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La Banque mondiale recule : réplique à Paule des Rivières

vieuxcmaq, Mardi, Mai 29, 2001 - 11:00

Jean Horace-Opporoutz (lampions@hotmail.com)

À la suite de l'éditorial de Paule des Rivières du Devoir, le Collectif de réflexion sur l'air des lampions propose une autre analyse de la décision de la Banque mondiale d'annuler sa conférence de Barcelone. Éclaircissements sur la couverture des "mass médias" et sur leurs piètres "analyses".

Vous trouverez l'éditorial de Paule des Rivières au http://www.ledevoir.com/public/client-css/news-webview.jsp?newsid=1610. Il est rapide à lire.

Madame des Rivières,

Nous voulons par la présente critiquer la piètre analyse sur laquelle s'appuie votre commentaire du 23 mai 2001 concernant l'annulation de la conférence de la Banque mondiale qui devait se tenir à la fin juin à Barcelone. Dans ce commentaire, vous déplorez le recul pour le « dialogue » - on peut se demander d'ailleurs de quel dialogue il s'agit - que constituent cette annulation et la décision d'aller tenir la prochaine réunion de l'OMC au Qatar, bien à l'abri des protestations civiques. Par cela, vous répétez de manière non critique le raisonnement des officiels de la Banque mondiale et de l'OMC sans relever la logique qui le sous-tend.

Premièrement, permettez-nous de vous rappeler que les « échanges en haut lieu » qui vous tiennent tant à coeur auront quand même lieu par Internet. (Et il est probable qu'en raison du peu de sécurité de ce réseau informatique, plus de gens aient accès au contenu de ces échanges !)

Deuxièmement, permettez-nous de questionner le « service à la démocratie » que représente la présence des caméras et des journalistes dans ces rencontres au sommet car, aux dernières nouvelles, les journalistes n'étaient admis qu'aux séances de déclarations officielles et non aux séances d'« échanges en hautlieu ». Et c'est par de telles erreurs grossières que l'on est à même de constater que vous êtes loin de comprendre la signification réelle de ces rencontres internationales. Mais n'ayez crainte, nous allons vous aider sur ce point.

Si l'on comprend ces « échanges en haut lieu », non pas comme de véritables échanges, mais comme des événements dont la finalité est symbolique - événements visant simplement l'étalement médiatique de la puissance des organisations internationales -, les décisions concernant le lieu de la rencontre de l'OMC et l'annulation du forum de la Banque mondiale prennent un tout autre sens. Le mode opératoire de ces conférences n'est ignoré de personne : l'ordre du jour et les principaux textes sont élaborés par les comités d'experts des organisations ainsi que par les fonctionnaires des pays membres. Les négociations officielles n'ont d'autres fonctions que de choisir la version du texte qui sera utilisée et de faire le partage des virgules. Devons-nous vous rappeler que l'échec du « Millenium Round » de Seattle ne tient pas tant à la mobilisation civique massée devant le lieu de la conférence qu'à la fin de non-recevoir opposée par les représentants des pays du Sud, lesquels se jugeaient tenus à l'écart de ces comités officieux où s'établissaient les politiques avant d'être mis devant le fait accompli ? En un mot, rien d'important ne se décide dans ces rencontres au sommet, à tel point que parfois les invités mêmes de ces sommets s'en offusquent. En tout cas, si nous vous apprenons quelque chose, cela n'a pourtant jamais échappé aux militants anti-globalisation. Permettez-nous de vous assurer cependant d'autre chose encore dont vous ne semblez pas avoir compris la simplicité : les manifestations visent purement et simplement à perturber les événements clinquants organisés par les élites technocratiques d'organisation internationale, parce que ces événements sont l'insupportable étalement symbolique de la puissance illégitime. En termes plus prosaïques, ces manifestations visent à « casser le show ». Vous pourriez prétendre que l'événement de Barcelone n'était en fait qu'un forum d'experts et d'universitaires désintéressés voué uniquement au noble avancement de la réflexion sur un thème quelconque; vous pourriez prétendre que ce forum n'était qu'un exercice consultatif pour la Banque mondiale. Nous vous répondrions simplement que vous devriez vous informer sur le dossier noir de la Banque mondiale elle-même et, pour vous rendre utile, faire une petite enquête sur les universitaires éloquents et désireux de faire part de leur opinion qui n'ont probablement pas été invités à Barcelone à cause de leur sensibilité de gauche. Vous ne serez tout de même pas dupe de la « parade académique » dans la mise en représentation symbolique de la puissance des institutions internationales phagocytées par les idéologues néo-libéraux ? En tout cas, tout cela n'échappe pas aux activistes anti-globalisation qui ont décidé de s'opposer à l'événement de Barcelone. Et les organisateurs des festivals d'échanges en haut lieu sont bien conscients que les opposants savent tout cela. C'est la principale raison pour laquelle la clôture de Québec fut érigée : elle devait assurer que la « représentation » du « Sommet des Amériques » puisse se dérouler sans anicroches pour les caméras situées à l'intérieur du périmètre. Ces moyens extraordinaires, sous prétexte d'assurer la « sécurité » des délégués et des chefs d'États - celle-ci n'ayant jamais été menacée lors des manifestations antérieures -, servaient en fait à assurer le contrôle hégémonique de la représentation symbolique de la puissance ; à assurer qu'aucune tarte à la crème ne perturbe les séances de signatures et de poignées de mains.

Dans cette perspective, la décision « d'annuler » la rencontre de Barcelone trahit le fait que la Banque mondiale savait qu'elle ne pourrait pas diriger le spectacle comme elle l'entendait. Notons que le sujet de la conférence annulée était la pauvreté et non la libéralisation des services. Sans avoir une imagination particulièrement machiavélique, on peut penser que la Banque mondiale est bien consciente de faire d'une pierre deux coups.

Elle se dit qu'il ne sert à rien de risquer une perturbation de la représentation symbolique de la puissance pour une question aussi peu importante - du point de vue de la globalisation des marchés - que celle de la pauvreté et elle annule le spectacle.

C'est un mal pour un bien : elle gagne la possibilité d'attaquer les opposants à son hégémonie symbolique en les blâmant pour les reculs que connaît le Tiers Monde par cette seule interruption de leurs affaires ! Stratégie des plus efficaces si l'on en juge par vos jérémiades.

Permettez-nous aussi de vous éclairer un peu sur la décision de tenir la rencontre de l'OMC au Qatar. Dans ce pays « modèle » du point de vue du respect des droits civiques, si éloigné qu'aucun trouble-fête ne pourra venir perturber la représentation, les dirigeants et les délégués sont assurés que tout se passera comme prévu. De plus, comme il s'agit d'une réunion importante, ils peuvent être assurés d'avoir une couverture médiatique suffisante pour diffuser leur représentation symbolique de puissance. Même si les « trajets en avion y sont extrêmement dispendieux » comme vous le dites, les grandes agences de presse et les chaînes de télévision mondiale - telles que CNN qui a une présence significative dans le golfe Persique - disposent de fonds suffisants pour s'y rendre. Et ces géants médiatiques se feront un plaisir « d'aider » les journaux à petit budget - tels que Le Devoir - et les chaînes médiatiques plus pauvres qui auront le loisir de réutiliser les dépêches de presse et les images de CNN pour assurer la diffusion mondiale de l'événement sans les interférences des « casseurs de show ».

Mais comme nous vous en avons fait part plus tôt, les perturbateurs symboliques ont la vue moins courte que vous le croyez. C'est pourquoi les organisations hôtesses de la manifestation de Barcelone appellent à une poursuite de la mobilisation pour juin afin d'assurer une présence populaire dans les rues de Barcelone. C'est que la mobilisation massive déjà à l'oeuvre est elle-même l'expression positive de l'impatience de la raison démocratique et doit de toute façon être entendue. C'est aussi pourquoi il y a un appel mondial pour des manifestations anti-globalisation à travers le monde afin de protester contre le fonctionnement et les décisions de l'OMC lors de la rencontre au Qatar. Nous verrons alors quel traitement réserveront les résonateurs du symbolique - c'est-à-dire les mass media - à cette lutte pour la reconnaissance entre les organisations internationales et leurs opposants. Seront-ils les simples porte-voix du spectacle ? Si c'était le cas - ce qui ne nous étonnerait pas - nous aurions une occasion de plus de blâmer les médias qui n'en seraient plus simplement à devoir « accepter leur part de responsabilité dans cette désolante évolution » de la situation, comme vous le prétendiez pour les opposants à la globalisation. Notre blâme n'aurait rien du moralisme prêt-à-porter dont vous avez fait preuve à leur égard - moralisme rendu d'ailleurs impertinent par notre petite analyse. Car en fait, notre blâme porterait sur la part objective toujours aggravée, toujours plus grande, de responsabilité que les médias ont dans la perpétuation de la situation. La faute est déjà accablante quand des journalistes comme vous ne voient pas l'absurdité des faits : des gens clament dans la rue qu'ils doivent être entendus et ne reçoivent pour seule réponse que l'indifférence jusqu'au jour où la clameur est si forte que ceux qui feignaient de ne pas les entendre prétendent soudainement que le bruit de la rue ne leur permet plus de penser tranquille.



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