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Un ministre des Affaires étrangères qui n'est pas étranger aux affaires louches

Anonyme, Jeudi, Mai 15, 2008 - 02:55

Depuis quelques temps, Maxime Bernier, l'actuel ministre des Affaires étrangères du gouvernement Harper, fait beaucoup parler de lui dans les médias. Bien avant qu'il entame sa carrière politique, Maxime Bernier avait été mêlé à une affaire de fraude pour laquelle un ancien député du parti conservateur de l'ère Mulroney reconnut sa culpabilité. Retour sur une vieille affaire oubliée impliquant un personnage très présent dans l'actualité.

Par le Bureau des Affaires Louches

Lorsque Maxime Bernier se lança en politique, il n'eut qu'à marcher dans les traces de son père. L'actuel ministre des Affaires étrangères du gouvernement Harper est en effet le fils de l'ex-député conservateur Gilles Bernier, qui représenta le comté de Beauce à la Chambre des communes pendant près de vingt-trois ans, soit de septembre 1984 à juin 1997. À l'instar de plusieurs membres du caucus conservateur de l'époque de Brian Mulroney, le député Bernier connut sa part de démêlés avec la loi.

Lorsque Kim Campbell succéda à Mulroney durant l'été 1993, la nouvelle cheffe de gouvernement refusa d'endosser la candidature des députés de son parti qui faisaient face à des accusations criminelles, ce qui incluait Gilles Bernier. Cette mesure ne réussissa toutefois pas à dissuader Bernier de se présenter à titre de candidat indépendant lors du prochain scrutin, ni l'électorat du comté de Beauce de le réélire pour un troisième mandat consécutif.

C'est en juin 1990 que le député Bernier, ainsi que l'ex-député conservateur de Chambly, Richard Grisé, furent tous deux inculpés de quatre accusations criminelles chacun, soit avoir fraudé la Chambre des communes de plus de 1000 $ et avoir commis un abus de confiance. (1) Notons qu'à ce moment-là, Grisé avait déjà renoncé à son siège de député après avoir plaidé coupable à onze accusations de fraude et d'abus de confiance qui n'étaient pas en lien avec cette affaire. (2)

L'accusation reprochait alors à Bernier et à Grisé d'avoir eu recours à de faux contrats d'embauche afin de procurer des emploi bidons assortis de salaires bien réels à leurs progénitures respectives, entre 1986 et 1988. Notons à ce sujet que si la loi interdit aux députés de la Chambre des communes d'engager des membres de leur famille, elle ne les empêche toutefois pas d'embaucher des personnes ayant des liens de parenté avec d'autres députés.

Selon la GRC, les deux députés auraient mis sur pied un stratagème frauduleux. Le député Bernier avait engagé le fils de son collègue, Bruno Grisé, à titre de recherchiste. De son côté, le député Grisé embaucha les deux fils du député Bernier, soit Gilles junior et Maxime... qui était nul autre que le futur ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Stephen Harper !

Lorsque les enquêteurs de la GRC interrogèrent les employés de Grisé, aucun d'eux ne se rappelèrent avoir vu les deux fils de Bernier faire acte de présence au bureau du député de Chambly. Quelques mois avant le dépôt des accusations, Gilles Bernier avait eu la candeur de vanter les talents de son fils Maxime à un journaliste du quotidien The Gazette. (3) Le député de Beauce prétendit que Maxime Bernier avait été l'«un des meilleurs recherchistes» de la colline parlementaire. Selon lui, Grisé aurait versé entre 7000 $ et 9000 $ en salaire à Maxime Bernier, qui étudiait alors à l'université d'Ottawa.

Quant à Bruno Grisé, le député Bernier affirma qu'il lui avait versé près de 2000 $ pour avoir effectué des recherches sur certains sujets de l'heure, comme les pluies acides et le libre-échange, ainsi que pour avoir mené des enquêtes d'opinion. Gilles Bernier déclara à qui voulait l'entendre que le fils de l'ex-député Grisé avait accompli tant de travail à son bureau qu'il était incapable de se souvenir des sujets sur lesquels les sondages portaient, ni quelle avait été la méthodologie utilisée.

Au cours des années qui suivront, Bernier tenta d'obtenir le rejet des accusations en invoquant toutes sortes de technicalités légales, ce qui eut pour effet de retarder la tenue du procès. En mai 1991, Bernier chercha à faire invalider les mandats de perquisition exécutés par la GRC à son bureau de comté et à son bureau de député au parlement. Son avocat plaida que cette intervention avait été inutile, car la GRC avait perquisitionnée le bureau du vérificateur du parlement six mois plus tôt. Mais la juge Louise Charron, de la division générale de la cour de l'Ontario, rejeta ces arguments. (4)

Au cours du même mois, les deux accusés cherchèrent à se soustraire aux accusations en se prévalant de la loi C-79, nouvellement entrée en vigueur. Le controversé projet de loi avait été adopté après que le commissaire de la GRC de l'époque, Norman Inkster, révéla, en décembre 1989, que plus de trente députés et sénateurs canadiens avaient fait l'objet d'enquête pour diverses infractions lors des cinq années précédentes. (5)

La loi C-79 amenda la Loi sur le Parlement en stipulant que le Bureau de régie interne de la Chambre des communes exerçait désormais une compétence exclusive relativement à la manière dont chacun des députés fédéraux disposent de leurs enveloppes budgétaires respectives. Mais la juge Maria Linhares de Sousa, de la division provinciale de la cour de l'Ontario, statua plutôt que la nouvelle législation ne s'appliquait pas dans cette affaire. (6)

L'avocat de Bernier décida ensuite de porter ce jugement en appel. C'est pour ce motif qu'il demanda et obtint de la juge de Sousa une remise de l'enquête préliminaire. Mais en octobre 1991, le juge Emile Millette, de la division générale de la cour de l'Ontario, décida de prononcer l'arrêt des procédures en faveur du député Bernier. La raison ? Une simple erreur de procédure. Dans sa décision, le juge Millette affirma que la durée de la remise accordée par la juge de Sousa avait dépassée la limite de huit jours fixée par le code criminel. (7)

Ce jugement, qui ne s'appliquait qu'à Gilles Bernier, fut ensuite porté en appel par le procureur de la poursuite. En septembre 1992, la cour d'appel d'Ontario décida renverser le jugement Millette et de rétablir les accusations contre le député Bernier. Le tribunal estima que la disposition du code criminel ne s'appliquait pas car la défense avait consentie à la remise de l'enquête préliminaire. (8)

Bernier tenta ensuite de repousser de nouveau la tenue de son enquête préliminaire. Cette fois-ci, son avocat invoqua le fait que le député de Beauce attendait toujours que le Bureau de régie interne du parlement émette une opinion concernant son utilisation des fonds de son enveloppe budgétaire.

En décembre 1992, la juge Charron critiqua la lenteur du Bureau de régie interne à rédiger l'opinion sollicitée par le député Bernier. Mais le tribunal fut également d'avis que la loi C-79 n'avait pas pour effet de bloquer le processus judiciaire et fixa une date pour l'audition de l'enquête préliminaire des accusés Bernier et Grisé. (9)

Mais un an et demi plus tard, l'enquête préliminaire n'avait toujours pas procédée en raison des tactiques dilatoires utilisées par les avocats de Bernier. En avril 1994, la cour d'appel d'Ontario commença d'ailleurs à montrer des signes d'impatience à l'égard du député de Beauce. (10)

Finalement, le député Bernier subissa son enquête préliminaire en juin 1994, soit quatre ans après le dépôt des accusations. Gilles Bernier fut acquitté au bout de deux journées d'audition. Pourtant, la juge de Sousa était d'avis que le contrat conclut entre Bruno Grisé et le bureau de député de Bernier était clairement frauduleux. «M. Bernier participa physiquement aux fraudes en signant les contrats et en autorisant les paiements», déclara le tribunal. (11)

Mais la juge de Sousa ajouta que la poursuite n'avait pas réussit à faire la preuve hors de tout doute raisonnable que les actions de l'accusé Bernier étaient par animées par l'intention criminelle de commettre la fraude reprochée. Pour cette raison, de Sousa ne vit d'autre choix que de conclure qu'il n'y avait pas matière à procès et mit fin à la saga judiciaire en prononçant l'acquittement du député de Beauce.

De son côté, l'ex-député Grisé reconnut sa culpabilité à deux accusations d'abus de confiance portées contre lui et fut condamné à payer une amende de 5000 $. Ce plaidoyer de culpabilité signifiait-il que Maxime Bernier avait empoché des fonds publics obtenus de manière frauduleuse ? Les témoignages des employés du bureau de Grisé que recueillirent les enquêteurs de la GRC semblent suggérer que oui.

Malheureusement, les articles de journaux de l'époque s'attardèrent davantage à l'acquittement de Bernier et s'intéressèrent peu aux implications du plaidoyer de culpabilité d'un ancien député conservateur qui avait alors quitté la vie politique depuis cinq ans. Il reste que seul le principal intéressé pourrait aujourd'hui tirer cette affaire au clair.

Sources:

(1) The Gazette, «RCMP charge Tory MP and ex-MP with fraud», Andrew McIntosh, June 30, 1990, p. A1.
(2) La Presse, «Fraude et abus de confiance: le député Grisé plaide coupable», Pierre Bellemare et Maurice Jannard, 24 mai 1989, p. A1.
(3) The Gazette, «Mounties investigate Tory MP Bernier», Andrew McIntosh, January 12 1990, p. A1.
(4) The Toronto Star, «MP loses challenge of RCMP warrants to search offices», Stephen Bindman, May 25, 1991, p. A11.
(5) La Presse, «La GRC enquête sur 15 parlementaires», Gilles Paquin, 13 décembre 1989, p. A1
(6) La Presse, «Grisé et Bernier tentent de se prévaloir de la nouvelle loi», Marie Tison, 29 mai 1991, p. B1.
(7) La Presse, «La Couronne n'a pas encore réagi à l'arrêt des procédures contre le député Bernier», 24 octobre 1991, p. B4.
(8) The Ottawa Citizen, «Court restores fraud charges against Tory MP», Stephen Bindman, September 22, 1992, p. A4.
(9) The Windsor Star, «Judge scolds MP ethics panel», December 1 1992, p. A9.
(10) The Gazette, «MP assailed for bids to delay trial», Stephen Bindman, April 2 1994, p. B7.
(11) The Gazette, «Quebec MP acquitted of corruption charges», Stephen Bindman, June 8 1994, p. B1.



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