Ted Turner, le milliardaire qui a fondé CNN, accuse aujourd'hui Israël de s'engager dans la voie du «terrorisme» à l'encontre des Palestiniens, dans des commentaires qui risquent de détériorer un peu plus les relations, déjà mauvaises, de la chaîne d'informations avec l'État hébreu.

«Les Israéliens et les Palestiniens n'utilisent-ils pas tous les deux le terrorisme l'un envers l'autre?» demande Turner, vice-président d'AOL Time Warner, qui détient CNN, dans une interview exclusive au Guardian.

«Les Palestiniens combattent avec des bombes humaines, c'est tout ce dont ils disposent. Les Israéliens... ils sont à la tête d'un des plus puissants appareils militaires du monde. Les Palestiniens n'ont rien. Alors, qui sont les terroristes? Je voudrais défendre l'idée que les deux parties sont impliquées dans le terrorisme.»

Sa remarque a été condamnée la nuit dernière par le gouvernement d'Ariel Sharon, qui l'a qualifiée de «stupide».

Andrea Levin, directeur de Camera, un organisme de surveillance médiatique américain pro-israélien, a déclaré que ces observations étaient une tentative «répréhensible d'effacer la ligne qui sépare l'agresseur de la victime».

Dans la première interview qu'il ait accordée à un média britannique depuis les attaques du 11 septembre, M. Turner - qui a battu tous les records de philanthropie en 1997, lorsqu'il a fait don d'un milliard de dollars aux États-Unis - soutient que la pauvreté et le désespoir sont les causes fondamentales des attentats suicides palestiniens.

Mais Daniel Seaman, un porte-parole du gouvernement israélien, déclare: «Mon seul conseil à Ted Turner, c'est que si les gens estiment que vous êtes stupide, le mieux que vous ayez à faire est de garder le silence, plutôt que d'ouvrir la bouche et de confirmer l'opinion de chacun.»

M. Turner a également admis qu'il avait fait un choix malheureux en qualifiant de «courageux» («brave») les pirates de l'air du 11 septembre, au cours d'un discours dans l'État de Rhode Island, qui a fait scandale. «J'ai choisi des mots malheureux», dit-il, ajoutant que son appartenance à l'équipe de base-ball des Atlanta Braves implique que ce mot n'est jamais bien loin de ses pensées. «Voyez-vous, je suis un excellent penseur, mais parfois j'use d'un mot inadéquat... Je veux dire, je ne rédige pas mes discours pour ensuite les lire au téléprompteur, vous savez. J'improvise.»

À un moment de son interview, M. Turner a été ému jusqu'aux larmes, par le concours «déprimant» de conflits, tels celui du Proche-Orient, ou l'état de l'environnement, qui, dit-il, demandent une énorme attention - «sans quoi, vous savez... c'est bonsoir et merci».

Un ministre important du cabinet de Yasser Arafat a déclaré au Guardian qu'il saluait les propos de M. Turner. Nombreux sont les Palestiniens qui se plaignent amèrement d'un biais pro-israélien dans la couverture de CNN - allant jusqu'à la qualifier de «Chaîne d'Informations Sioniste» - alors qu'Israël lui reproche d'être pro-palestinienne.

«J'estime que cela reflète une approche plus consistante», déclare M. Ghassan Khatib, récemment nommé Ministre du Travail par Yasser Arafat, et jusqu'il y a peu directeur du Jerusalem Media and Communications Centre, un organisme d'analyse des médias.

«Un des problèmes lorsque l'on cherche à réduire la violence est l'attention excessive accordée internationalement aux victimes civiles israéliennes par rapport aux victimes palestiniennes, alors que les Palestiniens tués sont quatre fois plus nombreux.»

CNN est un souffre-douleur pour les deux parties. Une perception de parti pris largement répandue parmi quelques Israéliens et partisans américains d'Israël a conduit à plusieurs boycotts par des groupes de pression, qui recommandaient aux téléspectateurs de regarder la chaîne Fox News de Rupert Murdoch. Mais, il y a trois mois, au cours d'une interview accordée à Christiane Amanpour (CNN), M. Arafat avait raccroché le téléphone après l'avoir accusée de parti pris anti-palestinien. «Avec ces questions, vous couvrez les activités terroristes de l'occupation israélienne et les crimes israéliens», avait-il déclaré. «Taisez-vous. Soyez juste. Merci, au revoir.»

Oliver Burkeman in New York and Peter Beaumont in Jerusalem
Traduit par Giorgio Basile