Les médias de masses ont très bien relayé le discours officiel de Washington au cours des derniers jours: " les États-uniens refusent le retour des inspecteurs de l'ONU en IRAK alors que ces derniers en sont à leurs derniers préparatifs de guerre ". Non mais franchement, cette rhétorique surréaliste nous plonge dans les derniers retranchement du cynisme, voire du nihilisme post-moderne.
Stephen Zunes (rédacteur de la séquence Moyen-Orient de Foreign Policy in Focus www.fpif.org) nous livre une réflexion qui réfutent les huit arguments des partisans d'une invasion américaine de l'Irak. Il semble qu'il faille trouver d'autres raisons à l'acharnement de la politique républicaine à envahir l'Irak et à renverser Saddam Hussein, notamment la tentative de cacher la sévère crise du capitalisme financier. Au risque de déstabiliser la justice internationale et l'ordre mondial.
Arguments contre la guerre
Par Stephen Zunes, rédacteur de la séquence Moyen-Orient de Foreign
Policy in Focus www.fpif.org
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En dépit d'une opposition grandissante, aussi bien aux États-Unis qu'à
l'étranger, il semble que l'administration Bush soit entrée dans la
phase finale d'une campagne concertée visant à convaincre le Congrès,
le peuple américain et le monde de la nécessité d'envahir l'Irak. Une
telle invasion constituerait un précédent important, le premier test
de la nouvelle doctrine de " l'action préventive " définie par le
président Bush, doctrine selon laquelle les États-Unis ont le droit d'
envahir des pays souverains et de renverser leurs gouvernements si
ceux-ci sont perçus comme hostiles aux intérêts américains. Ce qui est
en jeu, ce n'est pas seulement la perspective d'une guerre
dévastatrice mais la légitimité même d'un système international mis en
place tout au long du siècle dernier et qui, malgré ses défauts, a
engendré au moins un semblant d'ordre mondial et de stabilité.
Il est donc essentiel d'examiner et de réfuter les arguments de l'
administration Bush car, si une décision politique aussi fondamentale
que celle d'entrer ou non en guerre ne peut être influencée par la
contribution active de citoyens bien informés, ce qui est en jeu n'est
rien d'autre que la démocratie américaine, tout au moins si ces mots
conservent un minimum de sens.
Voici les huit principaux arguments avancés par les partisans d'une
invasion américaine de l'Irak, chacun étant suivi de sa réfutation.
1. L'Irak soutient Al-Qaida et constitue un centre du terrorisme
anti-américain
L'administration Bush n'a pas réussi à prouver de façon crédible que
le régime irakien ait un lien quelconque avec Al-Qaida. Aucun des
pirates du 11 septembre n'était irakien, aucun membre important d'
Al-Qaida n'est irakien et aucune piste financière ne relie Al-Qaida à
l'Irak. Les enquêtes menées par le FBI, la CIA et les services secrets
tchèques n'ont en rien corroboré la rumeur selon laquelle une
rencontre aurait eu lieu au printemps 2001, à Prague, entre l'un des
pirates du 11 septembre et un membre des services secrets irakiens. Il
est très peu probable que le régime baasiste, fermement laïque et
responsable de l'élimination féroce des islamistes sur le sol irakien,
soit en mesure de maintenir des liens étroits avec Oussama Ben Laden
et ses partisans. Selon le prince saoudien Turki ben Faisal,
ex-responsable des services secrets de son pays, Ben Laden considère
Saddam Hussein comme " un apostat, un infidèle, indigne de faire
partie des musulmans ". En fait, Ben Laden a proposé en 1990 de lever
une armée de quelques milliers de combattants moudjahidin pour libérer
le Koweït de l'occupation irakienne.
Certaines sources dignes de foi signalent la présence de groupes
islamistes extrémistes dans le nord de l'Irak, mais seulement dans les
zones kurdes, que Bagdad ne contrôle plus depuis la fin de la guerre
du Golfe. Les liens anciens entre l'Irak et le terrorisme concernent
seulement des groupes laïques comme celui dirigé par Abou Nidal,
faction palestinienne opposée à l'OLP de Yasser Arafat et aujourd'hui
quasiment défunte. Ironiquement, c'est au plus fort du soutien irakien
à Abou Nidal, au début des années 1980, que Washington a rayé l'Irak
de la liste des pays encourageant le terrorisme, pour que les
États-Unis puissent soutenir l'effort de guerre irakien contre l'Iran.
C'est seulement après l'invasion du Koweït par l'Irak, en 1990, que
Bagdad est réapparu sur cette liste, bien que les services américains
aient été incapables de démontrer un resserrement des liens entre l'
Irak et le terrorisme.
Même le rapport annuel du Département d'État (" Physionomie du
terrorisme mondial ") ne mentionne aucun acte sérieux de terrorisme
international lié au gouvernement irakien. Selon un rapport récent de
la CIA, les Irakiens évitent sciemment toute action contre les
États-Unis ou leurs installations à l'étranger, vraisemblablement pour
ne donner à Washington aucun prétexte de lancer une attaque militaire
contre leur pays. Le dernier cas probant d'action terroriste soutenue
par l'Irak que les services américains soient en mesure de citer est
un complot présumé de certains agents irakiens visant à assassiner le
président George Bush pendant sa visite au Koweït, en 1993. (En
réaction, le président Bill Clinton avait ordonné le bombardement de
Bagdad, touchant l'un des centres des services secrets irakiens en
même temps que la zone voisine habitée par des civils.)
Une invasion américaine de l'Irak détournerait l'attention de la
menace plus immédiate que constitue Al-Qaida et conduirait
probablement à une brutale réaction anti-américaine qui réduirait
considérablement la coopération des pays islamiques dans la traque et
la neutralisation des éléments encore actifs d'Al-Qaida. En fait, la
lutte contre le terrorisme est trop importante pour que des idéologues
décidés à régler de vieux comptes la sabotent.
2. La politique d'endiguement a échoué
Si certains pays, en partie pour des raisons d'ordre humanitaire,
contournent les sanctions économiques contre l'Irak, il semble que l'
embargo militaire soit respecté. C'est seulement grâce à l'importation
de technologieS et de matières premières russes, allemandes,
françaises, britanniques et américaines que l'Irak a pu mener à bien
son programme d'armement biologique, chimique et nucléaire dans les
années 1980.
La puissance des forces armées irakiennes est réduite à moins du tiers
de ce qu'elle était avant la guerre du Golfe. Même si l'Irak n'a pas
été contraint à réduire ses forces conventionnelles, la destruction de
ses armes et l'effondrement de son économie ont entraîné une
diminution importante du nombre de militaires. La marine irakienne est
aujourd'hui quasiment inexistante et les forces aériennes ne
représentent qu'une fraction de ce qu'elles étaient avant la guerre.
Les dépenses militaires irakiennes sont estimées à moins de 10 % de
leur valeur des années 1980. L'administration Bush se montre incapable
d'expliquer pourquoi aujourd'hui, alors que Saddam Hussein ne dispose
plus que d'une faible partie de sa puissance militaire autrefois
redoutable, l'Irak est considéré comme une menace telle qu'il est
nécessaire d'envahir le pays et de remplacer son dirigeant, le même
dirigeant que Washington soutenait tranquillement quand la puissance
militaire irakienne était à son comble.
L'Agence internationale de l'énergie atomique a déclaré en 1998 que le
programme nucléaire irakien avait été complètement démantelé. La
Commission spéciale des Nations unies en Irak (Unscom) a estimé qu'au
moins 95 % du programme irakien d'armes chimiques avait été également
détruit. La capacité irakienne à fabriquer des armes bactériologiques
est un point d'interrogation bien plus important, car un tel programme
est beaucoup plus facile à cacher. Cependant, selon le rapport de l'
Unscom en 1998, quasiment tous les missiles offensifs irakiens ainsi
que leurs autres systèmes de propulsion ont été rendus inopérants.
Reconstituer à partir de rien, ou presque, une puissance militaire
offensive utilisant des armes de destruction massive serait
extrêmement difficile étant donné l'embargo international actuellement
en vigueur.
3. La dissuasion ne peut pas marcher face à un Saddam Hussein équipé d
'armes de destruction massive
Saddam Hussein a montré à plusieurs reprises qu'il se souciait d'abord
et par-dessus tout de sa propre survie. Il ne peut ignorer que toute
tentative de sa part d'utiliser des armes de destruction massive
contre les États-Unis ou l'un de leurs alliés entraînerait forcément
sa propre destruction. C'est la raison pour laquelle il n'en a pas
utilisé pendant la guerre du Golfe, alors même qu'il était attaqué par
la plus importante coalition de forces internationales jamais réunie
contre un seul pays, et soumis aux bombardements les plus denses de l'
Histoire. Par contre, avant la guerre du Golfe, Saddam Hussein était
tout à fait prêt à utiliser son arsenal chimique contre les forces
iraniennes parce qu'il savait que le régime islamiste révolutionnaire
était isolé au niveau international, et il était tout aussi prêt à l'
utiliser contre les civils kurdes parce qu'il savait qu'ils ne
pourraient pas répondre. Cependant, dans l'éventualité d'une invasion
américaine, conscient de l'imminence de sa chute et n'ayant plus rien
à perdre, cette logique guidée par l'instinct de conservation ne
fonctionnerait plus. En fait, une invasion américaine, au lieu d'
éliminer la perspective de l'Irak utilisant ses armes de destruction
massive, ne ferait qu'augmenter de façon spectaculaire cette
probabilité, dans l'éventualité où l'Irak disposerait de telles armes.
Depuis toujours, Saddam Hussein est un dirigeant qui contrôle tout
directement, sa méfiance envers ses subordonnés (proche de la
paranoïa) étant l'une des raisons qui lui ont permis de se maintenir
au pouvoir. Il est extrêmement improbable qu'il prenne le risque
matériel et financier de développer un arsenal de destruction massive
dans le seul but d'en faire profiter un groupe de terroristes, surtout
des islamistes radicaux qui pourraient aisément se retourner contre
lui. S'il a de telles armes à sa disposition, il sera le seul à
décider de leur utilisation. Par comparaison, le chaos engendré par
une invasion américaine augmenterait énormément les possibilités que
de telles armes sortent clandestinement du pays et passent dans les
mains de terroristes. Aujourd'hui, toutes les armes de destruction
massive existant éventuellement sont contrôlées par un régime très
centralisé et préoccupé davantage d'éviter une attaque américaine que
d'en provoquer une.
4. Les inspecteurs internationaux ne peuvent pas garantir que l'Irak n
'obtiendra pas d'armes de destruction massive
Suite au régime d'inspections imposé par les Nations unies à la fin de
la guerre du Golfe, quasiment toutes les réserves irakiennes d'armes
de destruction massive et de systèmes de propulsion ainsi que la
capacité de ce pays à fabriquer de telles armes avaient été réduites à
néant. Durant ses huit années d'exercice, l'Unscom a supervisé la
destruction de 38 000 armes chimiques, 480 000 litres d'agents
chimiques actifs, 48 missiles, 6 lance-missiles, 30 ogives modifiées
pour transporter des agents chimiques ou bactériologiques, et des
centaines d'autres éléments permettant de produire des armes
chimiques.
Selon une déclaration faite à la fin de l'année 1997 par Richard
Butler, directeur de l'Unscom, cette commission avait fait " de réels
progrès " dans le décompte des armes chimiques irakiennes et 817 des
819 missiles longue portée fournis par l'Union soviétique avaient été
détruits. Une vingtaine de missiles balistiques fabriqués en Irak n'
avaient pas été retrouvés, mais ils étaient d'un calibre douteux. Au
cours de ses trois dernières années d'exercice, l'Unscom a été
incapable de déceler une preuve quelconque que l'Irak ait caché des
armes prohibées.
L'ingérence périodique des Irakiens et le harcèlement des inspecteurs
de l'Unscom ont été en grande partie limités à des sites sensibles
insuffisants pour le développement ou le déploiement d'armes chimiques
ou nucléaires élaborées. La raison principale de ce manque de
collaboration venait de la crainte irakienne, qui plus tard s'est
révélée fondée, que les États-Unis utilisent ces inspections à des
fins d'espionnage, par exemple en surveillant les communications radio
codées des forces de sécurité irakiennes ou en utilisant les appareils
installés en secret par les inspecteurs américains. Les États-Unis,
désireux de lancer une attaque militaire contre l'Irak, ont donné l'
ordre à Richard Butler de pousser l'Irak à rompre son engagement de
coopérer totalement avec l'Unscom. Sans consulter le Conseil de
sécurité des Nations unies comme il aurait dû le faire, Richard Butler
annonça aux Irakiens qu'il annulait les accords concernant les sites
sensibles et demandait l'accès libre au siège du parti Baath à Bagdad,
endroit peu susceptible s'il en est d'abriter des armes de destruction
massive. Refus des Irakiens. Bill Clinton demanda alors à Richard
Butler de retirer les forces de l'Unscom et les États-Unis entamèrent
une campagne de bombardements de quatre jours, ce qui donna aux
Irakiens un prétexte pour refuser le retour des inspecteurs de l'
Unscom. Aucun inspecteur international ne s'étant rendu en Irak depuis
cette époque, il est impossible de savoir de façon certaine si l'Irak
fabrique actuellement des armes de destruction massive. Et tant que
les États-Unis continueront à se déclarer en faveur d'un " changement
de régime " par l'assassinat ou l'invasion, il est très improbable que
l'Irak accepte une reprise des inspections.
5. Les États-Unis peuvent en toute légalité imposer un changement de
régime par une action militaire
Selon les articles 41 et 42 de la Charte des Nations unies, aucun État
membre n'a le droit d'imposer une résolution par la force militaire, à
moins que les Nations unies ne déterminent que cette résolution a été
enfreinte de façon matérielle et que, tous les moyens non militaires
pour la faire respecter ayant été tentés en vain, elles n'autorisent
spécifiquement l'usage de la force militaire. C'est ce que le Conseil
de sécurité a fait en novembre 1990, avec la résolution 678, en
réponse à l'occupation du Koweït par l'Irak, occupation qui
enfreignait une série de résolutions passées en août et demandant le
retrait irakien. Quand l'Irak, dans son retrait forcé du Koweït en
mars 1991, finit par se soumettre, cette résolution devint sujette à
caution.
Légalement, le conflit au sujet de la liberté d'accès des inspecteurs
des Nations unies et de l'éventuel approvisionnement de l'Irak en
armes de destruction massive est un conflit entre le gouvernement
irakien et les Nations unies, pas entre l'Irak et les États-Unis. Bien
que la résolution 687 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui
exige le désarmement irakien, soit la plus détaillée de l'Histoire,
elle ne prévoit aucun mécanisme de coercition militaire. Et, dans ses
résolutions suivantes, le Conseil de sécurité n'a pas davantage prévu
de tels mécanismes. Comme c'est normalement le cas quand il s'avère
que certains gouvernements violent en partie ou en totalité les
résolutions des Nations unies, toute mesure coercitive est l'affaire
du Conseil de sécurité dans son ensemble, pas d'un seul de ses
membres.
Si les États-Unis peuvent prétendre unilatéralement au droit d'envahir
l'Irak en raison de la violation par ce pays des résolutions du
Conseil de sécurité, d'autres membres du Conseil pourront logiquement
prétendre eux aussi au droit d'envahir des États également en
violation. Par exemple, la Russie pourrait prétendre au droit d'
envahir Israël, la France à celui d'envahir la Turquie et la
Grande-Bretagne à celui d'envahir le Maroc. L'insistance américaine
sur le droit d'attaquer unilatéralement pourrait miner de façon sérieu
se le principe de sécurité collective ainsi que l'autorité des Nations
unies et, ainsi, ouvrir la porte à l'anarchie internationale.
La loi internationale est assez précise quant aux possibilités d'
utiliser la force militaire. Outre le cas mentionné ci-dessus d'
autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies, la seule autre
possibilité pour un État membre d'utiliser la force militaire est
décrite dans l'article 51, qui stipule que c'est autorisé à des fins
" d'autodéfense individuelle ou collective " contre " une attaque
armée. jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures
nécessaires pour maintenir la paix internationale et la sécurité ". Si
les voisins de l'Irak étaient attaqués, chacun de ces pays pourrait
faire appel à l'aide américaine, en attendant une décision du Conseil
de sécurité autorisant l'usage de la force militaire.
Les éléments rendus publics par l'administration Bush ne fournissent
aucune base légale suffisante, loin s'en faut, pour que les États-Unis
convainquent le Conseil de sécurité d'approuver l'usage de la force
militaire contre l'Irak pour des raisons d'autodéfense.
6. Les avantages d'un changement de régime dépassent son coût
S'il est probable que les États-Unis sortiraient vainqueurs d'une
guerre contre l'Irak, le coût en serait très important. C'est une
erreur, par exemple, de croire que la victoire sur l'Irak ne
comporterait que des pertes humaines minimes du côté américain, comme
ce fut le cas l'automne dernier pour chasser de Kaboul les milices
talibanes. Bien que les capacités offensives de l'Irak aient été
sérieusement affaiblies par les bombardements, les sanctions et le
déclassement prôné par l'Unscom, ses capacités défensives sont encore
solides.
De même, une victoire militaire aujourd'hui ne serait en rien aussi
facile que durant la guerre du Golfe. Avant le lancement de l'
opération Tempête du désert, le gouvernement irakien avait décidé de
ne pas se battre pour le Koweït et s'appuya par conséquent sur de
jeunes recrues provenant de communautés minoritaires. Seulement deux
des huit divisions d'élite de la Garde républicaine se sont rendues au
Koweït, et elles se sont retirées avant le début de la guerre. Une
large majorité des plus puissantes forces irakiennes étaient déployées
aux alentours de Bagdad pour parer à la survie du régime même, et
elles y sont toujours. En cas de guerre, les défections au sein de ces
unités sont peu probables.
Environ un million de personnes, membres de l'élite irakienne, ont
tout intérêt à ce que le régime soit maintenu. Cela comprend les
dirigeants et les partisans du parti Baath, les membres des services
secrets et de sécurité, les éléments principaux des forces armées et
leurs familles étendues. De plus, l'Irak est une société très
urbanisée, à l'infrastructure bien plus complexe que celle
essentiellement tribale et rurale de l'Afghanistan, et elle pourrait
être mobilisée en cas d'invasion étrangère.
D'autre part, il n'y a aucun équivalent à l'Alliance du Nord afghane,
qui a réalisé le gros des combats au sol contre les talibans. Les
Kurdes irakiens, abandonnés à deux reprises, dans l'histoire récente,
par les États-Unis, ne risquent guère de combattre si ce n'est pour
assurer l'autonomie des zones kurdes. L'opposition shiite armée a été
largement éliminée et il est peu probable qu'elle combatte si ce n'est
pour libérer les zones à majorité shiite du Sud irakien. Les
États-Unis seront peu enclins à aider ces deux minorités, car leurs
succès risqueraient de faire éclater le pays et d'encourager à la fois
la rébellion kurde du sud-est de la Turquie et l'agitation shiite du
nord-est de l'Arabie saoudite. Les forces américaines seront donc
contraintes de marcher quasiment seules sur Bagdad, ville de plus de 5
millions d'habitants.
Contrairement à la guerre du Golfe, pendant laquelle les combats
conventionnels et ouverts dans des zones désertiques plates ont permis
aux forces américaines et alliées de profiter pleinement de leur
supériorité au niveau de la puissance de feu et de la technologie, les
soldats américains devraient cette fois combattre pour se frayer un
passage à travers des zones agricoles et urbaines à forte densité de
population. Les forces d'invasion risquent d'être confrontées à d'
âpres combats en porte à porte, dans un pays plus vaste que le Sud
Vietnam. Les Irakiens, peu déterminés dans le combat qui aurait permis
à leur pays d'assurer sa conquête du Koweït, seront bien plus prompts
au sacrifice s'il s'agit de résister à un envahisseur occidental. Face
à une telle résistance, et pour minimiser le nombre de pertes
américaines, les États-Unis s'engageraient probablement dans des
bombardements intenses des zones résidentielles irakiennes, ce qui
entraînerait de nombreuses victimes civiles.
Le manque de soutien de la part des alliés régionaux pourrait
également se traduire par l'absence de base terrestre à partir de
laquelle les Américains pourraient lancer leurs attaques aériennes,
obligeant dans un premier temps les États-Unis à s'appuyer sur des
appareils embarqués sur des porte-avions. Sans l'autorisation de
lancer les appareils de ravitaillement en vol, même les bombardiers
longue portée au départ des bases américaines seraient inutilisables.
Dans de telles conditions, il est difficile d'espérer disposer d'un
nombre suffisant d'appareils pour les missions de reconnaissance et de
surveillance, et le déploiement de dizaines de milliers de soldats
depuis des bases éloignées se révélera sans doute problématique. Il
est possible que les forces américaines s'emparent au cours des
combats d'une base aérienne irakienne mais, sans le pré-positionnement
des points de ravitaillement, son utilité sur le théâtre des
opérations sera forcément marginale.
Une telle opération militaire coûterait cher également en termes
économiques : déjà criblée de dettes et dans une conjoncture
difficile, l'économie américaine serait alors pénalisée par le
déploiement de forces le plus élaboré et le plus coûteux depuis la
Deuxième Guerre mondiale, atteignant 100 milliards de dollars au cours
des six premiers mois. Contrairement à la guerre du Golfe, l'Arabie
saoudite est vigoureusement opposée à l'invasion et ne sera pas
disposée à payer la note. L'invasion de l'Irak coûterait cher aussi à
l'économie mondiale, déjà en difficulté : la hausse des prix du
pétrole aurait un effet dévastateur sur certains pays, aggravant
encore les troubles sociaux et politiques.
7. Un changement de régime serait populaire en Irak et parmi les
alliés américains de la zone
Même s'il ne fait aucun doute que la plupart des voisins de l'Irak et
des Irakiens eux-mêmes ne seraient pas mécontents de voir l'Irak
changer de chef, un changement de régime imposé par une invasion armée
américaine ne serait pas le bienvenu. La plupart des alliés américains
de la zone ont apporté leur soutien à la guerre du Golfe car elle
était généralement perçue comme un acte de sécurité collective
répondant à l'agression par l'Irak d'un petit pays voisin. Cela ne
serait plus le cas, cependant, en cas de nouvelle guerre contre l'
Irak. Le prince royal saoudien Abdallah a mis en garde l'
administration Bush contre une attaque de l'Irak " qui ne ferait qu'
accroître l'animosité qui règne dans la région envers les États-Unis "
. Au sommet de la Ligue arabe à Beyrouth, à la fin du mois de mars,
les pays arabes ont adopté de façon unanime une résolution fermement
opposée à l'attaque de l'Irak. Même le Koweït s'est réconcilié avec l'
Irak depuis que Bagdad a formellement reconnu la souveraineté et les
frontières internationales du Koweït. Vingt ministres des Affaires
étrangères venant de pays arabes et réunis au Caire au début du mois
de septembre ont unanimement exprimé leur " rejet total de toute
menace d'agression contre les pays arabes, y compris l'Irak ".
En dépit de ces déclarations publiques, les responsables américains
prétendent que certains alliés régionaux seraient prêts à soutenir l'
effort de guerre américain. Étant donné l'ultimatum prononcé par le
président Bush selon lequel " soit vous êtes avec nous, soit vous êtes
avec les terroristes ", il est assez possible que certains
gouvernements se soumettent à la pression et obtempèrent. Cependant,
pratiquement tous les pays du Moyen-Orient qui seraient prêts à
fournir de l'aide et à collaborer seraient confrontés à l'opposition
de la grande majorité de leurs citoyens. Au vu des risques politiques
pris par n'importe quel dirigeant soutenant l'effort de guerre
américain, un tel consentement ne serait donné qu'à contrecoeur, à
cause de la pression ou des pots-de-vin américains, pas en vertu de l'
adhésion sincère à cette opération militaire.
8. Un " changement de régime " améliorera la stabilité et ouvrira de
nouvelles perspectives à la démocratie dans la région
L'Afghanistan le montre : il est plus facile de renverser un
gouvernement que d'en mettre un nouveau en place. Même si la plupart
des Irakiens seraient sans doute soulagés de voir Saddam Hussein se
faire évincer, cela ne signifie pas qu'un gouvernement installé par
une armée occidentale serait bien accueilli. Par exemple, certains des
candidats les plus en vue parmi ceux que l'administration américaine
envisage d'installer au pouvoir si l'invasion réussissait, sont d'
anciens officiers militaires irakiens impliqués dans des offensives
associées à des crimes de guerre.
Outre la possibilité d'une guérilla menée par des partisans de Saddam
Hussein, les forces d'occupation américaines seraient
vraisemblablement confrontées à des factions armées rivales parmi la
population arabe sunnite, sans parler les groupes de rebelles kurdes
et shiites se battant pour une autonomie accrue. Cela pourrait mener
les États-Unis à une guerre anti-insurrectionnelle sanglante. Sans le
soutien d'autres pays ou des Nations unies, une invasion militaire
risque d'aboutir à l'isolement de forces américaines tentant d'imposer
la paix dans le chaos de l'après-Saddam.
Une invasion américaine entraînerait vraisemblablement de violentes
campagnes anti-américaines au Moyen-Orient, peut-être même des
attaques contre les intérêts américains. Les forces radicales internes
affaibliraient les régimes pro-occidentaux. Les passions sont
particulièrement exacerbées en raison du soutien fort que les
États-Unis apportent au gouvernement de droite en Israël et à la
poursuite de l'occupation par celui-ci de la Cisjordanie et de la
bande de Gaza. La colère suscitée par la politique américaine du "
deux poids, deux mesures ", selon qu'il s'agit de l'Irak ou d'Israël,
pour les violations des résolutions du Conseil de sécurité des Nations
unies et la possession d'armes de destruction massive, risque d'
exploser. Obligés de reconnaître que les États-Unis ne peuvent être
vaincus sur le champ de bataille, de plus en plus d'Arabes et de
musulmans pleins de ressentiment devant une hégémonie américaine
poussée jusque sur leur propre sol risquent d'être enclins à attaquer
par des moyens non conventionnels, comme l'ont démontré de façon
tragique les événements du 11 septembre. Les ministres des Affaires
étrangères arabes, conscients d'une telle éventualité, ont prévenu
lors de leur rencontre au Caire qu'une invasion américaine de l'Irak
" ouvrirait les portes de l'enfer ".
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