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Pourquoi des zones franches industrielles sur la frontière Haïtiano-dominicaineCarl Desjardins, Vendredi, Mai 10, 2002 - 12:04
Jean-Harry Clerveau
La Plate-forme haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA) et le Groupe d'Appui aux Réfugiés et Rapatriés (GARR) tiennent à exprimer leurs plus vives inquiétudes et leur indignation face à la décision du Gouvernement haïtien d’installer de concert avec le Gouvernement dominicain des zones franches industrielles (ZFI) dans diverses localités tout au long de la frontière séparant les deux pays . Une décision de cette importance engageant l’avenir de la nation a été prise dans une ambiance quasi clandestine. Presque la totalité des informations disponibles sur ce sujet nous sont parvenues via la presse dominicaine. Aucun débat n’a été organisé avec la participation des secteurs concernés et l’accord n’a pas été examiné par le Parlement comme le prévoit la Constitution de 1987. Le GARR et la PAPDA appuient fortement les revendications lancées par des organisations paysannes du Nord-Est contestant la décision d’installer ces ZFI sur des terres agricoles situées dans la plaine de Maribaroux, une des régions les plus fertiles du pays, qui permet aux familles paysannes de réaliser des revenus annuels relativement substantiels. Ces ZFI pourraient être installées à Ferrier ou à Ouanaminthe dans des localités semi-urbanisées sans enlever aux producteurs de la région des terres cultivables qui sont de plus en plus rares dans notre pays. Il s’agit de toute évidence d’une option anti-paysanne confirmant le caractère anti-national de l’État et sa soumission face au plan néo-libéral décidé à éliminer une grande partie de notre production vivrière pour laisser la sécurité alimentaire de notre population à la merci des importations venant principalement des USA. Il ne faudrait pas rééditer les dépossessions massives opérées contre les paysans tout au cours du siècle passé pour implanter des cultures de rentes comme le caoutchouc et le sisal. Quel est l’héritage de la Plantation Dauphin pour notre pays et pour les paysans du Nord-Est aujourd’hui ? Selon les informations diffusées dans la presse dominicaine les 2 Chefs d’État (Hippolito Mejia et Jean Bertrand Aristide) s’apprêtent à inaugurer solennellement la première de ces ZFI bi-nationales la semaine prochaine. Cette inauguration nous paraît pour le moins précipitée. Avant de s’engager dans une entreprise de cette envergure il faudrait : * 1.- Élaborer un plan d’aménagement du Département du Nord Est établi dans le cadre de travaux scientifiques rigoureux et sur la base d’un large processus de concertation avec tous les acteurs économiques et sociaux du Département. Ce plan devrait rationaliser l’utilisation des aires agro-écologiques en tenant compte des contraintes physiques, économiques et sociales des divers écosystèmes et des intérêts de long terme des acteurs. Des études existent déjà comme le livre blanc élaboré pour chaque Département par le Ministère de la Planification, pourquoi ne pas les valoriser et les compléter ? * 2.- Élaborer une étude d’impact environnemental du dit projet de ZFI. Ces études sont particulièrement stratégiques et même vitales dans un pays à l’écologie dévastée par plus de 500 ans de pillage et d’irresponsabilité. * 3.- Élaborer un plan détaillé quant aux stratégies visant à répondre aux besoins sociaux de base des nouveaux venus qui seront recrutés comme ouvrier(e)s. Comment sera satisfait l’approvisionnement alimentaire de cette population ? Comment seront résolus les problèmes de logement, de scolarisation, de santé, de transport, etc …. Les ZFI, compte tenu des salaires de misère qui sont généralement distribués, sont presque toujours des créateurs de bidonvilles avec son cortège d’effets destructeurs. Qu’est ce qui est prévu à ce niveau ? Quelles sont les politiques d’accompagnement à la mise en place de ces ZFI ? * 4.- S’assurer que l’environnement créé autour de ces usines est de nature à maximiser les externalités favorables de cette activité comme élément de dynamisation des autres secteurs productifs. * 5.- Expliquer à la population haïtienne quels sont les critères justifiant la division du travail adoptée entre les entrepreneurs dominicains et haïtiens. Les informations disponibles semblent indiquer que presque la totalité du processus, en particulier dans sa dimension technologique, sera contrôlé du côté dominicain. S’agit-il encore une fois d’un de ces nombreux contrats léonins dans lesquels l’intérêt national est régulièrement foulé aux pieds et relégué bien loin après des gains politiques mesquins de court terme ? Quelles seront les structures de gestion de ces ZFI ? * 6.- Expliquer à la population haïtienne quelles seront les conditions de travail des ouvrières et des ouvriers dans ces ZFI ? Quel régime juridique sera le cadre de référence ? Quel code du travail fera autorité ? (Le code haïtien / Celui de la RD / celui des USA). Les travailleurs auront-ils le droit de se mettre en syndicat ? Quel est le niveau de protection sociale qui sera accordée aux travailleuses-travailleurs ? Quelles seront les mesures devant garantir le respect des droits des femmes ? Quel sera le niveau général des salaires pratiqués ? Des rumeurs font état d’un niveau salarial représentant moins du tiers de ce qui est pratiqué dans des ZFI similaires en République Dominicaine. Ne serait-on pas en train d’assister à la triste répétition de ce modèle qui nous enferme dans la pauvreté et qui est l’une des bases de nos malheurs collectifs : Haïti fournisseur d’une main-d’œuvre à bon marché taillable et corvéable à merci au profit des industries capitalistes de toute la région. * 7.- Expliquer à la population haïtienne le rôle de ces ZFI dans le cadre du grave conflit opposant les 2 pays quant aux questions migratoires. Des analystes avancent que ces ZFI constitueront pour la RD un mur de contention visant à réduire la migration illégale. La présence de ces infrastructures amènera, sans nul doute, une plus forte densité de population dans les régions frontalières. Comment va-t-on s’y prendre pour freiner la migration ? Qui assurera la sécurité des bâtiments et des équipements ? Comment seront contrôlés les mouvements de population ? N’utilisera-t-on pas le prétexte de la faiblesse numérique des effectifs de la PNH pour justifier une occupation déguisée d’une partie de notre sol par les Forces armées dominicaines ? * 8.- Expliquer à la population haïtienne le lien de ce projet de généralisation des ZFI dans les régions frontalières avec l’annulation de la dette externe ? Nous devons rappeler que de nombreux secteurs de notre pays se sont mobilisés pour réclamer l’élimination totale d’une dette externe injuste immorale et criminelle. La coalition Jubilé 2000 Haïti réclame cette élimination et a toujours insisté pour que les fonds libérés soient immédiatement réinvestis dans des priorités sociales et économiques (éducation de base, soins de santé primaire, infrastructures rurales, appui aux coopératives de production agricole et aux petites et micro-entreprises de transformation). Notre coalition n’a pas été associée à la conception du plan dit Hispaniola et nous n’accepterons pas que notre campagne soit ainsi récupérée pour la satisfaction de quelques entrepreneurs dans les 2 pays et pour réduire la colossale dette externe publique de la RD sans bénéfice réel pour les couches majoritaires et marginalisées dans les 2 pays. Nous tenons à signaler que nous avons déjà assisté aux promesses faites par de nombreux gouvernements haïtiens de 1969 à nos jours affirmant que notre pays doit devenir le « Taïwan de la Caraïbe » et que la sous-traitance industrielle sera le moteur de notre développement. L’histoire économique récente apporte un sévère démenti à ces assertions. La sous-traitance est, en Haïti, un secteur enclavé avec peu de liens en amont et en aval avec les autres secteurs de l’économie. Ses effets directs et indirects sont marginaux (par exemple plus de 80% des intrants utilisés sont importés) et en plus c’est un secteur hautement volatile avec une instabilité permanente au gré des moindres soubresauts de l’économie mondiale et sous-régionale. Il n’est donc pas en mesure de motoriser une croissance durable. Il se caractérise par la sur-exploitation des travailleuses - travailleurs avec des effets particulièrement dévastateurs au niveau de la main-d’œuvre féminine toujours largement majoritaire. Inscrit dans un cadre cohérent de politiques sectorielles il peut représenter parfois, sous certaines conditions, un secteur complémentaire intéressant. Enfin il convient de se demander pourquoi le Gouvernement haïtien n’investit pas des ressources pour appuyer les producteurs paysans qui sont en train de devenir des exportateurs importants de produits agricoles haïtiens vers la République Dominicaine ? Une étude récente réalisée par le RESAL et la Faculté d'agronomie révèle que malgré un environnement hostile et de multiples discriminations subies à la frontière la paysannerie haïtienne exporte plus de 13 millions de $ US de produits agricoles vers la République Dominicaine (avocat, café, mangues, volailles, tamarin, grenadia, légumes, etc). La politique de l'État doit viser à renforcer et non déstructurer de telles activités. - Monsieur Jean-Harry Clerveau est le président de la Fédération des syndicats de l'électricité d'Haïti. |
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