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Coup de fatigue dans la presse

tartosuc, Jeudi, Septembre 5, 2002 - 13:17

Emmanuelle Piron

« Les pauvres regardent les riches se déchirer »…

Tel est le titre de la revue de presse proposée par le Courrier International, qui fait écho à un article du New York Times selon lequel la « bataille entre nations riches et nations pauvres pour trouver une solution afin de baisser le niveau mondial de pauvreté » n'est rien à côté du « bras de fer qui oppose les Etats-Unis et l'Union Européenne sur les stratégies à adopter pour sauver la planète ».

En contre-attaque à la pression de l'Union Européenne pour fixer des objectifs et un agenda précis, les Etats-Unis adoptent la vieille tactique de l'effet d'annonce en promettant un milliard de dollars d'aide par ci, 1.6 milliard de fonds privés par là, en fait des réaffectations de crédits déjà annoncées, et se proclament volontiers le pays numéro un de l'aide extérieure et du développement durable, selon les mots de Paula Dobriansky, sous-secrétaire d'état aux affaires globales. En conférence de presse, le slogan « les mots c'est bien, mais les actions c'est mieux », prononcé par la même personne, permet de faire diversion un court instant, mais ne convainc personne. Comme le souligne l'éditorial du Times of India, « les politiques américaines se concentrent plus sur l'aide monétaire et la régénération des forêts dans le 'monde en développement' que sur une auto-discipline qui pourrait compromettre l'actuelle croissance économique américaine ». L'Europe n'est guère plus convaincante, qui profite du bras de fer en question pour tenter de reléguer le problème épineux des subventions agricoles à la prochaine réunion ministérielle de l'OMC.

« Les négociations sont dominées par les questions du libre échange »

Point n'est besoin d'attendre cette prochaine corrida économique en effet, car les pierres d'achoppement entre Europe, Etats-Unis et pays du sud au sommet de Johannesburg renvoient inévitablement aux injustes règles du jeu du commerce mondial. L'Europe encore une fois fait montre de faiblesse politique, puisque, nous apprend le Monde, elle « pourrait renoncer au principe de précaution en matière commerciale, qui donne la possibilité pour un état de restreindre une activité ou un produit en l'absence de certitude scientifique quant à son innocuité ».

Un tel renoncement, jugé scandaleux par le député vert Yves Cochet, manifesterait un recul important par rapport au protocole sur la biosécurité signé en 2000, qui régit le commerce des OGM. « Je ne peux pas confirmer que l'Union défendra le principe de précaution dans le chapitre sur le commerce », a déclaré le délégué européen en charge du dossier. « La précaution est un élément de la prise de décision, mais ne concerne pas les affaires commerciales. L'environnement et le commerce sont deux systèmes de valeurs séparés ». La dernière phrase prononcée par ce monsieur est une négation pure et simple du concept de développement durable.
L'éditorial indigné du Monde daté du 30 août dénonce « l'hypocrisie » du sommet. « Car si les riches voulaient vraiment aider les pauvres à prendre le chemin d'un développement durable, ils savent ce qu'ils ont à faire : éliminer, progressivement, les subventions qu'ils accordent à leurs agriculteurs. A commencer par notre Jacques Chirac de service, qui, « en totale opposition avec le discours de générosité qu'il prêche à l'intention du sud, a répété, jeudi 29 août, son attachement à la PAC ». L'éditorial dissèque ensuite la « diabolique perversité » du système, qui encourage la production de surplus refourgués au Sud où les paysans non subventionnés sont réduits à la misère, et qui est aussi « mère d'une autre pathologie : le productivisme », responsable de pollutions et de l'épuisement des sols.

… Mais le sud ne lâche pas prise

Du moins on l'espère ! Tandis que la presse occidentale reste globalement focalisée sur les contentieux américano-européens, on voit poindre l'écho des revendications des délégations de quelques pays africains dans les journaux du continent, jusque là assez peu enclins à tergiverser sur le sommet, si ce n'est en Afrique du sud.

Ainsi le Daily Nation, au Kenya, a fait paraître deux articles, l'un sur le thème de l'eau discuté au « Water Dome », l'autre sur les OGM et les biotechnologies. Les deux articles font part d'un refus catégorique de la privatisation, porté par les ONG, représentants de collectivités locales, et les collectifs d'agriculteurs et de pêcheurs africains. Ces derniers rejettent les OGM et appelent au contraire au « développement des marchés intérieurs, à la formation, à l'extension des services et de l'infrastructure ».
Le Moyen-Orient a également élevé la voix, par l'intermédiaire de la secrétaire exécutive de la commission économique et sociale de l'Asie de l'ouest, également députée du secrétariat général de l'ONU, nous apprend le Daily Star au Liban. Mervat Tallawy a en effet « accusé les 'Etats puissants' de se servir de la guerre et de l'aide financière pour promouvoir leurs propres intérêts dans leurs interventions au sommet ». « Le recours aux menaces de guerre deviennent une habitude dans les relations internationales et ne conduisent pas au développement durable dans les pays en développement, en particulier les pays d'Asie de l'ouest ». Elle a aussi critiqué les pays « les plus puissants économiquement et militairement » pour leurs « approches traditionnelles » des problèmes de développement.
Loin des négociations du jour, dans l'Indian Express, l'éditorialiste Pamela Philipose souligne que le principe de respect de la nature fut intégré très tôt dans les programmes de développement, à la fin des années 60, et qu'en 1972, Indhira Gandhi affirma historiquement sa conviction que « la pauvreté est la plus grande pollueuse » à la conférence de Stockholm sur l'environnement humain, 'ancêtre' de Rio 1992, et de Jo'burg 2002. Mais l'originalité indienne a été largement assombrie par la catastrophe chimique de Bhopal en 1984, et continue de l'être aujourd'hui entre autres fléaux par la raréfaction des ressources en eau dans des régions autrefois fertiles, fruit d'un développement « tout sauf durable » au profit de cultures dévastatrices à courte rentabilité.

En conclusion, l'éditorialiste écrit, exemples à l'appui, que « la chose la plus importante pour protéger l'environnement est de renforcer la démocratie en faisant des gens les acteurs de leur propre destinée, plutôt que des objets manipulés pour l'intérêt d'une poignée de capitalistes »

Deux manifs en file indienne

Une colonne très brève de Libération fait part de « la colère des ONG » quant à la tournure qu'ont désormais pris les négociations. « C'est un sommet de l'OMC ou bien de l'ONU ? », demande un militant écologiste. Ecoeurées par l'infiltration des multinationales dans le sommet, « plusieurs ONG, dont Greenpeace, Corpwatch, les Amis de la Terre ont d'ores et déjà décidé de fonder, l'an prochain à Johannesburg, un bureau de veille sur la responsabilité des entreprises ». Le quotidien anglais the Guardian donne enfin quelques détails sur les deux manifestations prévues de longue date pour samedi 31 et leur préparation du côté des forces de l'ordre.
Plusieurs milliers de policiers sont en effet prêts à surveiller jusqu'à 40.000 manifestants. Les deux marches se suivront sur le même parcours du quartier pauvre d'Alexandra au centre d'affaires de Sandton, considéré comme une métaphore du Sud et du Nord juxtaposés, mais elles ne se mélangeront pas. Les organisateurs de la marche du mouvement social Inbada, emmené par les sans-terre sud africains et décidé à perturber le sommet, ont en effet « choqué et mis en colère l'ANC [Congrès National Africain], leur signifiant qu'ils n'étaient pas « invités ». L'ANC est le parti au pouvoir, qui a organisé le forum des peuples et la deuxième marche, plus officielle et plus consensuelle.

Emmanuelle Piron - Pénélopes - 30 août 2002

www.mediasol.org


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