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Une grave injustice au Musée des Civilisations du Canada

Anonyme, Monday, December 9, 2002 - 16:15

Miloud Chennoufi

Le Musée des Civilisations du Canada vient de prendre une décision grave et injuste à l'égard de Mme Aida Kaouk, employée du Musée depuis 10 ans et surtout curatrice de la célèbre exposition "Ces pays qui m'habitent. Expressions d'artistes canadiens d'origine arabe". On se souvient que le directeur du Musée avait provoqué l'indignation générale en 2001, suite aux évènements du 11 septembre, lorsqu'il a décidé unilatéralement de remettre l'ouverture de l'exposition à une date indéterminée. Cette décision traduisait un amalgame dangereux entre des criminels et des artistes qui, souvent en ont été les victimes. Finalement, l'exposition a eu lieu grâce à la pression que la société civile et la communauté artistique ont exercée sur le Musée. Aujourd'hui, le Musée a littéralement décidé de se venger en refusant de renouveler le contrat de madame Kaouk (d'origine arabe), et plus grave encore d'abolir le programme de l'Asie du sud-ouest et du Moyen-Orient ; le tout dans l'indifférence complice de tout le monde.

Une grave injustice au Musée des civilisations

Par Miloud Chennoufi.
(Artiste peintre et Étudiant au doctorat - Montréal)

Mme Aida Kaouk est depuis dix ans chercheure conservatrice au Musée des Civilisations du Canada (MCC) chargée du Programme de l’Asie du sud-ouest et du Moyen-Orient. C’est elle qui, consciencieusement pendant cinq ans, a chapeauté l’organisation de la fameuse exposition « Ces pays qui m’habitent, expressions d’artistes canadiens d’origine arabe ». D’aucuns se souviennent des circonstances confuses qui ont entouré l’ouverture de cette exposition et du succès retentissant qu’elle a eu. L’inauguration était prévue pour le 18 octobre 2001. Un peu plus d’un mois auparavant, survenait le drame monstrueux du 11 septembre et M. Victor Rabinovitch, directeur général du MCC a décidé reporter l’exposition à une date indéterminée. Cette décision avait soulevé l’indignation des milieux artistiques et politiques, et alimenté les colonnes des journaux. Même le Premier Ministre du Canada était monté au créneau jugeant un tel acte peu opportun. Finalement, l’exposition a été ouverte à la date prévue : elle doit d’ailleurs se poursuivre jusqu’en mars 2003. Tout le monde a cru que l’épisode du report ne fut qu’une maladresse commise dans la foulée de la panique, légitime au demeurant, qui a fait suite aux évènements du 11 septembre. Seulement voilà, tout le monde semble s’être trompé.

À l’ouverture de l’exposition, le contrat de Mme Kaouk était sur le point de prendre fin. Comme d’habitude, un nouveau contrat d’un an lui est proposé. Mais contrairement aux contrats précédents (plus d’une douzaine sur dix ans), celui-ci contenait une clause supplémentaire signifiant à Mme Kaouk qu’il n’y aura plus de renouvellement après le 30 novembre 2002. L’intéressée ne l’a accepté que pour éviter d’envenimer une atmosphère déjà tendue et pouvoir accomplir son travail convenablement ; elle croyait qu’elle allait avoir l’occasion d’arranger les choses plus tard. Elle comprendra à ses dépens que son éviction de fait participe à un dessein désolant plus large. Car comme elle l’affirme dans une missive à M. Jean Chrétien, elle a su le 30 mai 2002 de la bouche de M. Inglis, directeur général de la recherche, que le musée comptait abolir le poste de l’Asie du sud-ouest et du Moyen-Orient afin « de sortir des catégorisations ethniques. »

Mme Kaouk se sent aujourd’hui victime d’une double discrimination liée à sa condition de femme et à ses origines syriennes, donc arabes. Les femmes sont effectivement sous-représentées parmi les chercheur(e)s conservatr(ice)eurs du musée. Et Mme Kaouk est fondée de faire valoir que jusqu’à présent elle est la seule femme issue de l’immigration à occuper un poste de responsabilité. Cette année, deux postes ont été ouverts à l’interne et comblés par des employés du musée qui les occupaient déjà à titre de contractuels. Deux autres postes étaient disponibles, mais Mme Kaouk ne pouvait y prétendre car ils ont été réservés au recrutement à l’externe et offerts à deux hommes. Voilà qui est troublant car Mme Kaouk est la seule personne au Musée qui a été maintenue dans l'insécurité d’un poste temporaire (mais toujours le même) pendant 10 ans alors que d'autres postes de conservateurs ont été "stabilises". Pourquoi son poste à elle ne l'a jamais été ?

Par ailleurs et comme le note avec justesse M. Steve Hindle, président de l’Institut Professionnel de la Fonction Publique du Canada (IPFPC) dans un article publié le 18 novembre dernier dans le Hill Times : « Le travail d’Aida Kaouk au Musée n’est pas terminé. C’est la curatrice [Mme Kaouk en l’occurrence] qui veille habituellement à produire la publication sur l’exposition ; [Or] cette publication n’a pas encore été réalisée. » M. Hindle souligne en outre que le départ précipité de Mme Kaouk privera les visiteurs des explications qu’elle est censée leur fournir.

La direction du musée pourrait justifier son acte en prétendant qu’il n’est en rien illégale. D’ailleurs, une responsable officielle du musée a récemment affirmé que pendant ses cinq premières années, Mme Kaouk devait développer la collection pour le programme de l’Asie du sud-ouest et du Moyen-Orient, et ensuite préparer l'exposition ; ainsi son travail devait prendre fin avec l’exposition d’autant plus que le musée ne lui avait pas promis un poste permanent. Mais, peut-on réellement et en toute logique prétendre qu’une collection sur des civilisations encore vivantes est complète et ne mérite plus d’être développée ?

Un autre argument du musée pourrait s’appuyer sur la décision d’abolir le poste de l’Asie du sud-ouest et du Moyen-Orient afin « de sortir des catégorisations ethniques. ». Mais comme le précise Mme Kaouk dans sa lettre au Premier Ministre cet argument n’a rien de pertinent dans la mesure où il n’y a aucune raison pour que cela ne touche pour le moment que le poste de l’Asie du sud-ouest et du Moyen-Orient et uniquement ce poste. Mieux encore, il est légitime de se demander si l’abolition d’un poste au motif de s’attaquer aux catégorisations ethniques doit obligatoirement s’accompagner de la mise à la porte de la personne qui en assurait la charge ?

Cela étant, il n’y a aucun doute que l’affaire Kaouk n’est que le second acte d’un dangereux scénario dont le premier fut la décision de reporter l’exposition « Ces pays qui m’habitent. ». Et à l’instar du premier acte qui a échoué, l’échec du second devra procéder de l’indignation exprimée sans équivoque. Mme Kaouk a décidé de se battre pour ses droits en saisissant la Commission Canadienne des Droits de la Personne. Elle pourra en plus compter sur l’appui d’un comité de soutien qui vient d’être créé en sa faveur, et sur la solidarité du PAJU (Palestiniens et Juifs Unis). C’est bon signe car il en va de l’intégration saine de la société dans ce pays et c’est pour cette raison que le sort de Mme Kaouk ne doit pas être accepté et ne doit pas créer un précédent gravissime dans l’exclusion d’une partie de la population, notamment et peut-être surtout lorsque la discrimination touche une femme qui, de surcroît, travaille implicitement mais avec beaucoup d’efficacité à consolider l’interculturalisme, unique moyen d’éviter l’écueil dans lequel d’autres pays sont tombés, avec des conséquences désastreuses.



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