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100 manifestants anti-mondialisation arrêtés en Afrique du Sud à l'arrivée de Chrétien

Anonyme, Mercredi, Avril 10, 2002 - 06:41

François L'Écuyer

100 manifestants du Soweto Electricity Crisis Committee (SECC), luttant contre les coupures d'électricité à Soweto suite au processus de privatisation amorcé par le gouvernement de l'ANC, ont été arrêtés samedi dernier. Ce qui n'était qu'une manifestation paisible devant la demeure du maire de Johannesburg tourna au drame lorsqu'un agent de sécurité tira sur les manifestants. A leur parution en cour lundi, 40 d'entre eux n'ont pu recevoir de liberté sous caution, et demeureront emprisonnés jusqu'au 16 avril prochain, date de leur nouvelle parution. Indymedia Afrique du Sud

L’escale en Afrique du Sud du premier ministre Jean Chrétien constitue la plus importante étape de sa présente tournée africaine. Hôte du prochain sommet du G8, dont le développement de l’Afrique occupe une partie considérable de l’ordre du jour, M. Chrétien s’est donné pour priorité de s’assurer que le Nouveau Partenariat pour le Développement Africain (NEPAD) reçoive l’aval des pays occidentaux et des investisseurs internationaux, afin qu’ils débloquent les fonds financiers nécessaires à sa bonne réalisation. Thabo Mbeki, le président sud-africain, et ses homologues d’Algérie et du Nigéria, ont été les principaux défenseurs du NEPAD lors de multiples rencontres internationales: G8 à Gênes, Union Européenne, Forum Économique Mondial, ainsi que devant les principales institutions financières internationales.

Or, la mise à l’écart de la société civile africaine par leurs dirigeants, lors de l’élaboration du NEPAD, ne peut que nous porter à nous interroger sur la véritable nature des objectifs de bonne gouvernance et de consolidation de la démocratie proposés par ce plan.

L’Afrique du Sud constitue probablement le meilleur exemple des politiques de développement économique préconisées par le NEPAD. Deux ans après les premières élections démocratiques de 1994, le gouvernement sud-africain a reléguait aux oubliettes leur manifeste électoral afin d’appliquer leur politique du Growth, Employment, and Redistribution (GEAR), axé sur la déréglementation des marchés intérieurs, une austérité fiscale et financière, ainsi que des privatisations massives d’entreprises publiques. Deux mouvements, le Soweto Electricity Crisis Committee (SECC) et le Forum Anti-Privatisation (APF), mènent depuis deux ans une vaste campagne nationale d’éducation sur l’impact des politiques du GEAR sur les droits socio-économiques des populations pauvres des townships d’Afrique du Sud. Samedi dernier, à la veille de l’arrivée de Chrétien, 100 manifestants de ces deux groupes ont été arrêtés et emprisonnés.

Privatisations et crise de l’électricité à Soweto

Le SECC a été mis sur pied en 2000 à Soweto, banlieue noire de Johannesburg, où l’an dernier, 20 000 ménages par mois se sont fait débrancher l’électricité, pour cause de retard de paiement. Ces retards sont une conséquence directe de l’augmentation des tarifs survenue suite à la privatisation de la publique d’électricité. Le processus actuel de privatisation de la compagnie municipale d’eau potable représente une nouvelle menace pour les résidents de Soweto: de nombreux citoyens, incapables de payer les nouveaux tarifs, ont été déconnectés du service d’eau publique, comme ce fut le cas pour des milliers de résidents de Durban, Cape Town, Nelspruit et autres régions du pays durant les derniers mois. En août 2000, suite aux débranchements massifs des connections d’eau des banlieues pauvres de Durban, les citoyens ont été forcés de puiser l’eau des rivières contaminées. Une épidémie de choléra éclata, tuant environ 350 personnes.

La manifestation pacifique du SECC et du APF, organisée samedi dernier devant la demeure du maire de Johannesburg, M. Amos Masondo, avait pour objectif de dénoncer cette situation. L’intention des manifestants, selon Trevor Ngwane, porte-parole du SECC, était de délivrer un mémorandum au maire dans lequel la population de Soweto «congédiait» M. Masondo et ses conseillers «pour leurs attaques constantes sur les travailleurs et les pauvres sous formes d’expulsions et de débranchements d’eau et d’électricité». C’est lors de cette action que cents manifestants ont été arrêtés, après qu’un garde du corps du maire ait ouvert le feu sur la foule à huit reprises, blessant deux personnes légèrement.

«La peur et la colère se sont emparées des manifestants, affirmait samedi M. Ngwane, et ils ont réagi en lançant des objets et en abîmant les portes du garage». Les images diffusées par le Sunday Times et la South African Broadcasting Corporation prouvent toutefois qu’aucun acte de violence ou de vandalisme ne fut posé avant que le garde du corps ne tire sur la foule.

C’est à ce moment que la police a arrêté les cents manifestants, dont la majorité sont des femmes et des hommes de plus de 60 ans, ainsi que de nombreux mineurs. Une fillette de 5 ans a également été arrêtée. Au poste de police, on a refusé de les libérer sous caution, sans exception. Une militante du APF, non-présente lors de la manifestation, a été arrêtée et emprisonnée samedi lorsqu’elle rendait visite aux manifestants pour les assister juridiquement.

Ce n’est que lundi qu’un juge accepta de libérer les personnes âgées et les mineurs. Il refusa toutefois de libérer sous caution 40 manifestants. Ce groupe a été acheminé à la prison de Diepkloof, et devra y rester jusqu’à une nouvelle parution en cour, fixée au 16 avril. Pendant ce temps, le garde du corps du maire Masondo n’a pas été interpellé, et ce malgré que les deux manifestants atteints par ses balles aient déposé une plainte contre lui pour tentative de meurtre.

Selon Anna Weekes, coordonnatrice aux communications du South African Municipal Workers Union – dont l’un des organisateurs provinciaux, Rob Rees, figurent parmi les prisonniers – il est clair que les directives sont venues «des plus hautes instances du gouvernement. On veut leur donner une leçon une bonne fois pour toute». Elle s’inquiète toutefois de la situation des manifestants: «Ils sont emprisonnés dans l’une des pires prisons d’Afrique du Sud. Pour les garder en prison jusqu’au 16 avril, la cour utilise l’excuse qu’elle doit vérifier toutes les adresses des détenus en se rendant physiquement à chaque maison. C’est ridicule, puisque plusieurs des manifestants sont très connus et occupent des positions stables dans des ONGs et des syndicats de Johannesburg. Il aurait suffi de quelques coups de téléphone».

NEPAD: répression de la société civile ?

Les manifestants arrêtés samedi dénonçaient un modèle de développement économique qui menace les populations pauvres de leur pays. Selon Patrick Bond, professeur à l’Université de Witwatersrand à Johannesburg, il existe un lien évident entre la politique sud-africaine de GEAR et le Nouveau Partenariat pour le Développement Africain (NEPAD). «Tout se situe dans la création d’un environnement propice aux investissements étrangers: dérégulation des marchés, d’énormes pressions pour privatiser les entreprises publiques, austérité fiscale et monétaire… Les populations pauvres d’Afrique du Sud subissent déjà les contrecoups des politiques néo-libérales du gouvernement de l’ANC et ceux qui osent critiquer les politiques du gouvernement se retrouvent désormais en prison. En favorisant les partenariats entre les secteurs public et privé, un euphémisme pour nommer les privatisations, le NEPAD implique que les services essentiels tels l’eau et l’électricité ne pourront être accessibles pour la majorité des Africains».

Plutôt que de servir d’agent de marketing au service des dirigeants africains, le premier ministre Chrétien devrait s’assurer que la voix de la société civile africaine soit intégrée aux pourparlers entourant le NEPAD. Et pour l’instant, le Canada doit faire pression sur le gouvernement sud-africain afin que les manifestants de samedi dernier soit libérés dans les plus brefs délais.

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