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La démocratie participative à Porto Alegre : Mythes et réalitésvieuxcmaq, Lundi, Juin 4, 2001 - 11:00 (Analyses)
Revue Débattre (debattre@alternativelibertaire.org)
Depuis quelques années, il est de bon ton, dans la gauche de la gauche européenne, de célébrer les vertus de la démocratie participative pratiquée par la municipalité de Porto Alegre dirigée par le Parti des travailleurs (PT, principal parti de la gauche institutionnelle brésilienne). C'est sans doute la première fois sinon une des premières fois qu'une revue publie le point de vue critique de militant(e)s révolutionnaires brésilien(ne)s sur cette expérience. En effet nos camarades de la Federação anarquista gaucha (1) expliquent en quoi la démocratie participative se distingue de la démocratie directe, comment elle contribue à une intégration au capitalisme et de quelle façon les gouvernants du PT s'emploient à instrumentaliser les mouvements sociaux, voire à les combattre quand ils entrent en conflit avec la municipalité. La démocratie participative à Porto Alegre : Mythes et réalités Ces derniers mois ont été le théâtre d'un processus électoral qui a pris fin, cette fois pour élire les maires et les conseillers municipaux (1). Une intense campagne de propagande menée par le gouvernement fédéral, Rede Globo (2) et les partis institutionnels de droite et de gauche, a exalté en permanence l'importance du vote, de la démocratie, de la participation citoyenne. Des intérêts apparemment si distincts convergeant autour d'un consensus : l'importance du processus électoral. Une fois de plus, nous les anarchistes, nous votons nul. "Vous êtes contre la démocratie ?" "Vous préférez vous abstenir politiquement ?" "Vous êtes contre le vote ?" "Pourquoi ne votez-vous pas pour le moins mauvais ?" "N'est-il pas mieux de voter à gauche plutôt que laisser la droite gagner ?" Ces questions et d'autres surgissent face à notre position. Nous cherchons à les clarifier. Que se passe-t-il après l'élection ? Ces gouvernants sont selon la démocratie représentative investis pour prendre des décisions. Le peuple cherche dans le vote un espoir de changement, de meilleures conditions de vie. De plus ce gouvernement ne prend pas les décisions seul, ni même son parti, ni même l'ensemble des partis qui l'appuie. Le pouvoir ne se réduit pas non plus aux trois pouvoirs (Ndt : présidentiel, législatif et judiciaire). Nous vivons sous un système capitaliste, divisé en classes sociales, de riches et de pauvres, d'opprimés et d'oppresseurs. Dans cette société existent également des pouvoirs économiques, militaires et idéologiques, soumis au pouvoir de l'impérialisme des pays développés, plus spécialement les Etats-Unis, et ceux-ci se maintiennent indépendamment des changements de gouvernements, puis adaptent les structures de base avec le maintien du système capitaliste, garantissent la permanence de la domination. Quand un peuple élit un gouvernement, ce cadre est altéré à la marge. Parce qu'aucun gouvernant ne veut changer ce système capitaliste, même lorsque le peuple organisé est animé par une volonté révolutionnaire et peut le faire. Mais au contraire, les partis qui participent aux élections légitiment le système capitaliste, puis se mettent d'accord sur les règles du jeu. Ils sont d'accord pour être les administrateurs d'une société divisée en classes, pour gérer les conflits entre opprimés et oppresseurs, pour avoir une police à leur disposition ou pour réprimer ceux qui contrarient le système qu'ils défendent, pour donner au pauvre l'illusion que le vote peut apporter de grands changements. Il est donc naturel qu'année après année, la même histoire se répète, les promesses des politiciens ne soient pas accomplies. Lorsqu'ils promettent santé, éducation, emploi, bien-être pour tous, c'est un mensonge car le jour où cela adviendra, il n'y aura plus de capitalisme. Les élections sont encore vantées par la propagande comme le grand jour de la participation politique, de la démocratie, de la citoyenneté... nécessaire pour faire croire au peuple qui choisit les personnes qui détiennent une petite partie du pouvoir capitaliste, cela permettant de fait une grande transformation... ce que nous qualifions de démocratie bourgeoise : le peuple croit qu'il choisit quelque chose pour que l'essentiel soit maintenu, alors qu'il s'agit d'une élite détentrice de privilèges. Pour celle-ci le vote est de fait très important : important pour Rede Globo, pour le gouvernement, pour la bourgeoisie. Important parce que là se résume la participation politique du peuple au système capitaliste, et peu importe ce que les gouvernements feront après puisqu'ils sont démocratiquement élus par le peuple. Le peuple délègue à ces personnes le pouvoir d'administrer des affaires qui l'intéressent Cependant notre conception de la démocratie est autre. Elle est celle qui signifie de fait le gouvernement du peuple. Dans ce système où nous vivons, celui qui gouverne, est-ce le peuple ? Est-ce ce qui se passe dans la mesure où le peuple sans travail, connaît la faim, la maladie ? Pourquoi sommes-nous stupides au point de ne pas savoir choisir notre sauveur ? Parce que les élections laissent croire au peuple qu'il commande pour que les riches continuent à commander tout le temps. Ceci est le fondement de la démocratie bourgeoise capitaliste. Cela n'est pas la démocratie que nous voulons. Nous voulons que le peuple ait le pouvoir de fait, nous voulons construire un pouvoir populaire. Et cela se passe quand nous nous organisons de façon autonome dans nos villes, écoles, syndicats à travers la démocratie directe... la vieille et bonne idée qui veut que l'union fasse la force. Seuls, nous ne pouvons rien, mais le peuple est la majorité et s'il ne fait pas la loi, c'est parce qu'il est désorganisé. L'importance des mouvements populaires est qu'ils sont l'unique manière pour le peuple de conquérir ce qu'il veut. Un exemple de mouvement fort est aujourd'hui le Mouvement des sans-terre (MST). Le gouvernement se désaisit des grandes propriétés et les destine à la réforme agraire à cause de la pression du MST, de sa lutte qui est organisée et non parce qu'il est ému de la situation des sans-terre ou parce qu'auraient été élus des députés du mouvement. Imaginez à la place un mouvement de force égale pour les étudiants, les femmes, les indiens, les noirs, etc. Ceci est le pouvoir populaire. Ceci est la voie du changement dans laquelle nous croyons... depuis les organisations populaires auxquelles nous participons. Ce que nous votons, ce n'est pas tous les 4 ou 5 ans, mais tous les jours. Parce que celui qui fait la loi, c'est le peuple et non ceux qui historiquement nous ont dominé. La gauche au gouvernement et ses conséquences Cette année à Porto Alegre, nous avons vu le combat final des élections autour, d'une part du Front travailliste rassemblant avec lui les partis de droite, et d'autre part, le Front populaire rassemblant la gauche institutionnelle. Durant ce processus de polarisation le PDT gaucho (3) s'est vu impliqué dans une grande crise qui a abouti à un grand nombre de départ de travaillistes pour le Front populaire, plus en accord avec les origines du travaillisme. Ce terme travaillisme est communément utilisé comme référence à la défense des droits des travailleurs prétendument incarnés par Getulio Vargas (4). En réalité Getulio a incarné une dictature qui a réprimé fortement le mouvement ouvrier pour en finir avec son organisation autonome. Les droits travaillistes attribué par l'histoire comme un cadeau offert par Vargas étaient en réalité le résultat de décennies de luttes ouvrières influencées par l'anarchisme. L'histoire bourgeoise se charge de donner du dictateur l'image d'un grand homme, père des pauvres. Le PDT à chaque élection cherche de façon opportuniste la situation dans laquelle il se met le plus en évidence. Le Front populaire, rassemblant la gauche institutionnelle a obtenu de plus un mandat pour la mairie de la capitale. Dans la région métropolitaine, il s'est maintenu également à Grataval, Viamao, Caxias do Sul, a gagné à Cachoeirinha. Non seulement ici mais dans tout le pays, il a progressé de façon significative. Une chose qui reste bien claire est le discours chaque fois plus centriste du PT qui se distingue très peu de celui des autres... il est naturel qu'à chaque fois qu'un parti occupe plus d'espace dans l'institution gouvernementale, son discours devienne plus mou et plus souple. Dans la mesure où celui qui est au gouvernement veut rester au gouvernement, il s'efforce d'être le plus compétent possible. Pour le capitalisme, un gouvernement compétent est celui qui accomplit la fonction d'atténuer les conflits entre opprimés et oppresseurs, en garantissant le maintien de l'ordre bourgeois. Des secteurs de la bourgeoisie sont en train de voir que la gauche au pouvoir ne représente pas en réalité de grandes menaces, mais au contraire aide à légitimer le processus électoral comme quelque chose de démocratique, ce qui est le cas avec l'appui du PSDB (Parti de la social-démocratie brésilienne, parti de droite de l'actuel président du Brésil Fernando Henrique Cardoso) à Marta Suplicy (du PT) à Sao Paulo. Comme une bonne partie des leaders des mouvements populaires aident à élire la gauche, ceux-ci ont tendance à amoindrir la radicalisation durant un gouvernement de gauche. Cela rend le sommeil de la bourgeoisie plus paisible. En analysant ces années d'administration pétiste à Porto Alegre, il est possible de voir comment se comporte une gauche institutionnelle au gouvernement. Différente de la droite, la gauche a une stratégie d'arrimage des mouvements sociaux au gouvernement avec des discours conciliants comme la conquête de la citoyenneté, la participation populaire, etc. Celle-ci est instrumentalisée de plusieurs façons, et l'une d'entre elles est le budget participatif. Il fonctionne en réalité comme une consultation (celle-ci n'est pas délibérative) des communautés sur ce qu'il faut faire avec 10 % du budget de la mairie. Aujourd'hui à Porto Alegre, la majorité des associations de quartier et le mouvement communautaire en général sont arrimés au budget participatif. Les luttes qui auparavant se menaient à travers la pression des mouvements sur l'Etat se mènent maintenant en débattant avec lesdits mouvements sur 10 % du budget de la mairie. Au lieu de lutter contre l'Etat, on lutte contre les voisins, on joue population contre population pour voir qui gagne une miette. Et les gouvernants pétistes restent tranquilles puisque de cette façon ils gardent le mouvement populaire sous leur contrôle. Tout cela avec une immense campagne idéologique autour du budget participatif. La gauche institutionnelle a besoin de se légitimer comme quelque chose de populaire, pour que le peuple se réclame de ses actes, pour cela elle martèle chaque jour à la TV, la radio, le journal, les écoles et tous les moyens possibles : administration populaire, participation populaire, démocratie, citoyenneté, des mots répétés jusqu'à saturation. On peut dire que la domination idéologique exercée par l'administration pétiste actuellement est identique à celle qu'exerce la RBS (filiale du puissant Rede Globo), véhiculant en permanence la propagande des gouvernants pétistes qui coéte plus d'argent que ce qui est destiné au budget participatif. Il n'y a pas de conscientisation parce que la conscientisation ne se décrète pas. La conscience requiert effort et lutte. Le résultat d'années d'arrimage des mouvements communautaires de Porto Alegre est visible. Où voit-on des mouvements avec force, organisation, autonomie, soutenus par leurs propres habitants des villes sans aucune tutelle encravatée ? Quand un mouvement populaire fait ses premiers pas, les administrations pétistes tentent d'abord de le mettre sous leur tutelle. Dans un deuxième temps, si elles ne parviennent pas à leur fin et si le mouvement cherche à maintenir son autonomie, ou bien elles le disqualifient et disent qu'il est de droite ou bien elles lui trouvent quelqu'autre adjectif péjoratif. Et là, les exclus du modèle de capitalisme plus humain du PT sont la cible de toutes sortes de boycotts et de répressions. Qu'en disent les camelots et les squatteurs ? Les constantes réélections dans la capitale résultent d'une série de facteurs. Le PT qui répond à un espoir de changement pour une partie de la classe opprimée, incarne d'un autre côté la bonne conscience d'une bonne partie de la classe moyenne pour laquelle est destinée tout un investissement dans la culture et les loisirs. A cela il faut ajouter un facteur de propagande, où nous voyons monter une mode de la petite étoile (symbole du parti) comme tant d'autres modes. Nous n'ignorons pas le fait que la gauche se différencie de la droite dans sa manière de gouverner. Mais aucun des deux ne nous est utile. Seul le peuple organisé garantit les conquêtes, quel que soit le gouvernement en place. Nous nous efforçons de renforcer des organisations des mouvements populaires : des travailleurs, des quartiers, des étudiants, etc. Le processus électoral crée des illusions dans la population, qui cesse de s'organiser dans l'espoir que "cette fois on a réussi". Nous n'avons pas besoin que ces politiciens prétendument éclairés décident de nos vies. Le véritable instrument de transformation du peuple est l'action directe quand les opprimés prennent leur destin en main Federação anarquista gaucha [traduction Alternative Libertaire France : http://www.alternativelibertaire.org] (1) Au Brésil, le mode d'élection du pouvoir municipal est assez différent de celui que nous connaissons en France. On distingue le pouvoir exécutif du maire du pouvoir législatif qui émane de la Chambre des élus municipaux. Le maire et le vice-maire sont élus au suffrage universel majoritaire à deux tours. Ils désignent les responsables administratifs (les secrétaires) et forment avec eux le gouvernement municipal. La chambre des élus municipaux est élue au suffrage universel à un tour sur des listes distinctes. Jusqu'aux dernières élections, cette institution était dominée par les partis de droite, alors que le maire est un membre du PT depuis 1989. (2) Principal groupe de communication brésilien, il contrôle les principales chaînes de télévision. (3) Gaucho est un terme connu pour désigner les éleveurs en Argentine comme au Brésil. C'est aussi un terme que l'on emploie pour désigner les habitants(e)s du Rio Grande do Sul, l'Etat situé le plus au Sud du Brésil et dont le gouverneur, Olivio Dutra (maire de Porto Alegre de 1989 à 1993), est un dirigeant du PT. (4) Getulio Vargas a dominé la vie politique brésilienne de 1930 à 1954. Gouverneur du Rio Grande do Sul, il devient chef de l'Etat brésilien (1930-1934) et proclame un régime autoritaire et fascisant l'Estado novo le 10 novembre 1937 sous prétexte d'une menace de coup d'Etat communiste... tout à fait imaginaire. Les partis politiques sont interdits et les élections sont abolies. Les syndicats doivent se fondre dans les institutions corporatives du régime et se limiter à une action d'assistance sociale. Ils sont totalement subordonnés à l'Etat. L'Estado novo prend fin en 1945. Vargas est réélu en 1951. Il se suicide en 1954.
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