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Les frontières de classes d'une classe sans frontièrescalvaire01, Vendredi, Novembre 15, 2002 - 20:02
Nico
Prolétaires du monde entier, descendez dans vos propres profondeurs, cherchez-y la vérité et créez-la : vous ne la trouverez nulle autre part. [Ce texte fait partie d’un débat au sein du Réseau de discussion internationale, auquel participe le Cercle social. Pour situer le point de départ de la discussion, il faut savoir que certains camarades, issus du Courant Communiste Internationaliste, font un bilan critique de la notion de décadence du capitalisme, et mesurent ses implications] Le débat entre Max et les camarades de PI revêt une certaine importance pour les problématiques du réseau. A vrai dire, dans la mesure où la « décadence du capitalisme » est pour moi une problématique sans objet réel (« je n’ai pas besoin de cette hypothèse », disait comme dirait Laplace), je pourrais éviter soigneusement de m’en mêler. Mais puisque justement la question a été posée de savoir comment on pouvait se référer aux « frontières de classe » : antiparlementarisme, antinationalisme, antisyndicalisme (auxquelles il conviendrait d’ailleurs de rajouter l’anticléricalisme) sans se référer à la théorie de la « décadence », je vais essayer de suggérer quelques pistes. Elles s’appuient largement sur l’histoire du mouvement ouvrier, et sur l’idée centrale d’autonomie de classe. a) L’antiparlementarisme Dans l’histoire du communisme des conseils, tout aussi bien que dans celle de la fraction abstentionniste italienne, l’antiparlementarisme s’appuie initialement sur le constat d’une situation historique dans laquelle les élections constituent un recul par rapport à l’expérience des masses. Dans la situation révolutionnaire allemande ou italienne, alors que les ouvriers sont armés et capables d’imposer leur pouvoir, attendre l’action des parlementaires communistes est en retard sur la réalité. Quand au rôle de tribune joué par le parlement, invoqué par Lénine, il n’a pas de sens lorsque les ouvriers sont massivement investis dans les conseils, dans les organisations politiques ou, tout simplement, dans la pratique révolutionnaire. Mais cet antiparlementarisme est circonstancié : le KAPD, par exemple, ne reproche nullement aux sociaux-démocrates russes leur parlementarisme, mais explique qu’il n’est pas adapté à la situation allemande. C’est n’est que plus tard, avec la critique globale du léninisme et du bureaucratisme, que l’antiparlementarisme va devenir un point de référence obligé – quand il aura été reconnue la filiation entre bolchevisme et social-démocratie, après que les illusions sur ses liens avec l’anarchisme aient été dissipées. Le KAPD – et plus encore la fraction de Rühle, naissent d’une contestation non seulement de la politique du SPD, mais aussi et peut être surtout de son organisation bureaucratique, entièrement ordonnée par la pratique électorale. Les kapistes veulent agir par eux-mêmes, se méfient des chefs et refusent d’attendre. Quelle est leur composition sociale ? Apparemment, pour une large partie, des chômeurs, des jeunes ouvriers, des travailleurs précaires. La même que les Woblies américains, et que les différents groupes dans lesquels militera Paul Mattick aux USA. Au contraire, le SPD assure la domination des ouvriers les plus qualifiés. Pour autant que je puisse en juger – en l’absence de données suffisamment précises – la composition de la gauche communiste de France dans les années 30 est, alors que les Trotskistes sont, à la même époque sont plus « classes moyennes », sont plus rarement des immigrés... et sont plus favorable au parlementarisme. Est-ce à dire que l’attitude vis-à-vis du parlementarisme est une question de « composition de classe ». Sans doute en partie, peut-être parce que le parlementarisme - difficile à dissocier du réformisme - exprime bien le sentiment d’une fraction de classe pour laquelle les choses ne vont pas si mal et surtout, qui espère des améliorations sinon pour elle, en tout cas une certaine ascension sociale pour ses enfants. Chose qui paraît inaccessible aux chômeurs et précaires. Est-ce seulement une position théorique, déduite d’une rigoureuse théorie de l’état ? On peut se poser la question, étant donné l’attitude de la classe ouvrière et la place des « gauches » en son sein. La critique ouvrière du parlementarisme est née de l’expérience des travailleurs, bien avant 1917. Une caricature de la fin du XIXe siècle montrait Millerand et le chef de la police : « Alors, avez-vous réunies les preuves de ce complot ? Oui, on a trouvé chez les conjurés tous vos anciens discours ». Les ouvriers savaient bien que leurs « chefs » pouvaient changer de camp, et que les partis étaient avant tout des comités électoraux qui servaient à offrir des places à 25 Francs. L’antiparlementarisme anarchiste naît de ce constat, peut-être plus que des théories anarchistes elles-mêmes – même si les débats des années 1870 contribuent à clarifier la question du rapport du parti ouvrier à l’Etat, et il est revendiqué par les marxistes révolutionnaires dès cette époque. Ainsi, Sorel, dans ses Réflexions sur la violence, montre clairement, parallèlement à Makhaïski, pourquoi électoralisme et « socialisme des intellectuels » sont entièrement liés : le parlementarisme laisse libre cours aux capacités rhétoriques de cette classe « d’intellectuels qui ont embrassé la profession de penser pour le prolétariat ». Le syndicalisme révolutionnaire de Sorel se présente clairement comme une réaction au parlementarisme : « L’expérience n’a pas tardé à montrer que les anarchistes avaient raison de ce point de vue, et qu’en entrant dans les institutions bourgeoises, les révolutionnaires se transformaient, en prenant l’esprit de ces institutions ; tous les députés disent que rien ne ressemble tant à un représentant de la bourgeoisie qu’un représentant du prolétariat ». Que reste-t-il aujourd’hui de tout cela ? Gorter, dans sa Lettre à Lénine, expliquait que la participation aux élections est une question de circonstances. Nous ne sommes pas, aujourd’hui en France, dans une situation clairement prérévolutionnaire – si jamais il existe des critères pour ces choses-là. Mais par contre, il existe un abstentionnisme ouvrier très fort – qui devrait se confirmer après l’effondrement du premier parti ouvrier du point de vue électoral, le Front National. L’électorat d’Arlette Laguiller est assez fort dans certains secteurs ouvriers délaissés par le PCF (jusqu’à 20 % dans certaines communes villes du Pas-de-Calais), mais il arrive loin derrière l’abstention (70 % dans les quartiers ouvriers). A partir du moment où la classe ouvrière a compris d’elle-même que les élections ne pouvaient pas amener de changement – expérience de 1981 à l’appui – la question du parlementarisme « tactique » est enterrée. Il en va de même aux USA, avec un abstentionnisme absolument massif. Il ne faudrait pas, dans ces conditions, faire comme les « municipalistes libertaires » qui confondent abstentionnisme avec dépolitisation et se mettent soudain à trouver du charme aux élections. Bien au contraire, l’abstentionnisme massif peut être considéré comme un détachement vis-à-vis des « partis ouvriers », donc une forme de maturité politique. Il faut également parler de la question du financement des partis politiques, tel qu’il se pratique généralement en Europe. Un parti comme Lutte ouvrière touche plusieurs centaine de milliers d’Euros pour sa présence au parlement européen et dans diverses instances électives. Quoiqu’il pratique une non-collaboration systématique et dénonce par l’exemple l’absentéisme parlementaire, ce financement – qui est ni plus néanmoins un investissement capitaliste dans le parti « ouvrier » porte doucement ses fruits, obligeant LO à se maintenir sur une ligne de plus en plus électoraliste, avec les sinistro-comiques candidatures aux sénatoriales (qui ont provoquée le départ d’un fondateur, membre du BP, désespéré par cette ligne opportuniste). Désormais, l’intégration à l’Etat n’est plus assurée seulement par l’intégration culturelle et sociale dans les réseaux de la bourgeoisie, mais sous la forme d’une marchandisation directe. b) L’antisyndicalisme Comme je viens d’écrire « Some (boring) remarks on Unions » en langue anglaise, je renvoie directement à ce texte, et j’autorise camarades non-anglophones à pester contre moi pour cet acte de paresse. La question du syndicalisme est entièrement liée à celle de l’état, dans la mesure où les centrales classiques sont entièrement imbriquées dans l’Etat, que se soit en France (gestion de la Sécu, prud’hommes, subventions, etc.), aux USA (liens directs avec les partis politiques et adoption du « modèle américain ») ou en Chine (intégration directe à l’état), et au niveau mondial, ils sont souvent imbriqués à l’état américain (via les subventions plus ou moins discrètes, qui sont un investissement très productifs) et impliqués dans la gouvernance mondiale (notamment via le Bureau International du Travail, qui n’est rien d’autre que le ministère du travail de l’Etat mondial). C’est ce qui différencie le plus concrètement l’anarcho-syndicalisme actuel du syndicalisme, en raison du refus systématique de participer à la gestion du capital, aux élections professionnelles et de recevoir des subventions. Il faut également signaler le rôle non-négligeable des syndicats d’inspiration chrétienne, dont la force dans le monde n’est négligeable – y compris la CFDT. Qui est syndiqué en France aujourd’hui ? Pour l’essentiel, les fonctionnaires et assimilés – donc la fraction de la classe la moins inquiète sur son avenir, mais du coup la plus sensible à maintenir à l’identique son niveau de vie et ses aspirations pour sa progéniture – et les ouvriers industriels, avec de très fortes variations selon les situations, qui conservent une forte tradition syndicale, bien malmenée par les licenciements. Qui n’est pas ou peu syndiqué ? Les chômeurs, les précaires, les travailleurs immigrés, le nouveau prolétariat des services : centres de phoning, restauration rapide, nettoyage, etc… Encore sont-ils contraints de la faire dès qu’ils entrent en lutte (exemple actuel de la grève McDo à Paris, où la CGT tente de faire son trou), tout simplement parce qu’il n’existe aucun cadre de négociation en dehors des syndicats. Le syndicat entre en jeu et ramasse la mise à la fin du conflit, parce que ce sont les capitalistes qui distribuent les cartes… Je cite un exemple merveilleux de clarté, qui vient de m’être raconté par un ouvrier en bâtiment : comme il fallait un syndiqué pour signer l’accord sur les trente-cinq heures, la direction lui a suggéré d’adhérer à Force Ouvrière, parce qu’il y avait des amis… On ne s’étonnera guerre que le nombre de syndiqués baisse, le nombre de syndicats augmente (UNSA, SUD, CNT, FSU, etc.), ce qui implique une fragmentation accrue : c’et la conséquence directe de la recomposition de classe, qui continue d’évoluer : après la liquidation des « forteresses ouvrières », c’est aujourd’hui des usines de 100 à 200 ouvriers – assez grandes pour avoir une certaine expérience des luttes – qui ferment le plus souvent. Bref, à l’heure actuelle en France, la question de l’antisyndicalisme se pose plutôt sous l’angle du non-syndicalisme, et l’analyse de la composition de classe incite à penser que c’est une réalité fondée socialement. Autrement dit, c’est de cette analyse que nous devons partir pour réfléchir sur la question de « l’intervention », comme l’ont fait les camarades de Kolinko en Allemagne (call centers), ou ceux de Kammunist Kranti à Faridabbad (ouvriers du textile). Dans le texte précédent (some boring remarks ...), j’ai proposé en conclusion : pas de critique du syndicalisme sans critique du travail. Si le syndicalisme exprime, comme le suggère Théorie Communiste, le travail en tant que pôle du capital, il ne peut avoir vocation a sortir du capital. Mais la classe ouvrière vit une contradiction essentielle, qui existe souvent au sein de chaque travailleur, entre l’affirmation du travail, du savoir-faire – donc la volonté de la gérer pleinement – et le refus du travail – l’envie de ne plus être travailleur, d’échapper à ce monde absurde des « rapports de production ». Le capitalisme peut utiliser, sciemment ou non, les capacités inexploitées, le savoir-faire et l’énergie des travailleurs (maoïsme, toyotisme) tout comme il peut la réduire au néant (taylorisme, fordisme) selon les besoins de chaque secteur. Par contre, il ne peut rien faire du refus, de la mauvaise volonté, de la paresse délibérée. C’est pourquoi ce second pôle dans la contradiction ouvrière est le seul susceptible de rompre totalement avec le capitalisme, comme l’ont montré les révolutions russes, espagnoles et chinoises, où le maintien et même le renforcement des rapports de production existants, de la relation au travail, est le fondement de la politique antiouvrière menée par les différents Etats « révolutionnaires » : militarisation de la classe ouvrière, intégration des syndicats, réorganisation de la production au nom de la lutte contre la contre-révolution… c) L’antinationalisme L’antinationalisme a une histoire complexe. Oserais-je rappeler que nos braves jacobins, ancêtres des Bolcheviks comme chacun sait, ont affiché un nationalisme outrancier ; que celui qui deviendra l’inspirateur essentiel du mouvement ouvrier anglais naissant, Tom Paine, fut destitué de sa charge de député à la Convention parce qu’il était « étranger »; que le plus farouche des internationalistes, Anacharsis Klootz, fut guillotiné pour la même raison… Au XIXe siècle, l’internationalisme communiste repose, hors de toute théorie, sur le fait que les groupes qui l’élaborent sont formés d’émigrés et d’exilés. Révolutionnaires allemands, polonais, italiens, russes ou français se retrouvent à Londres ou à Bruxelles. Plus largement, la classe ouvrière est d’autant plus mouvante que le Limousin à Paris est tout autant, sinon plus, immigré que l’Italien à Marseille. L’état ne s’est pas encore donné les moyens de contrôler idéologiquement cette masse – seule l’école publique lui permettra – et elle échappe encore largement à l’église, qui attendra longtemps pour comprendre comment évangéliser en milieu ouvrier. La classe ouvrière se contrefiche d’une patrie qui n’a de toute façon rien à lui offrir. Pourtant, les courants nationalistes existent dans le mouvement ouvrier, reprenant de la révolution française ce qu’elle avait de pire, le nationalisme jacobin. La filiation buanarottiste, robespierriste, laisse des traces durables, et va imprégner complètement le socialisme français, même quand il sera officiellement marxiste, un marxisme purement formel, comme l’a bien montré Dommanget dans « L’introduction du marxisme en France ». Après le ralliement à l’union sacrée, non seulement des patriotards, mais aussi d’antinationalistes aussi connus qu’Hervé ou Grave, puis la création du PCF-SFIC par ces mêmes patriotards (Cachin et compagnie) avec la bénédiction du Komintern, l’internationalisme n’est plus qu’un pieux mensonge. Là encore, il est intéressant de constater que la forte proportion d’immigrés parmi les « gauches » et les anarchistes insurrectionnalistes (cénétistes espagnols, makhnovistes russes, etc.) est favorable au maintien de l’internationalisme. La situation va se compliquer après la seconde guerre mondiale, avec les guerres de « libération nationale ». Jusqu’ici, tout le monde, communistes de conseil compris, soutenait la lutte contre le colonialisme et ne voyait pas d’objection majeure à l’idée de « libération nationale », dans la mesure où celle-ci était identifiée à la révolution « démocratique bourgeoise », étape nécessaire. La question tournait surtout autour de la manière de mener ces luttes et notamment de la place que la classe ouvrière devait y tenir. Sur ce point, les souvenirs de Ngo Van sont particulièrement enrichissantes, pour expliquer la situation vietnamienne (Au pays de la cloche fêlée). D’un autre côté, dans les colonies françaises, Vietnam excepté, les efforts pour entrer en contact avec les « colonisés » sont inexistants. Qui peut citer une publication révolutionnaire traduite d’une langue occidentale vers l’Arabe, le Lingala ou le Swahili ? Les luttes de libération nationale vont donc être riches d’enseignement, parce qu’elles vont éclairer rétrospectivement la nature du léninisme. Des leaders nationalistes « garibaldiens » comme Castro, des libéraux comme Lumumba ou Nkrumah vont se révéler soudain « marxistes-léninistes ». Attraction de Moscou ? Oui, bien sûr, de l’argent et des armes valent bien une conversion. Mais le léninisme correspond remarquablement à la situation de ces pays, et à la position de classe de ces leaders : une petite-bourgeoisie progressiste et patriote, qui souhaite faire de leur contrée colonisée un grand état moderne, c’est-à-dire industriel. La théorie de l’impérialisme leur fournit une analyse de leur situation coloniale et pose les bases d’un bloc de classes bourgeoisie nationaliste - paysannerie - ouvriers. Le modèle du parti disciplinaire tourné vers l’insurrection leur convient également, car il est facilement adaptable aux besoins de la lutte armée. L’idée selon laquelle l’Etat doit être renforcé pour mener l’industrialisation et la taylorisation – assimilées au socialisme – est parfaitement conforme aux désirs de la future bureaucratie, et de toute façon adaptée aux besoins d’un Etat qui doit se substituer par un volontarisme à tout crins à une bourgeoisie locale trop faible pour développer les forces productives. Enfin, le fait que dans la théorie léniniste, ce sont les intellectuels petits-bourgeois qui apportent la conscience de classe aux ouvriers est presque trop belle pour lesdits intellectuels petits-bourgeois, les Castro, Guevara, Lumumba…et surtout pour la classe qui va fournir leur premiers partisans (les « évolués » pour Lumuba, par exemple). Est-il possible de mener une lutte anticoloniale, sur des bases ouvrières, sans nationalisme et sans étatisme ? Certains communistes libertaires semblent le supposer, tout en arguant qu’il s’agit naturellement d’une « étape », voire d’un mouvement qui connaîtra naturellement une transcroissance socialiste. L’expérience tout autant que l’analyse théorique de la bureaucratie et de la nature de l’état, laissent sceptiques sur cette hypothèse. La question se pose aujourd’hui différemment. Est-ce que la situation doit encore se penser au niveau national, existe-t-il encore des pays dans lesquels la composition de classes exige une révolution « démocratique bourgeoise », comme le suggère nos camarades de RGF ? Ou est-ce que, dans le cadre d’un « capitalisme global », postimpérialiste, la question se poserait-elle directement au niveau mondial, transformant toute lutte de libération nationale en mouvement purement réactionnaire (au sens de nostalgie d’un état antérieur du capitalisme, voir précapitaliste) – ce qui serait plutôt mon hypothèse, et apparemment celle d’une partie du CDP ? C’est une questions sérieuse, sur laquelle nous allons devoir discuter plus précisément. Cela rejoint directement la question de l’impérialisme, discutée en langue anglaise au sein du réseau, et celle de l’appréciation du capitalisme actuel. d) Quelques hypothèses Je ne vais pas rentrer ici dans la critique de l’idée de décadence, je pointe juste les problèmes que cette théorie me pose. J’avoue avoir beaucoup aimé le texte de Wildcat « Bosses have no country », qui suggérait que cette théorie servait avant tout à adopter des positions de classe tout en protégeant ce pauvre Marx de ne pas les avoir soutenu. Certes, il était parlementariste, pro-syndicaliste et pro-nationaliste, mais le capitalisme était encore flambant neuf, il avait tout à offrir aux ouvriers, donc il avait raison. Et en 1914, patatra, le capitalisme prend un coup de vieux, et les anarchistes ont soudain raison sur toute la ligne, sauf de ne pas être marxistes…. J’exagère un peu, mais vous pouvez lire bien plus caricatural tous les mois dans l’organe central du Courant Catastrophiste International. J’ai laissé, volontairement, de nombreuse pistes ouvertes. A la veille d’un débat, il vaut mieux poser des questions que de donner des réponses prématurées. Plusieurs points me paraissent cependant importants : a) Les « frontières de classe » sont issues de l’expérience du mouvement ouvrier. L’antiparlementarisme, parce que l’intégration à l’état et à la gestion du capital n’a jamais servi réellement, sauf de manière formelle, puisque la réalité de la lutte de classes est ailleurs. L’antisyndicalisme, parce que le syndicalisme ne peut-être que la représentation du travail en temps que pôle du capital. L’antinationalisme, parce que les luttes de libération nationale n’ont d’utilité que pour réaliser les rêves de la petite-bourgeoisie nationaliste. Dans la pratique, la majorité des travailleurs, et parmi eux les plus précaires, les moins « intégrés », n’ont rien à foutre de tout cela, parlement, syndicat et nation. b) Il n’est donc pas absolument nécessaire de faire intervenir la théorie de la décadence pour délimiter les « frontières de classe », que l’on adopte par ailleurs cette théorie ou non. c) L’analyse de la composition de classe, au niveau global, régional aussi bien qu’au niveau des luttes ou des groupes, est essentielle pour avoir une compréhension correcte de la situation. Il nous faut surtout admettre que nous n’avons pas vocation à représenter toute la classe, mais à exprimer une position au sein de celles-ci. Si le syndicalisme – et les partis « ouvriers » – représentent le travail comme pôle du capital, attachons surtout à développer l’autre pôle de la contradiction sur laquelle est fondée la classe ouvrière, c’est-à-dire la « classe de l’abolition des classes », donc de sa propre abolition, c’est-à-dire, l’abolition du travail. |
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