|
La percée de Barcelone - Leçons de la plus grande manifestation contre la mondialisation en EuropeAnonyme, Vendredi, Juin 7, 2002 - 07:23
traduction de Marie-Eve Lamy
Le Sommet de l'Union européenne (UE) à Barcelone aurait pu être qu'un sommet comme les autres. Les chefs d'États se sont rencontrés pour finaliser les plans afin de faire de l'UE le bloc économique le plus compétitif au monde, se mettant d'accord, entre autres, sur les prochaines étapes vers la création de marchés privatisés de l'énergie à la grandeur de l'UE. Mais une chose distingue ce sommet des autres : il est devenu la scène de la plus grande manifestation contre l'UE et la mondialisation néo-libérale. Entre 300 000 et 500 000 manifestants pacifiques ont rempli les rues de Barcelone le dernier jour du sommet, faisant taire ceux qui avaient prédit la fin des mouvements pour la justice mondiale après le 11 septembre. Qu'est-ce qui a rendu un tel événement possible? Corporate Europe Observer (CEO) a demandé à Ramón Fernández Durán, auteur et militant de Ecologistas en Acción basé à Madrid. [1] CEO : Peu s'attendaient à une telle démonstration de force à Barcelone. Quels mouvements y ont participé ? Ramón Fernández Durán: La manifestation de Barcelone faisait partie de la campagne à la grandeur de l'Espagne " Contre l'Europe du capital, Mondialisons la résistance, Un autre monde est possible ", laquelle fut créée en fonction de la présidence espagnole de l'UE. La campagne est née lors d'une rencontre de réseaux provenant de toute l'Espagne travaillant sur des enjeux de la mondialisation et de l'UE, en avril 2001 à Gérone. La campagne s'est développée à travers tout le pays, mais c'est en Catalogne qu'elle est devenue la plus importante. L'initiative de la manifestation du samedi 16 mars, est venue de la " Plate-forme contre l'Europe du capital " catalane, jointe plus tard par d'autres groupes comme le Foro Social (partis politiques progressistes, syndicats et ATTAC) et le mouvement des squats de Barcelone. Plus de 100 groupes font partie de la plate-forme catalane, dont le Movimiento de Resistència Global (MRG), le réseau pour l?annulation de la dette RCADE, syndicats, groupes locaux, squatters, environnementalistes et le mouvement étudiant contre les plans de privatisation du gouvernement. CEO : Comment expliquez-vous une telle mobilisation ? Durán: Plusieurs activités tenues durant les semaines précédant la manifestation ont contribué à donner un élan et à préparer pour le 16 mars. La Plate-forme a imprimé 20 000 copies d'un journal hebdomadaire pendant le mois précédant la manifestation, contribuant à faire connaître la campagne et à établir un appui. Il y a eu une fête de Reclaim the Streets dans la semaine précédente, ainsi qu'une énorme manifestation contre le controversé plan hydraulique du gouvernement espagnol (qui implique la construction massive de barrages et des projets de transfert d'eau). Le jour précédant la manifestation, il y a eu des actions décentralisées de divers groupes partout à Barcelone. Au total, 8 000 personnes ont participé, s'attaquant à des enjeux dont la dette du Tiers Monde, les OGMs et la privatisation ainsi qu'une masse critique à vélo, une manifestation commémorative de la mort de Carlo Giuliani (tué par les policiers pendant le sommet du G-8 à Gênes) et l'action du " Lobby Busters " contre le lobby des entreprises. Les cheminots de la CGT ont fait la grève et arrêté les trains locaux de Barcelone et ses environs, en appui à la journée d'action. Tout cela a aidé à la visibilité de la manifestation du samedi et a donné confiance aux gens d'y participer. Les groupes organisateurs de la manifestation et de la journée d'action avaient décidé de ne pas tenter de bloquer le sommet de l'UE. Ils voulaient éviter une confrontation directe avec la police, ce qui était très important alors que le gouvernement espagnol essayait, par tous les moyens, de criminaliser les protestations. La population de Barcelone n'a visiblement pas apprécié le contrôle policier excessif et les tentatives de la garder loin de la manifestation. Quant est venu le temps de la manifestation du samedi, entre 300 000 et 500 000 personnes y ont participé et 50 000 sont ensuite aller au concert, qui s'est poursuivi toute la nuit. Il est important de mentionner que cette manifestation, avec son message politique très clair, a été au moins trois fois plus grosse que celle de " L'Europe Sociale ", organisée par la Confédération des Syndicats Européens (ETUC) le jeudi précédant le sommet de l'UE. CEO : Quelle est la place de Barcelone dans la liste des mobilisations de masse depuis Seattle ? Durán : Comparativement à la dernière manifestation majeure anti-UE, à Bruxelles le 14 décembre 2001, Barcelone a réuni des gens provenant de mouvements plus diversifiés, ainsi que de tout âge. La plupart des personnes dans la manifestation provenaient de la Catalogne. J'estime qu'environ 10 000 personnes sont venues du reste Espagne et quelques milliers d'ailleurs en Europe. Plus de 4 000 personnes ont été bloquées par la police à la frontière France-Espagne; soit ces personnes ne se sont jamais rendues à Barcelone, soit elles sont arrivées trop tard pour participer. Le premier bloc dans la manifestation était la " Plate-forme contre l'Europe du capital ". Il y avait beaucoup de bannières colorées exprimant les critiques des gens face à l'UE, mais aucune bannière de parti ou d'ONG. Cela reflète le fait que personne n'a tenté de s'approprier l'événement pour eux-mêmes. Le reste de la manifestation se constituait de trois blocs ; ATTAC, les Nationalistes catalans et basques et le Foro Social (syndicats et partis politiques). Contrairement aux mobilisations massives de Prague et Gênes, la manifestation de Barcelone était beaucoup plus reliée aux problèmes locaux créés par politiques néo-libérales de l'UE tels que les efforts de privatisation de l'éducation ainsi que les subventions de l'UE au plan national hydraulique. Jusqu'à récemment l'UE était peu critiquée en Espagne, mais maintenant les gens commencent à voir la réalité de ses politiques néo-libérales. Par exemple, les syndicats se sont fait dire de travailler pour une " Europe sociale ", mais ces espoirs se sont évanouis. Les gens commencent à faire ces liens et à agir. CEO : Il y a eu très peu de violence à Barcelone comparativement à Gênes. Durán: C'est vrai, sauf que 70 des 80 personnes arrêtées ont été blessées par la police. Les organisateurs de la manifestation ont fait de gros efforts pour prévenir une répétition de ce qui s'est passé à Gênes. Même si le Président Aznar désirait un autre Gênes, ce n'était pas le souhait des politiciens locaux. Le gouvernement central de droite à Madrid a tout essayé pour miner la manifestation en démonisant et en criminalisant les manifestants, mais le gouvernement régional catalan (dominé par le CIU nationaliste) voulait éviter un désastre du type Gênes. Le gouvernement local de Barcelone (contrôlé par le PSC social-démocrate) a même fini par appuyer la manifestation. Avec les élections régionales de l'an prochain, le PSC veut tisser des liens avec le mouvement de justice mondial. Le maire de Barcelone, à la tête du PSC, a participé au Forum Social Mondial à Porto Alegre. Le gouvernement de Barcelone a aussi aidé avec les installations du contre sommet, auquel plus de 6 000 personnes ont participé le 16 mars. CEO : Comment les médias ont-ils réagit à la manifestation ? Durán: Les journaux prétendaient que le mouvement était en crise depuis le 11 septembre, mais ils doivent maintenant reconnaître que le contraire est vrai - en fait le mouvement est plus confiant que jamais. Les journaux ont aussi souligné que la manifestation était non-violente. Après l'événement, Aznar a essayé de s'en attribuer le mérite, comme si c'était sa réalisation. Le parti d'opposition PSOE a contesté sa déclaration et demandé que le gouvernement fasse des excuses officielles aux manifestants pour ses tentatives de les criminaliser. Le PSOE a toutefois aussi tenté d'interpréter la manifestation pour son propre intérêt en la présentant simplement comme un appel à une Europe plus sociale. CEO : Comment les organisateurs ont-ils répondu à l'issue du sommet de Barcelone ? Durán: Les réseaux sont à développer leur analyse du sommet, mais il est clair que les institutions de l'UE n'ont pas l'intention d'écouter la voix de la base. CEO : Quelle est la prochaine étape de la campagne ? Durán: Peut-être les gens ne savent pas qu'il y a eu plusieurs autre manifestations anti-UE dans des villes à travers l'Espagne depuis le début de l'année. 10 000 ont manifesté lors de la rencontre des ministres de la Défense de l'UE à Saragosse au début mars. Plus de 5 000 ont protesté durant la rencontre des ministres de l'Intérieur de l'UE à St-Jacques-de-Compostelle. Et lorsque les ministres de l'EU se sont rencontrés à Salamanque, plus de 2 000 personnes ont participé à un forum parallèle contre la privatisation de l'éducation. Des protestations sont prévues pour le sommet de l'UE à Valence (UE-Méditerranée), Madrid (UE-Amérique latine) et Séville (chefs d'États et Gouvernement de l?UE). De toute évidence, ce qui s'est passé à Barcelone va aider la mobilisation pour tous ces événements. Les manifestations lors du sommet de l'UE à Séville à la mi-juin seront plus petites que celles de Barcelone. Une participation de 50 000 serait un grand succès. Je suis aussi convaincu que la campagne va se poursuivre au-delà de Séville. La " Consultation Sociale Européenne ", proposée par le réseau RCADE est une nouvelle initiative passionnante. RCADE a organisé un référendum social sur la crise de la dette parallèlement aux élections régionales en Catalogne, il y a trois ans, et un an plus tard, ils en ont organisé un autre lors des élections générales espagnole. Plus de un million de personnes ont voté à la " Consultation Sociale " aux dernières élections. La proposition actuelle est de répéter l'expérience à la grandeur de l'UE. Les gens vont voter non seulement sur la dette, mais aussi sur des idées de modèles économiques alternatifs. Ceci aura lieu en même temps que les élections du Parlement européen de 2004. CEO : Quelle est l'importance de Barcelone pour le mouvement de justice global ? Durán: Nous avons prouvé que le mouvement n'est pas mort après le 11 septembre. Au-delà de ça, je crois que beaucoup est à apprendre sur la façon dont la manifestation a été préparée et organisée. Les organisations ont eu d?importants débats internes sur les leçons à tirer de Gênes, sur la violence et la situation après le 11 septembre. Ils ont réussi à surmonter les tensions et ont trouvé la bonne manière de se lier à la population locale. Liens recommandés : - Consultation Sociale Européenne - Indymedia Barcelone Le sommet de Barcelone : réformes néo-libérales, promesses vides à l'environnement Dans les semaines précédant le sommet, des groupes de lobby d'entreprises avaient fait beaucoup de presion pour accélérer le processus de reforme néo-libérale. " Les Gouvernements européens vont-ils tenir leur promesse de Lisbonne à Barcelone? ", a demandé la European Roundtable of Industrialists (ERT) dans un rapport envoyé aux dirigeants de l'UE avant le sommet, [2] faisant référence à l'obejectif de faire de l'UE le bloc économique le plus compétitif au monde d'ici 2012, grâce à une restructuration de l'économie et des sociétés européennes en faveur des entreprises. [3] La ERT a présenté au sommet 10 demandes, dont un affaiblissement des mesures de sécurité d'emploi en passant des pensions publiques aux systèmes privés et en se battant contre la sur-réglementation, par exemple en commissionnant des études d'impacts sur les nouvelles propositions de régulations. De plus, en collaboration avec d'autres groupes de lobby, la ERT a demandé la libéralisation complète des marchés de l'énergie au sein de l'UE. C'est sur ce dernier point que la portée des décisions rendues par le sommet est la plus grande, avec l'engagement de libéraliser les marchés de l'énergie pour les entreprises d'ici 2004. L'industrie de la biotechnologie a aussi reçu sa part, alors que le sommet a endossé le rapport de la Commission " Sciences de la vie et biotechnologie - Une stratégie pour l'Europe ", qui est fortement en faveur de la génie génétique. [4] Le sommet a demandé un plan d'action de l'UE afin de faire la promotion de cette " technologie d'avenir ". Évidemment, les entreprises étaient très satisfaites de l'issue de Barcelone. " Les réussites concrètes du sommet, en rendant des décisions sur une libéralisation accentuée des marchés, ont été plus substantielles que les cyniques l'avaient prédit ", a écrit un John Palmer satisfait, du Centre de politique européen, un think tank néo-libéral basé à Bruxelles. [5] L'Union des Confédérations de l'Industrie et des Employeurs d'Europe (UNICE) était aussi heureuse du résultat : les dirigeants de l'UE avaient agi sur plusieurs des demandes présentées par une " Délégation de haut niveau " de plus de 40 poids lourds de l'UNICE lors d'une rencontre privée avec le Président Aznar, le jour précédant le début du Sommet de Barcelone. [6] Pendant ce temps, le sommet a rejeté diverses propositions progressives du Gouvernement français afin de prévenir une compétition injuste entre les États membres de l'UE concernant les taxes à l'entreprise et afin d'introduire des limites sur les mises à pieds reliées à des restructurations d'entreprise. [7] La France a effectivement convaincu le sommet d'inclure dans la déclaration finale une phrase sur l'introduction d'une taxe à l'énergie à la grandeur de l'UE, parallèlement à la libéralisation des marchés de l'énergie, mais un scepticisme est largement partagé quant à sa signification. Les gouvernements discutent de la taxe sur l'énergie depuis 1992, sans succès et, à titre d'exemple, les gouvernements d'Espagne et d'Irlande s'y opposent. [8] Le Sommet de Barcelone a été largement critiqué pour son échec à consolider les politiques environnementales, auxquelles les dirigeants de l'UE s'étaient engagés lors des sommets de Cardiff et Göteborg. Jimenez Beltran, de l'Agence européenne pour l'environnement a affirmé que " plutôt que de marquer un point culminant, le sommet apparaît comme un arrêt ". [9] Les dirigeants de l'UE ont reporté la décision sur la position en négociation pour le Sommet mondial sur le développement durable jusqu'au prochain sommet de l'UE à Séville, en juin, minant davantage l'élan dans le processus de Rio+10. Malgré des critiques très répandues, le Président espagnol Aznar a prétendu que " le sommet a adopté une approche équilibrée des enjeux économiques, environnementaux et sociaux ", [10] et a déclaré, " Voilà ce qu'est le développement durable ". Notes 1. Le dernier livre de Ramón Fernández Durán's est " Globalización capitalista, lucha y resistencias', en collaboration avec Miren Etxezarreta & Manolo Sáez (2001, Virus, Barcelona). 2. " Message from the European Round Table of Industrialists to the Barcelona European Council ", Mars 2002. Voir http://www.ert.be 3. Pour une information de base sur l'ordre du jour de Lisbonne, voir " ERT Moves to Next Phase in Europe's "Double Revolution", Corporate Europe Observer 7 (Octobre 2000), http://www.corporateeurope.org/observer9/stockholm.html 4. Presidency Conclusions, Barcelona European Council, March 15 and 16 2002, http://ue.eu.int/pressData/en/ec/69871.pdf 5. " Barcelona deal worth all the energy ", European Voice, 28 mars 2002. 6. Le président de l'UNICE, Georges Jacobs, et plus de 40 Présidents et directeurs généraux membres avaient affirmé à M. Aznar que, " Le redressement économique de l'Europe dépend grandement de la volonté politique de libéraliser les marchés et d'atteindre les objectifs du Sommet de Lisbonne. " UNICE @News Avril 2002. Voir http://www.unice.org/unice/Website.nsf/HTML+Pages/APR2002-EN.htm 7. " France wants EU Summit to Focus on Social Issues ", Financial Times, 8 mars 2002. 8. " EU Agreement on Harmonization Tax Greeted With Skepticism by Commission ", International Environment Reporter, 27 mars 2002. 9. " Un moment décisif, une certaine apogée dans le processus était attendue à Barcelone ", a commenté Jimenez Beltran. " Sweden, Others Say Spain, EU States Give "Lip Service" to Environmental Issues ", International Environment Reporter, 27 mars 2002. 10. Idem. Tiré du Corporate Europe Observer - Issue 11 Cette entrevue a été réalisée par Corporate Europe Observer (CEO), un groupe de recherche qui cible les menaces à la démocratie, à l'équité, à la justice sociale et à l'environnement posées par le pouvoir économique et politique des entreprises et leurs groupes de lobby. L'équipe du CEO est composée de cinq membres, basés aux Pays-Bas et en Espagne : Belén Balanyá, Ann Doherty, Olivier Hoedeman, Adam Ma'anit and Erik Wesselius. Paulus Potterstraat 20, 1071 DA Amsterdam, Pays-Bas |
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Ceci est un média alternatif de publication ouverte. Le collectif CMAQ, qui gère la validation des contributions sur le Indymedia-Québec, n'endosse aucunement les propos et ne juge pas de la véracité des informations. Ce sont les commentaires des Internautes, comme vous, qui servent à évaluer la qualité de l'information. Nous avons néanmoins une
Politique éditoriale
, qui essentiellement demande que les contributions portent sur une question d'émancipation et ne proviennent pas de médias commerciaux.
|