Daniel Raymond avait 35 ans. Brian Bédard était âgé de 33 ans. Tous deux sont morts l’an dernier au Québec, dans une institution carcérale provinciale. Depuis, leurs familles cherchent à connaître les circonstances entourant leurs décès. Ces combats illustrent les dysfonctionnements sanitaires d’un système à bout de souffle, faute de moyens. État des lieux des prisons québécoises.
Daniel Raymond est décédé le 4 février 2000 au centre de détention Talbot à Sherbrooke. Depuis, sa mère a multiplié les démarches pour connaître la cause et les circonstances de ce décès. Thérèse Auclair n’a pas ménagé ses efforts : appels téléphoniques à l’aumônier, au médecin et au directeur de la prison, lettres au coroner en charge du dossier, le docteur Roger Michaud.
Pourtant, 13 mois plus tard, le mystère demeure. Fatiguée du manque d’informations, elle donnait le 14 mars dernier une conférence de presse à l’Office des droits des détenus, à Montréal. Elle demandait la tenue d’une enquête publique auprès du Coroner en chef, le docteur Serge Turmel. Ce jour-là, elle rappelait sa volonté d’aboutir : « je ne sais pas ce qui est arrivé à mon fils. C’est difficile. Mais il faudra que cela se débloque. Je n’arrêterai pas. Je veux savoir », disait-elle.
Au gré de ses investigations auprès des différentes autorités, elle a appris que son fils serait mort d’arythmie. Mais ce qui est plus surprenant pour Mme Auclair, c’est que son fils suivait un programme de méthadone, traitement prescrit aux héroïnomanes en sevrage. Or, elle est catégorique : « Daniel n’était pas accroc à l’héroïne. D’ailleurs, s’il l’avait été, il aurait été suivi pour cela à la maison de transition Latraverse en janvier 2000 », affirme-t-elle. Mais alors une question demeure : « pourquoi a-t-il reçu de la méthadone alors qu’il n’était pas toxicomane? », se demande-t-elle.
Le codétenu de Daniel lui aurait révélé que son fils prenait de la méthadone pour « finir son temps ». Cependant, la prescription de ce médicament doit être soumise à un contrôle médical très strict. La méthadone à forte dose ou jumelée avec d’autres médicaments peut entraîner la mort. Dans ce dossier, il apparaît que les médecins des différents établissements ne se sont pas consultés. De plus, il semblerait que Daniel Raymond recevait ses doses journalières des gardiens. Ce qui pose la question du suivi médical.
Mme Auclair est convaincue que des fautes ont été commises : « des erreurs ont été faites par le personnel et les autorités carcérales. On veut me cacher quelque chose », pense-t-elle. Malversations, peut-être. Déficiences du système correctionnel du Québec relatives aux questions de santé, sûrement.
Un autre cas illustre les difficultés sanitaires des prisons québécoises. C’est celui de Brian Bédard. Cette affaire soulève la question de l’incarcération des personnes souffrant de troubles psychiques. Brian Bédard, souffrait de schizophrénie. Pourtant, il était parfaitement intégré dans la société.
En avril 2000, alors qu’il cherche son chat, un voisin apeuré appelle la police. M. Bédard est arrêté pour vagabondage. Il se retrouve à l’Institut Pinel. L’établissement n’ayant plus de place, il est transféré le 19 avril au centre de Rivières des Prairies.
Le 21 avril, il refuse de regagner sa cellule. Il s’en suit une intervention musclée de la part du personnel. Quelques minutes plus tard, un gardien retrouve M. Bédard en arrêt cardiaque.
Au-delà de la dénonciation nécessaire d’un usage excessif de la force, une question de fond demeure : est- il concevable que des infractions mineures aient des répercussions aussi tragiques? Selon Jean-Claude Bernheim, président de l’Office des droits des détenus, la réponse est non : « on met le système pénal en branle pour une personne souffrant de troubles mentaux à cause d’une infraction mineure. C’est aberrant. »
Le gouvernement semble être aussi de cet avis. En effet, les recommandations de la coroner Andrée Kronström, suite à l’enquête publique demandée par la famille de M. Bédard, ont été reçues. Dans son rapport, elle s’interroge sur les causes profondes qui ont conduit M. Bédard à RDP, alors que la place d’une personne souffrante de schizophrénie n’est pas dans un établissement de détention. Dans son rapport, la coroner visait principalement les ministères de la Santé et des Services sociaux, de la Justice et de la Sécurité publique. Ces ministères ont réagi en annonçant la création d’un comité interministériel. Sous la responsabilité du ministère de la Sécurité publique, ce comité sera chargé de coordonner l’implantation des recommandations formulées par la coroner à l’égard du traitement des personnes contrevenantes présentant des troubles mentaux. « Cet événement renforce ma conviction que la détention n’est pas appropriée pour tous les contrevenants (…), il faut compléter la mise en œuvre de la Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui », a indiqué le ministre Ménard.
Denis Langlois connaît bien la problématique sanitaire des pénitenciers provinciaux, qui accueillent des détenus condamnés à des peines de moins de deux ans. Il est l’auteur du rapport de 1999 du Protecteur du citoyen sur les services correctionnels du Québec. Cette enquête révélait plusieurs travers du système : influence grandissante du crime organisé ( les prévenus de l’opération Printemps 2001 se retrouvent dans une aile entière de la prison de Bordeaux, déjà surpeuplée), abus de pouvoir, problème de la détention féminine dans des établissements pour hommes, réinsertion sociale en panne, taux élevé de suicide ( en 2000, 18 détenus se sont enlevés la vie dans une prison provinciale contre 2 dans les prisons fédérales du Québec).
Mais, le Protecteur du citoyen notait dans son rapport « que les plaintes relatives à l’administration des soins de santé constituent le premier sujet des plaintes. Elles portent sur le non-respect des ordonnances médicales, sur les délais et sur le défaut de fournir les services ou les soins de santé adéquats » ( p 34). Manque de communication entre les différents médecins, absence de suivi médical, prescription de médicaments sans évaluation préalable, absence de services sociaux « en dedans », et surtout déficiences de la prise en charge des personnes souffrant de problèmes psychiques, voilà portrait de la situation carcérale en 2001.
Le Protecteur du citoyen est intervenu dans l’enquête sur la mort de Brian Bédard. Pour Denis Langlois, « la présence de personnes souffrant de santé mentale, c’est tout un débat. La direction, le personnel correctionnel soutiennent que c’est inadmissible. Cette population devrait faire l’objet de soins spécifiques, adaptés à leurs doubles problématiques de santé mentale et de délinquance », poursuit-il. De plus, il estime que les questions de la santé mentale et du haut taux de suicide sont reliées : « tous les établissements n’ont pas de cellules spéciales pour les personnes à tendances suicidaires. Alors on les met dans une aile spéciale, on les isole avec un aménagement qui comporte le moins de risque. Le problème c’est qu’ils doivent suivre des soins psychiatriques. Et pas seulement la visite du médecin. Mais tout un accompagnement. Actuellement, ils sont avec des personnes souffrantes de santé mentale, parfois de façon sévère. Dès lors, est-ce la meilleure thérapie pour les sortir de leur état? » s’interroge-t-il. Selon lui, l’accès au soins psychologiques devrait être reconnu aux détenus, comme c’est le cas du reste de la population.
« Au ministère de la Santé et à celui de la Sécurité publique, il n’y a pas d’analyse globale», regrette l’expert. Par manque de volonté? « Je ne crois pas. C’est par manque de ressources financières. Le ministre Ménard a une assez bonne perception, mais il n’a pas de moyens », estime Denis Langlois. On arrive au cœur du problème : l’argent.
« Des ressources humaines sont coupées. Des postes d’agents spécialisés dans le suicide, de sociologues ont été supprimés : rien qu’à Orsainville [ la prison provinciale de Québec], ce sont 70 postes qui ont disparu », déplore-t-il.
Pour le rapporteur de la dernière enquête sur la situation des prisons au Québec, « on limite les ressources à la prévention, on restreint le travail clinique. C’est l’orientation même de notre société qui pose problème. Les solutions sont difficiles à mettre en place si on poursuit dans cette voie », dit-il.
Et si le budget de Pauline Marois, ministre de l’Économie et des Finances, injecte deux milliards de dollars de surplus en santé, la situation sanitaire des institutions carcérales du Québec n’en profitera probablement pas. Pourtant, Denis Langlois l’affirme : « le ministère de la Sécurité publique ne peut pas tout régler tout seul. Il doit être épaulé par celui de la Santé. »
Il reconnaît cependant qu’une prise de conscience apparaît petit à petit : « la direction des Services correctionnels et le ministre sont très préoccupés. Là où cela achoppe c’est encore au de l’argent. Tant que nous suivrons la voie du déficit zéro, une fonction publique réduite au minimum, nous ne réglerons pas les problèmes. Une amélioration à long terme sera possible que s’il y a un changement de cap du gouvernement en matière de financement », pense-t-il.
Ainsi, l’expérience du comité interministériel, mis en place suite à la publication du rapport de la coroner Andrée Kronström, est intéressante. Encore faut-il qu’il ait de réels moyens.
Plus d’argent, c’est aussi ce que réclame les agents de la paix en services correctionnels. « Nous serions capables de remplir notre rôle et de mieux prendre en charge les personnes souffrantes de santé mentale si nous avions plus de moyens. » Ainsi s’exprime Daniel Legault, vice-président du syndicat des agents de la paix en services correctionnels. « Si des personnes ont accès à un accompagnement, c’est en raison de la bonne volonté et du professionnalisme des agents. Même si le diagnostic est juste, nous ne sommes pas des spécialistes. Nos collègues psychiatres ont vu leur effectif fondre. Depuis 1993, tous les secteurs sont touchés », dit-il.
Les gardiens de prisons sont actuellement en négociations avec le Conseil du Trésor, pour une réévaluation salariale. Il faut rappeler que les 1800 agents repartis dans 18 établissements au Québec sont sans contrat de travail depuis 26 mois. Ils n’ont par ailleurs pas le droit de faire grève en vertu de la Loi sur la fonction publique. Le syndicat demande une hausse salariale de 18%, faisant passer leur salaire de 41 669$ à 45 188$. « Actuellement, dit M. Legault, un gardien de prison provinciale gagne moins qu’un agent de la conservation de la faune, qui gagne 42 876$. Nous voulons être payés à notre juste valeur », poursuit-il. Il estime que cette rémunération freine les candidats à l’embauche : « Il y a les coupes d’effectifs et la généralisation du temps partiel. Aujourd’hui les gens ne sont plus intéressés à appliquer chez nous. Même ceux qui sont là depuis plusieurs années cherchent à partir dans une prison fédérale. Le taux de roulement est de 30%. Au final, nos journées de travail se rallongent, au détriment de nos familles », constate-t-il.
D’autant qu’avec la dernière opération policière contre les motards, la population sera de plus en plus dure. Monsieur Legault rappelle d’ailleurs que le souvenir des meurtres de deux gardiens de prison, Pierre Rondeau et Diane Lavigne, en 1997 est encore présent dans les esprits.
« Depuis 1995, on constate une détérioration continue des conditions de travail : émeutes, suicides, prises d’otages. Si rien n’est fait, la situation deviendra explosive. Ceux qui ont la clé, ce sont ceux du Conseil du trésor », pense Daniel Legault. Nous avons cherché à obtenir la position du gouvernement. Malheureusement, M. Samson, porte-parole des Services correctionnels, n’a pas retourné notre appel.
Au-delà de la question du sous-financement, certains spécialistes appellent à une redéfinition du rôle de la prison dans nos sociétés. Jean-Claude Bernheim, président de l’Office des droits des détenus est de ceux-là : « Il n’y a pas d’analyse, d’interrogation par rapport à l’objet de la prison. On se concentre sur des problématiques, suicides, libertés conditionnelles, maladies mentales, mais on ne se pose pas la question : à quoi sert la prison? Il faut d’abord se poser cette question et on comprendra peut-être les carences actuelles à partir de cette analyse », pense ce militant de la cause des détenus depuis 25 ans.
« Théoriquement, on dit que la prison sert à assurer la sécurité publique et éventuellement à faire de la prévention. En réalité, des milliers de personnes vont en prison car elles n’ont pas payé leurs amendes de parking ou de bibliothèques. Sont-elles dangereuses? Bien sûr que non. L’État utilise la prison comme moyen de gérer les cas problématiques » dit-il. Jean-Claude Bernheim cite alors l’exemple des malades mentaux : « on les maintient en prison parce qu’ils font du trouble dans les hôpitaux. Et le personnel de plus en plus restreint ne peut s’en occuper ».
Pour lui, les enquêtes et autres rapports n’ont que peu d’effets : « que ce soit le Protecteur du citoyen ou nous autres, personne n’est écouté. De toute façon, ce n’est pas rentable politiquement de faire la promotion de la situation carcérale. C’est suicidaire electoralement d’investir dans les prisons afin d’améliorer les choses. Les droits des détenus sont bafoués mais la société l’accepte » déplore-t-il.
Pourtant, tout ne serait pas noir en regard du contexte nord-américain. Pour Jean-Claude Bernheim : « le ministre a une perspective assez progressiste de ce qui passe au Québec, comparativement aux États-Unis et dans le reste du Canada. Mais il n’a pas le courage de sa vision, ni les supports politiques. »
Situation sanitaire problématique, découragement et menaces de grève des gardiens de prison, taux de suicide record, critiques des groupes de défense des détenus. L’ampleur de la tâche de Serge Ménard, ministre de la Sécurité publique, commande une réforme des Services correctionnels québécois pour ce qui touche à la santé. Ce changement de cap devra avoir les moyens de ses ambitions. Surtout l’expérience de collaboration interministérielle devra perdurer et s’amplifier.
Au-delà, la société québécoise, elle aussi, doit faire son autocritique. Peut-elle accepter qu’en 2001, les droits fondamentaux des détenus soient encore bafoués? De sa réponse dépend la réussite d’un changement de mentalités dans la perception de la prison.
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