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Petit cours d'économie sur les rives du Rio de la PlataCarl Desjardins, Dimanche, Mars 24, 2002 - 20:12
Heiner Flassbeck
De toute évidence, l'ensemble des institutions internationales sont désespérément incapables de poser un diagnostic objectif et de trouver des remèdes adaptés lorsqu'un pays se trouve dans une situation de grave détresse existentielle. Le Fonds monétaire international s'accroche à des dogmes théoriques sans aucun rapport avec la réalité et personne dans les conseils ministériels n'est prêt à , ni capable de mettre en question ces mêmes dogmes. La dévaluation du peso argentin et la cessation du service de la dette (intérêts et capital) a clos un chapitre de politique économique "moderne" pour pays émergents qui aura marqué plus que tout autre le débat idéologique et théorique entre le monde occidental et les pays en développement. L'Argentine fut de longues années durant l'élève modèle (même dans les pays de langue anglaise le terme d'"enfant prodige " avait acquis droit de cité) du Fonds monétaire international et des sept grands pays industriels occidentaux (G7), le cas d'école de la "bonne"politique économique - bonne, parce qu'extrêmement libérale. Le pays riverain du Rio de la Plata avait décidé dans les années 90 d'en finir une fois pour toutes avec son passé inflationniste et interventionniste. Il introduisit donc un système de parité absolument fixe (un peso égale un $ US) assorti d'une ouverture totale du marché de capitaux -système du "currency board", selon lequel le pays devait être entièrement financé par des investissements étrangers . En même temps il réalisait un programme de libéralisation et de privatisations extrêmement ambitieux. Ce système monétaire, couvert d'éloges et chaudement recommandé par les économistes américains et le Fonds monétaire semblait particulièrement bien adapté à un pays comme l'Argentine qui associait apparemment la possibilité d'une ouverture vers l'extérieur à une rigoureuse discipline intérieure, sans qu'une grande puissance économique, par exemple les USA, soit contrainte d'apporter une caution systématique pour le maintien du "board". Le système a complètement échoué: l'Argentine aurait dû en effet recourir, suite aux dévaluations provoquées par la crise asiatique et en particulier celle mise en oeuvre par son voisin le Brésil, à une politique de déflation massive pour pouvoir rester concurrentielle. Or qui dit déflation, dit dépression, mais la dépression qui finit par s'installer épouvanta à tel point les bailleurs de fonds du monde entier que l'Argentine n'obtint plus de liquidités qu'à des taux usuraires, bien que la profonde crise économique qu'elle traversait en eût exigé de très bas. Ainsi le système s'est auto-détruit et a montré avec une aveuglante clarté à quel point la théorie sur laquelle le Fonds monétaire et le G7 appuient leurs recommandations s'éloigne de la réalité.(1)Le "currency board" , originellement conçu pour lier la monnaie des colonies à leur métropole est le système monétaire le moins adapté possible pour un Etat souverain, parce qu'il unit indissolublement les inconvénients d'un système de parité fixe irrévocable à ceux d'un système de parité absolument libre. Quand un pays choisit ce type de système, d'une part il est sans défense contre une dévaluation pratiquée par d'autres pays ou une politique monétaire inadaptée de sa "métropole". D'autre part son approvisionnement en capitaux et le taux d'intérêt de ces capitaux sont totalement soumis à "sa cote" sur le marché, ce qui en règle générale conduit à des fluctuations incontrôlables des taux d'intérêt, voire pire, comme en Argentine, à un taux systématiquement trop élevé - ce taux revêtant plus d'importance encore que celui du change.(2) Pendant des années le Fonds monétaire et le G7 ont prêché à tous les pays du monde l'ouverture de leurs marchés aux biens et aux capitaux , sans leur dire comment, ni même s'ils devaient réglementer leurs politiques monétaires. Leurs recommandations se limitaient à leur vanter les formes les plus radicales des divers systèmes monétaires: soit des parités absolument fixes, comme pour le "currency board" argentin, soit des cours absolument flottants, comme pour le Brésil à partir de 1999. Le simple fait que ce système ne peut fonctionner si des pays voisins entretenant d'étroites relations commerciales choisissent les pôles opposés fut purement et simplement passé sous silence. Le puissant attrait des "solutions-polaires" résidait surtout dans le fait qu'elles n'imposaient aux grandes puissances économiques aucune intervention ou soutien d'aucune sorte, mais donnaient au contraire l'impression que les états, dans un monde entièrement libéralisé et privatisé pouvaient se contenter de solutions exclusivement nationales. Le plus impressionnant dans la crise argentine, c'est la longue opiniâtreté avec laquelle la politique économique peut fermer les yeux sur un cas pareil,ou pire encore , son incapacité à résoudre ce cas, par aveuglement idéologique ou ignorance objective des faits. Jusque tout récemment l'Argentine s'entendit conseiller d'équilibrer son budget, pour faire absolument barrage à un nouvel endettement grevé d'intérêts qui atteignaient le taux prohibitif de 30%. Conseiller à un pays plongé dans une lourde crise de l'économie réelle - et depuis trois ans la récession argentine entraînait une paupérisation massive - d'équilibrer son budget de façon permanente est déjà plus que surprenant. Pourtant la décision prise en ce sens par le gouvernement argentin l'été dernier reçut l'approbation générale et seuls quelques marginaux osèrent la critiquer. Mais il y a plus étonnant encore. Comment, en effet, l'économie du secteur privé peut-elle fonctionner et investir en présence d'un taux d'intérêt de 30% et de fluctuations incontrôlables de ce taux ? De toute évidence, personne ne se posa la question, puisque c'était le marché qui imposait ce taux au pays - et le marché, c'est bien connu, ne se trompe jamais. Buenos Aires s'entendit reprocher par l'opinion publique d'avoir accumulé trop de dettes extérieures. Or la totalité de la dette publique argentine excède à peine 40% de son PIB - moins que la plupart des pays européens, et lui autoriserait l'accès à l'UE. Que la plus grande partie soit constituée de dettes extérieures va de soi dans un système monétaire où les entrées nettes de capitaux conditionnent toute nouvelle émission de liquidités. Enfin l'Argentine s'attira le reproche rituel de sclérose "structurelle". Adresser un pareil reproche à un pays qui a entrepris de tels efforts sous ce rapport et qui ne peut se tirer d'une récession aiguë est aussi inapproprié et aberrant que l'adresser à l'Europe actuelle. L'épisode argentin montre à l'évidence une chose : le système monétaire d'un pays doit en premier lieu lui permettre de rester concurrentiel. Un pays qui s'est effondré avec un système de parité fixe ne peut pratiquement pas rattrapper son retard. Mais vu que la dévaluation chez l'un signifie la réévaluation de fait chez l'autre, un système international fondé sur des choix monétaires radicalement opposés ne peut fonctionner. Certes cela met les grandes puissances dans une situation désagréable. A leurs sermons sur les bienfaits de la globalisation et l'avenir radieux promis à un monde aux marchés ouverts bientôt plus personne n'accordera foi, s'ils n'expliquent pas en même temps comment les PVD et pays émergents doivent retrouver la maîtrise de leurs monnaies et de quelle manière les grands doivent y contribuer. S'ils continuent à refuser absolument tout engagement multilatéral en matière de politique monétaire, les économies mondiales en développement ne peuvent que jeter par-dessus bord le dogme de l'ouverture des marchés. De toute évidence, l'ensemble des institutions internationales sont désespérément incapables de poser un diagnostic objectif et de trouver des remèdes adaptés lorsqu'un pays se trouve dans une situation de grave détresse existentielle. Le Fonds monétaire international s'accroche à des dogmes théoriques sans aucun rapport avec la réalité et personne dans les conseils ministériels n'est prêt à , ni capable de mettre en question ces mêmes dogmes. Mais ce n'est pas seulement le monde politique, mais aussi celui des marchés qui a une fois de plus connu un échec fondamental. Certes les banques et petits épargnants européens sont touchés par la crise en Argentine, car ils y avaient largement investi. Mais il faut ajouter que les investisseurs ont été très fortement poussés par les observateurs professionnels des marchés à souscrire les "attrayants" emprunts argentins. Il y a peu d'années encore les emprunts argentins passaient pour un "truc d'initiés" pour qui souhaitait allier rendement élevé et risque minimal. On pouvait récolter plus de10% d'intérêts en $US, donc sans aucun risque lié à des fluctuations des taux de change, s'entendait raconter quiconque s'informait auprès de sa Caisse d'Epargne de placements internationaux avantageux. Mais aucun pays au monde ne peut payer des intérêts s'élevant à 10% et plus en dollars sans se retrouver en faillite à plus ou moins long terme. Tous ceux qui ont investi en Argentine récoltent au sens exact du terme ce qu'ils ont semé. Cependant la question de la responsabilité des conseillers financiers et de la bulle financière spéculative reste posée. Toutefois l'Argentine a maintenant une chance. Par-delà les dogmes et en dépit la dégradation des conditions de vie qu'entraîne la dévaluation le pays a pour la première fois depuis des années une chance de sortir de la crise.Pour cela, elle doit entreprendre avec succès La condition décisive en est de réussir à organiser parallèlement à la dévaluation un financement national et à normaliser les taux d'intérêt.Toutefois cela ne suffira pas à résoudre le problème du taux de change sur le long terme. Déjà les augures de l'unilatéralisme sont en campagne et recommandent de passer de la parité absolument fixe au taux de change absolument flottant. Cependant, si Buenos Aires, sous la pression du marché, dévalue de manière excessive, ce ne sera pas seulement sa propre stabilité intérieure qui sera mise en péril, mais aussi la situation économique des principaux pays voisins, au premier chef le Brésil. Le Brésil doit-il procéder à une nouvelle dévaluation et après lui l'Argentine et entre-temps tous les autres pays d'Amérique latine ? Comme ce fut le cas en 1999 pour le Brésil, rien ne montre mieux le désarroi de la communauté internationale que cette recommandation d'effectuer un virage à 180°.Non, Buenos Aires ferait mieux de renoncer tout à fait à l'aide et aux conseils de la communauté internationale et d'élaborer avec ses voisins la politique commune la plus cohérente possible pour l'Amérique latine, afin d'éviter de dévaluer à qui mieux mieux. Dans un monde faussement globalisé le régionalisme est la seule issue. Heiner Flassbeck. Remarques : -Publié dans le courriel d'ATTAC |
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