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NÉOLIBÉRALISME, RÉSISTANCE POPULAIRE ET SANTÉ MENTALE

Anonyme, Wednesday, January 8, 2003 - 15:40

James Petras - Traduction

Les effets psychologiques pervers du capitalisme sauvage

20 décembre 2002

Les effets psychologiques pervers du capitalisme sauvage

Les fractures socio-économiques causées par l’économie néolibérale sont très évidentes sur toute la planète. Des millions de travailleurs et travailleuses ont perdu leur poste, la partie patronale a obtenu un contrôle quasiment absolu du lieu de travail et a augmenté avec cela les indices d’exploitation. Par ailleurs, des dizaines de millions de paysans et de petits agriculteurs ont perdu leur travail, les salaires ont diminué et la pauvreté s’est multipliée. Dans la même période, les rentes des hauts exécutifs des principales corporations s’est multiplié par 10.

Ce qui n’a pas reçu une attention sérieuse, c’est le dommage psychologique infligé aux travailleurs et travailleuses salariés et précaires, qui est souvent tout aussi grave que les pertes matérielles. Les entrevues, les témoignages et les visites dans les communautés révèlent les pathologies mentales dues au chômage, à l’insécurité au travail et à la dégradation de celui–ci : les indices de dépression chroniques, de rupture familiale, de suicide, de violence domestique, de mauvais traitements infantiles et de comportements antisociales sont en augmentation, particulièrement si les sans emplois se trouvent isoléEs ou sont incapables d’extérioriser leur hostilité et leur rage à travers l’action sociale collective. L’impuissance sociale et politique de l’individus génère l’impuissance personnelle et s’exprime par la perte d’auto–estime, par des dysfonctionnements sexuels et par l’intériorisation de la rage, ce qui provoque un comportement autodestructeur. Je suis de l’opinion selon laquelle l’organisation et l’action collective sous forme de mouvement de chômeurs et de chômeuses ou d’organisations sociales communautaires qui organisent des exigences collectives ont un effet positif non seulement sur la création de nouvelles opportunités de travail, mais aussi d’un point de vue thérapeutique. Les luttes collectives augmentent l’auto–estime et l’efficacité personnelle, crée de la solidarité et offrent une perspective sociale, tout cela réduisant l’anomie.

Méthode
En ce qui a trait à la santé mentale collective, l’approche dialectique est la meilleure manière d’étudier la relation existant entre les phénomènes macro–politico–économiques tels que le neolibéralisme et le comportement psychologique micro–social. De la même manière que les décisions macro-économiques que prennent les banquiers et les exécutifs affectent l’emploi – et, par la même occasion, le chômage et le psychique individuelle (réponses du ou de la travailleuse), qu’il s’agisse de dépression ou de son implication dans un mouvement social – elles peuvent aussi avoir d’importantes conséquences macro–économiques, que ce soit via l’occupation d’usines ou par le changement de formes de la propriété.

Franz Fanon, dans son maintenant classique livre The Wretched of the Earth (Les déshérités de la terre), signale les effets psychologiques profonds et négatifs que l’oppression politique et économique exerce sur les individus lorsque ceux–ci se trouvent atomisés. Des études récentes ont mis en relief le fait que le chômage prolongé conduit les travailleurs et les travailleuses au découragement et au manque de volonté pour s’inscrire sur les listes officielles de chômage. Ceci fait que les statistiques sous–estiment sérieusement les indices réels en ne comptabilisant pas les travailleurs et travailleuses non inscrites pour cause de dépression. Cela permet bien sûr aux portes–paroles de la classe dominante de faire de la propagande sur la santé de l’économie et sur la supposée amélioration de l’emploi.

La logique dialectique des structures politiques et économiques de l’organisation sociale et de la mentalité individuelle fonctionne à partir des niveaux supérieurs aux niveaux inférieurs. Le capital international, le patronat local et la classe politique, qui sert de courroie de transmission, prennent les grandes décisions au niveau supérieur et ces décisions reflètent les relations de pouvoir existant entre les classes et les états–nations. Ceci est le contexte actuel que vit l’Amérique latine entre l’impérialisme yankee et ses régimes clients.

Les décisions de l’élite ont un impact sur les organisations sociales, sur les travailleurs salariés, sur les organisations sociales, sur les quartiers, etc. L’organisation sociale sert de médiateur entre la classe dominante et l’individus, en renforçant l’impact négatif, en améliorant les effets ou en offrant des formes de résistance collective. De manière dialectique, la réaction individuelle (ou le manque de réaction) influe sur l’organisation sociale et, dans des circonstance exceptionnelles, celle–ci peut même inverser de manière partielle ou totale les décisions macro-économiques et la domination des élites.

La santé mentale, plus qu’un problème héréditaire ou résultant d’expériences infantiles, est socialement déterminée par les relations de pouvoir, ce qui suggère que ceux et celles qui souffrent de maladie mentale ou de dépression induite par le chômage, l’insécurité au travail ou la diminution du niveau de vie peuvent accéder à la guérison à travers la resocialisation adulte (conscience de classe), que se soit à travers l’organisation collective ou l’action sociale.

Les problèmes sociaux–économiques induits par le néolibéralisme ont des conséquences sur la santé mentale

Le travail organise notre vie, nos habitudes quotidiennes, nos temps libres, notre niveau de vie et notre vie familiale. La perte du travail altère la discipline quotidienne, vide les poche (ou le compte de banque), laisse l’individu plein de dettes et donne une sensation de panique. Aujourd’hui, la classe patronale utilise des moyens de choque tels que le licenciement sans préavis afin d’éviter les protestations ou l’organisation collective, isolant encore plus la victime. Si la perte du travail a été précédée par un sentiment d’insécurité, il est possible que le ou la travailleuses expérimente au début une sensation de soulagement en raison de la fin de la tension entre travail et absence de travail, même si dans ce cas c’est défavorable. Néanmoins, ce soulagement initial sera remplacé par la dépression lorsque le ou la chômeuse va sur le marché du travail et découvre qu’il n’y a rien pour lui ou elle. Le rejet répété de ses pétitions le ou la conduit à la dépression, spécialement lorsque l’absence d’emploi se vit comme un échec personnel, lequel se produit quand patrons et économistes accusent l’individus de ne pas posséder les attributs personnels appropriés, d’être trop vieux, trop jeune, de ne pas vivre dans la région appropriée, etc. Toutefois, lorsque le ou la chômeuse socialise son problème, vérifie que cela affecte des millions d’autres personnes et que les responsables sont ceux des classes dominantes et les classes politiques, lorsqu’il ou elle se rend compte qu’il existe des moyens pour extérioriser la rage à travers l’action politique, il est moins probable qu’il ou elle souffre les pires effets de la dépression.

Le second problème résultant du néolibéralisme est la réduction des niveaux de vie et des salaires. Les mises à pied obligent les travailleurs et travailleuses à chercher des emplois moins bien payés ou à gruger sur leurs économies et, dans plusieurs cas, à tomber sous le seuil de la pauvreté. La perte de statut social, la peur et l’insécurité devant l’incapacité de payer les factures d’électricité, d’eau ou l’hypothèque de la maison créent une profonde et constante anxiété ainsi qu’une perte de respect de soi. Dans certains cas, spécialement chez les employéEs de bureau, les victimes maintiennent une façade de respectabilité même lorsque leurs bases matérielles ont disparu. Il n’est pas rare d’observer des professionnels sans emploi avec complet et cravate, lisant les offres d’emploi dans le journal. Tenter désespérément de maintenir les apparences devant la décadence a amené à des comportements schizophréniques : on vit comme un prolétaire alors que, en même temps, on nie la réalité.

La perte d’emploi ou les salaires de misère donnent lieu à l’interruption du style de vie, à la pauvreté, à l’isolement, à l’intensification des conflits familiaux et à la sensation d’impuissance.

Les crises économiques du néolibéralisme, en particulier l’augmentation du chômage et la prolifération des travaux mal payés et précaires ont de multiples effets qui s’étendent au delà des conditions matérielles de vie et affectent tant l’être social que les relations plus intimes de l’individus.

Les effets sociaux et psychologiques

Toute la personnalité se voit affectée par la faillite provoquée par le néolibéralisme mais la réponse varie selon les personnes ou le contexte. La réaction initiale la plus fréquente est un choc profond et une dépression, dans plusieurs cas accompagnée de rage qui, s’il y a conscience de classe, se dirige contre les patrons et les politiciens traditionnels. D’autres, qui confient en leur patron, viennent à se détester soi–même car ils acceptent les explications que ceux–ci leur donnent : « ils sont coupables de ce qui arrive ».

Dans ces circonstances, il existe une tendance à s’isoler, à sentir de la honte et à perdre l’auto–estime, ce qui conduit à la diminution de la libido, à l’insomnie et à l’incapacité à donner et recevoir de l’affection. L’hostilité réprimée contre le pouvoir supérieur se déplace vers le bas : contre le ou la partenaire, contre les enfants ou contre les amiEs. Par contre, lorsque le ou la travailleuse victime socialise son mécontentement et le convertit en problème publique, il est plus facile que l’hostilité se canalise en mouvement social qui dirige l’agression contre les patrons et contre l’État. Néanmoins, s’il n’existe pas de mouvement progressiste, l’hostilité extériorisé court le risque de tomber sous le contrôle de groupes qui agissent contre d’autres travailleurs ou travailleuses ou contre des collectivités marginales (minorités ethniques, femmes immigrantes, etc.).

Pathologies extrêmes

Dans des circonstances extrêmes, l’intériorisation des problèmes sociaux ou l’autodépréciations peut conduire à la tendance au suicide, aux comportements autodestructeurs (alcoolisme chronique ou dépendance aux drogues), aux conduites homicides ou à la paranoïa clinique. Dans un contexte politique, l’autodépréciation renforce le complexe d’infériorité et peut faire que l’individus se mette du côté de la puissante élite qui lui inflige des tourments, ou bien qu’il développe une personnalité fasciste, se mettant à genoux devant les « puissants » et attaquant les « faibles ». Ils sont, en puissance, les troupes de choc de la droite prête à être recrutée.

Santé mentale et militance sociale et politique

Même si un certains degré de déséquilibre mental est presque inévitable avec les crises économiques et la perte d’emploi, leur degré et leur durée peuvent être limités grâce aux propriétés curatives de l’organisation et l’action sociale et politique.

Les effets de choc des licenciements d’usine ou de bureau peuvent faire que les travailleurs et travailleuses et les employéEs comprennent la nature arbitraire et exploiteuse du pouvoir corporatif. Le licenciement détruit le faux sentiment de loyauté et d’obligation mutuelle entre le capital et le monde du travail et révèle dans toute sa brutalité l’authentique substance des relations capitalistes : les bénéfices sont plus importants que la survie de la famille du ou de la travailleuse individuelle. Ainsi, le ou la travailleuse sans emploi se voit forcée d’accepter que sa situation personnelle constitue un exemple du concept marxiste des intérêts antagoniques entre le capital et le travail; les années d’efforts, de ponctualité, de loyauté et de productivité n’empêchent pas que l’on soit quelque chose de jetable, tel un condom que l’on jette après utilisation.

La santé mentale des travailleurs et travailleuses chômeuses dépend du degré de solidarité social dans lequel il ou elle se trouve une fois expulséE du milieu de travail. Les mouvements sociaux, en particuliers les assemblées populaires et les mouvements de chômeurs et chômeuses, fournissent un cadre pour la transformation des problèmes privées individuels en réponse sociale collective car ils extériorisent l’hostilité contre le système, contre le patronat économique et politique (gouvernement). Les assemblées sont un forum où les individus peuvent parler et exprimer leurs idées et leurs sentiments et où ils peuvent écouter et apprendre des autres qui se trouvent dans la même situation sociale. Les manifestations en faveur d’exigences programmatiques fournissent une direction et des objectifs tout en aidant à vaincre le sentiment d’impuissance, d’isolement et d’anomie.

L’action collective est une forme de thérapie sociale, mais non à travers la consultation d’un professionnel payé, sinon dans la rue, avec les gens qui partagent les mêmes conditions dans le monde réel, avec ses dangers (répression) et ses victoires (changements sociaux). L’action sociale inclut l’organisation, la participation, l’implication individuelle et le débat, augmentant l’auto–estime car utilisant les capacités et les connaissances du ou de la chômeuse. La conquête de changements ou de réformes à travers l’action collective, que ce soit sous la forme de services publiques financés par l’état ou d’entreprises économiques à bases communautaires, donne de l’espoir pour le futur ainsi des bénéfices immédiats.

Dans ce contexte, la catastrophe économique se convertit en une expérience d’apprentissage et de solidarité pratique et non en compétition individuelle, en égalité sociale et non en distinction injuste.

Quand les mouvements sociaux de chômeurs et chômeuses ou les assemblées populaires sont organisées, ils se basent parfois sur des réseaux familiaux et communautaires. La famille, au lieu de se convertir en un terrain de conflits, devient la base de l’appui social où les camarades partagent le travail domestique et des valeurs sociales communes. Les voisinages s’unissent pour organiser des projets d’entraide tout en se mobilisant pour le changement du système.

Les nouvelles relations créées par les liens sociaux de solidarité de classe diminuent l’aliénation incarnée dans les relations corporatives et dans la hiérarchie étatique. L’intégration sociale dans les mouvements collectifs diminue les comportements antisociaux et l’inclinaison vers les tendances délinquantes.

Les sentiments de solidarité dans la famille renforcent les liens intimes et l’affection personnelle. L’extériorisation des conflits augmente l’estime personnelle et le désir sexuel.

Les mouvements sociaux et l’action politique ne peuvent aider les individus affectés de pathologie extrême ou augmenter l’autoestime des victimes toujours liées à leurs bourreaux. L’action sociale ne peut pas non plus résoudre les problèmes économiques fondamentaux qui détériorent la santé mentale, mais c’est un pas dans la bonne direction pour devenir une nouvelle personne avec plus de sensibilité et de solidarité. Le slogan du mouvement des chômeur et chômeuses le dit très bien : « Si tu touches à un ou une, tu touches à tous et toutes ».



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