terme résoudre tous les problèmes.Tout ce qu'il fallait faire, c'était libérer l'économie des contraintes "archaïques" qui pesaient sur elle, et prier pour que le Dieu Marché apporte la prospérité et le bonheur aux peuples. Mais bien sûr, la technologie , loin de résoudre tous les problèmes, en a rapidement créé d'autres. La libéralisation fit que les fusions-acquisitions se multiplièrent parmi les Firmes, aboutissant à des conglomérats gigantesques dotés de pouvoirs quasi illimités. Le Dieu Marché et la Déesse Technologie, qui devaient sauver le Monde, l'ont prévisiblement entraîné vers sa perte. Les idées des altermondialistes eurent malgré tout un certain succès au début des années 2000, mais malheureusement pour les militants, leur destin fut scellé le 11 Septembre 2001. Ce jour là, des attentats terroristes d'une ampleur sans précédent touchèrent l'Amérique (certains disent que les attentats en question furent organisés par le gouvernement US et quelques Firmes, ce que je veux bien croire) et le Président de l'époque, un faible d'esprit sous influence du nom de George W. Bush, fit voter des mesures d'une extrême sévérité, abolissant la plupart des libertés dites "Constitutionnelles". On fit de même, avec plus ou moins de retenue, quasiment partout ailleurs dans le monde. La Guerre Globale était déclarée. C'était le début de la Fin pour le mouvement altermondialiste, il fut progressivement considéré comme "complice objectif du terrorisme" et ses militants furent finalement arrêtés et emprisonnés. Il y eu des émeutes et des révoltes, mais la plupart des gens, intoxiqués par les médias, se réfugièrent dans les bras faussement rassurrants du pouvoir autoritaire et policier. Bientôt, il n'y eu plus de citoyens. Les firmes détestaient les citoyens. Elles ne voulaient dans leur Monde que des clients, des consommateurs ou des salariés, pour lesquels il existe mille moyens de contrôle. Il n'y a rien au monde que les Corporations redoutent plus que l'indépendance d'esprit. Furent bientôt qualifiés de "terroristes" tous les actes, même non-violents, par lesquels les gens essayaient de s'opposer à leur pouvoir. Ce ne fut même plus certains moyens criminels de lutte que l'on condamna alors. Ce fut la lutte elle-même. Les USA s'épuisèrent dans des guerres innombrables au Moyen Orient, là encore au profit des Multinationales. Ils se mirent le Monde à dos, mais continuèrent avec arrogance leur baroud final et en fin de compte desespéré. Le grand voisin Canadien, après avoir vaillemment résisté, ne put malheureusement que finir par les suivre dans leur déclin et tomber lui aussi sous la domination inconditionnelle des Firmes. Pendant ce temps, l'Europe se construisait et imposait doucement sa monnaie, qui devait finir par absorber la nôtre et devenir l'Eurodollar que nous connaissons à l'heure actuelle. L'Angleterre, qui avait fait l'erreur de suivre les USA, a été entraînée dans leur chute. J'aurais aimé naître en Europe. On dit que là bas, les Corporations n'ont pas encore réussi à tout détruire. Elles ont certes le pouvoir, mais il semble que le Système soit géré de façon moins désastreuse. Par rapport à ici, en tous cas, "c'est l'Amérique" ! Fin 2008, lors du second Crak boursier, épuisé par les guerres sans fin contre le "terrorisme", l'Etat US n'était plus que l'ombre de lui-même. Il n'était même plus capable d'assurer l'ordre. Les émeutes éclataient partout. C'est alors que les firmes ont commencé à constituer leurs Armées Privées. Elles n'avaient finalement plus besoin de l'État. Elles étaient devenues l'État. De nos jours, l'Amérique n'est plus qu'un immense champ de ruines dévasté par la misère et la pollution. Il subsiste un embryon de gouvernement fédéral, qui sert juste à faire illusion. Ce pseudo-gouvernement est élu par 2% de la population. Les gens ont compris depuis longtemps qu'il ne servait à rien de voter, que le vrai pouvoir était ailleurs. Il n'y a plus d'Américains : il n'y a que des "Bio-Techniciens" , des "Microsoftiens", ou des "Arasakiens". Nous appartenons tous aux Firmes. Elle ravagent la Terre entière, elle nous réduisent en esclavage, elles nous avilissent et au final nous détruisent mais nous ne vivons finalement que par et pour Elles. Sans leur tutelle, nous sommes perdus en ce monde. Dire merde à ta Corpo, hormis le risque de te faire purement et simplement abattre, c'est la certitude pour toi d'être livré à la Jungle Urbaine, parmi les fous, les miséreux, les drogués et les innombrables déchets que le système produit en abondance. Dire merde à ta Corpo, c'est te préparer à entrer dans un monde de violence et d'horreur absolues. Dire merde à ta Corpo, c'est au bout du compte crever comme un chien quoiqu'il arrive ! Aujourd'hui, qui a le pouvoir de baiser le Système ? Il y a vingt ans, on aurait pu éviter cela. On aurait pu éviter au Monde de devenir ce cloaque putride où quelques centaines d'individus cyniques et d'une avidité sans bornes se battent pour exploiter ce qui reste des ressources naturelles, achevant de détruire ce qui subsiste de la Nature et de l'Homme. Oui, il a vingt ans, mes parents auraient pu faire en sorte de m'éviter d'avoir à vivre dans ce monde là. Ils auraient pu s'associer aux manifestants, ils auraient pu essayer de résister, tandis que c'était encore possible. Ils ne l'ont pas fait. Il ont regardé sur CNN les militants se faire embarquer. Il ont peut-être étés troublés un moment par le regard apeuré de ces gens qu'on leur désignaient comme étant des dangereux "terroristes". Et puis ils sont passés à autre chose. Ils ont accepté de marcher dans la direction que les Médias leur indiquaient, et voilà où nous en sommes. Il est 01h34, ce 22 Mai de l'An de grâce 2024, et je vais partir dans le seul endroit où je puisse être vraiment libre. Quand vous lirez ce texte, amis anonymes du Réseau, je serais mort. Parceque c'est la seule issue qui me reste. Je ne crois pas en la Révolution. Il est trop tard....
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