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Irak : le coût humain d'un conflit et la mobilisation humanitairesonia, Wednesday, March 5, 2003 - 08:51
Xavier Zeebroek, GRIP
Résumé a.. Les experts des Nations unies prévoient qu'un conflit avec l'Irak pourrait durer 3 mois.
g.. Le niveau de financement actuel de la planification et du prépositionnement humanitaire est dérisoire. I. LE COUT HUMAIN Des études prospectives de plus en plus nombreuses et abondamment citées dans les médias font état d'une catastrophe humanitaire de grande ampleur dans l'hypothèse d'une nouvelle guerre en Irak. La plupart ont été réalisées suite à des missions d'experts menées sur le territoire irakien et dans les pays voisins entre novembre 2002 et fin janvier 2003. Celles-ci avaient en général pour but de faire une estimation des besoins humanitaires de la région après un nouveau conflit et de permettre aux organisations humanitaires d'élaborer des plans d'urgences qui comptent parmi les plus ambitieux jamais mis sur pied. 1. Scénario de guerre Cette note n'a pas pour but de passer en revue les différents scénarios militaires possibles envisagés par les experts. Toutefois, la plupart des plans d'urgences humanitaires tablent sur ce qu'il est convenu d'appeler un scénario militaire de moyenne intensité. C'est en tout cas cette éventualité qui a été retenue par les experts des Nations unies[i] et par les plus grandes ONG humanitaires. Loin d'être confirmé par les différentes autorités américaines[ii] ou par les commentateurs indépendants[iii], ce scénario a été vraisemblablement adopté par la communauté humanitaire car celle-ci ne peut se satisfaire d'une option optimiste qui la laisserait complètement désemparée en cas de guerre prolongée. Voici en bref les bases de ce scénario : a.. Une offensive terrestre de grande envergure précédée et soutenue par des bombardements aériens intensifs provoquerait des destructions considérables au niveau des infrastructures. b.. Les soldats de la coalition rencontreraient une résistance significative mais la durée du conflit serait limitée à trois mois maximum. Pendant cette période, l'accès aux victimes sur le territoire irakien serait sévèrement limité, voire impossible. c.. Les zones les plus affectées seraient le sud, surtout du côté des champs pétrolifères de Bassorah, et le Centre, principalement à Bagdad, Mossoul et Kirkouk. Le nord du pays, contrôlé par les Kurdes et sous protection aérienne américaine serait relativement épargné. d.. Une bataille urbaine féroce et meurtrière aurait lieu pour le contrôle de Bagdad face aux meilleurs éléments de la Garde nationale irakienne. e.. Tous les services publics seraient progressivement rendus inopérants, d'abord dans le sud du pays, puis au nord de Bagdad et enfin dans la capitale et ses environs immédiats. Seraient gravement touchés l'accès à l'énergie, à l'eau, à l'alimentation, aux installations sanitaires et à la santé, de même qu'aux stocks gouvernementaux en matière de pétrole et de nourriture notamment. Les communications, les transports et la production seraient sérieusement perturbés. f.. Le recours aux armes chimiques et biologiques, voire nucléaires, n'est pas sérieusement envisagé, sauf pour reconnaître l'impréparation totale de la communauté humanitaire dans ce domaine. 2. Estimation des morts et des blessés Ni les Nations unies, ni les ONG ne se hasardent à estimer le nombre direct de morts et de blessés dans leurs scénarios. Seul un rapport de Medact[iv], une association anglaise regroupant des professionnels de la santé, avance des chiffres dans une très large fourchette : Nombre de morts directs Minimum Maximun Militaires irakiens 3.200 80.000 Militaires de la coalition 160 8.000 Civils irakiens 3200 80.000 TOTAL 6560 168.000 Dans les trois mois qui suivent un scénario de guerre conventionnelle, les auteurs de l'étude prévoient un grand nombre de décès supplémentaires dus surtout à une guerre civile (20.000 morts), à une surmortalité infantile (23.000 enfants de moins de cinq ans) et au grand nombre de réfugiés (15 à 30.000 morts). Bien que certains éléments de ce scénario soient sujets à caution, c'est entre 48.716 et 261.000 morts qui seraient à déplorer sur une période de six mois. Nombre de blessés directs Minimum Maximun Militaires irakiens 9.600 320.000 Militaires de la coalition 480 32.000 Civils irakiens 9.600 320.000 TOTAL 19.690 672.000 Les statistiques de Medact reposent en partie sur des estimations avancées dès septembre 2002 par un chercheur de la Brookings Institution, Michael O'Hanlon[v]. Celui-ci arrive à la conclusion que les pertes en vies humaines dans les deux camps pourraient être bien plus importantes que lors de la guerre de 1991. Partant de la constatation que d'intenses combats de rue seraient nécessaires pour s'emparer de Bagdad, il extrapole ses résultats à partir de deux exemples analogues : l'invasion du Panama en 1989 et l'expérience américaine en Somalie en 1992. Pour la seule prise de la capitale irakienne, il prévoit dès lors de 100 à 5.000 morts et de 300 à 20.000 blessés du côté américain et de 4.000 à 100.000 irakiens tués, civils et militaires confondus. De son côté, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que 100.000 civils irakiens pourraient être blessés du fait des opérations militaires et que 400.000 autres pourraient être frappés par les maladies dues aux conséquences des bombardements, soit 500.000 personnes qui nécessiteraient un traitement médical d'urgence[vi]. Il faut souligner que le recours possible à des armes chimiques et bactériologiques n'alourdirait ce bilan " que " de 10 à 20% avec un maximum de 43.600 décès supplémentaires[vii]. Pour mémoire, la guerre du Golfe de 1991 coûta la vie à un petit peu moins de 400 combattants de la coalition internationale (dont 250 suite à des accidents ou des tirs " amis ") et 500 autres furent blessés. Les pertes militaires irakiennes atteignirent entre 50.000 et 120.000 hommes selon les sources, auxquels il faut ajouter 3.500 à 15.000 civils. Les révoltes et la répression qui suivirent immédiatement la guerre emportèrent 20 à 35.000 civils supplémentaires. Enfin, en 1991 seulement, environ 110.000 civils moururent des effets indirects de la guerre sur la santé. Au total, de 183.500 à 280.000 Irakiens succombèrent suite à la guerre et à ses conséquences immédiates[viii]. 3. Estimation des besoins humanitaires Tous les observateurs soulignent que la situation humanitaire actuelle de l'Irak est déjà fort préoccupante. Après la guerre de 1991 et 12 ans d'embargo, ce pays n'est plus que l'ombre de lui-même et un nouveau choc pourrait le plonger dans le chaos. Les arguments le plus souvent avancés sont les suivants : a.. Selon l'Indice de développement humain (IDH) publié annuellement par le PNUD, l'Irak se trouvait dans les 60 premiers pays du monde en 1990. Après la guerre du Golfe, il avait déjà rétrogradé en 96ème position. Il se trouve aujourd'hui à la 127ème place d'un classement qui compte 142 pays[ix]. Aucune autre nation au monde n'a connu pareille chute qui, selon certains commentateurs, a ramené ce pays à l'ère pré-industrielle. b.. Du fait de l'embargo, 80% du revenu moyen de la population est constitué par les tickets de rationnement. c.. Conséquence du Programme Pétrole contre Nourriture, 60% de la population (soit 16 millions de personnes) dépendent des distributions alimentaires contrôlées par l'Etat. d.. Le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans est 2,5 fois supérieur à ce qu'il était en 1990. 500.000 d'entre eux souffrent de malnutrition et ont un poids inférieur à la normale[x]. e.. L'infrastructure des soins de santé de base n'a toujours pas été restaurée à un niveau satisfaisant. f.. Un tiers de la population urbaine et plus de la moitié en zone rurale n'a pas accès à l'eau potable. Selon le " Plan d'urgence humanitaire intégré pour l'Irak et les pays voisins "[xi], les experts du Bureau de coordination pour les affaires humanitaires de l'ONU (BCAH-OCHA) estiment comme suit les principaux besoins humanitaires de la population irakienne à la suite d'un conflit militaire de moyenne intensité : a.. Un maximum de 1,45 million de personnes pourrait chercher refuge à l'étranger. Environ 100.000 d'entre eux ne seraient pas autorisés ou n'auraient pas les moyens de quitter l'Irak. La répartition des réfugiés selon les pays d'accueil se ferait de façon très inégale : Répartition des réfugiés selon les pays d'accueil Minimum Maximum Iran 258.000 900.000 Turquie 136.000 270.000 Jordanie 34.000 50.000 Koweit 34.000 50.000 Syrie 20.000 60.000 Arabie Saoudite 18.000 20.000 Irak 100.000 100.000 TOTAL 600.000 1.450.000 a.. Le nombre de personnes déplacées à l'intérieur du territoire irakien pourrait atteindre 900.000 alors qu'il existe déjà 1,1 million de personnes dans ce cas à l'heure actuelle. Les zones les plus touchées par ce phénomène seraient le centre du pays et Bagdad ainsi que, dans une moindre mesure, le sud de l'Irak. b.. Environ 10 millions de personnes se trouveraient progressivement mais rapidement dans une situation d'insécurité alimentaire, principalement du fait de l'écroulement du système de distribution de nourriture dans le cadre du Programme Pétrole contre Nourriture dont dépend 60% de la population. c.. Une assistance nutritionnelle d'urgence serait nécessaire pour 910.000 enfants malnutris et 710.000 femmes enceintes ou en période d'allaitement. d.. Une assistance en matière de santé devrait être fournie à 4,7 millions de personnes. e.. Des interventions d'urgence en matière d'accès à l'eau et d'installations sanitaires devront concerner 6,9 millions de personnes. Bien que la dernière version disponible de ce plan date du 7 janvier 2003, diverses sources indiquent qu'il n'a pas fait l'objet de changements importants depuis lors. Devant l'énormité de ces estimations, beaucoup de spécialistes et de responsables de terrain, parfois au sein même des agences des Nations unies, doutent que la communauté humanitaire dans son ensemble soit capable de relever pareil défi. Les auteurs du Plan d'urgence reconnaissent eux-mêmes que " l'écroulement des services publics essentiels de l'Irak pourrait mener à une crise humanitaire d'une dimension bien supérieure aux capacités des agences des Nations unies comme des autres organisations humanitaires "[xii]. Un rapport de Human Rights Watch étend ce constat à toute la région : " En cas de guerre, un nouvel afflux de réfugiés chez les voisins immédiats de l'Irak (...) pourrait submerger les moyens des autorités locales et des agences humanitaires "[xiii]. II. LA MOBILISATION HUMANITAIRE 1. Plans humanitaires du gouvernement américain Il semble de plus en plus certain que les militaires américains s'adjugeraient un rôle clé dans l'Irak d'après-guerre, aussi bien en matière d'assistance humanitaire que de reconstruction. Lors d'une audition devant le Congrès américain, le sous-Secrétaire d'Etat aux Affaires politiques, Marc Grossman soulignait que « la fourniture d'aide humanitaire sera un objectif immédiat si les Etats-Unis s'engagent dans un conflit militaire avec l'Irak »[xiv]. Une directive du Président Bush datée du 20 janvier 2003 ordonnait la création au sein du Département de la Defense d'un « Office of Reconstruction and Humanitarian Assistance »[xv](ORHA). Ce bureau est dirigé par le lieutenant général à la retraite Jay Garner qui occupait déjà un poste important lors de l'opération militaro-humanitaire « Provide Comfort » dans le nord de l'Irak en 1991. Sans aucune coordination avec la communauté humanitaire, l'ORHA a développé un concept opérationnel s'appuyant sur la création au sein des forces armées américaines d'une structure de coordination de l'aide humanitaire qui utiliserait exclusivement des produits américains jusqu'au moment où l'aide internationale sera autorisée à intervenir sur le terrain. La technique du parachutage (air dropping) de rations alimentaires, abondamment critiquée en Afghanistan, serait appliquée à grande échelle. Dès la fin janvier, un « Humanitarian Operations Center » ouvrait ses portes au Koweit. D'importants stocks de nourriture et de médicaments y sont entreposés, de même que dans des bases américaines en Italie. Ces initiatives volontaristes de l'administration américaine provoquent déjà des réactions critiques de nombreuses ONG qui redoutent les effets d'une militarisation de l'aide humanitaire comme ce fut le cas au Kosovo[xvi] ou aujourd'hui encore en Afghanistan. La volonté de mener seuls, au moins dans un premier temps, des opérations militaro-humanitaire sur le sol irakien a été implicitement confirmée par le refus américain de participer à la grande conférence internationale « Humanitarian Meeting Iraq » organisée par les autorités suisses les 15 et 16 février 2003. Cent cinquante délégués de trente pays et de vingt organisations humanitaires internationales y participaient. Dans un premier temps, une enveloppe de 50 millions de dollars a été allouée à l'ORHA pour assurer son effort de planification. Celle-ci devrait bientôt être portée à 100 millions. Si la guerre éclate, l'administration Bush a l'intention de présenter au Congrès une loi budgétaire spéciale (emergency spending bill) d'un montant de plusieurs milliards de dollars pour l'aide humanitaire d'urgence[xvii]. Ces montants restent cependant modestes face au coût d'une nouvelle guerre qui pourrait coûter entre 48 et 200 milliards de dollars[xviii]. Jusqu'à présent, les Etats-Unis n'ont contribué qu'à hauteur de 15 millions de dollars au plan d'urgence des Nations unies. 2. Accueil des réfugiés dans les pays voisins Les pays voisins de l'Irak se préparent fébrilement à l'accueil éventuel d'un grand nombre de réfugiés, avec l'aide du HCR, du CICR et des délégations nationales de Nations unies. a.. Iran : Contrairement aux prévisions de l'ONU (900.000 réfugiés), l'Iran avait prévu un maximum de 500.000 réfugiés. Douze sites d'accueil situés près de la frontière mais sur le sol iranien avaient déjà fait l'objet d'un accord avec le HCR. Sept autres étaient encore en discussion. Toutefois, fin janvier, le gouvernement iranien tentait de revoir ces chiffres à la baisse (200.000 personnes répartis dans 10 camps)[xix]. L'Iran n'a prévu aucun budget spécifique pour l'opération et se repose entièrement sur les organisations humanitaires. Le pays compte déjà 1.9 millions de réfugiés afghans et a accueilli 1 million de réfugiés irakiens lors de la guerre de 1991. b.. Turquie : Le gouvernement prévoit la construction de 18 à 20 camps d'une capacité totale de 276.000 personnes, soit le maximum prévu par l'ONU. Toutefois, seuls six de ces sites seraient situés en Turquie, le reste (105.000 réfugiés) serait construit dans une zone tampon contrôlée par l'armée turque en Irak. Un seul point d'accès à la Turquie serait ouvert. Le Croissant Rouge turc a entreposé les réserves nécessaires pour 30.000 réfugiés mais pourrait les porter à 200.000 si nécessaire[xx]. c.. Koweit : Le gouvernement envisage d'accueillir seulement 15.000 réfugiés, les autres devant rester de l'autre côté de la frontière. d.. Jordanie : Malgré beaucoup de réticences, la Jordanie construira deux camps de réfugiés sur son territoire avec l'aide du HCR. Le pays a accueilli plus d'un million de personnes pendant la guerre de 1991 et abrite déjà 2 millions de réfugiés, essentiellement palestiniens. e.. Syrie : Le gouvernement ouvrira deux camps sur son territoire. f.. Arabie Saoudite : Le gouvernement n'admettra aucun réfugié irakien. Rappelant que l'accueil des réfugiés est un devoir pour tous les pays, Human Rights Watch n'hésite pas à insister sur le fait que " les Etats industrialisés doivent maintenir leurs frontières ouvertes aux réfugiés et immédiatement lever les mesures limitant l'immigration (...) "[xxi]. 3. Plans humanitaires des agences des Nations unies Des plans d'urgence ont été développés par trois des principales agences du système des Nations unies : le Haut commissariat aux réfugiés (HCR), le Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) et le Programme alimentaire mondial (PAM). Ils couvrent une période de six mois. Tous " supposent implicitement qu'un système de rationnement sera à nouveau instauré après la fin d'un conflit "[xxii]. a.. HCR : Agence de référence en matière de réfugiés, elle dispose d'une réserve d'urgence pour 250.000 personnes et d'une équipe de 72 fonctionnaires et expatriés qui peuvent être déployés en 3 jours. Toutefois, seul le matériel pour venir en aide à 100.000 personnes a pu être prépositionné dans la région. Le Haut commissaire a désigné un Coordinateur régional pour les réfugiés. b.. UNICEF : Agence de référence pour la protection des enfants mais aussi pour la santé, la nutrition, l'eau et l'aide sanitaire, elle a également prépositionné des stocks en Irak (pour 550.000 bénéficiaires) et dans quatre autres pays voisins (pour 160.000 personnes). c.. PAM : Agence de référence en matière d'aide alimentaire, elle négocie la possibilité d'emprunter dans les stocks de céréales des pays voisins de l'Irak une quantité suffisante pour nourrir 900.000 personnes pendant 10 semaines. Le personnel du PAM travaillant comme observateurs dans le cadre du Programme Pétrole contre Nourriture devrait être réaffecté aux distributions de nourriture après la fin d'un conflit. Toutes ces dispositions restent d'un niveau 2 à 5 fois inférieur à ce que le BCAH a prévu dans son plan d'urgence. Ces carences sont dues à un manque évident de financement de la part de la communauté internationale. A l'heure actuelle, seuls les Etats-Unis et le Royaume Uni sont intervenus pour un montant dérisoire - chacun 15 millions de dollars. Ces contributions n'arrivent même pas à satisfaire le premier appel de fonds (37,4 millions de dollars) lancé par l'ONU le 13 décembre 2002. Depuis lors, un nouvel appel de 120 millions de dollars a été lancé, sans beaucoup de succès jusqu'à présent. Ce n'est qu'après le déclenchement d'un éventuel conflit que les Nations unies lanceront un appel de fonds d'urgence inter-agences beaucoup plus ambitieux. Celui-ci visera à couvrir les opérations humanitaires pour une durée de six mois. En attendant, les agences puisent dans leurs propres réseves et empruntent des fonds pour couvrir leurs frais de planification et de prépositionnement. Selon Sarah Zaidi, directeur de recherche au Center for Economic and Social Rights (CESR, New York), " Les 30 millions de dollars versés par les Etats-Unis et le Royaume Uni couvrirait un seul jour de distribution dans le cadre du Programme Pétrole contre Nourriture "[xxiii]. Entre décembre 1996 et octobre 2002, ce programme des Nations unies a fourni à chaque Irakien l'équivalent de 685 dollars par an en biens de première nécessité. A ce rythme, il faudrait 5,48 milliards de dollars pour assurer les six premiers mois de survie de l'après-guerre. Si une guerre devait se déclencher, l'ensemble du personnel international des agences de l'ONU quitterait immédiatement le territoire irakien et serait temporairement replacé soit dans les pays voisins pour l'aide aux réfugiés soit à Chypre où un Centre de coordination humanitaire d'urgence doit être créé sous la supervision d'un Coordinateur humanitaire nommé par le Secrétaire général adjoint aux Affaires humanitaires. 4. Plans humanitaires de l'Union européenne Dans une déclaration faite au Parlement européen le 12 février 2003, le Commissaire européen au Développement et à l'Aide humanitaire, Poul Nielson, a indiqué que ECHO, l'agence humanitaire européenne, était en contact étroit avec tous ses partenaires, tant à l'ONU qu'à la Croix-Rouge ou parmi les ONG[xxiv]. Bien que deux missions d'évaluation aient récemment été envoyées en Irak, on peut s'étonner de l'absence de planification de l'Union européenne mais elle est essentiellement due au fait qu'ECHO n'est pas une agence qui intervient directement sur le terrain mais finance des opérateurs (privés ou intergouvernementaux) par le biais de projets. A cet effet, ECHO dispose d'un budget de 15 millions d'euros prévu de longue date pour aider l'Irak en 2003, auquel viendra vraisemblablement s'ajouter 200 millions d'euros à puiser dans le Fonds européen d'urgence, mais seulement après le déclenchement des hostilités. Pour les dirigeants politiques européens, il ne saurait en effet être question de financer une planification humanitaire alors que plusieurs pays s'activent encore pour trouver une solution diplomatique qui éviterait la catastrophe. Cette situation n'a pas empêché Constanza Adinolfi, directrice d'ECHO, a récemment mis en garde les parlementaires européens devant « l'impréparation totale de l'Union européenne face aux conséquences humanitaires d'une guerre en Irak »[xxv]. Seuls la Suède, le Danemark et les Pays-Bas ont récemment communiqué le niveau de leur soutien financier à l'aide humanitaire européenne d'urgence à l'Irak. 5. Plans humanitaires des ONG Il n'est pas possible de rendre compte de l'ensemble des préparatifs des ONG humanitaires, même en se limitant aux plus importantes. Bien qu'un grand nombre d'entre elles ont envoyé sur place leur propre mission d'évaluation, aucune n'a mis sérieusement en doute les estimations des experts de l'ONU concernant l'ampleur de l'aide à apporter. Au contraire, les plus grandes ONG s'en inspirent dans leur planification et citent les mêmes chiffres dans leurs communiqués. Relativement peu d'ONG internationales sont actuellement présentes en Irak. Il s'agit notamment du CICR, de CARE Australie, Islamic Relief, Caritas, Merlin, CARE International, Médecins du Monde, Enfants du Monde et Première Urgence. Dans le Nord du pays, sous contrôle kurde, on note aussi la présence de Save the Children, Handicap Interational, Norwegian People's Aid, Mines Advisory Group et Peace Winds Japan. La plupart d'entre elles évacueront leur personnel expatrié vers Amman (Jordanie) en cas de guerre. Seul le Croissant Rouge irakien restera opérationnel. Les ONG se retrouvent dans le même dilemme que la plupart des Etats : elles se sont interdit de récolter des fonds pour une catastrophe dont elles espèrent encore qu'elle n'aura pas lieu. De ce fait et à cause du secret qui entoure les plans de guerre américains, leur état d'impréparation est tout aussi alarmant que celui de l'ONU ou de l'Union européenne. Etant essentiellement financées par les Etats ou les organisations multilatérales, beaucoup d'entre elles dépendent d'un feu vert politique. D'autres, comme Oxfam ou Médecins sans Frontières, plus indépendantes financièrement, ont courageusement refusé tout financement qui viendrait d'un des pays belligérants. A noter toutefois qu'un consortium d'ONG américaines composé notamment de Save the Children USA, International Rescue Committee et World Vision a déjà reçu un financement de 2 millions de dollars de USAID, l'agence américaine pour la coopération et l'aide humanitaire, pour délivrer une aide humanitaire à l'Irak. III. CONCLUSION De l'aveu même de beaucoup de ses responsables, l'état de sous-financement et d'impréparation de la communauté humanitaire pour faire face aux conséquences d'une nouvelle guerre en Irak et dans les pays voisins est très préoccupante. Cette situation est en grande partie due au dilemme politique qui tétanise la plus grande partie des Etats donateurs : on ne peut pas se préparer aux conséquences d'une catastrophe dont on entretient encore l'espoir qu'elle n'aura pas lieu. C'est aussi la raison pour laquelle les préparatifs en cours aux Nations unies comme au sein des ONG, aussi insatisfaisants soient-ils, ont lieu dans une très grande discrétion. Plus fondamentalement, même si les organisations humanitaires pouvaient disposer de tous les moyens disponibles, il n'est pas certain qu'elles puissent faire face à l'ampleur de la catastrophe. Les évaluations avancées par les experts proposent souvent, faute de mieux, des écarts très importants entre les scénarios optimistes et pessimistes. Toutefois, il est sûr que le nombre de morts se comptera en milliers, le nombre de réfugiés en centaines de milliers et ceux qui souffriront de la faim en millions. A chaque fois, c'est la population civile irakienne qui paiera le plus lourd tribut. Si ceux qui comptent déjà parmi les plus déshérités devaient subir une troisième guerre en moins de 25 ans, il est probable qu'ils mettraient très longtemps avant de s'en remettre. Tous ces éléments devraient davantage être pris en compte par les décideurs politiques et militaires américains. Ces derniers ont tendance à considérer la guerre comme une option parmi d'autres, en négligeant d'y intégrer les effets à moyen et à long terme sur les populations civiles, sur l'environnement et sur la perception de la politique des Etats-Unis dans le monde. Le coût humain d'une guerre ne peut plus être sous-estimé lorsqu'il s'agit de choisir entre violence et diplomatie. ----------------------------------------------------------------------------- [i] OCHA 2002, " Likely Humanitarian Scenarios ", plan d'urgence confidentiel préparé par un groupe d'experts sous la supervision du Bureau de coordination des affaires humanitaires (BCAH-OCHA), Nations unies, 10 décembre 2002, 13 pages. http://www.casi.org.uk/info/undocs/war021210scanned.pdf ------------------------------------------------------------ La reproduction des informations contenues sur ce site est autorisée, sauf à des fins commerciales, moyennant mention de la source et du nom de l'auteur.
Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité (Bruxelles)
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