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L'individualisme politique de l'ADQ

Eric, Saturday, April 19, 2003 - 10:32

Mario Charland

Le programme de l'ADQ occulte de façon importante la dimension collective de la vie politique. Une grande place est accordée à l'individu et à sa soi-disant « liberté » d'action, de décision, d'intervention. Mais cette liberté individuelle qui s'arrime à un individualisme proclamé haut et fort ne souffre pas d'être encadré par des institutions collectives, politiques, étatiques ; c'est une liberté qui oeuvre à découvert et qui semble venir du « néant ». L'ADQ dit vouloir « redonner » la (...)

Le programme de l'ADQ occulte de façon importante la dimension collective de la vie politique. Une grande place est accordée à l'individu et à sa soi-disant « liberté » d'action, de décision, d'intervention. Mais cette liberté individuelle qui s'arrime à un individualisme proclamé haut et fort ne souffre pas d'être encadré par des institutions collectives, politiques, étatiques ; c'est une liberté qui oeuvre à découvert et qui semble venir du « néant ». L'ADQ dit vouloir « redonner » la liberté aux citoyens (qu'ils auraient supposément perdu aux mains du « monstre » bureaucratique qu'est l'État) mais elle sape à la base les conditions nécessaires à l'exercice de cette liberté. Elle oublie qu'il n'y a pas de « pure » liberté qui s'exercerait dans un monde dont on aurait extrait toutes les contraintes au libre déploiement de la volonté individuelle.

La liberté, si tant est qu'elle soit viable à partir d'une telle approche, est, à notre sens, toujours « en situation », elle se vit en relation avec d'autres libertés qui, de par leur existence même, peuvent contrevenir à son rayonnement premier. Elle prend naissance dans une collectivité et demeure présente à l'intérieur des limites et des cadres qui leur sont propres, ceux-ci qui trouvant leur expression dans des institutions et des instances représentatives de la volonté populaire. C'est cette dernière qui permet à la liberté de s'exercer, qui, pour sa part, trouve son accomplissement dans une contribution apportée au mieux-être collectif.

On pourrait affirmer que l'ADQ défend une liberté « désincarnée », une liberté virtuelle, potentielle et non pas une liberté « réelle », « concrète ». L'ADQ défend une certaine idée de la liberté qui ne s'incarne pas dans la vie politique, l'engagement et le tenir-en-compte des autres libertés. Une liberté qui rencontre une autre liberté, c'est le début de la société, c'est-à-dire le début des négociations, des pourparlers, des concessions nécessaires, des ententes recherchées. Ce qui implique, de part et d'autre, une reconnaissance des droits et « libertés », jamais acquise une fois pour toutes et qui, pour cela, doit devenir loi, règle, système, institution, État, bureaucratie, etc.

On n'y échappe pas. Pour qu'une liberté puisse se prolonger dans le temps et l'espace, il lui faut des balises, des garde-fous, des protections. Elle a donc besoin de son contraire, la « contrainte », pour survivre, aussi paradoxal que cela puisse paraître ! Sans cette dialectique entre liberté (individuelle) et nécessité (collective), il n'y a pas de société donc pas de liberté humaine qu'on ne saurait confondre avec la liberté « sauvage » qui, si elle rend libre, laisse aussi seul, ce qui limite d'emblée la liberté de départ. Si la liberté du solitaire est « absolue », elle est tout aussi fragile car vulnérable aux revers de situation, aux événements malencontreux, au hasard, à la mauvaise fortune, à une santé déficiente, etc. D'où la nécessité d'être libre avec autrui, quitte à l'être un peu moins mais pour plus longtemps…

Critiquer l'État pour les bonnes raisons

Ceci dit, les attaques virulentes de l'ADQ contre l'État et ses appareils sont symptomatiques d'un état d'esprit que l'on pourrait qualifier de « réactionnaire » mêlé à une révolte juvénile mal articulée. Non pas que l'État moderne n'ait rien à se reprocher ou qu'il puisse représenter la solution « idéale » aux problèmes créés par une économie de type « capitaliste ». Le développement exponentiel de son appareil bureaucratique, sorte de prolongement qui lui est « co-naturelle », devient un réel problème lorsqu'il tourne à vide et ne sert plus la volonté ni les intérêts de la population qu'il est sensé représenté.

Ce n'est pas l'idée de l'État qu'il faille rejeter mais plutôt la façon dont ceux qui en investissent les fonctions l'utilisent et le détournent à leurs propres fins par des moyens qu'ils jugent légitimes. Ce n'est pas le contrôle étatique qu'il faille abolir ou le pouvoir de l'État en tant que tel, pouvoir plus que nécessaire dans un monde globalisé comme le nôtre (car ce pouvoir, en principe, est encore celui du « peuple »), mais les objectifs visés par ce contrôle, les intérêts qu'il désert, les buts qu'il vise par son exercice.

En ce sens, il n'est pas certain que l'ADQ, dans sa critique des institutions politiques, fasse la distinction entre ces deux aspects de la réalité administrative de l'État moderne. Il règne une réelle confusion entre les responsabilités qui incombent à tout État démocratique et les tendances tentaculaires de son appareil bureaucratique. Ce que l'ADQ veut garder de l'État, son laxisme actuel envers les lois du marché, serait à rejeter et ce qu'il veut balayer du revers de la main, le contrôle des normes sociales, économiques, culturelles, environnementales dans le but d'assurer une viabilité et un bon exercice du processus démocratique, monnayant un certain niveau « nécessaire » de bureaucratie, serait, selon nous, à préserver.

L'idée, la notion, le concept d'État, tel qu'appliqué aujourd'hui, a vu le jour avec l'avènement du monde moderne, en même temps que le capitalisme apparu simultanément à la découverte de nouveaux continents. La complexité grandissante de l'administration publique, l'imbrication toujours plus poussée de l'économique et du politique, les nouveaux besoins créés par l'industrialisation et le monde technique exigèrent des dirigeants (monarchistes au début, bourgeois et prolétariens ensuite) la création d'instances décisionnelles en conformité aux nouvelles réalités de l'époque. De droit divin, les gouvernements se sont métamorphosés peu à peu en républiques de droit libéral, ouvrier, populaire qui, malgré la volonté de démocratisation sociale qui les animait au début, sont demeurées inégalitaires ou se sont transformées en régimes totalitaires.

Le démantèlement de l'État par l'État

Vouloir se passer de l'État dans le contexte actuel, est-ce possible, est-ce souhaitable ? La tolérance zéro de l'ADQ envers tout ce qui remet en question la sacro-sainte liberté de l'entreprise privée relève, au mieux, d'une naïveté politique jumelée à un inquiétant manque de culture démocratique, au pire, d'une mauvaise foi alimentée par une démagogie stratégique et calculatrice. Concrètement, même si elle prend le pouvoir (ce qui serait surprenant vu la meilleure connaissance que les électeurs ont acquise du programme adéquiste durant la campagne électorale), l'ADQ pourra difficilement réaliser son projet car un éventuel « retour » aux lois du marché, en ce qui concerne à peu près tous les domaines de la vie publique, devra se faire par l'entremise de l'État (déréglementation, re-réglementation, projets de loi sur de nouvelles normes du travail, l'accréditation syndicale, l'éducation, la famille, la privatisation du système de santé, etc.). Sous prétexte de vouloir en réduire la taille, l'ADQ utilisera l'appareil étatique pour imposer son idéologie néo-libérale, comme c'est le cas aux États-Unis, là où les adéquistes puisent leur modèle de société.

Si l'ADQ réussit à faire passer ne serait-ce qu'une partie de son programme dans un éventuel premier mandat, elle pourra se considérer privilégiée et cela, sans compter la résistance des syndicats et des comités de citoyens, farouchement anti-adéquistes ! On le serait à moins. Car voilà une menace au contrat social qui protège les individus contre leur réduction à n'être que de pures entités économiques à l'intérieur d'une société devenue « marché », celui-ci régulant tous les rapports sociaux, de la famille à l'État en passant par l'école et le réseau hospitalier.

Aux urnes citoyens !

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