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Le Consulat du Japon à Montréal fait censurer des sites webAnonyme, Dimanche, Juin 23, 2002 - 12:04
Micheline Carrier
Le Consulat du Japon à Montréal a demandé à des hébergeurs de bloquer l'accès à mes sites qui présentaient, dans un cas, un dossier le mettant en cause, et dans un autre cas, un simple lien à ce dossier. Si des hébergeurs ont accédé à cette requête, Lycos-Europe a refusé alléguant qu'il n'avait pas pour politique d'intervenir dans les sites hébergés. J'ai adressé au ministre des Affaires étrangères du Canada une plainte contre ce consulat qui enfreint l'article 2, paragraphe b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Mme Micheline Deboudard, une résidente de Montréal, m’a écrit en février dernier: elle voulait de l’aide pour se défendre contre des abus commis à son endroit par le Consulat général du Japon à Montréal, son employeur, d’avril 2000 à juillet 2001. Mme Deboudard nourrit plusieurs griefs à l’endroit de ses anciens patrons. Tout d’abord, elle leur reproche d'avoir refusé de lui remettre un contrat de travail écrit, ce qui leur laissait toute latitude d’exiger d’elle des tâches sans rapport avec le travail de secrétariat administratif. Elle affirme que le Consul général adjoint de l’époque lui a fait subir du harcèlement psychologique et sexuel sans que n’intervienne le Consul général pour mettre fin à cette situation. En outre, on ne lui aurait pas versé la totalité du salaire convenu. Cette femme, qui a travaillé treize ans pour l’UNESCO, a fait de vaines démarches auprès de nombreux organismes pendant et après son séjour au Consulat du Japon à Montréal. Pour toute réponse à ses griefs exprimés par écrit, le Consul général l’a congédiée la veille de son départ pour Paris, sa nouvelle affectation. Il l’a menacée de poursuites si elle parlait de son expérience, ce qui, selon lui, porterait atteinte à son honneur et à sa vie privée. Autant dire qu’il interdisait à Mme Deboudard de se défendre. Mme Deboudard a consulté des avocats recommandés par le Barreau du Québec dans l’espoir d’un règlement hors cour. Elle réclamait les sommes dues pour son travail, ainsi qu’une compensation raisonnable pour les préjudices causés par le harcèlement moral et sexuel: dépression, pertes financières, endettement, conséquences professionnelles à long terme d’un congédiement, etc. Les avocats ont abandonné le dossier après quelques semaines parce qu’ils ont subi les pressions des procureurs du consulat, comme l’un d’entre eux l’a reconnu. DES MISES EN DEMEURE À DES HÉBERGEURS DE SITES Après avoir pris connaissance de l’ensemble du dossier, j’ai proposé à Mme Deboudard de le publier sur mon site internet hébergé par Tripod Canada. Ce dossier était déjà public, mais je lui donnerais une audience plus vaste. J’ ai invité les internautes à le lire et à signer une lettre à l’attention du ministre des Affaires étrangères du Canada : devant les pressions publiques, pensais-je, le ministre exigerait peut-être un règlement équitable et rapide de cette affaire. Dès le départ, je n’ai pas caché mes intentions: j’ai écrit personnellement au ministre pour lui expliquer les motifs de mon intervention. J’ai également expédié aux administrateurs du site belge Libre-X un texte d’information sur ce dossier. Libre-X m’avait demandé, quelques mois plus tôt, l’autorisation de reproduire des textes publiés sur mon site. J’ai pensé qu’un tel dossier intéresserait les propriétaires du site. Cependant, la démarche des internautes auprès du ministre des Affaires étrangères n’a pas fait long feu. Au début de mai, soit quelques semaines après la diffusion du dossier sur mon site, les procureurs du Consulat général du Japon à Montréal ont adressé des mises en demeure à Tripod Canada et à Libre-X: ils alléguaient que le dossier Deboudard contenait des propos diffamatoires et calomnieux. Libre-X a aussitôt bloqué le texte, comme on le lui demandait, se confondant en excuses et affirmant qu’il n’avait jamais voulu participer à ce «règlement de compte» et à «cette forme de diffamation». Les administrateurs de Libre-X m’ont adressé copie de la lettre des procureurs et de leur réaction. Tripod Canada a mis 26 jours à répondre à mes demandes d’explication répétées. Cet hébergeur a pris lui aussi pour argent comptant les allégations du Consulat du Japon et m’a renvoyé aux Termes et conditions d’utilisation du site. À ce jour, Tripod Canada n’a pas précisé, comme je le lui ai demandé, à quels articles de ces Termes et conditions j’ai pu déroger. À la fin de mai, le Consulat général du Japon à Montréal a cependant essuyé un échec auprès de Lycos-Europe qui a refusé de bloquer le site que j'y ai créé, il y a deux ans. Lycos-Europe m’a avisée de la requête du consulat et n’y a pas accédé parce que sa politique ne l’autorise pas à intervenir dans le contenu des sites hébergés. Fait à noter, le dossier de M. Deboudard à l'origine de cette censure, ne se trouvait pas sur mon site Lycos-Europe. Seul un lien en page d’accueil référait à ce dossier. Ni Mme Deboudard ni moi-même n'avons reçu de mise en demeure, ni un quelconque avis sur le contenu de ce dossier. Si je recevais une lettre semblable à celle expédiée aux hébergeurs, je n’en tiendrais pas compte. Il ne suffit pas d’envoyer des lettres d'avocat pour démontrer qu’on a raison. Les hébergeurs n’étaient pas tenus d’accepter les directives du Consulat du Japon à Montréal; en le faisant ils ont cédé à l’intimidation. Ce consulat n’avait même pas le droit d’adresser des mises en demeure à des hébergeurs étrangers au sujet d’un dossier qui concerne des citoyens canadiens. Pourquoi alors s’en être pris aux hébergeurs plutôt qu’à Mme Deboudard et moi-même? On croyait sans doute nous effrayer et nous faire taire, tout en stoppant radicalement la diffusion de l’information grâce à la collaboration bienveillante des hébergeurs. Les procureurs du Consulat du Japon à Montréal savent que la Convention de Vienne sur les privilèges et immunités des diplomates n’autorise pas ces derniers à entreprendre des actions directes contre des citoyens du pays hôte. Ils doivent adresser d’éventuels griefs au ministère des Affaires étrangères qui décide de l’attitude à adopter. Le plus souvent, le ministère joue le rôle de conciliateur. LE CONSULAT DU JAPON ET LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS J’ai tout lieu de penser que le ministère des Affaires étrangères du Canada ignorait tout des tentatives d’intimidation du Consulat du Japon auprès des hébergeurs avant que je lui en donne les preuves noir sur blanc. J'ai en effet écrit au ministre des Affaires étrangères du Canada, le 4 juin dernier, lui adressant copie des lettres des hébergeurs. J’ai demandé au ministre d'exiger du Consulat général du Japon: ou bien, qu'il prouve ses allégations auprès d'une instance indépendante, Mme Deboudard étant disposée à témoigner devant un tribunal, ce qu'on l'a jusqu'ici empêchée de faire par toute sorte de moyens. ou bien, qu'il retire immédiatement ses mises en demeure, qui sont de l'intimidation, auprès de Tripod.ca et de Libre-X. S'il y a quelque chose de répréhensible dans ce satané dossier, ai-je dit au ministre, qu'on me le démontre hors de tout doute et je m'inclinerai. On devra m'expliquer pourquoi ce dossier comporte quelque chose de répréhensible seulement lorsqu'il est diffusé sur internet. N’importe qui peut le lire et en obtenir copie au greffe de la Cour supérieure du Québec, où il a été déposé. Le Consulat général du Japon à Montréal a enfreint, selon moi, la Charte canadienne des droits et libertés, dont l’article 2, paragraphe b) garantit nommément à tout Canadien et à toute Canadienne «les libertés de pensée, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication». J’imagine, ai-je encore écrit au ministre, que le Consulat général du Japon à Montréal connaît la Déclaration universelle des droits de l’Homme, dont le Canada est signataire, et qui spécifie: «Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.» (Déclaration des Droits de l'Homme, décembre 1948, article 19, Assemblée générale de l'ONU). Le ministre ne m'a pas encore répondu. Le fait que le dossier Deboudard, déplacé vers un site sur Geocities, n’ait pas été (encore?) bloqué a peut-être quelque chose à voir avec ma lettre, dont j’ai adressé copie à tous les partis d’opposition à Ottawa, ainsi qu’à une douzaine de médias. En attendant que le ministre statue sur ce cas, je n’ai pas à suivre les directives du Consulat du Japon à Montréal ni à obéir aux menaces qu’il m’adresse par hébergeurs interposés. J’ai prié également Tripod Canada de m’expliquer son attitude et j’ai mis en doute la confiance que la clientèle peut avoir en cet hébergeur, propriété de Lycos-Sympatico au Canada. À l'origine, il s'agissait seulement d'aider une femme à défendre ses droits en lui proposant un espace sur mon site. Cette histoire a pris une tournure inattendue. Il s'agit désormais de défendre mes propres droits (liberté d'expression et de diffusion), en plus des droits de cette femme. Les enjeux de la résistance à cette censure sont importants. Pour moi d’abord, dont tous les sites commentent des questions politiques, mais aussi pour d’autres internautes qui pourraient éventuellement se retrouver dans une situation semblable. Les abus de pouvoir se perpétuent parce qu'ils bénéficient du silence et du secret. L'information est un moyen de les démasquer, d'y mettre fin et d'aider les personnes qui les subissent. Comme Internet permet à toute personne capable d'y accéder de diffuser rapidement de l'information sur ces abus de pouvoir, on voudra donc contrôler étroitement ce réseau et les personnes qui s'y expriment. Il y a là une menace à la démocratie.
Ce site présente l'ensemble du dossier Deboudard, ainsi que la correspondance des hébergeurs et les réponses que je leur ai adressées.
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