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Les États-Unis affaiblissent les droits des enfantsNicole Nepton, Jeudi, Mai 23, 2002 - 14:02
Nicole Nepton, Cybersolidaires
Au cours de la soirée du 10 mai, à la clôture de la Session extraordinaire consacrée aux enfants, 180 États membres de l'ONU adoptaient à l'unanimité un plan d'action en 21 points visant à améliorer la santé et l'éducation des enfants, à les protéger des abus, de l'exploitation et de la violence et à lutter contre le VIH/sida. Contrairement à beaucoup d'ONG, Carol Bellamy, directrice exécutive de l'UNICEF, considère que ce document est "fort et orienté vers l'action". Mais Adrienne Germain, présidente de l'International Women's Health Coalition, ne mâche pas ses mots : "concernant les droits des enfants et les droits sexuels et génésiques des adolescent-es, c'est un document extrêmement faible". Dans le monde, le tiers des personnes atteintes par le VIH/sida ont entre 15 et 24 ans. Chaque année, dans les pays moins développés, au moins 2 à 4,4 millions d'adolescentes avortent. Pour le Child Rights Caucus, on ne peut que considérer faible une entente mondiale sur les droits des enfants qui ne précise pas noir sur blanc qu'ils ont droit à une éducation sexuelle de qualité, à de l'information et à des services génésiques. Les militant-es progressistes craignent que ce document entrave leurs efforts visant à amener les gouvernements à investir dans des programmes allant de l'éducation sexuelle à l'école aux cliniques de santé qui enseignent comment éviter le VIH. Des réserves envers des points spécifiques ont aussi été émises par plusieurs délégations gouvernementales. La délégation canadienne a enregistré son insatisfaction envers le débat portant sur la question de la santé sexuelle et génésique, "une question critique pour la santé, la survie et le bien-être des enfants", et particulièrement pour celle des filles, Gilbert Laurin aurait-il aussi dû préciser. "Ce document reste significativement en-deça." Il a aussi critiqué les tentatives faites pendant les négociations d'éloigner le document final d'obligations que les pays ont contractées sur cette question lors des conférences majeures de l'ONU sur la population (Caire) et sur les femmes (Beijing). Il a précisé que le Canada compte plutôt s'en tenir aux documents du Caire et de Beijing. Inocencio Arias, qui représentait l'Union Européenne, a aussi souligné que le document final ne reflète pas complètement les obligations sur la santé génésique des adolescents que les pays de l'ONU ont adoptées dans le passé. MISE DE CÔTÉ DE LA CONVENTION LA PLUS RATIFIÉE DU MONDE Selon Jo Becker de Human Rights Watch, la Convention relative aux droits des enfants a aussi été mise de côté. L'administration de George W. Bush s'est opposée mordicus à ce que le document final la reconnaisse en tant que standard légal pour les droits des enfants. Pour Rigoberta Menchu du Guatemala, "c'est inacceptable. Toutes les organisations sociales, et spécialement celles qui se concentrent sur les droits des enfants, doivent renier ce type d'action." La Somalie a profité de la Session pour signer la Convention et compte la ratifier bientôt, comme l'ont déjà fait TOUS les autres pays membres de l'ONU sauf les États-Unis. L'administration de Bill Clinton a signé la Convention mais ne l'a jamais soumise au Sénat pour ratification parce que des groupes extrémistes la voient comme une menace envers les droits des parents. Aujourd'hui, l'administration Bush est profondément opposée à toute référence aux droits des enfants pour la même raison. Le Child Rights Caucus se désole de constater que l'opposition états-unienne envers cette Convention commence à saper les efforts des autres gouvernements. "C'est au-dessus de mes capacités de comprendre pourquoi les États-Unis essaient de démanteler le traité le plus universellement ratifié de tous. Comment un pays civilisé peut-il dire que la lutte contre la pauvreté et pour l'accès à une éducation permettant de faire des choix éclairés ne devrait pas être incluse dans le document des résultats?" a dit Tom Burke, 17 ans, du Youth Inquiry Services, un groupe membre du Caucus. ENFONCÉ DE FORCE DANS LES GORGES DU RESTE DU MONDE Adrienne Germain fulmine : le document final a été "enfoncé dans les gorges du reste du monde par les États-Unis" qui n'a "cédé aucun terrain", ajoute Jo Becker, tandis que les délégations européennes ont plié devant ses exigences afin d'arriver à un consensus. Les États-Unis, appuyés par le Saint-Siège, le Soudan, la Libye, l'Iran, le Pakistan, l'Égypte, le Bangladesh et la Malaisie, tenaient mordicus à éviter tout ce qui pouvait peut-être sous-entendre que des services d'avortements sécuritaires devaient être offerts aux jeunes filles. Exaspérées, les autres délégations ont fini par accorder à Washington que le document ne fasse pas mention de la nécessité de fournir des "services de médecine génésique" mais plutôt des "soins de médecine génésique". S H A M E ! Les critiques contre l'entêtement de la délégation états-unienne fusaient de toutes parts, mais celle-ci les balançait hors de son chemin. Le 10 mai, j'ai assisté au "briefing" de cette délégation avec les ONG états-uniennes. À quelques heures de la fin des négociations, les ONG s'attendaient à ne discuter que du document des résultats, mais Andrew S. Natsios, l'administrateur de l'United States Agency for International Development, leur a plutôt servi de la propagande sur le beau travail que fait l'USAID pour aider les pays moins développés. Il a aussi expliqué que, pour mériter l'aide de l'USAID, ils doivent suivre l'exemple de l'Ouganda qui a décidé d'améliorer la qualité de sa gouvernance. Pour l'USAID, les problèmes sociaux des pays moins développés proviendraient surtout de leur mauvais leadership, qui serait d'ailleurs généralisé partout dans le monde y compris aux États-Unis si on en juge par les difficiles sinon abjectes conditions de vie de la majeure partie des habitant-es de notre planète. Un seul négociateur de la délégation états-unienne s'est pointé pendant 10 minutes en précisant qu'il ne pouvait pas parler de la position de la délégation. Un représentant d'IPAS lui a demandé pourquoi, tout au long du processus de négociation du document qui a duré deux ans, les ONG luttant pour le respect des droits sexuels et génésiques des jeunes n'ont pas eu l'occasion d'expliquer la pertinence de ce qu'ils avancent à l'administration bushienne. Il a aussi ajouté que, pendant la Session, seules les ONG de droite étaient consultées, ce que le négociateur a nié. Les ONG progressistes états-uniennes seraient-elles donc sujettes à de longues périodes de paranoïa? Tenant des feuilles roses fluo portant le mot SHAME (HONTE), les groupes progressistes dont l'International Planned Parenthood Federation, le Center for Reproductive Law and Policy, IPAS et la Youth Coalition, appuyés par Action Canada pour la population et le développment et nous-mêmes, sont sortis furieux de cette séance de "brainwashing" que les médias avaient été conviés de quitter afin de permettre une "franche conversation avec les ONG" aux dires de M. Natsios. N'ayant pas réussi à obtenir une accréditation média de l'ONU, je ne me suis pas sentie visée. ET ÇA AURAIT PU ÊTRE PIRE Une phrase du document final précise que les avortements doivent être sécuritaires dans les pays où l'avortement est légal, ce qui ne plaisait pas à la délégation états-unienne. Elle a essayé de faire oter ce passage ou d'exclure explicitement l'avortement, mais elle n'a pas réussi. Elle n'est pas arrivée non plus à faire de l'abstinence le centre de l'éducation sexuelle des jeunes célibataires, ni à faire avaler que la famille soit définie comme étant "un homme et une femme mariés". Cependant, on a concédé aux islamiques conservateurs qu'un paragraphe sur les familles inclut les différences sur les pratiques "culturelles et traditionnelles". Dans le passé, cette formulation a été une référence voilée aux coutumes permettant aux maris de contrôler leurs épouses et la planification familiale. Selon Adrienne Germain, beaucoup craignaient que la délégation états-unienne profite de la Session pour intégrer du langage rétrograde, mais l'obtuse délégation a quand même "échoué à nier aux adolescent-es l'accès à des avortements légaux et à de l'information complète et fiable sur la contraception et les abus sexuels". Sichan Siv, l'ambassadeur états-unien, a donc dû se contenter d'enregistrer des réserves concernant l'avortement, les services d'avortement, la nécessité de pratiquer l'abstinence, la fidélité et la monogamie - les moyens les plus sûrs d'éviter les MTS et les grossesses non désirées semble-t-il - et de soutenir le mariage entre un homme et une femme ainsi que les droits des parents. ISRAËL, PEINE DE MORT ET ENVIRONNEMENT La délégation états-unienne s'est aussi opposée à ce que le document final déplore l'impact des politiques d'Israël sur les enfants palestiniens comme le demandaient ces derniers. Selon la Palestinienne Somaia Barghouti, comme il n'y avait pas assez de soutien parmi les autres délégations qui craignaient un autre Durban, la question a été abandonnée. Washington s'est aussi élevé contre le langage s'opposant à l'exécution et à l'emprisonnement à vie des personnes âgées de moins de 18 ans - une pratique légale chez près de la moitié des États des USA. Il a obtenu que le document final permette aux pays d'éviter de s'engager sur ces questions. Washington s'est également opposé avec force à du langage sur l'environnement accepté par la communauté internationale depuis une dizaine d'années et sur lequel se basent plusieurs traités. Le document critiquait les modèles de développement non durables et précisait que les gouvernements ont une responsabilité commune mais distincte, impliquant que les pays riches ont une plus grande responsabilité de nettoyer l'environnement mondial. Washington a obtenu que ce langage soit encore moins précis. Il est à craindre que l'administration bushienne soit sur le point de revenir en arrière sur des ententes internationales sur l'environnement de la même façon qu'elle tente de renverser l'horloge en ce qui a trait aux droits génésiques. LES LEADERS DE LA LUTTE POUR LES DROITS DES ENFANTS À l'ouverture de la Session, Kofi Annan, le secrétaire général de l'ONU, faisait un constat très sévère. "Nous, les grandes personnes, avons misérablement échoué à protéger beaucoup de droits essentiels des enfants. Cessons de les faire payer pour nos carences. Ils sont en droit d’attendre que nous passions des mots aux actes et que nous construisions un monde digne des enfants." De leur côté, les enfants, pour la première fois présents à une Assemblée générale de l'ONU, tentaient de faire passer le message aux 2.600 délégué-es et aux 1.720 représentant-es d'ONG de 119 pays que, pour que le monde soit un jour digne des enfants, il est temps qu'on les écoute, qu'on les considère comme des partenaires dans la lutte pour leurs droits et qu'on agisse. Les enfants ont fait des avancées mais ils ont quitté l'ONU en sachant que, afin que les États soient un jour à la hauteur des promesses qu'ils ont faites aux enfants si imparfaites soient-elles, c'est avant tout sur leur propre implication et sur celle de militant-es de même que sur leur habileté à mobiliser la société civile - vous - qu'ils devront miser.
Index thématique d'articles portant sur la Session
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