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efficacité de la résistance en Bolivie contre la privatisation de l'eau

vieuxcmaq, Dimanche, Décembre 9, 2001 - 12:00

angelo miranda (angelo.miranda1@libertysurf.fr)

voici un article de l'association Attac France, qui relate l'efficacité
de la résistance des habitants d'une ville bolivienne contre la privatisation
de l'eau par des industriels.

La guerre de l'eau à Cochabamba
____________________________________________________________

par Thierry Adam

La privatisation en Amérique du sud a progressé depuis 20 ans de
manière inquiétante, gagnant tous les secteurs, notamment ceux liés
aux services publics. En Bolivie, depuis 1985, peu de secteurs y ont
échappé : l'électricité, le train, le transport aérien ont ainsi été
bradés au privé sous la pression des institutions financières
internationales. La distribution de l'eau potable et l'assainissement
font aussi l'objet d'un transfert de leurs gestions vers le privé,
comme à La Paz [Aguas de Illimann-Vivendi] ou a Santa Cruz où les
coopératives de gestion le seront bientôt. Face à de graves problèmes
techniques, démographiques et financiers, la nécessité de réformer une
gestion de l'eau obsolète, la classe politique et les milieux
syndicaux, sous l'influence de la Banque Mondiale et du FMI, ont
abdiqué et accepté la nécessité inexorable de laisser les sociétés
privées prendre en charge la distribution de l'eau, de sa captation à
sa distribution.

Pourtant la lutte de Cochabamba a marqué un formidable revers à cette
évolution, montrant qu'une alternative pouvait naître du courage et de
la détermination des habitants.

A Cochabamba, 400 000 habitants et 3ème ville du pays, la gestion de
l'eau est régulée par des règles d'utilisation séculaires issues des
cultures indiennes, et basées essentiellement sur les pratiques
agricoles. Mais les problèmes d'accès et d'assainissement se sont
multipliés, tant pour la consommation que pour l'usage agricole, entre
autre à cause de l'explosion démographique de la ville. Sur l'
agglomération, 55% des habitants (au centre) ont un accès quelques
heures par jour au réseau municipal vieillissant, 20% l'obtiennent par
des sources autonomes (collecte d'eaux de pluie, puits...) et les
derniers 25% ont recours à une distribution par camions. En zone
rurale, seuls quatre agriculteurs sur dix ont accès à l'eau potable.
Enfin 54% seulement des utilisateurs sont raccordés à un réseau d'
assainissement avec de graves conséquences possibles pour la nappe
phréatique. L'irrigation des terres environnantes, essentielle pour
une production agricole vitale à Cochabamba ne peut, elle non plus, se
maintenir à un niveau suffisant.

En effet des études hydrologiques réalisées en 94 montrent que la
balance hydrologique du bassin versant de Cochabamba s'équilibre en
consommation et en apport et que toute nouvelle ponction par forage
ferait baisser dangereusement la nappe. Pourtant les prélèvements
continuent.

Le gouvernement décide alors de faire appel au privé. Il va agir
simultanément à 2 niveaux.

D'une part, une loi sur l'eau, fortement influencée par les
industriels de l'eau comme la Lyonnaise, est pondue et votée, sans
aucune consultation, introduisant une série de mécanismes destinés à
accélérer la privatisation et encourager les investissements
étrangers. Elle prévoyait entre autre :
- L'interdiction de la collecte de l'eau de pluie afin de permettre
le monopole des ressources.
- La fin des subventions publiques
- La concession du transport et de toutes les ressources disponibles,
jusqu'au nappes.

D'autre part, le gouvernement délègue la distribution et l'
assainissement de l'eau de Cochabamba à une firme privée, Aguas del
Tounari, consortium détenue à 55% par International Water limited
(IWL) filiale de la compagnie américaine Bechtel et l'Italien Edison.
Des partenaires espagnols et boliviens complète le consortium.

L'accord est passé au terme d'un appel d'offre tronqué ou Aguas del
Tunari fut la seule entreprise prétendante. Il prévoit une concession
de 40 ans sur l'ensemble de la ville et des environs. On invoque alors
l'absence d'alternative à cette privatisation et tout le monde semble
s'y résoudre, bon gré, mal gré.

MISICUNI project :

Afin d'alimenter la ville un projet important est mis sur pied : le
projet MISICUNI.

Il prévoit la construction d'une retenue d'eau et d'une centrale
électrique en amont sur la rivière Misicuni, ainsi que l'aménagement
d'un tunnel de 20km destiné à amener l'eau à Cochabamba. La fin de
cette réalisation, parmi les plus complexe d'Amérique du sud (4000
mètres au-dessus du niveau de la mer !) est alors prévue pour 2007.
Son coût total s'élève à 300 millions de US dollars.

Fin 1999, une série d'événements sur le chantier (une personne trouve
la mort dans une chute, une autre après l'effondrement du tunnel,
nécessité d'en creuser un autre) vont multiplier les coûts du projet.
Et c'est là qu'intervient la banque Mondiale. Bien qu'elle l'ait
toujours niée, son rôle dans les événements qui vont suivre va être
crucial.

En juin 1999, au terme de l'examen des dépenses publiques boliviennes
elle recommande que « Aucune subvention ne doit être accordée pour
limiter l'augmentation des tarifs de l'eau à Cochabamba, car ceux-ci
doivent refléter du prix réel pour provisionner le projet MUSICUNI »
en ajoutant plus loin « Jusqu'ici le gouvernement a décidé de ne pas
recourir aux subventions publiques[..] et que les utilisateurs [de
Cochabamba] paieront intégralement le service [d'eau]. Il est critique
que le Gouvernement maintienne cette décision ».

Le coût du projet va alors être le prétexte invoqué pour augmenter le
prix de l'eau dans des proportions incroyables : de 35 à 300% selon
les modes d'approvisionnement antérieurs. Tout le monde est maintenant
contraint de payer, y compris ceux qui n'ont pas accès au réseau et
qui se voient gratifier d'une taxe importante pour les eaux usées. L'
entreprise décide par ailleurs de poser des compteurs au frais des
utilisateurs. Et, pire, elle entend faire payer l'eau d'irrigation que
les paysans utilisent gratuitement depuis des décennies.

En décembre 1999 alors que le salaire minimum plafonne à moins de 100$
par mois, la facture d'eau atteint 20$ : près de 22% du salaire
mensuel d'un employé (et 27% du salaire mensuel d'une employée). Un
quart du salaire pour la facture d'eau !

Devant cette aberration honteuse et le manque de réaction des
confédérations syndicales et des partis politiques, la résistance
prend une forme nouvelle. Des fédérations ouvrières locales, des
organisations d'agriculteurs ainsi que les associations de défense de
l'eau créent une nouvelle organisation : La Coordinadora de Defensa de
Agua y la Vida, qui va s'efforcer de faire barrage au projet et
mobiliser les habitants. Oscar Olivera, alors secrétaire général de la
Fédération des Ouvriers d'Usine de Cochabamba, regroupant 50
syndicats, en devient un des leaders.

Premiers affrontements.

En janvier 2000, une première grève des camionneurs paralyse la ville
pendant 4 jours. Le gouvernement, contraint de négocier, promet d'
inverser la marche des prix. Mais la Coordination, vigilante, appelle
à une marche en février, sentant que la situation allait perdurer.

Le 4 février, des milliers de personnes, dont énormément de femmes et
de jeunes, se rassemble dans la ville : les routes sont bloquées, sur
les places la population rassemble et brûle de grand tas de factures d
'eau. Revenu de sa première surprise, Le président Hugo Banzer envoie
sur place un millier de policiers afin de « protéger le public de la
violence des manifestants », étiquetés comme « marginaux et manipulés
par la mafia ». La manifestation se termine par une violente
répression policière. Toutefois, dans le contexte bolivien marqué par
le mécontentement général, le soulèvement est populaire et risque de s
'étendre. Au terme des affrontements, le gouvernement et la société s'
engagent au gel des prix jusqu'à de prochaines négociations, en
novembre 2000.

Jusqu'au bout.

Mais aujourd'hui les membres de la coordination, apprenant en passant
l'existence d'une loi sur l'eau orientée pour la satisfaction des
intérêts privés, perçoivent nettement l'origine et les mécanismes de l
'augmentation du prix de l'eau. En mars ils ont recours à une
consultation populaire pour décider de la suite de la mobilisation ;
le verdict est sans appel : non à la privatisation, non au consortium.
La coordination lance alors un ultimatum pour le 4 avril, menaçant d'
une grève générale et d'un blocus illimité.

En avril, la ville entière et les environs sont bloqués dans une
ambiance d'insurrection générale. Une solidarité naturelle naît de la
lutte et de l'espoir de victoire. La répression se durcit. Au 3ème
jour des affrontements, les leaders de la Coordinadora sont arrêtés et
le président Hugo Banzer déclare l'état d'urgence. Les balles réelles
succèdent au gaz et aux balles en caoutchouc ; le 8 avril un gamin de
17 ans, Victor Hugo Daza Argadoña, trouve la mort, touché à la tête
par un officier de l'armée quasiment devant les caméras de la
télévision bolivienne. Partout, la guerre de l'eau devient le symbole
de la lutte pour la dignité et du refus d'une situation intenable :
non à la pauvreté, non à la politique gouvernementale, non au
libéralisme aveugle. Dans 5 des 8 provinces de Bolivie, alors
traversée par un des plus violents séismes sociaux de son histoire,
des actions de solidarité éclatent.

Victoire.

A la fin des émeutes, la tension et la radicalité des manifestants
sont si fortes que les policiers envoyés sur place sont obligés de
demander la permission pour pouvoir sortir de la ville sains et saufs.

La situation est intenable pour le gouvernement qui cède sur toute la
ligne, le 10 avril. Pour la première fois de l'histoire de la Bolivie,
une loi déjà votée est modifiée sous la pression populaire.

Le contrat de délégation est annulé ainsi que le projet Misicuni ; les
cadres de Aguas del Tunari s'enfuient avec tous les dossiers.

Le gouvernement local remet la gestion des services d'eau locaux, la
SEMAPA, à la Coordinadora. Un comité de travail provisoire, composé de
représentant de la municipalité, de la Coordinadora et du service d'
eau, commence à discuter de plan pour une future coopérative gérée par
des assemblées de quartier. Des brigades de travail se réunissent pour
gérer collectivement l'approvisionnement en eau.

Plus tard se crée une «Coordination de l'eau et de l'économie
familiale», composée, entre autres, de représentants des usagers. Elle
se voit alors chargée de gérer l'eau en collaboration avec l'
entreprise municipale de distribution. Les quelque 57 000 familles de
la région évitent donc une augmentation annuelle d'une centaine de
milliers de francs, le prix étant simplement «adapté» de 3% à 5%.

Une suite difficile.

Cependant, même après cette victoire éclatante (mais aussi
douloureuse), la coordination se retrouve avec un projet certes
formidable, mais qui n'en est pas moins miné. Elle doit résoudre une
série de problèmes fort délicats, car la reprise en main par les
citoyens ne fait pas disparaître les difficultés.· Il faut trouver
d'autres ressources que les nappes de la campagne environnante qui
fournit déjà 40% de l'eau consommée.· La société d'exploitation est
sur-endettée (40 millions de $). Le réseau existant doit être
changé.· Les compétences techniques manquent pour imaginer des
solutions peu coûteuses et efficaces.

De plus Aguas del Tunari exige une compensation pour la rupture de son
contrat : 160 millions de francs ! (24.5 millions d'Euros).

Pour Oscar Olivera, leader de la Coordinadora, cette expérience doit
être étendue à tous les services publics. Malgré les obstacles,
Olivera continue à lutter pour qu'une gestion directe et participative
de l'eau ne tourne pas à l'échec.

Il décide alors de faire appel à l'aide internationale. Plusieurs
organisations répondent à son appel. Ainsi, des professionnels
allemands du secteur de l'eau à la retraite, leur indiquent comment il
est possible, à faible coût, de remplacer les tuyaux hors d'état en
emboîtant des tuyaux plus petits dans l'ancien réseau.

A l'heure actuelle, on ne peut dire si la gestion en coopérative de l'
eau à Cochabamba est un succès ; il y a bien trop de problèmes à
résoudre et l'implication de la population locale, si grande
soit-elle, ne suffira pas.

Déjà, beaucoup de questions techniques demeurent, notamment sur la
juste manière de fixer le prix de l'eau, ou comment apporter les
ressources en eau à Cochabamba sans transférer tout le coût sur la
population, déséquilibrer le système hydrologique ou encore léser les
nombreux paysans indiens qui vivent dans les montagnes.

Oscar Olivera sillonne donc le monde à la recherche de telles aides,
offrant le gîte à toute personne souhaitant venir pour les soutenir
dans leur projet et y apporter ses compétences. Sans cette aide
technique, la coordination pourrait en effet rester dangereusement
dépendante d'expertises essentiellement fournies par le secteur privé.

Ne serait-ce pas là un appel à la constitution de brigades
internationales d'un nouveau genre (pacifiques celles-là) basées sur
la coopération mondiale et la volonté de préserver la gestion des
besoins essentiels loin des appétits capitalistes ?

Voilà sans doute un concept qui pourrait compléter efficacement les
rouages de l'entraide internationale (qui prend parfois purement faits
et causes pour la privatisation). Si elle se concrétise, cette idée
serait un pas vers un service public citoyen autogéré mondial.

Thierry Adam. Groupe « eau » e...@attac.org



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