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<b>Contre la logique marchande à l'université : reconquérir l'espace étudiant</b>mariechristine, Vendredi, Avril 5, 2002 - 01:28
Marie-Christine Lalande
Décidément, l'université Laval semble bien mal à l'aise avec le processus démocratique. Le bilan de sa récente course au rectorat n'est guère reluisant: non contente d'avoir étalé son mépris du dialogue en répondant aux revendications des étudiants venus témoigner de leur mécontement dans le dossier Sodexho par le recours aux forces policières, elle s'est de plus montrée incapable de mener à bien son propre processus électoral. Après trois tours de scrutin, aucun des deux candidats demeurés en lice n'avait réussi à obtenir la majorité requise de 64 voix. Comment en effet deux recteurs en puissance également prêts à veiller au maintien de l'université dans la belle voie toute tracée de l'efficience, du rendement et de la compétitivité sauraient-ils se distinguer l'un de l'autre? La logique de la productivité implique d'elle-même l'uniformisation, la normalisation. Elle ne saurait par conséquent produire que des porte-parole sans couleur, interchangeables. Cependant, c'est à l'administration de l'université de se débattre avec les défectuosités de son propre système électoral. Aux étudiants, il revient de s'assurer qu'une question cruciale comme celle du révoltant monopole de Sodexho dans la restauration sur le campus universitaire ne quitte pas l'ordre du jour. La manifestation du 3 avril est intéressante à plus d'un titre: premièrement parce qu'en dépit du fait qu'ils ne sont pas parvenus à entrer dans la salle où devait se dérouler l'élection pour entamer une discussion avec les membres du collège électoral et les candidats, les quarante à cinquante étudiants qui ont bloqué l'accès à la salle de scrutin ont tout de même réussi à faire valoir leurs revendications et ce, sans casse ni bousculade. Ils ont distribué aux électeurs un manifeste qui, en plus de brosser un rapide portrait des activités et des politiques les plus douteuses de la multinationale Sodexho, témoigne, plus généralement, de leur inquiétude devant " la colonisation progressive de l'espace universitaire par la logique marchande " (cf. " L'université Laval : l'habiter collectivement, ou la vendre au plus offrant? "). C'est-à-dire qu'il ne manque pas de faire le lien entre contrats d'exlusivité en matière de restauration, affichage publicitaire à outrance sur le campus (Zoom média... ), chaires d'études commanditées qui favorisent et orientent la recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale, etc. Un autre aspect intéressant de cette manifestation à l'université Laval est qu'elle s'inscrit dans ce qui me semble un mouvement de plus en plus soutenu de contestation de cette " logique marchande " parmi la population étudiante québécoise. Je songe par exemple à cette requête que le Regroupement des étudiants et des étudiantes en sociologie de l'Université de Montréal (REESUM) a déposé à la Commission d'accès à l'information pour obtenir le dévoilement des clauses du contrat d'exclusivité entre la compagnie Pepsi et l'Université de Montréal. Je songe aussi aux récentes manifestations organisées par l'ASSÉ (l'Association pour une solidarité syndicale étudiante) et d'autres associations étudiantes le 21 février dernier à Québec, et le 3 avril dans Sorel-Tracy (le comté du ministre Simard), en opposition, notamment, à l'assujettissement de l'éducation aux lois du marché. Différentes par leur tactique, leur envergure et leur portée, ces démarches étudiantes sont pourtant toujours l'expression des mêmes, des deux mêmes préoccupations. La première est d'ordre communautaire: les étudiants sont soucieux de réinvestir un espace qui leur revient de droit. Il est légitime de questionner le monopole d'une grande compagnie sur un campus universitaire ou collégial, surtout quand ce monopole freine par avance toute initiative comme un café ou un resto étudiant, dès lors considéré comme un " concurrent " de cette compagnie (comme c'est le cas avec Sodexho à Laval). Pour habiter un espace, il faut avoir la possibilité d'y laisser sa marque, de le faire vivre, d'y être créatif. La seconde préoccupation est plus globale, mais tout aussi légitime: ce qu'exigent avant tout les étudiants à travers cette diversité des tactiques: la manif, le manifeste, le chahut, la requête en justice; en désignant du doigt les Pepsi, Sodexho et Zoom média, et en leur désignant dans plusieurs cas la porte - au risque d'être taxés de simplisme -, c'est le droit, dans cet espace privilégié que devrait être l'université, d'être considérés avant tout comme des étudiants, plutôt que comme des clients; c'est le droit de se dévêtir quelques heures par jour, le temps d'un cours ou deux, de ce vêtement trop serré de consommateur, de payeur, d'anonyme représentant d'un quelconque public-cible qui leur colle à la peau partout ailleurs; c'est le droit au répit; c'est que l'école, du primaire à l'université, réendosse sa mission originelle: qu'elle soit à nouveau le lieu où se forme, à l'abri des contraintes immédiates du marché, l'esprit critique d'une société. Des initiatives comme celles des étudiants de Laval contre Sodexho, du REESUM et de l'ASSE sont à saluer, car elles invitent les institutions d'enseignement, les technocrates qui les dirigent et les faiseurs de programmes scolaires à se mettre aux prises avec leur propres contradictions. Il est vrai que cette invitation demeure, la plupart du temps, sans réponse. Peut-être faudra-t-il un jour la leur lancer dans leur propre vocabulaire, qu'ils comprennent enfin qu'à long terme, leur logique n'est pas socialement rentable?
Site contre-publicitaire américain, qui contient notamment un dossier sur la publicité en milieu scolaire.
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